Vinogradov Pavel :

Je vis cette lumière parcourir l'espace comme si elle était matérielle, tendue entre la Terre et Mars. Tandis que Jeremy alignait le vaisseau, je pouvais voir que nous nous trouvions tout juste au-dessus de cette lumière blanche qui pointait directement vers l'infini. En observant les constellations dans le ciel, je pouvais confirmer que ce tir se dirigeait bien vers Mars. Moi qui avais tant observé les étoiles étant jeune, je reconnaissais chaque constellation et chaque position.

"Peux-tu tirer sur ce levier, Pavel ?" me dit Jeremy avec précipitation, tout en ajustant les commandes du Liberty et en appuyant sur un bouton qui déployait un grand parapluie en fer devant nous afin de nous protéger des impacts avec les objets volant dans l'espace.

"Oui, pas de souci." Je tirai de toutes mes forces sur le levier. Jeremy m'avait expliqué hors caméra la suite de l'opération. Nous allions nous attacher à cette voie ferrée de lumière pour nous indiquer le chemin et aussi pour propulser en partie le Liberty. Le levier en question faisait descendre une perche située sous le vaisseau afin d'attraper la voie d'aiguillage, comme une caténaire sur un train.

Iris nous avertissait de nous préparer à l'arrivée du deuxième tir, mais je ne comprenais pas vraiment ce que cela signifiait. Je les regardais tous les deux, admiratif de la confiance qu'ils se portaient l'un à l'autre. Cela me rappelait quelque peu ma propre famille.

"Dis, tu pourras me présenter ta fille quand on rentrera ?" demandai-je à Jeremy, légèrement surpris par ma propre question.

"Ce sera avec plaisir, mais pour cela, il faudrait déjà que nous arrivions à partir. Tu devrais t'accrocher fermement à ton siège. Je vais suivre notre ligne de vie en poussant les moteurs progressivement. Quand la deuxième décharge arrivera, il faudra s'attendre à une poussée encore plus grande," me dit-il tout en se concentrant sur notre trajectoire.

L'accélération se faisait sentir progressivement mais sûrement au fur et à mesure que nous suivions notre itinéraire. J'observais Jeremy piloter le Liberty et trouvais l'intérieur du vaisseau incroyable pour une construction réalisée par un particulier. Certes, il manquait certaines finitions, avec des tuyaux et des câbles électriques apparents, et des interfaces reliées un peu partout, mais j'imaginais bien qu'il avait surtout construit ce vaisseau pour voler, et non pour l'esthétique.

"Attention à vous, le deuxième tir arrive," nous dit Iris.

Cinq secondes après qu'elle eut terminé sa phrase, une poussée brusque se fit sentir, me plaquant contre mon siège. Cela me rappelait la centrifugeuse lors de nos entraînements. Les forces G étaient intenses, et chaque muscle de mon corps était tendu pour résister à cette accélération soudaine.

Le Liberty continuait à suivre la corde de lumière, propulsé par la puissance de la deuxième décharge. Le vaisseau tremblait légèrement, mais tenait bon, fidèle à la trajectoire lumineuse. Jeremy restait concentré, les mains fermement agrippées aux commandes, ajustant constamment notre cap pour rester alignés avec la voie. Je vis qu'il avait certaines difficultés à respirer.

"Nous avons réussi, Pavel. Nous sommes en route vers Mars," déclara Jeremy, un sourire de triomphe sur le visage mais à bout de souffle.

Je laissai échapper un soupir de soulagement et de satisfaction. Nous avions franchi une étape cruciale de notre objectif. En regardant par les moniteurs et la fenêtre, je pouvais voir les étoiles défilant, la Terre devenant un point lumineux dans le lointain. L'aventure ne faisait que commencer, mais ce premier succès nous donnait l'espoir et la détermination nécessaires pour continuer.

"Merci, Jeremy. Et merci à toi aussi, Iris. C'est un honneur de faire partie de cette aventure."

"Le plaisir est partagé, Pavel. Maintenant, nous devons rester concentrés et vigilants. Le voyage ne fait que commencer," répondit Iris. "Au plaisir d'avoir un copilote avec moi," ajouta Jeremy, toujours à bout de souffle.

"Aurais-tu du mal à respirer ?" lui demandai-je en voyant ses difficultés à parler, comme s'il avait parcouru un marathon.

"Ah ah ah, cela se voit tant que ça," dit-il avec peine.

"Écoute-moi, tu dois augmenter ton apport en oxygène. Cela t'évitera d'avoir des vertiges. Je vais t'expliquer une méthode apprise par un collègue pilote de chasse, l'AGSM. Tu vas contracter tes muscles abdominaux ainsi que tes bras et travailler ta respiration au même rythme que moi."

Je lui expliquai une nouvelle façon de respirer, pas forcément intuitive, tout en contractant les muscles pour rediriger de façon optimale le sang dans le corps, qui a tendance à se perdre dans les jambes en l'absence de pantalon anti-G ou même d'un entraînement sérieux. Pour ma part, ma tenue possédait déjà l'équipement nécessaire et ce n'était pas mon premier rodéo entre les vols en avion et la centrifugeuse.

