Chapitre 4.4 : Unies dans le rêve
Iris Chapi :
Maintenir Tonbogiri était plus fastidieux que prévu et demandait toute ma concentration, d'autant plus que ma condition physique limitait mes capacités. Heureusement, Pavel animait le live pendant ce temps-là, commentant le voyage dans l'espace et partageant ses impressions sur les sensations et l'engouement à être à bord du Liberty.
Je devais surveiller chaque paramètre de notre GPS ainsi que les lentilles de Fresnel. Ces lentilles, essentielles pour concentrer le flux lumineux au maximum, devaient être changées régulièrement, comme des cartouches de chasse. Après utilisation, chaque lentille était éjectée, rouge vif à cause de la surchauffe, et devenait inutilisable malgré le refroidissement par azote, dont je devais surveiller la quantité pour en garder suffisamment pour le retour. Les électrodes nécessitaient aussi une vigilance constante pour maintenir le flux d'énergie, dansant sur la corde de lumières.
Les heures s'écoulaient lentement alors que je m'efforçais de maintenir une connexion stable avec le Liberty. La pression était immense, mais l'idée que mon père et Pavel dépendaient de moi me donnait la force de continuer. Chaque ajustement, chaque vérification devenait une danse délicate entre la technologie et la concentration, comme si je tenais sur un fil de rasoir.
Soudain, une alarme retentit. C'était le périmètre de sécurité de l'intérieur du hangar qui s'activait. Je séparai mon esprit en deux parties : l'une pour garder ma concentration sur le canon et l'autre pour voir ce qui se passait sur les caméras autour de moi. C'est alors que je vis trois militaires franchir la porte du hangar, fusils en main.
"Que faites-vous? Reculez!" leur dis-je d'un ton sec, mais ils ne tinrent pas compte de mon avertissement et continuèrent d'avancer.
Je dirigeai plusieurs de mes petits drones pour les forcer à reculer tant bien que mal, mais cela ne les arrêta pas. Ils n'hésitèrent même pas à tirer sur les drones pour les neutraliser. Deux d'entre eux longeaient l'atelier tandis que le troisième se dirigeait vers le bureau où de nombreux documents étaient entreposés, attirant son attention. Je n'avais d'autre choix que de riposter en utilisant les bobines Tesla situées dans les coins de l'atelier et de l'entrée. Ces bobines pouvaient créer un arc électrique, soit pour former un mur d'électricité à l'entrée du hangar, soit pour électrifier toute cible à l'intérieur.
Je parvins à neutraliser celui qui était près du bureau avec un coup d'arc électrique, mais les deux autres, situés du côté de l'établi, pointèrent leurs armes vers Tonbogiri.
"Déposez vos armes tout de suite! Récupérez votre coéquipier et partez," leur ordonnai-je.
Alors que l'un d'eux portait la main à son casque pour probablement recevoir des ordres, ils pointèrent définitivement leurs armes sur Tonbogiri et tirèrent deux coups de feu. Avant qu'ils ne puissent tirer une deuxième salve, j'électrisai les deux restants. Tandis qu'ils tombaient lourdement au sol, une rafale de balles partit sur le côté, touchant notre GPS et dispersant des balles dans le laboratoire et le lit où dormait mon père. Une fois paralysés et inconscients au sol, je constatai les dégâts dans mon environnement et repris ma concentration sur le maintien de Tonbogiri.
Ce que je redoutais le plus s'était produit : les balles avaient touché le système de gestion des lentilles et, sans changement de celles-ci, elles imploseraient à l'intérieur. Une autre balle avait perforé un des flexibles amenant l'azote, qui se déversait en gelant une partie. Les premiers signes de variation de flux ne se firent pas attendre.
Je ne pouvais qu'envoyer un message à mon père pour l'avertir que le flux serait coupé et que je le relancerais, avant de m'excuser auprès de lui. Mais la lentille explosa, n'étant ni changée ni refroidie, dispersant des éclats dans tout le hangar. Des milliers de fragments de verre volaient dans tous les sens, laissant échapper une lumière arc-en-ciel à travers les interstices du canon. Tandis que je fermai l'azote, je remarquai qu'une stalactite avait commencé à se former sous le nez du canon à cause du flexible perforé par les projectiles de l'arme à feu.
Toutes les personnes à l'extérieur furent surprises par l'implosion à l'intérieur du hangar et par l'arrêt net du flux du canon, replongeant les alentours dans une obscurité totale, éclairée seulement par la lumière de la lune. Je me retrouvais impuissante face à la situation qui venait de se dérouler devant moi, une situation pour laquelle aucun de mes scénarios simulés ne m'aurait préparée. Je n'avais cependant pas le luxe de m'apitoyer alors que la foule, en arrière-plan, scandait "Honte à vous !". Quatre militaires armés se tenaient à l'entrée, armes au poing.
