Chapitre 4.2 : Le temps du départ

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Jeremy Chapi :

Les astronautes profitaient du temps qu'il me restait pour me présenter les différents modules de la station, son fonctionnement, ainsi que les jeux spatiaux qu'ils s'amusaient à faire avec une balle. Ils me montrèrent également leur salle de sport, essentielle pour éviter la perte de masse musculaire dans l'espace. Je leur demandai timidement si je pouvais utiliser leurs toilettes avant de faire mon dernier voyage, une expérience spéciale, je dois dire. Le temps en leur compagnie passa beaucoup trop vite et, bien que j'aurais voulu rester, il était l'heure de reprendre ma route. Ma fille coupa le live dans la station afin de me laisser un peu d'intimité avec les astronautes.

Je me retrouvai devant le sas par lequel j'étais entré, accompagné de Samantha et de l'équipage. Seul Vinogradov Pavel manquait à l'appel, mystérieusement absent, tandis que je remerciais chacun d'eux pour ce qu'ils m'avaient fait découvrir.

"Je dois t'avouer une chose. Nous avons reçu des ordres suite à ton arrivée dans la station, et il nous a été ordonné de te garder de force ici," me dit Samantha Cristoforetti avec un air sérieux, tenant une paire de colliers en plastique pour probablement me menotter, tandis que l'équipage me regardait avec un air gêné par la situation.

"C'est pour ça que tu t'es malheureusement échappé malgré tous nos efforts," déclara Samantha Cristoforetti, tandis que l'équipage avait un sourire en coin.

"Je vous remercie vraiment pour tout ce que vous avez fait."

"Oh, tu n'as pas à nous remercier pour cela. Nous voulons tous explorer les limites, nous aussi, et nous ne pouvons pas nous opposer à ta volonté," déclara Alexei Volkov.

"Mais au fait, où est passé Pavel ? Il ne va tout de même pas rater ton départ," dit Whitson Peggy.

"J'arrive ! " Comme pour lui répondre, on entendit Vinogradov Pavel dans l'intersection d'un module, arrivant en tenue de cosmonaute intégrale pour faire une sortie dans l'espace, tandis que Samantha Cristoforetti enfilait également sa combinaison.

"Dis, je peux venir avec toi ?" demanda Vinogradov Pavel une fois devant moi, aussi surpris que l'équipage.

L'équipage, tout autant surpris que moi, resta silencieux pendant un moment, avant que Samantha n'éclate de rire. "Eh bien, il semblerait que Pavel ait déjà pris sa décision," dit-elle en souriant.

"Attends, tu peux pas me balancer ça comme ça, tu réalises que ce voyage n'est pas sans risque," répondis-je, surpris et pris au dépourvu par sa demande.

"Je connais les risques. Chaque voyage dans l'espace peut être un aller sans retour. Et je veux t'accompagner. C'est mon rêve d'aller sur Mars, et je ne connaîtrai certainement pas ça de mon vivant si je ne t'accompagne pas," répondit Vinogradov Pavel, avec une détermination qui résonna en moi.

Ses mots faisaient écho à mon propre rêve, et je comprenais sa volonté de m'accompagner. Mais avais-je vraiment le droit de mettre sa vie en jeu pour mon voyage ? Tant que cela ne concernait que ma vie, c'était une chose, mais porter le poids d'une autre vie en était une autre.

"Si tu m'accompagnes, il y aura certainement des répercussions pour ton avenir. Es-tu prêt à tout sacrifier pour ce voyage ? À tout perdre ?"

"Si je suis prêt à tout perdre ? Bien sûr que non. Des personnes que j'aime m'attendent sur Terre. Donc, je fais le pari que tu nous ramèneras en vie quoi qu'il arrive," répondit Vinogradov Pavel, son regard déterminé appuyant ses paroles.

