Épi-prologue
Le Cœur Ardent est bien rempli aujourd’hui. Depuis que nous avons ouvert cette taverne, la fréquentation a énormément diminué, mais est toujours admirable par rapport à la concurrence. Au début, je craignais que son emplacement sur la place du Conseil nous desserve. Heureusement, la curiosité des citoyens a été plus forte que leur crainte de sa proximité avec les quartiers de la Garde et que leur aversion pour notre compagnie. Nous avons beaucoup fait pour Humblewood, mais le mécontentement persiste, surtout chez les bourgeois que la constitution du nouveau Conseil n’arrange guère.
Les oishommes et boishommes de la capitale me connaissent bien, désormais. Certains se souviennent même de la contribution de ma famille au développement d’Alderheart. Mes anciennes connaissances familiales ont été les premières à venir voir mes représentations, voulant vérifier de leurs yeux toutes les allégations qui ont été faites à mon encontre. Toutes sont vraies. Cependant, je peux vous assurer que ni ma musique ni notre taverne n’en portent de traces. Les rumeurs ne sont plus fondées. J’ai fait un travail sur moi et les choses se sont améliorées progressivement, jusqu’à ce que mes comportements déviants se résorbent.
Je n’irais pas jusqu’à dire que je suis un luma changé, ce serait présomptueux. Depuis que j’ai déposé les armes et pris ma retraite d’aventurier, j’ai entrepris des actions en faveur des habitants du Bois, dans l’objectif de réaliser au moins quelques actions bénéfiques avant de quitter ce monde. Je ne prétends pas que cette initiative équivaille de quelque manière que ce soit au mal que j’ai fait. Rien de cela ne pourra jamais être réparé. Ce poids a été sur ma conscience pour les cinq dernières années. Même si j’avais eu plus de temps, même si j’avais quitté Everden avec ma sœur, même si je n’avais pas déposé mon épée sur le mur de cette taverne et avais poursuivi les quêtes avec Letico, même si j’avais rejoint Scott ou Clem dans l’exil volontaire, Paul dans ses recherches de solution définitive pour les Plaines, ou encore Jéricho dans son retour à une simple vie de roturier, même si j’avais fait une de ces choses ou toutes à la fois, je n’aurais pas pu me racheter.
À toutes celles et ceux que j’ai pu blesser, je demande pardon. Pour ce que ça vaut : j’avais tort, j’ai été égoïste et maintenant il est trop tard pour la rédemption.
Ça m’aura pris cinq années. Cinq années qui m’ont semblé durer un clignement de paupière, pour rédiger cet ouvrage. J’ai longtemps hésité à m’y mettre. Je me demandais « suis-je légitime ? », « mon histoire mérite-t-elle d’être contée ? », « la vérité doit-elle être révélée ? », « les lecteurs sont-ils prêts ? »… Je me cherchais surtout des excuses, encore une fois, pour me protéger de votre jugement. Pourtant, je sais que vous méritez cette histoire. Vous méritez la vérité, aussi dure soit-elle. Cette quête a été forte en rebondissements et en tragédies, pour nous six et ceux qui ont croisé notre chemin. Au travers de ce récit, j’espère vous transmettre un peu d’espoir pour l’avenir, un aperçu de ce qu’il s’est déroulé derrière le rideau de la scène qu’est Humblewood, des raisons de nos choix et de l’état actuel d’Alderheart. Des choses que même tous les protagonistes rassemblés ne pourront vous décrire avec autant de vivacité que nos six témoignages. C’est le contenu de cet ouvrage.
Cette taverne, pour en revenir au présent, est pour moi un lieu de repos non mérité. Elle a été offerte aux Messagers Ardents – souvent mé-nommés « Chevaliers Ardents » – en récompense de nos actions. Nous avons sauvé le Bois tous ensemble… Parfois, j’ai encore du mal à réaliser. Que moi, un enfant d’Alderheart, un simple barde, ait pu participer à cette merveilleuse épopée… Je suis reconnaissant envers ma famille, mes amis, le tribunal de l’Avium, le Conseil d’Alderheart et Clhuran, pour cette opportunité. Il me faudrait plusieurs pages pour citer toutes celles et ceux pour qui je suis reconnaissant. Vous vous reconnaîtrez.
En tant que hôte du Cœur Ardent, j’ai voulu l’aménager comme ma maison. Pas celle que ma famille possédait dans le quartier bourgeois, mais la maison que j’aurais voulu habiter à l’âge adulte, si j’avais pu vivre plus vieux. Une maison adaptée aux boishommes et aux oishommes, pour que tous mes amis s’y sentent bien. J’y joue de la musique calme, apaisante, pleine d’espoir, autant que faire se peut, tous les soirs.
Aujourd’hui n’est pas un jour spécial pour cette ville. C’est même un jour des plus ordinaires. La plupart des citoyens dorment à l’abri des cimes ou du tronc. Certains, moins chanceux, reposent dans l’humidité des racines. Le reste est ici, au Cœur Ardent. Je suis chanceux de les avoir.
Je vous écris des coulisses, juste avant de monter sur scène pour mon ultime représentation. Je souhaitais rédiger cette préface en dernier, pour qu’elle reflète au mieux mon état d’esprit le plus récent. Désolé si mon discours semble décousu, c’est que le temps commence à me manquer et j’ai les mains qui tremblent. D’ici je peux sentir l’aura pestilentielle du revenant se rapprocher. Il est tout près. Pas encore dans l’enceinte du bâtiment, mais ça ne saurait tarder. Il sera là d’ici la dernière chanson. Rien ni personne ne pourra l’arrêter, il n’y a pas de barrière qui soit assez solide pour retenir les fantômes du passé.
Mais mes amis, vous qui me lisez, vous savez que je suis plein de regrets. Des regrets et des remords dont je pense ne jamais pouvoir me défaire. Cette fin est celle que je mérite, celle que j’ai choisie quand j’ai sciemment pris le mauvais chemin. Pour ces crimes, je vais sans doute rejoindre mon ancien maître dans les neuf enfers, là où repose mon âme.
Ne pleurez pas pour moi et surtout ne répétez pas mes erreurs.
Mon histoire a été écrite il y a longtemps, je vous invite maintenant à la lire.
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