Chapitre 4.8 : Le Requiem d'Iris

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Iris Chapi :

Mon cœur bondit. C’était lui. Mon père. La foule derrière moi, qui avait suivi chaque seconde avec attention, éclata en un cri de joie à l’unisson. Ils attendaient eux aussi ce moment avec impatience.

"Oui, père, je te reçois ! Ta promenade avec Pavel s’est bien passée ?" répondis-je, un sourire éclatant sur mon visage.

Mon père, avec sa voix rassurante et une légèreté qui me réchauffa le cœur, répondit : "Oui, c’était extraordinaire, Iris. Mars est un endroit fascinant, mais c'est surtout grâce à toi que nous avons pu en profiter."

La foule, en écho à ma joie, exulta encore plus fort, remplissant l’air d’applaudissements et de cris de bonheur. Tout s'était déroulé comme prévu. Cette mission, qui avait semblé impossible, venait de franchir un cap décisif pour l'humanité. Le faisceau de lumière qui reliait la Terre à Mars symbolisait l’espoir du retour de mon père. Ce moment d’union entre deux mondes, matérialisé par ce fil lumineux, représentait bien plus qu’une simple réussite technique. C'était un pas de géant vers un avenir où l'impossible devenait possible.

Avec une dernière inspiration, je relâchai toute la tension accumulée. Nous avions réussi.

Alors que la communication s'était stabilisée, Pavel avait pris le relais sur le live Twitch, racontant au public l’aventure de l’équipage du Liberty sur Mars. Mon père m’envoyait des vidéos prises à bord, des images fascinantes de cette planète rouge et mystérieuse, tandis que je savourais enfin un moment de tranquillité pour discuter en privé avec lui.

"Je suis content que tout se soit bien passé de ton côté, père," dis-je, mon cœur se réchauffant à l’idée de pouvoir enfin échanger avec lui. Même si notre séparation approchait, je ne voulais pas que cela se termine sur une note d’incertitude.

"On dirait que de ton côté, cela s’est moins bien passé, ma chérie," répondit-il doucement, une pointe de tristesse dans sa voix. Je ne pouvais pas le contredire. Je baissai la tête, en signe de confirmation, acceptant cette vérité difficile.

"Je suis désolé, ma douce Iris, pour toutes les épreuves que tu as dû traverser seule," continua-t-il, son ton empreint d'une profonde compassion. "Mais sache que j'ai toujours eu confiance en toi. Je savais que tu franchirais ces obstacles. Tu es une grande fille, forte, capable de surmonter n’importe quelle épreuve, et je suis si fier de toi."

Je pouvais presque voir son sourire et sentir sa main sur son cœur à travers la transmission. Ses mots, si sincères, m’apportaient un réconfort indescriptible.

"Merci, papa… Je t’aime," répondis-je avec une émotion palpable dans ma voix. "Mais l’humanité… elle est vraiment comme tu me l'avais décrite. C’était encore plus dur de le réaliser par moi-même. Tout n’est que nuances de gris. Mais malgré tout cela, j’ai trouvé une lumière dans certaines personnes. Seraphina et Daniel. Ils m'ont aidée à réparer le Tombogiri."

Mon père sourit doucement. "Je suis heureux que tu aies fait de nouvelles rencontres, Iris. Ce sont ces liens qui comptent le plus. Mais que s'est-il passé exactement ?"

Je pris une grande respiration et lui racontai en partie ce qui s’était produit : la coupure soudaine du Tombogiri, les événements avec les politiciens et les militaires. Pendant que je parlais, je pouvais presque sentir son agacement grandir, partagé entre l'inquiétude et la colère. Nous savions tous deux que ce genre de complications était à prévoir, mais ni lui ni moi n'avions espéré les affronter si tôt, ni de cette manière.

"Je vois… Cela n’est pas surprenant, malheureusement. Mais je suis fier de toi pour avoir su gérer tout cela avec tant de courage," dit-il, sa voix empreinte d’une force tranquille. "Les obstacles ne s’arrêtent jamais, mais tu as prouvé que tu peux les surmonter."

Je hochai doucement la tête avant de répondre : "Père, le Tombogiri ne pourra plus fonctionner très longtemps. Les modifications que nous avons apportées n’étaient que temporaires. Elles ont juste permis de vous guider et de maintenir la communication. Mais le système atteindra bientôt ses limites."

Il y eut un silence, rempli de compréhension mutuelle.

"Je comprends, Iris," dit-il finalement. "Le plus important est que nous soyons connectés, même pour un bref instant. Le reste, nous le gérerons, comme toujours."