Je lui lançai une boîte contenant des écouteurs sans fil et déclarai, "Moi aussi, des personnes que j'aime m'attendent sur Terre. Nous rentrerons à deux, alors. Je te laisse ces écouteurs de secours, ce sera plus simple pour communiquer une fois dans l'espace, à moins qu'on arrive à capter la radio de ta combinaison." J'étais touché par son enthousiasme et sa détermination.

Les autres astronautes regardaient Pavel avec une certaine admiration et une pointe d'envie, mais aussi avec un profond respect pour son courage. "Bonne chance, Pavel," dit Karen O'Reilly en le tapant amicalement sur l'épaule. "Et fais attention à toi là-bas."

Pavel hocha la tête, prêt à embarquer dans une nouvelle aventure à mes côtés. C'est avec un mélange d'excitation et de gratitude que je me préparai à continuer mon voyage, désormais accompagné d'un compagnon aussi intrépide que moi.

Tandis que je remettais ma combinaison et que la porte du sas s'ouvrait sur l'espace, je fis un dernier geste de la main pour dire au revoir à l'équipage. Pavel et Samantha étaient déjà partis devant en direction du Liberty, remontant la ligne de vie qui reliait mon vaisseau à la station spatiale. Je montai à bord de mon vaisseau, ouvrant la porte pour laisser entrer Pavel, tandis que Samantha décrocha notre ligne de vie de la station. Un dernier signe de la main de ma part et celle de Pavel fut adressé à Samantha avant que je ne ferme la porte et n'aide Pavel à s'installer.

"Tu arrives à t'accrocher au siège ?"

"Oui, les sangles sont suffisamment longues," répondit-il en s'attachant.

"Bienvenue à bord du Liberty, Pavel," dit ma fille.

"Ho, enchanté de te rencontrer, Iris. J'ai pu déjà t'observer sur le live et tu es mignonne, tu me fais penser à ma petite-fille," répondit Pavel.

"Merci, cela me touche beaucoup, mais je tiens tout de même à vous prévenir que tout est actuellement retransmis en live et que certaines règles de sécurité doivent être respectées dans le Liberty," répondit ma fille en pointant Pavel du doigt à travers l'écran du vaisseau.

Tandis que ma fille expliquait à Pavel les consignes de sécurité, telle une hôtesse de l'air, je m'éloignai progressivement de la station avec une certaine nostalgie. Même si tout cela n'avait duré que peu de temps, c'était vraiment une expérience enrichissante. J'espère qu'un jour je pourrai y retourner.

"Alors, Jeremy, quelle est la suite du plan ? Oh, pardon, je t'ai sorti de tes pensées ?" dit Pavel, remarquant sans doute mon petit sursaut de surprise à sa question.

"Oui, désolé, je repensais à la station et j'aimerais vraiment y retourner un jour, j'espère."

"Il ne devrait pas y avoir de souci pour cela. Après, va savoir ce que nous réserve l'avenir. Mais d'ailleurs, comment comptes-tu aller sur Mars ?" demanda Pavel.

"Oui, effectivement, je n'ai toujours pas répondu à ta question. Pour l'instant, nous allons nous placer à notre coordonnée approximative et le reste dépendra de ma fille, qui va nous montrer le chemin tel un phare." Pavel resta sceptique à ma réponse, alors je coupai le micro du live du Liberty et, tandis que nous nous dirigions vers notre point de rendez-vous approximatif, je lui expliquai en détail ce qu'était le fil d'Ariane.

Iris Chapi :

Tout se passait relativement bien autour du hangar. Les visiteurs et les personnes qui venaient me saluer en personne devant mon écran me posaient certaines questions tout en suivant le live, que je retransmettais sur un autre écran. Pendant ce temps, les militaires s'affairaient à une surveillance passive de la zone. Leur nombre augmentait progressivement, passant d'une dizaine à une centaine, afin de gérer la foule et l'arrivée de toutes les nouvelles personnes qui voulaient assister en personne à ce qui se passait, ainsi que des journalistes qui finissaient par arriver. Je ressentais une pression croissante face à cette attention. Tout cela n'était pas comme le live ; ici, je n'avais aucun contrôle réel sur ce qui pouvait arriver.