"Merci, cela va mieux. Et toi, cela ne t'affecte pas ?" me dit-il avec un visage beaucoup plus rosé qu'auparavant.

"Ne t'inquiète pas pour moi, j'ai l'habitude, mais cela fait déjà plaisir de voir que tu reprends un peu de couleur."

"Dans ce cas, je vais continuer sur notre lancée. J'accélérerai tant que je le supporterai," dit-il avec un sourire.

L'accélération se faisait sentir progressivement tandis que la Terre n'était plus qu'une petite lumière bleue et que Mars commençait à apparaître clairement devant nous. Le voyage avait duré approximativement une bonne heure. Je fus surpris que son vaisseau ait la capacité d'être pressurisé avec une atmosphère respirable, ce qui nous permit de retirer nos casques et d'échanger de manière plus confortable sur de nombreux sujets.

Nous parlions de tout ce qui se passe dans l'espace et des phénomènes particuliers qui ne peuvent être réalisés qu'en apesanteur. Sa soif de curiosité m'impressionnait, et je pouvais voir qu'il absorbait chaque parole sans en laisser de côté. De son côté, il me précisa certaines choses que j'avais encore du mal à croire, notamment sur l'énergie de ce vaisseau.

Jeremy expliqua que l'énergie du vaisseau provenait d'un appareil situé dans le coffre, qu'il appelait l'anneau céleste Adamai. Il ajouta qu'un deuxième anneau céleste, nommé Evangeline, restait sur Terre pour alimenter la lumière qui nous guidait et boostait les réacteurs du Liberty. De plus, ce fil permettait une connexion directe avec la Terre, éliminant presque entièrement le délai habituel de communication à une telle distance.

Cette technologie résolvait une grande partie des problèmes de communication dans l'espace, nous permettant de rester en contact avec Iris aussi longtemps que la ligne blanche était présente. Elle nous faisait des retours sur la Terre en temps réel, malgré les défis qu'elle rencontrait pour générer une telle puissance et maintenir la connexion. Sans même comprendre exactement ce qu'elle faisait, on pouvait voir sur son visage la concentration et les efforts qu'elle devait fournir. Jeremy s'excusait de lui faire porter un tel poids, car elle était responsable de notre retour sur Terre.

Nous pouvions voir le retour de son côté sur les écrans, et j'étais impressionné par la foule présente autour de leur maison. Jeremy me demanda même si je pouvais animer le live Twitch, vu qu'ils étaient tous les deux occupés à leurs tâches, ce que je fis avec plaisir.

Tandis que notre destination était à portée et que nous discutions de la suite des événements sur Mars, comme si nous organisions nos vacances en décidant qui allait monter la tente et qui allait chercher du bois pour le feu, Iris nous coupa dans nos idées farfelues pour nous avertir.

"Jeremy, le flux va se couper d'ici peu. Je relancerai la flèche dans deux heures pour votre retour," dit-elle sur un ton de panique. Je pouvais voir sur les écrans de leur maison des éclairs frapper un homme et une explosion sur le côté.

"Que se passe-t-il, Iris?" demanda Jeremy, alarmé.

"Je suis désolée, père..." furent ses dernières paroles avant que la connexion ne se coupe. Jeremy tenta de relancer la connexion, mais en vain. Nous avions perdu toute communication avec la Terre, et la lumière qui nous guidait s'éteignit également, entraînant une décélération brutale suite au manque d'énergie supplémentaire dans les réacteurs.

"Mais qu'est-ce qu'il s'est passé, bordel? Normalement, Tonbogiri aurait dû fonctionner encore pendant une heure," s'exclama Jeremy, son visage marqué par la confusion et l'inquiétude.

"Ne panique pas, ce sont des choses qui arrivent dans l'espace. Elle a dit qu'elle relancerait le chemin dans une heure. J'ai lancé mon chronomètre pour que nous ne ratons pas notre train de retour. Penses-tu que nous pouvons encore atteindre Mars sans la lumière ?" lui demandai-je en attrapant sa main tremblante pour le rassurer. La pression de perdre le contact avec sa fille, sans parler de la fatigue accumulée du voyage, devait être écrasante. Je devais le garder lucide et concentré sur notre objectif.

"Oui, à la base le vaisseau pouvait y aller sans Tonbogiri. Il était surtout là pour assurer la connexion et le guidage du vaisseau dans l'espace. Mais qu'est-ce qu'il s'est passé, as-tu vu quelque chose sur les retours de caméra du hangar ?" demanda Jeremy, tentant de comprendre.

"Si je te disais oui, voudrais-tu vraiment le savoir ?" Dans ce genre de situation, où la concentration est de rigueur pour un voyage dans l'espace et où toute distraction mentale peut entraîner des accidents ou des erreurs humaines, il est souvent préférable de rassurer, quitte à mentir. Mais là, il s'agissait de sa fille, et je ne pourrais pas lui mentir s'il tenait vraiment à savoir.

Il plongea son visage dans ses mains, claqua sa langue avant de soupirer pour me dire :

"Non, j'ai confiance en ma fille. Je sais qu'elle arrivera à franchir les obstacles."

"Alors reprenons notre route," lui dis-je, lui tendant un pouce levé qu'il me rendit en signe d'approbation.