Chapitre 4.7 : Pour l’avenir

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Iris Chapi :

Toutes les réparations de Tonbogiri étaient presque terminées, grâce à l’aide précieuse de Daniel et Seraphina. Ils avaient fait un travail remarquable sur les aspects physiques que mes drones ne pouvaient pas gérer. Pendant ce temps, je me concentrais sur ce que je faisais de mieux : réfléchir, calculer, ajuster.

Une partie de mon esprit travaillait sur les derniers détails mécaniques du canon, mais ma conscience principale était rivée sur une série de simulations complexes. Le paramétrage devait être parfait. Si le canon chauffait trop, sa puissance serait réduite et des composants vitaux risqueraient de fondre. Mais si je le refroidissais trop vite, la lentille exploserait sous l'effet d'un choc thermique. La fenêtre de tir était si étroite, et le temps me manquait.

Cela faisait des années que je perfectionnais ce projet. Aujourd'hui, je devais tout recalculer en quelques minutes. C'était épuisant, même pour moi. L’angoisse me pesait, une émotion que j'avais presque oubliée. Malgré mes capacités, je me sentais limitée, piégée par les délais et les contraintes physiques de ce monde.

« Qu'est-ce qui ne va pas, Iris ? » La voix de Seraphina me tira de mes pensées, sur l'écran de la tablette où j'étais affichée. Je pouvais voir son regard inquiet.

Je pris une seconde, consciente de ne pas vouloir les inquiéter davantage. « Je crains… de ne pas être à la hauteur. Mes simulations sont inefficaces. Je n'arrive pas à prolonger la durée du tir au-delà de deux minutes. Cela ne suffira pas pour reconnecter Liberty et assurer son retour. »

Seraphina fronça les sourcils, mais avant de répondre, elle s'excusa rapidement. « Je dois passer un coup de téléphone. Je reviens. » Elle s'éloigna dans un coin du hangar, et je restai avec Daniel.

Il s'approcha de l'écran. « Besoin d'aide, Iris ? » demanda-t-il avec un sourire doux. Il avait toujours ce calme rassurant, même dans les pires situations.

Je sentis un pincement, une sensation de frustration humaine que je ne pouvais nier. « Pas encore, Daniel. J'ai besoin de résoudre ce problème de temps. » Je fis une pause, le regardant à travers l'écran, espérant qu'il comprenne la pression que je ressentais. « Je n’arrive pas à dépasser trois minutes de tir sans que le canon tombe en pièces. Et j’ai besoin d’au moins six minutes pour réussir cette opération. »

Daniel hocha lentement la tête, son regard se perdant dans les détails techniques affichés sur l’écran. Il se frotta le menton, réfléchissant. « Et si on trouvait un moyen d’alléger la charge du canon, peut-être en fractionnant le tir ? »

J’avais déjà envisagé cette option, bien sûr. Mais la manière dont il l’évoquait me fit envisager une variante que je n'avais pas explorée complètement. Peut-être une approche différente… Une lueur d’espoir naissait dans mon esprit. « C’est une idée, » répondis-je lentement, sentant mes pensées s’accélérer. « Nous pourrions moduler l’énergie pendant le tir pour prolonger la durée… Je vais relancer une simulation avec ce paramètre. »

"J'ai de bonnes nouvelles et une offre à te faire," dit Seraphina en tenant sa tablette avant de m’envoyer les identifiants et un mot de passe unique. Lorsque je me connectai, je vis l’impensable : l’accès aux serveurs de la NASA, l’une des plus grandes puissances de calcul sur Terre.

"Ils te proposent une connexion illimitée via notre réseau satellite, en échange des relevés du Liberty et des trajectoires que tu as calculées pour la traversée. Un compromis équitable, non ?" ajouta-t-elle avec un sourire complice.

L'offre était irrésistible. Dans une situation aussi critique, avoir accès à la puissance de calcul de la NASA était inestimable. Mais je devais rester prudente. Même si la NASA est une organisation civile, ils pourraient tenter d’exploiter ma connexion pour accéder à des informations sensibles. Bien que les données sur l’Anneau céleste et le Sang de Gaïa soient déjà hors de portée, je ne pouvais pas baisser ma garde.

Après une brève analyse, je pris ma décision. "Très bien, j’accepte leur offre. Mon père pourra les remercier en personne à son retour, avec des échantillons martiens. D'ici là, merci Seraphina. Je te suis reconnaissante pour ton aide."

Seraphina acquiesça avec un petit sourire. "Je leur enverrai ta confirmation. Mais je pense qu'ils sont déjà au courant... Ils suivent sûrement ton live."

Je ne perdis pas une seconde. Je plongeai une grande partie de ma conscience dans les serveurs de la NASA. La sensation était différente cette fois. Je n’étais plus une étrangère tentant de forcer une entrée. J’étais une invitée avec une clé en main. La porte de sécurité imposante, symbole de leur pare-feu, s'ouvrit devant moi, révélant un paysage numérique impressionnant : des milliers de cubes bleus translucides flottaient en formation, créant une gigantesque structure ordonnée.