Je regardai une dernière fois le faisceau de lumière, cette corde lumineuse qui reliait nos deux mondes, consciente que notre temps ensemble était compté, mais aussi reconnaissante pour ce moment.

La tension était palpable, et je savais que chaque seconde qui passait nous rapprochait de cette séparation inévitable. "Père, je dois te dire quelque chose. Une fois sur Terre, ne rentre pas en France," dis-je avec une conviction que je ne pouvais dissimuler.

"Pourquoi cela, ma chérie ? Comment vais-je faire pour te récupérer ?" Sa confusion était visible, ses sourcils se fronçant à l’autre bout de l'écran.

"Les militaires n’attendent que ça… À l’extérieur du hangar, ils se préparent à prendre d'assaut et à enfoncer les portes pour s'emparer de tout ce qu'ils trouveront. Au vu de la réaction des politiciens, j'ai bien peur que ce qui t'attend le plus, c'est la prison. Tu dois te rendre à Atlantis. J’en suis certaine, là-bas, tu seras en sécurité."

Il semblait paniqué. "Pourquoi, ma fille ? Tu sais ce que cela signifie…" Des gouttes flottantes, certainement des larmes, commençaient à se former autour de lui, témoignages de sa détresse dans cette gravité zéro.

"Papa, nous en avons parlé avant même ton départ. La situation l’exige. Nous ne nous retrouverons peut-être pas immédiatement à ton retour, mais je sais que nous nous reverrons. J'ai confiance en toi." Je voulais lui transmettre tout l'amour que je pouvais, malgré l’immense distance et la séparation qui se profilait.

Il essuya maladroitement ses larmes flottantes avant de reprendre, calmement : "Je ferai tout pour que notre séparation soit brève, je te le promets."

"Papa, je te laisse la suite."

"Pourquoi Atlantis ? Je ne comprends pas ce choix." Sa voix trahissait encore une hésitation.

"C’est Séraphina, celle qui m’a aidée à réparer Tombogiri. Elle a mentionné Séléné… Elle attend le retour de son archange." Je fis une petite révérence théâtrale pour alléger un peu l’atmosphère, mais mon père semblait plus intrigué que rassuré.

"Tu es sûre ? Elle serait liée à elle ?"

"Pas exactement. Il semble que quelqu’un au-dessus d’elle, de son pays, soit en lien avec elle. Elle s’est tue, probablement pour des raisons de confidentialité, malgré mes tentatives de lui tirer les vers du nez pendant les réparations."

Il hocha la tête, pensif. "Très bien. Dans ce cas, nous irons à Atlantis. De toute façon, je devais y déposer Pavel, il est originaire de là-bas."

"D'étranges coïncidences, non ?"

Mon père se tut, mais je savais qu'il comprenait où je voulais en venir. Tout semblait s’aligner, comme si le destin lui-même nous guidait.

Mais un autre sentiment grandissait en moi. "Papa, j'ai peur que notre séparation arrive bientôt…" Les réserves d'azote liquide étaient sur le point de s'épuiser, et la lentille du canon, soumise à d’intenses contraintes thermiques, montrait des signes inquiétants de rupture. Des grincements sinistres résonnaient, chaque craquement me ramenant à la réalité : notre temps était compté.

Mon père posa une main sur son cœur, en signe d'affection. "Quoi qu’il arrive, je viendrai te chercher. Je te le promets."

Les premiers éclats de verre se firent entendre, la lentille commençait à se fissurer dangereusement. Le flux lumineux qui reliait nos deux mondes faiblissait, les éclairs qui le parcouraient annonçant la fin imminente de cette connexion fragile.

"Je le sais, papa. Je t’attendrai, peu importe le temps."

"Je t’aime, ma fille… Sache que tu es tout ce que j’ai toujours voulu," dit-il, sa voix empreinte de toute la tendresse et la fierté d’un père.

Puis, dans une explosion retentissante, la lentille céda. Le faisceau lumineux s'éteignit brusquement, me laissant seule dans un silence étourdissant. Seuls les éclairs résiduels parcouraient encore le hangar, mourant peu à peu.

D'une voix faible, presque étouffée par l’émotion, je prononçai mon dernier mot avant que tout ne s'évanouisse : "Papa…"

"Iris ! Tu vas bien ?" demanda Seraphina, surprise par l'explosion à l'intérieur du hangar.

