4Ω : pose de nu
Contexte : croquis de nu en atelier, changement de pose toutes les 30 secondes, 2, 5 ou 10 minutes.
Dans un premier temps, il faut venir jusqu'au lieu-dit. Affronter le trafic dense de Strasbourg sous les trombes de pluie, accepter que le GPS puisse se tromper toutes les cinq minutes - j'admire à l'occasion la verdure faire foi, réhaussée sur l'ensemble de sa palette d'ardeur - et puis se retrouver de l'autre côté de la barrière, en Allemagne, perdre l'aspect enchanteur du crépuscule humide qui file hagard de goutte en goutte sur les feuilles des marronniers aveuglés par le printemps. Attendre que les conteneurs - j'en compte trente-deux - s'effacent dans la brume de mon haleine superposée à la criminelle industrialisation du ciel et de la terre, passer la grille, apercevoir de la lumière et du papier, pénétrer dans l'abri. Se dire : m'y voici.
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Elle lève la main pour la laisser veule dans les airs, à quelques centimètres d'une loupiotte mal garée. Une mosaïque violette percutée d'amandes oranges et le petit octogone de carton qui devait servir d'étiquette-produit s'en éjecte et se prend pour l'ampoule.
Les un.es gribouillent assis.es, les autres se tiennent debout, carnet en main, mu.es par une force qui m'aspire dans un tourbillon de poltronnerie. Mes cuisses trempées ne quitteront pas le fond de la chaise. Je me sens déplacée de simplement décroiser les jambes pour défaire les nœuds de mes muscles. Plus encore que la modèle, je souhaite m'immobiliser dans une pose et que seule ma plume se déplace pour brusquer la matière.
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Recroquevillée sur l'axe de ses genoux, ses bras vadrouillent devant, derrière. Les regards ne se font curieux qu'à l'instant où son corps se meut entre deux poses.
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Main tendue, retenue par la poutre qui soutient l'espèce de hangar dans lequel la matière tangue, moitié d'elle-même, inachevée au plus profond de l'os, elle va au-delà de la question posée, propose plus qu'elle ne demande. La peau peut osciller sans que l'univers ne prenne peur. Elle n'aura le mollet cinglant que pour quelques secondes. Ensuite, le point s'expose et je tire un trait.
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Le papier se froisse, la plante de son pied se presse contre le froid déchiré de la pièce. Il y aura deux plis dans la graisse de sa colonne. Le monde débarque en pardessus, elle n'en percevra que le timbre grave d'un tissu qui s'agite. Certaines prises de conscience ne m'inspirent guère, j'attends qu'elle inspire autrement. On ne chante pas avec les poumons des autres après tout. Et non loin, des chaises exposent, disparates, leurs ressorts nus.
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Le souffle des ventilos d'appoint bercent et donnent une âme à ses cheveux, une masse informe de brun sans éclat sur son teint d'argile cuite.
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Là, elle croise les mains derrière sa tête et s'alanguit de tout son long. Deux clous se battent en duel à quelques centimètres l'un de l'autre, la bataille d'une rouille fumeuse de part et d'autre d'un crâne aux idées pulsatiles comme une poitrine en sueur.
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L'artiste déroule son parchemin de canson. La mine pensive, la modèle paraît suspendue, figée dans une intention dont nous ignorons tout le contenu. Il pourrait aussi bien s'agir d'une scène du quotidien que d'un choix cornélien. Je ne souhaite pas transposer mon vouloir sur la pensée qu'elle invoque, alors, je tais ma plume.
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Alto. Disposée au centre en meuble qui regarde autre part. Alto, sourire sans le pouvoir, bruisser dans la lumière des néons vifs. Tout blanc, tout sale, Alto, fuir la quête de mouvements, transpirer, frissonner mais ne plus jamais craindre le gong ni le choix du mot par ailleurs sensible. Sous les pieds de Mozart un pot de peinture Monoprix tente de s'éclipser de cette foule de déchets d'artisanat clandestin. Alto, disposée au centre avec prestance.
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Je teste, ce soir, la plume en cinq minutes. Moi aussi je pose. La différence n'en sera que le public, elle est donc majeure. Décrivons donc ce coude et le bleu tout rouge qui s'y forme de s'appuyer si longuement sur cette nappe de prestidigitateur en acier.
//J'ai toujours fort apprécié les structures apparentes et la peau blessée. À mes amant.es, je laisse souvent un baiser tatoué sur l'épiderme. Chez certain.es, j'aurais d'ailleurs souhaité qu'il ne s'efface jamais.//
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Bonjour enfant, que fais-tu donc perdue dans ce corps de femme ? Ta paupière bat et tombe comme le papillon tiré de sa course vers un plus ardent soleil.
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Assis au bureau de fortune, pieds croisés, il trifouille dans l'ardoise, glace la chair au fusain sur un angle de papier froissé.
