2.

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 Huit heures du soir. Aucun nuages à l'horizon, rien que la tranquillité d'un ciel devenant de plus en plus noir à mesure que le soleil disparaissait dans le lointain. Light huma à pleines narines l'odeur qu'apportait le vent, un mélange d'humidité et de tout autre chose. Il marchait, piétinant au passage les fleurs qui se dressaient sur son chemin, de ses pieds nus. Il eût souhaité que ce moment dure à jamais, que jamais plus il n'ait à retourner là-bas. La liberté, qu'était ce au juste ? Une illusion inventée par les Hommes pour se rassurer de leur courte vie dans ce bas monde. Un idéal idiot que nul n'atteindrait jamais avant la mort. En un mot, un mensonge.

 Ses pas se faisaient plus lourds chaque seconde qu'il se rapprochait de chez lui. Il était parti. Il pensait s'être débarrassé de son fardeau. Mais la vérité était que la fuite n'avait fait que retarder l'échéance. S'il voulait véritablement se libérer de son emprise, il fallut commencer par l'éliminer elle.

 La maison se dressait devant lui, son ombre gigantesque frémissante et repoussante. Il ne les percevait pas en réalité, mais il lui semblait les entendre tout de même. Leurs hurlements. Le soleil s'était couché depuis longtemps maintenant, et il était resté, là, debout devant le parvis, à se demander s'il n'eût pas mieux fait de mourir. Il trembla. Peut-être était ce la fraicheur nocturne. Peut-être était ce l'idée de n'être plus rien. D'arrêter de penser. Cela le terrorisait. Même plus qu'elle. Pourquoi devait il mourir ? Il n'avait pas choisi cette vie. Il n'était en rien responsable de ce qui allait se passer. Il ne contrôlait rien.

 C'était faux.

 Il déglutit et avança vers la maison, sortit ses clés et ouvrit la porte. L'entrée, chaleureuse. La pièce à vivre était excessivement éclairée malgré l'obscurité qui l'attendait. Il savait ce qu'il avait à faire. Un jour de plus. Un jour de plus à la supporter et il pourrait être libre. Il lui faudrait jouer à son jeu une dernière fois.

- Je suis rentré ! Cria-t-il pour se faire entendre dans toute la maisonnée.

 Il ne se rendit compte qu'après une minute de silence pour toute réponse qu'il avait cessé de respirer. Il prit une grande inspiration et tenta d'apaiser son cœur en posant une main sur sa poitrine. C'est alors qu'une autre main se posa sur son épaule. Pas la sienne, il en était sûr. Il se retourna vivement et tenta de supprimer la surprise qui se lisait sur son visage. Elle était là, comme à son habitude habillée d'une grande blouse blanche et d'épais gants en caoutchouc. Le blanc, autrefois sans doute immaculé, était empreint d'un rouge vif qui attira malgré lui le regard fasciné de Light.

 Bien sûr qu'il était libre. Il faisait cela parce qu'il l'aimait tout autant qu'elle.

- Bonjour Maman. Dit-il à voix basse, presque chuchotée.

 La mère en question l'étouffa dans une étreinte sans même prendre la peine de retirer ses gants. Light inspira une grande bouffée de cette odeur enivrante qui était restée sur elle, ce qui lui valut un frisson. L'extase, ça ne pouvait être que cela. Et si le sang d'une inconnue avait autant d'effet sur lui, il savait qu'il irait beaucoup plus haut avec le sien.

- Tu dois mourir de faim, commença-t-elle, vient t'assoir, le repas est prêt.

 Le jeune garçon ne prît pas la peine d'essuyer ses pieds, ensanglantés de par sa course dehors alors qu'ils étaient nus. Il s'assied, toujours à la même place, toujours en face d'elle, pour qu'elle puisse vérifier qu'il mangeait bien tout de son assiette. Elle le servît, posant la chose en face de lui. Il attrapa sa cuillère et mangea. Le même goût que d'habitude. La même envie de vomir qui lui prenait les tripes. Le même visage impassible, qu'il se devait de garder.

 Il avala jusqu'à la dernière bouchée, jusqu'à n'en pas laisser une miette. Elle le surveillerait les quatre heures qui suivraient pour s'assurer qu'il ne vomirait pas.

- Ton examen s'est-il bien passé ? S'enquérait elle.

 Toujours les mêmes questions. Toujours les mêmes réponses.

- J'ai eu la note maximale, répondit Light, les yeux rivés sur l'assiette vide.

 Sa mère hocha la tête, satisfaite. Soudain, elle sembla se remémorer quelque chose.

- Et les autres ?

