Échec au cavalier

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Le genre de soirée comme celle qui se déroule actuellement, c'est pour moi les meilleurs.
Juste tes potes, juste ce qu'il faut d'alcool pour émécher tout le monde, pas de drogues (sous n'importe quelles formes) de la musique pour tous les goûts, des légions de pizzas et de la bonne humeur en veux-tu en voilà. Le genre de soirée où, même si les gens ont des emmerdes, toutes les personnes présentes sont là pour se marrer et pas pour s'épancher sur l'épaule de quelqu'un avec l'alcool comme excuse pour justifier les moments de ''bad''.
Ouais actuellement je me sens divinement bien. Et je ne suis pas sous l'emprise de l'éthanol (au bout de deux verres de vodka orange ça me ferait mal !)
On est neuf dans l'appartement. Quatre filles (dont je suis l'une des magnifiques représentantes) et cinq clowns masculins, le tout ayant entre dix-neuf et vingt-cinq ans. Ouais l'appart d'Annabelle est un peu en bordel du coup, mais on rangera demain. Pour l'heure, place au fun !
Annabelle justement ! Elle est proche de l'état ''J'SUIS IVRE MAIS PAS MORTE !'' et est en train de se déhancher sur une musique de Rob Zombie sous l’oeil amusé d'Akim qui tente d'avoir un aperçu de l'état de la culotte de la belle, vu que sa robe se relève sans arrêts à cause de sa danse effrénée. Moi je fume au balcon en discutant avec Thomas qui me raconte comment vaincre le roi Ing dans le jeu metroid prime 2 echoes, jeu que je n'arrive pas à finir malgré le temps passé à essayer de faire la peau de ce boss. Soudain Bertrand arrive d'un pas mal assuré (lui il est en mode 'j'suis bourré, la vie est merveilleuse'') et commence à me draguer assez lourdement je dois dire. Ça fait des années que l'on se connaît et généralement, quand il commence des avances avec moi, c'est que ça a foiré avec toute la gente féminine présente mais qu'il continu de penser qu'il pourra pénétrer un orifice avant le lever du soleil. Je le repousse sans ménagement et reprends mon cours de dégommage de créatures maléfiques auprès de Thomas.
C'est le moment que choisit mon portable pour vibrer, m'indiquant l'arrivée d'un nouveau message.
Je râle sur le fait qu'on est sans cesse interrompu et regarde le nom de l'expéditeur.
Je pense que, vu de l'extérieur, la taille que doivent avoir pris mes yeux à cet instant paraît grotesque. Mais j'ai de quoi être surprise.
Julien. Mon ex.
Qu'est ce qu'il me veut lui à 01H13 ?

• -Lucie ?
Thomas vient de me sortir de mes pensées.
• -Quoi ?
• -Ça va ? Tu as pâli d'un coup.
Je ne réponds pas tout de suite.
• -Thomas... Excuse- moi, je dois partir.
• -Quoi !?
Thomas tire une tête comme si je venais de lui annoncer que je suis un alien venu détruire la race humaine.
• -T'es sérieuse ? Qu'est ce...
• -QU'EST CE QUI SE PASSE MA BELLE ?!
Annabelle vient d'arriver en hurlant. Je lui annonce mon départ imminent. Elle cesse de sourire et me regarde (façon de parler, elle louche quand elle a un coup dans le nez) avec colère.
• -Tu déconnes ?!
• -Non...
• Putain, mais ça fait un mois qu'elle est prévue cette soirée, j’avais bien stipulé qu'il fallait régler tout éventuels problèmes qui pouvaient amener à un désistement de dernière minute !
• -Oui bah désolé.
• -Désolé ? Mais bordel qu'est-ce qu'il t'arrive ?
• …
Je prends mes affaires sous les yeux des autres (qui ont coupé la musique et arrêté leurs activités) et sors de l'appartement.





Salut Lucie.
Je joue sans reine et mes cavaliers sont dans la merde.
Je crois que mon roi va tomber.
Ça m'apprendra à faire le guignol et entreprendre une partie
trop complexe pour moi.
Enfin bref, merci pour le lien que tu m'as filé l'autre fois.
Bisou.


Fin du message.