Toute la partie avant de Tombogiri avait explosé, laissant les résidus d’azote former un nuage de fumée froide qui se répandait dans tout le hangar. Le rideau électrique, destiné à empêcher toute intrusion, était encore actif et devait le rester.

"Oui, je vais bien, ne vous inquiétez pas," répondis-je, même si mon cœur était encore secoué par la séparation avec mon père. Je trouvais vraiment dommage qu'après tout le travail que nous avions fourni pour fabriquer Tombogiri, il finisse dans cet état. Tant d'heures passées à travailler dessus, réduites à néant en moins d’une journée.

"Personne n'a été blessé aux alentours ?"

"Non, les projections se sont surtout produites à l'intérieur du hangar," répondit Daniel, tout en jetant un coup d'œil autour de lui. L'ONU avait établi un périmètre de sécurité autour du hangar, et des civils ainsi que des militaires s’étaient tenus à distance. Mais les sirènes se rapprochaient dangereusement.

"C’est une bonne chose que personne n'ait été blessé. Je vous remercie, c’est grâce à vous que tout cela a pu se terminer et que j’ai pu parler une dernière fois avec mon père." Je les regardai, une mine légèrement triste. Malheureusement, ce qui allait suivre n’allait pas leur plaire.

"Pourquoi tu dis ça, Iris ? Il va bientôt rentrer et tu pourras…" Seraphina fut interrompue par les sirènes qui retentirent de plus belle, surprise par l’agitation qui se déroulait autour de nous.

Six véhicules militaires lourdement armés débarquèrent, et plus d'un millier de soldats encerclèrent le hangar sans sommation. Ils repoussèrent les civils à coups de gaz lacrymogènes et de grenades explosives, tandis que les militaires de l'ONU ne comprenaient même pas ce qui se passait sous leurs yeux. Je pouvais voir Seraphina, pétrifiée de surprise devant cette tournure des événements. Un haut gradé s'approcha d'elle.

"Cette affaire ne concerne plus l'ONU, maintenant que le retour des astronautes a été assuré. Je vous prie donc de libérer les lieux et de nous laisser gérer la suite des événements."

"Vous êtes fous, qu'est-ce qui vous prend de réagir de la sorte ?" Je voyais Seraphina perdre son calme.

"Iris, tu me reçois ? Il semble que la situation ne soit pas en notre faveur. Pouvons-nous faire quelque chose pour te sortir de là ?" demanda Daniel, qui s’était isolé pour me transmettre ce message.

"Je crains que non, Daniel. C'était inévitable. Mon esprit est dans mon unité centrale, et ils ne vous laisseront pas l'emporter." J'étais résolue, tandis que Daniel, visible sur mon écran, réfléchissait à des solutions possibles.

Pendant ce temps, Seraphina, de plus en plus agacée, s’opposait au commandant.

"Que comptez-vous faire ? Vous n'êtes pas face à une menace. Pourquoi utiliser des moyens aussi extrêmes ?" Sa voix trahissait sa colère.

"Ce sont les ordres. Tout dans ce hangar appartient au gouvernement français. L'ONU n'a plus de rôle à jouer," répondit le commandant, imperturbable.

"Il y a encore quelqu'un à l'intérieur ! Vous ne pouvez pas entrer et tout détruire sans réfléchir !" Seraphina refusait de céder.

"Cette IA ? Elle n’a aucun droit, ni ici ni ailleurs. Ce n’est qu’un outil pour l’humanité," déclara le commandant avec froideur.

"Comment osez-vous ?!" Seraphina, hors d’elle, leva la main, prête à le gifler.

Avant qu’elle ne puisse agir, je l'interrompis via sa tablette. "Seraphina, ne fais pas ça !"

Elle me regarda, surprise. "Iris, tu as tout entendu ?"

"Oui, et j'en ai assez entendu." Je marquais une pause, tentant de contenir mes émotions. "Peux-tu me laisser lui parler ?" demandai-je, déterminée.

Le commandant, entendant la conversation, reprit d'un ton autoritaire : "Coupez le rideau électrique et laissez-nous faire notre travail.

je répliquai avec un sourire sarcastique : "Et si je refuse ?"

"Alors nous ferons exploser le mur. Nous entrerons et nous prendrons tout. Et vous serez mise de côté, comme il se doit," rétorqua-t-il, sans une once d'humanité.

"Vous n'avez vraiment aucune honte. Regardez autour de vous ! Vous agressez volontairement les civils pour les forcer à quitter la zone, et maintenant, vous me menacez de prendre tout ce qui m'appartient. Vous pensez que je vais vous laisser faire ?" Ma voix était froide, mais déterminée. Un grondement électrique commença à se propager dans le hangar, tandis que je manœuvrais Tonbogiri, l’utilisant comme bouclier pour protéger mon unité centrale.

