Un flot incalculable de pensée continuait de se déverser dans l'esprit d'Hermès. Il tournait en rond. De plus en plus, il eut la certitude qu' Apollon avait raison. Peut-être que l'amour inconditionnel, lui permettrait de détruire tout l'ennui et la monotonie de son quotidien, devenus les camarades de son alcôve. Une idée lui vint alors à l'esprit. Pourquoi ne descendrait-il pas sur Terre le temps d'une journée et se glisser dans la peau d'un mortel? Hermès n'avait plus aucun souvenir de sa dernière visite parmi les humains et le fait de redécouvrir la Terre avec de nouveaux monarques ou autres futurs personnages légendaires serait une occasion d'enregistrer de nouvelles informations. Hermès, en bon dieu des négociants et des voleurs, se demandait si de nouvelles techniques commerciales avaient vu le jour. Et bien-entendu, la question de savoir si une mortelle à la beauté étincellante attirerait son regard pour le meilleur et pour le pire commença déjà à ralentir la vivacité de son ennui. Or, Hermès se connaissait pertinemment et par rapport à ses précédentes expériences amoureuses, la prudence serait de mise. Le dieu savait se montrer plus magnanime que son père et son frère et il cogitait toujours avant d'agit pour de bon. Pour cela, il dût se choisir une apparence correcte car si les mortels voyaient un dieu ou une déesse sous leur forme divine, c'était la mort assurée. D'emblée, Hermès repensa à Sémélé, la mère de Dionysos, qui avait péri sous les flammes pour avoir obligé Zeus à le voir sous sa véritable apparence. Cela ne devait se reproduire sous aucun prétexte...

Polymélé était furieuse contre son père, pour la énième fois. Elle avait tenté de s'affirmer et de faire valoir ardemment ses désirs et ses choix. En vain. Elle allait devoir épouser impérativement le prochain prétendant qui se présenterait au palais de Pylos. Le lendemain soir, Polymélé se rendit vers le temple d'Artémis, situé en contrebas du palais du roi Phylas. L'air était particulièrement lourd dans le ciel, certainement annonciateur de fortes pluies et d'orage. Plusieurs animaux sauvages avaient été amenés en sacrifice, et ce, en l'honneur de la déesse. La princesse de Pylos admirait la déesse Artémis mais le fait d'ôter la vie à des créatures innocentes et sans défense, sous prétexte qu'elle symbolisait la divinité elle-même lui retournait l'estomac. Polymélé n'admit jamais que l'on puisse faire le moindre mal à un animal uniquement pour servir d'offrandes. Mais c'était ainsi en Grèce et tout mortel devait craindre et respecter chaque dieu de l'Olympe.

Après cette pratique peu ragoutante, une danse rituelle devait avoir lieu devant l'esplanade du temple, avec plusieurs braseros autour des danseuses. Dans d'autres régions Grecques et d'Asie Mineure, le feu était un élément régulier pour les rites consacrés à la déesse de la chasse et de la nature. En compagnie de plusieurs servantes mais aussi d'autres jeunes filles issues de famille importantes de la cité, Polymélé alla se placer au centre de l'esplanade, les autres donzelles sur ses talons. Une musique, accompagnée de tambourins et de flûtes commença et les danseuses s'associèrent au rythme des différentes percussions, mêlant leurs mouvements ponctués de rondes et de figures avec légèreté et souplesse.

De son côté, Hermès n'avait pas fait dans la demi-mesure pour se trouver une apparence de mortel digne de lui. Corps mince et élancé, cheveux cuivrés, regard bleu étincelant...il aurait l'air d'un prince. Mais il souhaitait que cette forme là lui ressemble. Jamais il ne pourrait faire mieux que son frère ou son père, il n'était pas si idiot. Il apprit par hasard que des festivités en l'honneur d'Artémis avaient lieu à Pylos. Pourquoi ne pas s'y rendre? Et c'est ce qu'il fit sans plus tarder.

Polymélé continuait de danser. Elle avait l'impression de bouger depuis une éternité et elle commença à ressentir des maux de tête. Il était temps que le spectacle se termine, d'autant plus que son père, était placé en première ligne des spectateurs. Mais elle devait poursuivre et ne montrer aucun signe de fatigue. La foule était dense et la majorité des citoyens de la ville aimait assister aux rites ainsi qu'à la danse. La princesse aux cheveux flamboyants s'apprêtait à enchaîner un nouveau mouvement lorsque son attention fut attirée par un regard. Un regard aux yeux bleus perçants. Un jeune homme placé environ au milieu de la foule l'observait attentivement. Il était d'une beauté à couper le souffle et se démarquait des autres spectateurs. Polymélé tentait de ne pas perdre le rythme de la danse, tout en accentuant son regard sur le beau spectateur.

Sous son apparence de simple mortel, le dieu des voleurs était arrivé à cette fête juste après la fin des sacrifices pour la déesse. Il s'était joint au spectacle de la danse rituelle et aussitôt, sans qu'il comprenne pourquoi, quelque chose, ou plûtot quelqu'un avait attiré son regard: une des danseuses aux longs cheveux roux. Pourquoi celle-ci plus qu'une autre? Certes, elle était très belle mais peut-être était-ce sa façon de se mouvoir ou son rythme...ou peut-être ce regard qu'elle finit par lui rendre. Un regard empreint d'attirance mais aussi de curiosité et d'interrogation. Il y avait bien plus qu'un simple désir passager.

Lorsque la danse fut terminée, Hermès repartit aussitôt sur l'Olympe. Son coeur battait bien trop vite pour qu'il ait les idées claires. Une fois rentré dans son alcôve, mille questions vinrent se mêler à d'autres pensées: qui est cette jeune fille? Quelle est sa force de caractère? Il était certain d'une chose: il voulait la revoir aussitôt et en apprendre plus sur elle.