 Pas de réponse. Il savait ce qui l'attendait s'il répondait, car cela ne lui conviendrait pas. Light réfléchit. De toute façon, elle le découvrirait. Reporter le problème ne l'aiderait pas indéfiniment. Il décida d'être honnête.

- Deux autres personnes ont fait un sans-fautes.

 Il attendit que le coup parte, mais il ne venait pas. Malgré tout, il n'osait pas lever les yeux. Il le savait après tout, elle le lui avait répéter un nombre incalculable de fois. Il se devait de fournir des copies si parfaites et si originales que celles-ci passeraient l'envie au professeur de mettre la note maximale à qui que ce soit d'autre, tant l'écart de niveau serait grand. Et bien qu'il le sache, la logique de ce raisonnement ne lui parvenait toujours pas.

- Debout.

 Il s'exécuta sans un mot. Il était surpris au fond : sa réaction était inhabituelle. La fois dernière, elle l'avait frappé jusqu'à ce qu'il en vomisse son repas. Il comprît ce jour que se faire frapper n'était rien tant qu'il gardait son repas dans son ventre. Ce jour-là, elle le força à réingurgiter le liquide pâteux qui était sorti de son estomac, puis elle l'amena à la cave. Il dût regarder pendant plusieurs heures ça. Mais jusque là, elle ne l'avait jamais obligé à le faire. Elle s'était contenté d'effectuer sa tâche, avec lui en tant que simple spectateur. C'était fini. Il avait faillit un trop grand nombre de fois. Il allait devoir s'exécuter.

 La mère se leva et sortit du grand salon. Il fît de même. Aucune question, simplement exécuter ses ordres, aucune émotion permise. Ils descendirent à la cave.

 Ils étaient de retour. Les hurlements qu'il avait imaginés quelques minutes avant. Ils étaient réels.  Mais Light n'avait qu'à se convaincre du contraire. Si voir la scène l'écœurait, il n'avait qu'à la considérer comme irréelle. D'ailleurs, c'est ce qu'elle était : invraisemblable. Chaque marche qu'il descendait l'en convainquait un peu plus. Cette situation n'était pas normale. Il n'était pas normale. Pourquoi appréciait-il l'odeur qui se dégageait de cet endroit infernal ? Pourquoi pensait-il ressentir du dégoût qu'il savait être de l'excitation en réalité ?

 Il était tout aussi coupable qu'elle. Cependant, une part de lui ne l'accepterait jamais. C'était cette part qui avait prit la fuite pour ne plus jamais avoir à repenser à ces images. C'était cette part qui l'avait préservé jusqu'à maintenant, le convainquant qu'il était contraint à faire toutes ces choses. Sans elle, il n'aurait pas supporté la culpabilité. Sans elle, il en serait mort et n'aurait jamais pu être là aujourd'hui. Il n'aurait jamais pu tester par lui-même ce qu'elle faisait.

 C'est pourquoi quand elle lui demanda de prendre le marteau, il s'exécuta. Pas parce qu'il n'avait pas le choix, mais bien parce que c'était son choix. Tout du moins s'en convainquerait-il.

 Elle était jeune. Très jeune. Sky lui donnait huit ans tout au plus. C'étaient les plus jeunes qui avaient le plus de potentiel.

- Quel est ton nom ? Lui demanda-t-il.

 Sa mère s'était postée sur le côté pour observer. La cave était étonnamment lumineuse. Des murs de béton de près de trois mètres s'élevaient du sol jusqu'au plafond. Au centre de la pièce, une chaise. Sur la chaise, l'interlocuteur de Light. Une jeune fille.

 Light savait comment il devait le faire, sa mère l'avait obligé à regarder des centaines de séances. Comme la jeune fille ne répondait pas, il empoigna le marteau de sa main gauche et tapota sa cuisse avec pour obtenir d'elle une réaction. Il pouvait sentir son regard brûlant d'impatience sur lui, lui obtempérant de s'exécuter plus vite.

 Il tremblait. Il ne savait pas si cela venait d'une profonde excitation ou d'un dégoût envers lui-même pour ce qu'il s'apprêtait à faire. Il leva le marteau.

 La jeune fille gesticula, prise de panique. Son geste semblait l'avoir sortie de sa torpeur. Elle le supplia du regard, et c'est alors que Light compris. Il adorait cela. Voir la peur dans le regard des victimes ; leurs supplications qu'il savait inutiles et ineffectives sur lui le ravissaient. Il regardait avec un intense désir sa proie, à sa merci, ridiculement bâillonnée et ligotée, pathétiquement faible. Le coup partit ; le marteau s'abaissa. Un cri, puis de nouveau le silence.