"Abaissez vos armes tout de suite, récupérez vos hommes et partez ! Vous avez déjà causé assez de dégâts !" leur criai-je avec une amertume teintée de haine. Je fis grésiller les bobines Tesla pour montrer que j'étais prête à toute action de leur part.
L'un des soldats tenta de franchir la porte, mais avant même qu'il ne pose son deuxième pied dans le hangar, je lançai une décharge électrique qui s'écrasa à côté de lui, sur le poteau de la barrière électrique.
"Sans tes armes, soldat !" lui imposai-je, ne faisant aucune concession après ce qui venait de se passer.
Le soldat, ne présentant aucune attitude hostile, remit son arme à l'homme derrière lui, suivi par un deuxième soldat qui fit de même.
"Je vous arrête tout de suite, seul lui pourra entrer pour sortir vos hommes," déclarai-je fermement.
Le soldat désarmé entra prudemment, évitant tout mouvement brusque. Il récupéra ses camarades inconscients un par un, les traînant au sol jusqu'à la porte du hangar, tout en comprenant que je gardais un œil constant sur lui. Chacun des soldats que j'avais assommés était pris en charge immédiatement. Leur vie n'était pas en danger, mais ils seraient au minimum engourdis pour la journée, un prix modeste face aux dégâts qu'ils avaient causés.
Le soldat qui avait évacué les hommes me regarda avant de sortir. Il détacha son casque, le déposa sur son sternum, et dit :
"Je suis profondément désolé, mais nous ne faisions qu'obéir aux ordres qu'on nous donne."
Sans même me laisser le temps de lui répondre, il se retourna et accompagna ses collègues inconscients, désormais sur des civières pour être évacués. Dehors, la foule était déchaînée, commençant à leur jeter toutes sortes de projectiles, telles que des bouteilles ou même des pierres. Cette fois, je ne jouerais pas l'agent de la paix car j'avais d'autres problèmes à régler.
Je mis en place le rideau électrique, bloquant toute entrée possible dans le hangar sans risquer de s'électrocuter. Tous mes drones équipés de pinces pour la manipulation étaient mobilisés pour démonter tant bien que mal Tonbogiri afin de constater les dégâts internes. Je savais que je devais agir rapidement. Les chances de relancer le flux de Tonbogiri semblaient minces, mais je devais essayer. La survie de mon père et de Pavel en dépendait.
Avec une précision minutieuse, je dirigeai les drones pour inspecter les composants internes. Chaque mouvement était crucial, chaque seconde comptait. Les lentilles de Fresnel étaient sévèrement endommagées, et les fuites d'azote posaient un problème majeur. Le système de gestion des lentilles, vital pour concentrer le flux lumineux, nécessitait des réparations urgentes.
Sans parler du fait que je devrais réaligner le canon avec Mars et reparamétrer ses fonctions. Tout cela m'avait pris plus d'un mois à calculer le bon coefficient entre la concentration lumineuse et le refroidissement le plus optimal possible. Certaines manœuvres étaient beaucoup trop compliquées pour les drones avec leurs grosses pinces, et ma puissance de calcul était limitée.
Plus le temps avançait, plus je voyais mes options diminuer. Je n'aurais jamais le temps de reconfigurer le canon pour laisser à mon père le temps de s'aligner sur le faisceau, sans parler des réparations qui étaient limitées par les capacités des drones, incapables de manipuler de petites pièces ou de se faufiler dans des endroits exigus. De plus, la perte d'une grande quantité d'azote liquide était critique. Je n'arrivais pas à percevoir la lumière au bout du tunnel et ressentais au fond de moi la peur : la peur de perdre mon père, la peur d'échouer par ma faute. J'aurais dû rester sur mes gardes. Pourquoi tout cela est-il arrivé ?
"Arrête, ce n'est pas le moment de ruminer sur ce qui s'est passé," me dis-je intérieurement.
"Quand tu bloques sur une chose, fais autre chose et reviens-y plus tard. Cela te permettra de libérer tes pensées et de ne plus être focalisée sur ton problème." Mon père me disait souvent cela. Il arrivait parfois que nous fassions une partie d'échecs ou que nous allions prendre l'air dans les champs lorsque nous bloquions sur un problème.
Le live Twitch ! Mon absence sur le live, où il y avait seulement le retour des caméras de l'intérieur et de l'extérieur du hangar.
Je me représentai sur le live pour rassurer toutes les personnes que j'allais bien, mais que la situation était déplorable et que le canon était devenu inutilisable.
