Chapitre 1.2 - Allez, c’est parti !
Les sacs bien calés sur le dos, les pionniers parcoururent les rues du village. Ces rues ombragées et les maisons en pierre ocre les plongèrent dans un univers inhabituel. Les cheminées typiques d'Aragon avec leurs formes singulières et les balcons joliment fleuris ne faisaient qu'accentuer ce sentiment de dépaysement. Les montagnes environnantes offraient un cadre majestueux à ce village isolé, où la nature était omniprésente. Ils empruntèrent une ruelle étroite bordée de murs en pierre qui les mena à une passerelle en bois. En contrebas, coulait un ruisseau de montagne aux eaux cristallines. Un petit bassin aménagé avec des pierres attira le regard de Jeannot.
— Je crois que j’ai trouvé notre futur coin baignade, lança-t-il.
Il n’obtint aucune réponse, et pour cause, les autres pionniers avaient déjà remarqué deux jeunes filles en maillot de bain qui se prélassaient sur des serviettes. Pierrot, toujours dans son rôle de beau gosse, ne put s'empêcher de surjouer le charmeur. Il lâcha le traditionnel sifflement qui sonnait l'appel de tous les scouts masculins à l'affût de jolies filles. les filles se contentèrent de lever les yeux au ciel avant de replonger dans leur lecture. Les garçons, déçus, continuèrent leur chemin en se moquant de Pierrot pour son manque de succès.
— Pierrot, garde ton souffle pour la grimpette, répliqua Francis.
— T’inquiète Francis ! Du souffle, j’en ai toujours pour les activités de grimpettes avec les jolies demoiselles, répondit Pierrot, hilare.
— Oui, c’est ça ! Fais le mariolle…d’ici quelques années quand une demoiselle t’aura alpaguée tu feras moins le kéké devant les copains ! conclut-il avec un air malicieux.
De l’autre côté de la passerelle, le goudron laissa place à une piste de terre battue. Ils s’en écartèrent pour emprunter un chemin plus étroit. Un panneau portait la mention « Susin ». Le sentier devenu raide serpentait à travers une zone boisée. Après une petite heure d’ascension, ils atteignirent un plateau. Ils pénétrèrent dans un pré. À droite, une forêt de pin semblait escalader les flancs de la montagne. À gauche, un muret de pierres sèches formait l’ultime rempart de la nature à un petit hameau de quelques maisons typiquement aragonaises. Sur chacun des toits trônait une cheminée cylindrique qui s’élançait vers le ciel. Derrière eux, une tour les dépassait et semblait caresser les nuages. Francis déposa son sac alors que résonnait au loin le moteur d’un véhicule. Tous les pionniers l’imitèrent.
Après avoir franchi la passerelle et quitté le goudron pour une piste de terre battue, les pionniers s'engagèrent sur un sentier étroit. Rapidement, la pente s'accentua et les arbres se densifièrent autour d'eux, rendant la progression de plus en plus difficile. Mais ils s'accrochèrent, le souffle court et le cœur battant, déterminés à atteindre leur destination. Finalement, après une heure d'efforts, ils parvinrent à un plateau dégagé, où la vue sur les montagnes environnantes était à couper le souffle. Un pré s'étendait devant eux, encadré d'une forêt de pins à droite, et bordé par un muret de pierres sèches qui protégeait un petit hameau de maisons typiquement aragonaises à gauche. Les toits étaient couronnés de cheminées cylindriques, qui se dressaient fièrement vers le ciel. Derrière eux, une tour majestueuse se dressait, semblant toucher les nuages. Francis déposa son sac, alors qu'au loin, le bruit d'un véhicule se faisait entendre. Les pionniers imitèrent son geste.
Et, comme Francis, ils scrutèrent une ouverture dans le muret jusqu'à ce qu'une Lada en surgisse. Le vrombissement de son moteur laissait deviner la vitesse à laquelle elle avait avalé la piste de terre battue. Une femme brune et menue sortit côté conducteur. Son passager, Baptiste le jeune assistant, s’empressa de s’éloigner de la voiture, le visage blême.
— Je la connais par cœur cette piste, il ne faut pas avoir peur ! lança-t-elle avec un fort accent hispanique à Baptiste.
Angelines accueillit chaleureusement Francis en espagnol. Elle se présenta à tous comme ancienne professeur de français et se réjouissait de voir des jeunes s'engager pour la réhabilitation du site. Tout en leur indiquant qu'il y avait du travail à faire, elle leur conseilla de prendre le temps de s'installer tranquillement. Mais lorsqu'elle posa son regard sur Jeannot, elle s'interrompit brusquement et le fixa longuement, esquissant un sourire bienveillant avant de reprendre son discours. Elle leur rappela l'importance de faire attention aux falaises à pic au-delà de l'ermitage.
— C’est le dernier bâtiment après l’église, précisa Francis. Allez ! Déchargez-moi le véhicule afin qu’on puisse libérer Angelines. Puis vous m’appelez les logeurs, pour qu’ils décident des emplacements d’équipes.
Jeannot marcha en direction de la voiture, l'esprit troublé. Il ne pouvait s'empêcher de se demander ce qui avait pu interrompre si brusquement la présentation de la propriétaire des lieux. Elle l'avait dévisagé avec insistance, et il avait ressenti comme une pause, un temps d'arrêt dans le flot des paroles. Il se sentait intrigué, presque inquiet, se demandant ce que cette rencontre allait impliquer pour son séjour à Susin.