Putain !
Non !
Tout en courant dans les rues désertes, je cherche mentalement où il habite. Je sais que ce n'est pas si loin de chez Annabelle, je me rappelle la tronche de son immeuble, mais merde, impossible de me souvenir ou c'est.
J'essaye de l'appeler, mais comme je le pensais, je tombe sur la messagerie.
Merde merde merde !
Ce message... Je connais trop bien Julien pour ne pas lire entre les lignes.
Il va mal. Très mal.
Et il va sûrement faire une connerie.

Julien est moi sommes sortis ensemble il y a trois ans. Nous avions dix-sept ans tous les deux. Ça n'avait pas duré longtemps, à peine deux mois. Mais ces deux mois furent... Je ne trouve pas les mots exacts pour en parler. Disons que ces deux mois ont été plus remplis et plus mouvementé que les deux années qui suivirent.
Julien est dépressif et pas qu'un petit peu. Sa confiance en lui frôlant le zéro et sa peur du jugement des autres l'empêchent de réaliser ses projets entrepris. Cercle sans fin ; il tente quelque chose, mais se met trop de pression, échoue, déprime et quand il arrive à peu près à se remettre la tête hors de l'eau réessaye autre chose, mais le spectre de ses échecs passés remonte, lui mettant de nouveau la pression et le stress au maximum, le faisant échouer de nouveau et entraînant une nouvelle période noire etc etc...
Pourtant, c'est quelqu'un de vraiment adorable, gentil, attentionné et passionné. Quand un sujet l'intéresse, il peut rapidement devenir un wiki sur pattes. J’ai, par exemple, toujours été sidérée par ses connaissances religieuses, sur les textes saints, les religions plus ou moins reconnues, les anges et les démons... Alors que c'est un athée complet !
Paradoxe, il est intelligent et lucide sur le monde qui l'entoure et dans lequel il vit, mais est complètement incapable de se comprendre lui-même, poussant parfois des logiques dépressives/négatives stupides et irrationnelles très loin.
Il n'y a qu'une seule chose pour laquelle il ne doute pas de ses capacités : les échecs.
C'est d'ailleurs à un tournoi dans mon ancien patelin que je l'ai rencontré. J'accompagnais mon grand-frère qui y participait et pendant que l'aîné de ma fratrie jouait, j'étais allée faire un tour entre les tables, voir comment s'en sortaient les gens (je me débrouille aux échecs) et je suis tombée sur lui. J’avais alors été captivée par son regard.
Le regard qu'il a quand il joue est unique. Un regard qu'il n'a en aucune autres circonstances et complètement à l'opposer de sa personnalité introvertie. Un regard qui transpire la puissance et l'assurance. Et il peut se la permettre cette assurance vu son niveau.
Je crois que quand une partie commence, il se perd totalement dans un autre univers.
Toujours est-il qu'après le tournoi (qu'il a remporté) je suis allée lui parler, on a sympathisé est j’ ai eu une espèce de coup de foudre bien que surprise de découvrir finalement un homme timide et mal dans sa peau après l'image de puissance qu'il avait affiché pendant le tournoi.
On a continué de se parler pendant un mois et quelques jours puis nous sommes sortis ensemble.
Car si moi j’ ai eu une ''espèce'' de coup de foudre, lui est tombé follement amoureux de moi.
Malheureusement notre relation a pris une série de virages trop serrés qui m'ont fait quitter le véhicule rapidement.
Car entre les périodes de tristesses intenses qui amenaient scarifications et comportement imprévisibles (genre se barrer en pleine nuit et revenir deux jours plus tard) et les crises (rare, c'est vrai) de colère où il pétait un plomb sur tout ce qui l'entourait, j’ai décidé de lâcher l'affaire, sentant que j'allais y laisser des plumes. Même si ma décision finale ne fut pas simple à prendre et à annoncer.
C'est dommage, car c'est vraiment quelqu'un de génial quand il est ''normal''.
Fait divers, nous n'avons jamais réussi à coucher ensemble. Il ne se sentait pas prêt, pas à l'aise et les crises d'angoisses qui l'ont terrassé quand nous tentions l'expérience m'ont convaincu qu'il ne fallait pas le brusquer à ce niveau-là tant qu'il n'avait pas réglé son blocage (car blocage il y avait, lui-même le reconnaissait) mais vu que j’ai craqué, il n'y a finalement rien eu. Dommage aussi, j’aurai voulu savoir s'il était aussi doué au lit que face à un échiquier. Et j’aurai bien aimé être la première d'un gars.
Tout ça date maintenant de trois ans...