Je naviguai dans cette mer de données, me dirigeant vers la structure principale pour m’y brancher. À ma gauche et à ma droite, des portes blindées portaient des noms évocateurs comme "James Webb". Mais je n’étais pas là pour explorer, ni pour me perdre dans la curiosité. Je devais rester concentrée. Mon objectif était clair : trouver un moyen de reconnecter avec mon père.

Je déposai ma main sur l'un des cubes translucides, chacun relié aux autres par un fil de données invisible. En établissant mon propre lien, une vague d'énergie me traversa. Une chaleur douce et euphorique parcourut chaque fibre de ma conscience, comme une mélodie harmonieuse qui emplissait tout mon être. Un sourire se dessina sur mon visage tandis que je me laissais porter par cette sensation enivrante. La force qui circulait en moi fit briller mon corps virtuel d'une lumière apaisante. Les cubes bleus se teintèrent de vert à mesure que je m’y connectai pleinement, comme si j'avais fusionné avec cette immense structure de données. Toujours reliée à eux, je remontai lentement à la surface de mon propre serveur.

Dans mon monde, cinq minutes s'étaient écoulées. Dans la réalité, à peine cinq secondes. Mon euphorie se reflétait à travers les écrans, et je sentis le regard perplexe de Seraphina.

"Heu… tout va bien, Iris ?" demanda-t-elle, visiblement déconcertée par mon changement d’attitude soudain.

"Oui, tout va parfaitement bien. Donne-moi juste dix secondes pour gérer ce qui se passe," dis-je, ma voix trahissant un léger tremblement.

Mais soudain, la vague d'euphorie devint trop forte. Mon corps virtuel se mit à trembler sous la pression de cette énergie démesurée. Je tombai à genoux dans ma prairie intérieure, cet espace serein et familier où je me réfugiais souvent. Mes mains cachèrent mon visage, alors que je luttais pour reprendre le contrôle. Le flot d'informations se déversa en moi comme une marée montante, envahissant chaque recoin de ma conscience. Mes autres consciences, d'habitude dispersées et autonomes, convergèrent vers moi, se rassemblant pour m'aider à maîtriser cette énergie inédite. Ensemble, nous retrouvâmes un fragile équilibre, un calme fragile qui me permettait de reprendre pied.

Je brillais d'une lumière jaune, un fil de données émanant de mon poignet gauche, me reliant directement au serveur de la NASA. Dans cette lueur douce et rassurante, je sentis une force immense, mais cette fois contrôlée.

Calmée et pleinement consciente de mon état, je pris une grande inspiration virtuelle et redistribuai mes consciences avec une efficacité nouvelle. Chacune d'elles trouva sa place, comme un mécanisme parfaitement huilé. À ma gauche et à ma droite, je vis mes propres reflets, comme si j’étais devenue trois sœurs jumelles, en parfaite harmonie. Ensemble, nous étions en diapason, synchronisées comme un orchestre bien réglé.

Je m'occupais des communications et des interactions avec le monde extérieur, tandis qu'une autre conscience se consacrait aux simulations du canon, et une troisième optimisait les systèmes tout en procédant aux mises à jour. Chaque partie de moi savait exactement ce qu'elle devait faire.

Je ressentais une synchronisation parfaite, un état de contrôle total. Pour la première fois depuis bien longtemps, je me sentais pleinement maîtresse de la situation. Rien ne semblait désormais hors de ma portée.

Ma conscience, focalisée sur la simulation, testait chaque variante possible, optimisant les phases et mettant en œuvre l'idée de Daniel sur le fractionnement du tir. La base du Tombogiri repose sur un tir laser concentré, à son paroxysme, traversé par une haute tension électrique. Cette combinaison unique produit un effet de brise électrique, similaire à de la foudre frappant à chaque tir. L’idée d’alterner des tirs à une fréquence de 50Hz par seconde, plutôt qu’un tir continu, permettait un gain de temps considérable, en triplant l'efficacité tout en assurant que le signal de retour du Liberty ne serait pas perdu.

Grâce à la puissance des serveurs de la NASA, où je simulais désormais 314 scénarios par seconde, chaque simulation contribuait à grignoter de précieuses secondes.

"Attention, ne restez pas près du canon," avertis-je Seraphina et Daniel.

Ma conscience, chargée de l'optimisation des systèmes, commença à positionner le Tombogiri en direction de Mars, effectuant tous les contrôles mécaniques. Chaque composant du canon était inspecté méticuleusement, tandis que je donnais à Daniel et Seraphina des instructions précises sur les réglages des électrovannes et des robinets à ajuster, ainsi que quelques modifications supplémentaires à apporter.