 Le sang avait giclé sur ses mains et ses vêtements, le marteau était recouvert d'une espèce de bouillie, faite de ce qu'il semblait être des petits bouts d'os et de muscles. Devant lui, la jeune fille gisait, bouche béante avec le nez fracassé par le marteau, ses yeux rentrés dans leurs orbites et déchiquetés. Malgré sa grande expérience visuelle en la matière, Light n'avait pas réussi à atteindre le cerveau du premier coup. Elle le réprimanderait sûrement après.

 Il fallut qu'il s'y reprenne à trois fois pour enfin briser la boîte crânienne dans un grondement visqueux. Le visage de l'enfant n'était pas plus discernable du reste de son corps que ne l'était Light. Il était méconnaissable. Lui qui jusque là avait toujours exécré les séances se surprenait à en apprécier une, et une qu'il dirigeait en plus de cela. Il dégagea d'un coup de pied les restes d'os au sol et se pencha sur le visage décharné. Le cerveau était visible, et il était encore en bon état. Sky leva le bras et abattit de nouveau le marteau.

 L'espèce de matière filamenteuse et blanchâtre giclait à chaque nouveau coup. Le cerveau n'était pas encore complètement réduit en bouillie, il lui fallut s'acharner dessus. Il ne savait pas que cela demanderait autant de force, mais cette jeune fille en possédait un de qualité. Nul doute qu'il allait être difficile à rendre comestible.

 Light repensa au repas qu'il venait de manger. Cela devait venir de restes car il n'y avait pas de cadavres dans la cave à son arrivée, rien que la jeune fille. Son prochain repas viendrait d'un cerveau tout juste traité, quelque chose de qualité supérieure et donc, de rendement supérieur. Il continua d'écrabouiller le reste de l'enfant pendant encore quelques minutes. Ce qui avait giclé n'était pas utilisé car bien trop granuleux. Il fallait être à mi-chemin entre la bouillie et la pâtée, tout un art. Le sang qui était resté collé sur la bouillie apportait du goût et des nutriments, il ne fallut donc surtout pas qu'il cuise le plat.

 Il savait ce qu'il fallait faire désormais : mettre sous vide et au réfrigérateur pour tuer les bactéries éventuelles. Elle le regardait, attendant de voir s'il allait bien faire, mais Light était d'humeur joueuse. Après tout, il s'était juré qu'il allait en finir le jour même. Mais il s'était découvert malgré lui un appétit pour ces séances : il en voulait d'autres. Et il trouverait cela dommage qu'on le prive de sa liberté. Il avait encore son libre arbitre. Malgré toutes ses tentatives pour l'obliger à devenir ce qu'elle souhaitait, elle n'aurait jamais de contrôle sur sa pensée, car il était bel libre.

- Pourquoi faire tout cela ? Demanda-t-il.

 Silence. Elle devait être stupéfaite qu'il lui parla sans son agréément préalable. A grands pas, elle le rejoignit et lui empoigna le visage violemment.

- C'est pour toi que je fais ça sale bâtard ! Montre toi reconnaissant et dépêche toi d'obéir ou tu seras le prochai-

 Coupée au milieu de sa phrase, elle tomba au sol lourdement. Du sang gicla de son visage. Il avait abattu le marteau sur elle sans même s'en rendre compte.

 Encore sonné de son geste, il s'accroupit et, tournant le dos à sa défunte mère, il mangea avec ses doigts la bouillie qu'il avait faite quelques minutes plus tôt. Non traitée, elle donnait encore plus envie de vomir. C'était écœurant, et pourtant il ne pouvait s'empêcher de l'engloutir avec appétit. Il adorait cela, il était obsédé par cette odeur rance de moisi et de sang. Une fois son festin terminé, il se tourna vers elle et la dévora.

 Ses dents s'incrustaient tant bien que mal dans la chair caoutchouteuse de la vieille, il déchiquetait ses muscles, broyait ses organes et avalait avec extase les liquides malodorants qui en ressortaient. Ses os, il ne pouvait pas les manger, ses dents n'étaient pas assez solides pour cela. Alors, il se contenta de les lécher goulûment. Il ne rechigna pas même devant les yeux qu'il mastiquât avec ferveur après les avoir arrachés de leurs orbites. Quand il ne resta plus rien d'elle, il se leva et sortit. Il était libre d'elle, mais ce qu'il n'avait pas pensé se produire était arrivé : il était désormais prisonnier de lui-même.

 Par la suite, Light se renseigna. Il voulait rendre hommage à la jeune enfant qui lui avait fait découvrir son amour pour cet art qu'était la torture. Elle avait sept ans, 149 de QI. Son cerveau était en effet d'une qualité rare. Le manger l'a certainement rendu plus intelligent. Comme elle le voulait.

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