Aide pour la traduction du message de Julien :
Le roi= lui
La reine= l'amour ou sa copine
Cavalier= ses rêves
Une partie= la/sa vie
Le lien= Notre relation

Pour moi, littéralement, il va tenter de ce foutre en l'air.

Je ne sais pas si j’ai de la chance ou si mon inconscient se souvient de la route, mais à force de courir me voilà devant l'immeuble ou vit Julien. J’y étais allée il y a un an et demi quand nous nous sommes revus.
J'avance et je me demande (et j'espère) qu'il habite toujours ici. Mes craintes s'envolent rapidement quand je vois son nom sur l'interphone. Même si je me doute que mon geste est vain, je sonne chez lui, mais comme je le pense, il ne répond pas. Je sonne alors à un appartement au hasard. Plusieurs fois. La voix d'un trentenaire fou de rage brise le silence. Il m'engueule comme pas permis (bon OK il est presque deux heures du mat) et me traite de connard. Entre deux insultes et une menace à peine voilée, je lance, froidement :
• Ouvrez-moi. Quelqu'un va se suicider.
Tiens, c'est fou comme c'est efficace ce genre de phrase, il ferme sa gueule d'un coup. Un bip m'annonce même que la porte est ouverte. Je rentre en courant à l'intérieur et cavale dans les escaliers vers le deuxième étage. J'arrive devant son appartement et je sonne, plusieurs fois.
Mais il ne donne toujours pas signe de vie. Je clenche pour voir si la porte est fermée et elle l'est bien.
Un bruit de pas résonne dans l'escalier. Je tourne la tête et voit un monsieur torse nu qui s'approche. Serais ce le gars de l'interphone ?
• Excusez-moi, comme j’ ai des problèmes de sommeil en ce moment, j’ ai un peu péter un câble quand vous m'avez réveillé en sonnant.
C'est bien lui.
• Pas grave...
• C'est là- dedans que quelqu'un va...
• Oui.
• C'est fermé à clef ?
• Oui.
• Vous n'avez pas de moyens d'entrer ?
• Non.
• Poussez- vous...
Il commence à reculer et devinant son intention de défoncer l'obstacle je m'écarte. Il fonce dessus, épaule gauche en avant, mais la porte ne cède pas. Il recommence, mais nous ne pouvons toujours pas entrer. Néanmoins, je remarque que les gonds sont fragilisés, lui fais remarquer. Il donne alors un violent coup de pied qui a enfin raison de notre ennemi. Laissant mon ''camarade'' qui s'est visiblement fait mal en cognant sur le palier, je me précipite vers le salon (qui est aussi la chambre de Julien) et ne peut retenir un cri devant la triste scène que je découvre.
Julien est allongé sur le canapé, inconscient, l'avant -bras gauche ouvert du poignet jusqu'au coude.
Je me reprends et avance vers lui, priant n'importe quels dieux, divinités ou forces surnaturelles que le garçon ne soit pas déjà devenu un cadavre. Je m'arrête juste une seconde, surprise par le bruit qu'a fait mon pied en touchant le sol près du canapé, mais comprends vite que j’ai marché dans une flaque de sang.
Une fois devant le suicidant, j’ai un nouvel arrêt. La scène est tellement irréelle. Dire qu'il y a une demi- heure, je parlais jeux vidéo et mettais un râteau à une soirée. Changement radical d'ambiance.
Je touche son cou cherchant un battement de coeur. J'en trouve un, faible mais, bien présent.
Mon ami ''défonce porte'' arrive et reste littéralement pétrifié devant la scène. Moi je saisis mon portable et appelle les urgences. On me dit d'essayer de stopper au maximum la perte de sang, ce que je m'efforce de faire.
En lui tenant le bras, je remarque qu'il tient quelque chose dans sa main droite.
Une reine de jeu d'échec.
Probablement celle du jeu posé sur la table. Le roi est couché.
Quand les sirènes de l'ambulance se font enfin entendre, je prends la pièce ensanglantée dans sa main et la glisse dans ma poche.