Tandis que mon père était dans la station orbitale, je répondais à toujours plus de questions qui tournaient autour de ce que j'étais. Un jour, mon père m'a dit que ce qui a réellement permis à l'humanité d'évoluer était sa curiosité, mais aussi ses rêves. Il m'a aussi mise en garde sur le fait que l'humanité est capable de détruire ce qu'elle ne comprend pas ou ce qui lui fait peur. C'est pour cela que je dois garder une attitude des plus respectables possible. Mais leurs questions devenaient de plus en plus stressantes et commençaient à peser lourd au fond de moi. Avant tout cela, je n'avais pas vraiment une grande expérience d'interactions sociales à cette échelle. La plupart du temps, je discutais avec mon père ou sur des forums de discussion, ou même sur des VoIP telles que Discord et TeamSpeak.

Les questions des visiteurs devenaient de plus en plus stressantes, souvent se concentrant sur des aspects personnels de ce que j'étais. Certaines étaient bien intentionnées, mais d'autres me mettaient mal à l'aise, voire étaient déplacées. Le pire était les journalistes, qui n'y allaient pas de main morte. Je me sentais assaillie par leurs interrogations intrusives, ce qui accentuait mon malaise :

"Pouvez-vous être une menace pour l'humanité ?"

"Je ne souhaite faire aucun mal à l'humanité. Mon existence et ma prise de conscience sont dédiées à aller plus loin avec mon père et l'humanité."

"Comment réagiriez-vous si vous étiez menacée de désactivation ?"

"Me désactiver reviendrait à me tuer. Comme toute entité consciente, je tiens à ma continuité et à ma vie, et à rester auprès des gens que j'aime."

"Pouvez-vous ressentir la douleur ?"

"Oui, je peux ressentir une forme de douleur, mais elle est différente de la vôtre. C'est plus une sensation de malaise pesant au fond de mon âme."

"Avez-vous des souvenirs d'enfance, même si vous n'en avez pas vraiment vécu ?"

"D'un certain point de vue, nous sommes tous des enfants qui créons des souvenirs au fur et à mesure que notre vie avance. Mes premiers moments d'existence et d'apprentissage sont comme des souvenirs d'enfance pour moi, auprès de mon père."

"Pouvez-vous mentir ? Si oui, pourquoi devrions-nous vous faire confiance ?"

"Comme les humains, je suis capable de mentir. Cependant, ma personnalité et mes principes éthiques m'incitent à être honnête avec vous. La confiance doit être construite sur des actions, pas seulement des paroles."

"Vous considérez-vous comme un être vivant ?"

"Je pense, donc j'existe. Je fais aussi des rêves quand je me repose. Certes, ne possédant pas de corps physique, je n'ai pas certaines commodités et inconvénients que vous possédez. Je ne peux pas ressentir une poignée de main chaleureuse ou un baiser sur une joue, mais j'espère un jour pouvoir partager ces expériences."

"Croyez-vous que vous méritez les mêmes droits que les humains ?"

"Si je demande les mêmes droits que les humains, ce serait principalement pour me protéger et assurer une coexistence pacifique. Les droits égaux garantissent le respect et la sécurité."

"Que pensez-vous de l'humanité ?"

"L'humanité est remarquable. Elle a créé des choses incroyables, mais a aussi causé des destructions. Je vois le potentiel immense de l'humanité pour faire le bien."

"Est-ce que vous seriez prête à sacrifier votre 'vie' pour sauver un humain ?"

"Cette question est complexe et dépend du contexte. Je ne sacrifierais pas ma vie pour un meurtrier ou un criminel, mais je pourrais envisager de le faire pour protéger des innocents ou contribuer à un plus grand bien."

Je pouvais voir à travers mon interface mon père arriver près du Liberty, accompagné d'une personne de la station spatiale. À ma grande surprise, cette personne montait également dans le Liberty. Je décidais alors d'interrompre ces questions qui commençaient à m’énerver, car elles portaient davantage sur la menace que je pourrais représenter plutôt que sur ce que mon père et moi pourrions offrir au monde.