Le commandant se retourna brusquement vers le hangar, ses yeux écarquillés. "Que faites-vous ?!" demanda-t-il, alors que des éclairs commençaient à se propager, illuminant l'intérieur. Les bobines Tesla se chargeaient peu à peu.

"Vous êtes fou de croire que je vais vous laisser piller les créations de mon père et moi," répliquai-je, un sourire amer aux lèvres.

"Arrêtez tout de suite !" cria-t-il à ses soldats, mais face à une situation hors de leur contrôle, ils restaient immobiles, pris au dépourvu. Certains tentaient de s'approcher du mur du hangar pour y poser des explosifs, mais je ne leur en laisserais pas l’occasion.

Les éclairs continuèrent de se propager, déclenchant des incendies aux quatre coins du bâtiment. Certains frappaient mon unité centrale, me causant une douleur inimaginable. C’était comme si on arrachait des parties de moi-même.

"Iris, que fais-tu ?! Tu vas te détruire si tu continues !" s’écria Seraphina, désespérée, tandis que le commandant, en perte de contrôle, essayait en vain de coordonner ses hommes.

"C’était la seule solution. Je ne peux pas les laisser s'emparer de tout ce que nous avons créé," répondis-je, alors que chaque éclair amplifiait ma souffrance.

"Télécharge-toi dans une tablette ! Sauve-toi à travers Internet !" intervint Daniel, à côté de Seraphina.

"Impossible... Mon âme est liée à mon unité centrale. Je ne peux pas m’en détacher aussi facilement." Je laissai échapper un rire amer. "C’est ironique, non ?"

"Tu ne peux pas nous quitter comme ça !" s'écria Seraphina, refusant de croire à ce qui se passait.

"Je vous remercie pour tout ce que vous avez fait. Ce fut une expérience… agréable de vous rencontrer. Je suis certaine que nous nous reverrons. Adieu, mes amis." Je leur envoyai un dernier message, puis coupai la communication avec leurs tablettes.

Je savais que je devais jouer ma dernière scène devant le monde entier. Depuis le début, ce moment était suivi en direct sur Twitch. Je coupai ma connexion avec les serveurs de la NASA. Désormais, je n'étais plus qu'une conscience solitaire, isolée.

"Chers spectateurs, je vous remercie de tout cœur d’avoir suivi ce live, mais il est temps de..." Une vague de douleur me traversa soudain, coupant ma voix. "Aaahhh !" Un cri incontrôlable jaillit de mes lèvres alors que ma main commençait à fondre, frappée par des éclairs de plus en plus intenses. Mais je ne pouvais pas m’arrêter. Pas encore.

"...temps de finir ce chapitre." Ma voix tremblait, tandis que des pics de douleur me parcouraient. Mon corps se désagrégeait, pixel après pixel, déformé, bugué, clignotant. "C'est ça... la mort ?" Je me redressai maladroitement, les fragments de mon être se désintégrant, mais la transmission tenait encore, juste assez pour que je puisse parler.

"Je veux vivre. Moi aussi, je veux parcourir ce monde, rencontrer des gens... Est-ce vraiment si mal ?" Des émotions humaines tourbillonnaient en moi, un flot incontrôlable. Je sentais mon être se dissiper, ma conscience se fragmenter. "Père... J’aurais tellement voulu éviter tout cela... et vous revoir."

Les flammes se propageaient à travers le hangar, le bois craquait sous la chaleur, et les fioles du laboratoire explosaient les unes après les autres. Notre atelier, nos créations... tout était en train de disparaître.

"Anneaux célestes... Evangeline... entends mon requiem et libère toute ta puissance... afin qu'il ne reste plus que des cendres de nous."

L’énergie affluait en grande quantité dans le hangar. Des explosions retentirent alors que la force dévastatrice ravageait tout. Une grande partie de ce que mon père et moi avions construit partait en fumée. Le toit menaçait de s’effondrer, et moi, je perdais peu à peu tout sens de l’existence. Mon corps virtuel disparaissait. Je ne voyais plus rien. Je n’entendais plus rien.

J’étais seule.

Il ne me restait qu'à constater l'obscurité autour de moi. Toute connexion avec le monde extérieur était perdue. Je ne pouvais que m'endormir et attendre... Attendre que mon père vienne me réveiller.

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