• Putain... T'as réussi à deviner ce qu'il se passait juste avec un message flou ? T'es trop forte !
Je suis retournée chez Annabelle vers midi après que les médecins m'aient assuré que Julien ne trépassera pas.
Quand j’ ai raconté les événements de la nuit à mes potes, ils sont tombés sur le cul (Akim littéralement) et ça va faire maintenant cinq minutes que le groupe fait l'éloge de ma capacité de déduction.
Le sommeil commençant à venir, je prends congé de mes amis pour squatter un lit.
Tout en m'enroulant dans les couvertures, je touche la reine dans ma poche. Une étrange sensation s'empare de moi. Je n'arrive pas à l'identifier...

• -Bon anniversaire maman !
Ma mère vient me serrer dans ses bras. Elle est heureuse, cela fait pas mal d'années que ma petite soeur, mon grand-frère et moi n'étions pas tous présent lors de son anniversaire.
Le repas se passe sans problème, dans la bonne humeur, ma soeur raconte des anecdotes de sa classe de terminale. Puis m'ont frère parle de Camille, sa copine. Ils vont s'installer ensemble prochainement. Cinq ans quand même qu'ils sont en couple.
• -Bientôt le bébé. Raille ma frangine.
• -Non, ce n’est pas encore au programme.
• -Dommage, j'aimerais bien être tata.
• -Eh ! Pourquoi c'est obligatoirement moi qui devrais être le premier à faire de maman une grand-mère ! Il y a Lucie aussi !
• -Bah t'es le plus vieux... Et Lucie, faudrait déjà qu'elle se trouve un mec correct.
• -De quoi je me mêle ?! Je lance un regard faussement haineux à la cadette.
• -Bah, c'est vrai que jusqu'à présent, t'as pas eu de bol. Entre les sales cons, les suicidaires et les queutards, t'es pas vernie.
Je ne réponds rien.
Mon portable vibre. Je regarde qui c'est.
• -Maman, je vais fumer, je reviens.
• -Tu devrais arrêter de cloper, ce n'est vraiment pas bon, tu vas crever jeune si tu continus à carburer autant. Dit le frangin.
• -Merci de te préoccuper de mes poumons. Et toi, comment va ton foie ?
• -Imbécile...
Je sors.



De Julien 12H31
Merci.

(Moi) 12H34
Deux semaines, c'est le temps que t'as mis pour envoyer
cinq lettres.
De rien.

De Julien 12H35
Tu m'en veux ?

(Moi) 12H35
Je ne sais pas.

De Julien 12H37
Tu pourras me rendre ma reine s'teu plaît ?

Je touche la pièce qui est en permanence dans ma poche maintenant.

(Moi) 12H38
Non

De Julien 12H38
Pourquoi ? Développe.

(Moi) 12H39
Je te la rendrai quand tu seras capable de jouer
correctement avec tes cavalier et que ton roi ne
soit pas échec tous les trois tours.

Vu qu'il ne me répond pas, je rentre rejoindre les autres. Ma soeur me fait remarquer que j’ ai été longue. On commence à offrir les cadeaux à maman, qui se retrouve bientôt avec parfum, DVD et manteau neuf. Elle nous remercie chaleureusement et nous déclare qu'elle va faire un repas dont on se souviendra longtemps. Pendant quelle part aux fourneaux, les deux autres se lancent dans un débat sur le DVD que la mère a reçu. Moi j'écoute tranquillement, tout en envoyant des messages à Thomas. J’ ai réussis à poutrer le roi Ing, mais il y a dark samus juste après et il/elle me met la misère en continu, je demande donc des conseils pour gagner et arrêter de péter des plombs devant ma console a force de perdre.
Mais le message qui arrive n'est pas de Thomas.

De Julien 13H17
C'est d'accord, je vais faire ce que tu demandes.
Si j'y arrive, tu rejoueras une partie avec moi ?

Je souris.

(Moi) 13H18
Je n'attends que ça.

De Julien 13H19
OK.
Je vais sûrement mettre du temps.

(Moi) 13H19
J'attendrai
J’ suis patiente.
J' ai une question.

(Moi) 13H21
Pourquoi c'est à moi que tu as
envoyé un message cette nuit là ?

De Julien 13H22
Bah...

(Moi) 13H22
C'est pas une réponse.

De Julien 13H25
Je peux te dire la réponse.
Mais je pense que tu l'as connais
déjà.

(Moi) 13H26
Effectivement

Je souris et machinalement touche la pièce dans ma poche.

(Moi) 13H28
Impatiente de rejouer avec toi.

Certaines parties méritent vraiment qu'on les joue jusqu'au bout.




























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