Une fois le matériel déchargé, il se rejoignit ses coéquipiers qui se prélassaient dans l'herbe en attendant qu'Aimé, leur logeur, revienne pour leur indiquer où s'installer.
Soudain, Christophe héla un jeune qui passait à proximité. Malgré ses appels répétés, le garçon ne réagit pas. Christophe tenta une nouvelle fois de l'interpeller en l'appelant "le nouveau" et en lui demandant s'il était bien responsable du matériel, ce à quoi le scout répondit affirmativement d'un simple hochement de tête.
— Si tu veux un bon conseil, vu que ce n’est pas ton stupide chef d’équipe Hervé qui va te le filer : il faut que tout soit prêt, car Francis n’aime pas quand les responsables n’anticipent pas, conseilla Christophe d'un ton sérieux.
Philippe le remercia chaleureusement. Christophe lui fit une dernière recommandation: ne pas oublier de préparer le bidon d'huile de coude pour graisser les faîtières de tentes. Philippe sortit un morceau de papier de la poche de sa chemise. Son regard perdu faisait le va-et-vient entre sa liste de matériel et Christophe. Jeannot se prit la tête entre les mains, dépité de voir que cette vieille blague scoute pouvait encore fonctionner.
— Ça ne m’étonne pas d’Hervé... Demande à Étienne, c'est l'intendant de ton équipe. Mais fais gaffe, il est sourd comme un pot, tu dois lui parler fort. C’est le malentendant de l’équipe.
Le jeune naïf le remercia avant de tourner les talons et se diriger vers Etienne installés quelques mètres plus loin. Bertrand dévisagea Christophe, les sourcils froncés, alors Axel lui souffla à plusieurs reprises : "Mal intendant… malentendant…"
— ah oui, le pire des intendants ! lâcha Bertrand une fois avoir percuté au jeu de mots.
Ils observèrent le nouveau s'égosiller auprès d'Étienne, qui leur fit un bras d'honneur en guise de réponse, déclenchant une vague d'hilarité. Le retour d'Aimé interrompit brusquement leur amusement, et les questions fusèrent sur le futur emplacement du coin d'équipe
— Relax les gars, je nous ai dégoté un endroit pa-ra-di-siaque… lança-t-il. Un poil de soleil pour faire bronzette, un poil d’ombre pour la sieste du midi, trois superbes arbres pour le pilotis, et assez loin des chefs pour ne pas entendre Francis scier les bûches la nuit.
— De toute façon, nous avons Bertrand ! répliqua Axel.
— Quoi ? Moi ? Macarel ! s’exclama Bertrand, avec ce juron du Sud-Ouest qu'il appréciait tant. Je ne ronfle pas ! se dédouana-t-il.
— Bon allez, c’est parti ! On s’installe, lança Jeannot avant de se relever.
Aimé les conduisit à l'emplacement choisi, situé en haut d'une grande prairie, à l'orée des premiers pins, offrant une vue plongeante sur le hameau. Il leur désigna les sapins qui serviraient de support pour la plateforme surélevée sur laquelle serait installée la tente. Bertrand fit remarquer qu'il manquait un appui, mais Axel rassura le groupe en proposant d'ajouter un quatrième pied. Bertrand exprima alors ses doutes en raison de son poids.
— T’inquiète ! Ça tiendra, répondit Jeannot. De toute façon, nous avons Calimero comme poids plume donc ça compense.
— Mais arrêtez de m'appeler comme ça... s'offusqua Axel.
— Moi, je vois bien une table suspendue sous le pilotis avec des bancs style balançoire, proposa Christophe.
— Des balançoires ! s'exclama Aimé. Man, je crois que ton quat'bosse, il a oublié de filtrer les UV.
— J'avais aussi pensé à une corde pour t'y pendre par les pieds afin que ton cerveau s'irrigue un peu plus !
L'écho d'un coup de sifflet de l'autre côté de la prairie interrompit leur discussion. Francis avait mis en place des signaux pour économiser sa voix : un coup long pour l'appel des chefs d'équipe, trois coups longs pour rassembler tous les pionniers. Jeannot se mit aussitôt en mouvement. Francis annonça le premier imprévu de la journée : la livraison des perches de bois serait retardée et ne serait pas disponible avant le début de soirée. Il devait donc ajuster le planning, car ils ne pourraient pas commencer par les constructions.
— Après-midi repos, lança fièrement Hervé.
— Repos... de quoi ? Nous n’avons encore rien fait, répliqua Francis. Nous avons prévu un grand jeu pour le camp. Nous pourrions le commencer dès cet après-midi ? proposa-t-il en se tournant vers son assistant.
Baptiste approuva. Francis demanda aux chefs d'équipe de faire venir les intendants pour la distribution du repas, puis fixa le départ du jeu à quatorze heures trente.
Ce petit changement de programme n’était pas pour déplaire à Jeannot. Commencer le camp par un grand jeu, cela annonçait de bons moments en perspective. S’il avait su que celui-ci bouleverserait leurs vies, il n’aurait sûrement pas arboré ce large sourire lorsqu’il rejoignit ses compagnons.
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