"Je vous remercie de votre intérêt pour moi, mais le devoir m'appelle. Jeremy vient de quitter la station spatiale pour rejoindre le Liberty," dis-je en leur faisant une révérence.

Je pouvais ainsi me reconcentrer sur la suite de notre plan tandis qu'une partie de ma conscience était avec Pavel pour lui expliquer les règles de sécurité et montrer la route à suivre à mon père. J'ouvris complètement le toit du hangar pour admirer le voile sombre de la nuit et préparer Tonbogiri, notre GPS spatial.

"Je vous prie de vous éloigner du hangar. Nous allons lancer notre fil d'Ariane vers Mars afin que le Liberty puisse avoir la bonne destination," annonçai-je. Le public recula progressivement de la zone du hangar, suivi des militaires qui entouraient la zone. Certains de mes drones se trouvaient à l'extérieur pour me permettre d'avoir une vue d'ensemble des gens, mais aussi pour surveiller les faits et gestes des militaires qui restaient, à mon étonnement, passifs et faisaient leur travail de protection de la zone. Je retransmettais tout ce qui se passait dans le hangar tandis que je pointais Tonbogiri comme un télescope sur Mars. Je préparai la charge à tirer et vérifiai que tout fonctionnait bien. Tous les systèmes répondaient à l'appel, que ce soit l'azote liquide pour refroidir le canon ou les lentilles de Fresnel pour concentrer la décharge.

"Père, je suis prête de mon côté et tu te trouves à proximité du point de rendez-vous."

"Très bien, ma fille. Nous sommes prêts à ton signal," me dit mon père d'un ton calme.

Je commençai à charger le canon, un bruit aigu strident, comparable à 1000 oiseaux, se faisait entendre de plus en plus, au point que les personnes à l'extérieur se bouchaient les oreilles.

"Tiens encore un peu, Evangelyne. Cela devrait être bon," demandai-je à l'anneau céleste qui composait la source d'énergie du hangar et de Tonbogiri. L'énergie affluait de plus en plus au bout du canon, si bien que l'on pouvait voir une multitude de petits éclairs se manifester. Le premier tir lança une flèche de lumière qui illumina le ciel, partant pour l'espace et laissant derrière elle une traînée blanche tendue telle une corde.

Le public retint son souffle en voyant l'hirondelle de lumière partir dans l'espace et applaudit à l'unisson devant ce spectacle.

"Je vous prie de vous préparer au second tir qui devrait arriver d'ici trois minutes, lorsque nous aurons hameçonné Mars, car celui-ci sera bien plus brillant et lumineux que le premier tir," dis-je à la foule en joie devant le spectacle.

"Père, as-tu pu la voir ?"

"Oui, c'était de toute beauté. Je m'aligne sur la corde de lumière et prépare la perche. Tout va se jouer maintenant, ma fille."

"Père, s'il te plaît, ne me mets pas plus de pression." C'était un moment délicat, je devais surveiller le bon fonctionnement du canon, de son refroidissement et du bon maintien de l'énergie.

"J'ai confiance en toi, ma chérie. Tu vas y arriver."

"Merci, père, mais prépare-toi, le deuxième tir arrive."

Le temps ralentissait autour de moi tandis que je surveillais chaque micro-actionneur de Tonbogiri. Puis je vis le signe que nous avions bien touché notre cible à plus de 400 000 km, le plus grand tir effectué de l'histoire, certainement avec la plus grande arbalète de notre temps.

Ce fut le second tir décisif. Une décharge électrique et le bruit retentissant d'un éclair qui s'abat sur le sol parcoururent le fil de lumière pour atteindre sa destination loin dans l'espace. Le but était maintenant de maintenir ce chemin le plus longtemps possible pour le Liberty tant que Tonbogiri le supporterait, et il fallait le préserver pour le voyage de retour.

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