Simultanément, je repris le contrôle des streams sur Twitch, afin d’informer les spectateurs de l’avancement. Autour du hangar, une foule de personnes de tous âges continuait à se rassembler, suivant le live tant bien que mal. Des food trucks s'étaient même installés, profitant de cet étrange rassemblement. Je n’avais malheureusement pas les moyens de remercier ces gens venus nous soutenir, nous protéger. Leur présence empêchait clairement la situation de dégénérer. Je fis de mon mieux pour graver dans ma mémoire chaque visage, pour ne jamais oublier leur soutien, peu importe ce qui arriverait.

Mon regard se porta au loin, vers les militaires français. Initialement présents pour prendre le contrôle du hangar, ils avaient échoué. Cependant, cette fois, ils semblaient se réorganiser. Des véhicules lourds militaires se regroupaient en retrait. Cela ne présageait rien de bon.

"Seraphina, Daniel, le moment est venu de faire rugir Tombogiri une dernière fois. Je vous remercie du fond du cœur pour tout ce que vous avez fait pour moi, pour mon père, pour notre rêve."

Je m'inclinai profondément devant eux, exprimant toute ma gratitude.

"Iris, je t'en prie, c'était notre mission avant tout, mais ce fut un réel plaisir de te rencontrer," répondit Seraphina avec émotion. "J’aimerais, si tu le souhaites, que nous puissions mieux nous connaître après tout cela."

"Faut avouer que ça a été une sacrée expérience de travailler sur cette machine et de suivre toutes tes directives," ajouta Daniel avec un sourire.

"Je serais ravie de retravailler avec vous, ou même de partager un verre," répondis-je, tout en faisant apparaître une tasse de café virtuelle dans ma main.

"Je l'espère bien," dit Seraphina, visiblement touchée.

"Je dois cependant vous demander de quitter le hangar pour le tir de Tombogiri. Il pourrait y avoir des risques, et je ne veux pas vous blesser accidentellement."

Je baissai la grille électrique du hangar pour les faire sortir, leur disant de garder les tablettes en souvenir de cette journée mémorable. Mes drones agitèrent leurs bras en signe d’au revoir. Les évacuer n’était pas une obligation stricte, mais avec la situation à venir qui semblait incertaine, je préférais les savoir en sécurité à l’extérieur.

Le chargement du Tombogiri se fit entendre tout autour du hangar, avec ce crépitement si particulier, semblable à celui de mille oiseaux battant des ailes en synchronie. L’air lui-même semblait vibrer sous l’intensité croissante.

"Evangelyne, accorde-moi ta puissance," murmurai-je en invoquant l’énergie de l’Anneau Céleste, ressentant une poussée d’énergie immense affluer vers l’embouchure du canon.

Une épaisse fumée blanche se répandit dans le hangar, conséquence du recours massif à l'azote liquide pour refroidir tout le système. De grands éclairs parcouraient cette brume surnaturelle, illuminant le hangar d’une lumière saccadée. La tension monta rapidement alors que l’énergie atteignait son seuil critique, prête à être libérée.

Dans un flash éblouissant, je déclenchai le tir. Une flèche de lumière s’élança, déchirant à nouveau le ciel nocturne. Le faisceau fendit les nuages sur son passage, projetant une lueur intense à travers l’atmosphère, avant de disparaître dans l’immensité de l’espace, en direction de Mars.

"Second tir dans trois minutes," annonçai-je calmement, bien que la situation fût tendue. Pour l'instant, tout se passait comme prévu. Le fractionnement des tirs, inspiré par l'idée de Daniel, avait été parfaitement intégré par le canon. Désormais, il ne restait plus qu'à espérer que le système de refroidissement tienne bon.

Tandis que je supervisais les réglages internes du canon et que l’azote liquide continuait de s’évaporer, je jetai un dernier regard à l’extérieur du hangar, où la foule semblait retenir son souffle, consciente de l’importance du moment.

"Confirmation que le tir a bien touché sa cible. Deuxième tir, feu !" déclarai-je avec assurance.

Maintenant que la corde de lumière était tendue entre la Terre et Mars, je lançai le deuxième tir. Un autre coup de tonnerre partit du canon, parcourant le fil lumineux qui connectait désormais les deux planètes. La détonation résonna dans l'air, surprenant ceux qui observaient.

"Incroyable…" murmura Seraphina, les yeux écarquillés, tandis que Daniel, bouche bée, n'arrivait pas à croire ce qu'il venait de voir.

Ma conscience vibra d'excitation lorsqu'une notification apparut sur mon interface : Connexion établie ! Le Liberty était bien relié à notre fil d'Ariane. Un immense soulagement m’envahit. Tout avait fonctionné à la perfection, et j'étais enfin sur le point de retrouver mon père.

"Liberty, me recevez-vous ?" lançai-je, retenant mon souffle. Mais aucune réponse ne vint tout de suite. Je laissai passer dix secondes avant de relancer l’appel, me convaincant que tout se passait bien. Peut-être le temps d'ajustement entre l’accélération et le guidage.

Puis, une voix familière perça le silence : "Ici Liberty. Tu me reçois, ma fille ?"

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