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Il est arrivé en retard, le visage rougeaud et le vin n'en part pas. Il crayonne la feuille de la même couleur que son nez. J'aurais pu aussitôt chuchoter //Monsieur, l'alcool vous fait du pied…//
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Dans la posture
Dans la posture et le regard
Dessiner un pied au muscle épais
Attendre que le jarret flanche
Et le musc bat la seconde d'une bouture de chair
Dans sa posture et le retard
Du dessin, ne plus tracer le muscle, le pied,
Que la toile de vide, deux trois dix lignes rampent
Remparts et le corps bouge
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Capture de la fixité d'un œil sur l'immensité du vide. Tout d'abord. Parlons sérieusement de ces choses qui fâchent. La voûte au sol, blanche géhenne dans cet atelier-escarpe. Je frôle l'instant drôle où "je" n'est qu'un fantoche des abonnés absents sur son trône aplatisseur de fessier de putain.
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Aujourd'hui, on m'a complimentée puis j'ai oublié que c'était à moi qu'on s'adressait. On aurait pu dire tout cela d'une autre, elle aurait porté mon visage et un prénom dissocié de mes lettres et du regard que j'y porte. Chasse aux prières, prière de ne pas le vouloir car ses yeux ne donneront rien, prière de ne pas s'asseoir sur ma poitrine, va plus haut, ma bouche est moins fragile.
Buste, cuisses, lèvres, tout masqué sauf les mains, ramenées sous le menton en une guerre. Je pense que j'aurais pu le regarder ainsi, aussi, que j'ai dû le faire, position pleutre des heures durant et quand bien même aurait-il fugué de mon champ d'inaction, je l'aurais poursuivi en rêve, sans me lasser. Aux églises le choix de mourir ignares, à moi de partir après quelques années d'errance pour espérer, un jour, capturer ses égards. Soupir millimétrique, je peux tout percevoir de tes abîmes et n'en dis rien car rien ne m'en dégoûte ni ne m'en écarte, et jamais ta voix aigre ne m'écœure.
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Le peignoir. Elle défait les fleurs de son épiderme, les tient à distance et les abandonne sur le dossier du Rocking Chair. Un pan de soie dégouline et absorbe la suspension de la matière pour s'établir maitre de ce coin de la pièce. Une liane s'échappe du bouquet et serpente jusqu'au linoléum battu de crasse. Eut-elle choisit le verbe, j'aurais tenu pour acquis la lueur des néons artificiels sur la soie bon marché comme seule responsable du présent.
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Il flambe dans la ville le vouloir être grand. Grand comme tes mains la veille au soir. Grand comme le gouffre entre tes côtes qui laisse poindre un cœur méchant masqué de réglisse tendre molestée par le soleil au zénith. Grand comme mon tempo lent. Grandiose, surtout, un été sous la pluie et le cartilage de l'enfant.
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J'apprécie à outrance le goût de l'inachevé. Elle taquine le clou de la pulpe de ses orteils quelques secondes puis délaisse l'idée vaseuse du confort pour un faciès tiré, tordu et le ventre, plis tassés, casser le sein mûr comme un fruit qui gâte et c'est joli de décéder un peu plus de minute en minute. On accorde au corps le droit de mentir sans s'en cacher. Que ne sert de débusquer une croix qui s'habite elle-même.
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Madame travaille sans chanter. Elle porte le jour, afflux de lumière sortie des trouées du bac de Naples entre sa main et son épaule. La pupille décidée, elle propage une voix qui se tait ou sait se complaire dans les simplicités de l'aurore. Ce pourrait être ta femme dans le sein du verger, la bouche en pleurs et la boucle s'éteint d'elle-même au coassement des crapauds du printemps.
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Prie. Prie pour moi, ma sœur, toi qui n'y croit pas mais connait si bien mon cœur. Je serai dans ta chambre la nue qui te supplie de suivre celleux qui passent vite et pensent à la même allure dans l'espoir d'un monde qui inspirerait et expirerait un air aussi pur que ta peau sur l'épaule soufflante et l'oreille vissée en plein milieu des délicats sternums de cuivre.
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Au bord du précipice, Narcisse découvre les angles de son ombre et la mort y fait écho car l'on ne choit que dans l'amour de soi.
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Ses mains dans son dos sont des ailes. Déceler le vrai du lot toujours m'interpelle. Colonne busquée, gommes de cachou.
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S'obstiner dans le mouvement, je ne suis pas de cette nature. Cerner et percer la carapace des pseudo-chasseurs.
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Vénus sort de la houle, expectore l'écume qui vient nourrir ta bouche d'un amour funèbre.
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La délicatesse des aisselles, souvent dénigrée, m'émeut à présent.
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L'univers est un jeu de regard. L'univers éteint, je te regarde.
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