Tout le monde y allait de ses idées dans la conversation pour résoudre mon problème, tandis que la foule à l'extérieur s'affolait. C'est là que j'ai pu voir débarquer des camions blancs de l'ONU.
"Il ne manquait plus que ça."
Je pouvais observer que les camions entouraient encore une fois la zone autour du hangar et ramenaient l'ordre, permettant aux camions militaires français, bloqués par la foule, de se retirer. Comme pour les soldats français, les forces de l'ONU ne présentaient aucune menace apparente, mais je ne me ferais pas avoir une seconde fois par cette façade. Je les ignorai copieusement pour l'instant, tant qu'ils ne cherchaient pas à pénétrer dans le hangar, les laissant calmer la foule qui se trouvait autour.
De retour sur le live, je vis que certains spectateurs étaient des ingénieurs et des scientifiques, proposant des solutions potentielles. L'un d'eux, un spécialiste des lentilles, suggéra une méthode pour réaligner temporairement les lentilles endommagées. Un autre proposa une solution de fortune pour contenir la fuite d'azote.
Mais celle qui retint mon attention était la proposition d’une personne de Harvard, qui suggéra de se connecter à leur calculateur afin de réaliser les calculs pour le paramétrage du canon. Une augmentation de la puissance de calcul ne serait vraiment pas de refus, et lorsqu'il me permit de me connecter au flux des vagues du serveur, j'étais largement au-dessus de ma condition actuelle. À la liaison avec lui, je me suis sentie légère, libérée d’un certain poids qui pesait sur moi. Le monde semblait avoir ralenti autour de moi tandis que je me délectais de cette sensation débordante. J'arrivais à percevoir des détails qui m’auraient pris plus de temps dans ma condition normale. Chaque parcelle de mon âme pouvait être poussée dans des retranchements que je n'avais jamais ressentis jusqu'à présent.
Avec cette force qui m'a été prêtée, je pouvais me permettre de diviser ma conscience en plusieurs parties pour répartir les tâches : la réparation de Tonbogiri, la récupération de toutes les informations fournies par les personnes sur le live, et la réalisation des calculs pour le prochain tir.
Des astronomes amateurs comme professionnels présents dans la région me donnaient régulièrement des informations sur la position de Mars par rapport à la rotation de la Terre. Cela me permit déjà, dans un premier temps, de réaligner Tonbogiri dans la bonne position, ce qui fut déjà un bon début.
Je repris tous les points et les problèmes que nous avions pour tout remettre en place et relancer le canon avec les personnes sur le live, afin d’avoir leurs points de vue. Bien entendu, toutes les idées n'étaient pas pertinentes ou raisonnables, mais j'essayais de compiler les suggestions utiles parmi la foule de propositions que je recevais du monde entier. Je ne pouvais pas me montrer avare face à la moindre aide qui se présentait à moi.
La réparation de l'alimentation en miroirs était primordiale dans un premier temps. Le second point crucial était l'azote, dont nous avions perdu plus des trois quarts de la réserve suite à l'accident.
En combinant les ressources du calculateur de Harvard et les informations des astronomes, je dirigeai mes drones avec une précision accrue. Chaque micro-ajustement des lentilles et des systèmes internes était fait avec une efficacité nouvelle. Pendant ce temps, une équipe de scientifiques en ligne m'aidait à trouver une solution pour synthétiser de l'azote liquide à partir des ressources disponibles sur place, ou du moins à utiliser ce qui restait de manière plus efficiente.
En combinant les ressources du calculateur de Harvard et les informations des astronomes, je dirigeai mes drones avec une précision accrue. Chaque micro-ajustement des lentilles et des systèmes internes était effectué avec une efficacité nouvelle. Pendant ce temps, une équipe de scientifiques en ligne m'aidait à trouver une solution pour synthétiser de l'azote liquide à partir des ressources disponibles sur place, ou du moins à utiliser ce qui restait de manière plus efficiente. Cependant, malgré tous mes calculs, je ne pouvais pas ignorer le fait que la réparation mécanique prenait un temps considérable. Seule une main humaine pourrait m'aider à accélérer la situation. Malheureusement, comment faire encore confiance et laisser un humain entrer dans la zone du hangar ?
C'est alors qu'un militaire chercha à entrer en communication avec moi à travers mon drone extérieur, celui que j'utilisais pour saluer les gens et communiquer avec eux avant que la catastrophe ne survienne.
Une femme de taille moyenne, portant un béret bleu et arborant une coupe carrée avec des cheveux noirs aussi sombres que la nuit et une peau chocolatée, tentait de s'adresser à moi. Sur le côté de son épaule, elle portait un drapeau constitué de deux bandes horizontales bleues et blanches, surmontées du dessin d'une montagne noire au centre.
Qu'est-ce qu'ils veulent encore ?
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