Chapitre 1 : La Plume Dorée

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PARTIE 1 : Le début de l'aventure

Je séjournais depuis bientôt deux semaines à La Plume Dorée, monnayant mon talent musical contre le gîte et le couvert. Ma scène était petite, mais la présence d’une plateforme rehaussée était un agréable arrangement pour un lieu si chiche dans ses autres aspects. La chambre ne coûtait qu’une pièce de cuivre la nuit et il n’y avait qu’un repas au menu, cuisiné avec amour par la charmante tenancière, Saldi. La jeune vulpine au pelage roux vif était une hôtesse d’une grande amabilité et me rendait un sourire quand je lui jetais un regard au milieu de ma performance. Elle quittait rarement le derrière de son comptoir – il y avait peu de clients – et semblait s’ennuyer, la pauvre. Ce qui pouvait sans doute expliquer son enthousiasme avec ma présence.

Le petit village de Meadowfen était quasiment tout à l’ouest d’Humblewood. Les seuls voyageurs qui s’arrêtaient dans cette auberge étaient donc soit des étrangers provenant d’autres contrées d’Everden, soit des marchands, et potentiellement les deux à la fois. J’étais l’exception à la règle.

Depuis la Grande Calamité, cent ans auparavant, il n’y avait plus grand-chose au-delà des champs de baies, d’algues et d’épicéas qui l’entouraient. Un furieux incendie magique avait englouti une importante partie du Bois, laissant derrière lui les « Plaines Cendrées ». À compter de ce jour, leurs environs avaient été relativement désertés par crainte des créatures de feu qui les habitaient.

Ce récit était connu de tous les Aldériens, mais j’avais toujours été curieux de les voir par moi-même. Bien que ce soit techniquement mon métier, mon esprit avait du mal à imaginer et à mettre des mots sur une telle dévastation. En me rendant dès le lendemain à Ashbarrow, le dernier village avant les Plaines, j’avais espoir d’en apprendre un peu plus et d’écrire une ballade ou deux sur cette vieille histoire…

Quand la chanson se termina, Saldi m'acclama de tout cœur, cachant difficilement sa déception que ce fut si court. Je n’étais malheureusement pas assez payé pour en jouer plus. Les quelques badauds des tables du devant applaudirent mollement, la tête à peine levée de leur repas, puis se replongèrent dans leurs conversations. J’étais habitué à ce genre de réactions et savais pertinemment qu’il ne fallait pas s’en offusquer.

Pas très bien, pour une dernière, me faisais-je la réflexion quand un des convives attira mon attention.

  • Eh ! Eh, le barde ! m’interpela-t-il en se plaquant carrément contre le bois de la scène.

Il en dépassait à peine. Et pour cause de sa petite taille, c’était un luma, comme moi, mais de la sous-race des sera. Ses plumes étaient d’un rouge brillant et il n’avait quasiment pas de cou entre sa tête et ses épaules. Des taches noires assombrissaient le pourtour de ses yeux.

Je fus agréablement étonné de la présence d’un autre oishomme en dehors de la capitale. Dans les campagnes, les boishommes étaient plus courants. Puis je remarquai sa tenue : il portait seulement une sorte de sac à patates, une ceinture et une vieille cape déchirée. On aurait dit un vagabond ou un mendiant…

***

Jéricho venait à peine de quitter Marshview quand il commença à planifier sa vengeance. Cette fichue ville l’avait accueilli pendant seulement quelques mois, mais il n’y était déjà plus le bienvenu. Lui, ainsi que ses deux parents, où qu’ils soient désormais. Au choix entre Saltar’s Port et Meadowfen, il préférait remonter vers le nord, où les boishommes étaient plus nombreux que les oishommes. Il avait beau être un luma, il se sentait plus à sa place parmi les quartiers sombres et les bandits, en majorité des boishommes.

Grâce à une éducation bien rodée et à ses talents magiques naturels, le jeune voleur était progressivement devenu un maître dans l’art du déguisement. Durant son séjour à Marshview, il était parvenu à se faire passer pour un vulpin pendant plusieurs semaines au cours desquelles il avait vécu confortablement au sein du groupe réduit de voyous, tandis que ses deux parents étaient au séchoir. Seulement, il avait été trop gourmand et avait posé ses mains sur l’objet qu’il ne fallait pas. Pour une simple boite à musique magique, le luma avait été dénoncé par ses propres camarades et avait rejoint la prison où ses parents étaient entrés plus tôt.

Ç’aurait dû être une joyeuse réunion de famille, malheureusement ces derniers n’étaient déjà plus là. Jéricho supposa qu’ils avaient dû être transférés ailleurs, étant donné qu’ils étaient adultes. Ou bien ils s’étaient enfuis de la ville à leur sortie, pour éviter d’engager un conflit avec le reste de la bande, tout comme il était en train de faire. Ou peut-être encore l’avaient-ils abandonné… Jéricho préférait ne pas penser à cette hypothèse, même s’il n’en attendait pas moins de ceux qui l’avaient élevé.

Sans grand espoir de découvrir de si tôt la vérité à ce sujet, il marchait d’un pas décidé. En guenilles et l’estomac vide, il se dirigeait vers Meadowfen. De là, il pourrait se rendre à Ashbarrow, le dernier patelin avant le désert calciné des Plaines, et également le plus proche de son village d’enfance avant que ce dernier ne brûle un peu plus tôt dans l’année. Là-bas, où les proies faciles affluaient, il trouverait le moyen de devenir quelqu’un. Ces vauriens qui l’avaient trahi ne s’en sortiraient pas comme ça. Pour l’instant, il était contraint à la fuite, mais il reviendrait. Il reviendrait les bras remplis d’or et la tête couronnée de gloire. Il prendrait la ville à lui tout seul et se débarrasserait de ces bandits de bas étage. Quoi qu’il en coûte, qu’il retrouve ses parents ou non, Jéricho allait se venger.

Arrivé à Meadowfen, il lui fallut peu de temps pour repérer l’auberge, trouver deux pigeons prêts à l’accompagner gratuitement jusqu’à Ashbarrow – une précaution nécessaire à ce stade du plan – et de quoi payer son logis et son repas. Cependant, sa chance ne dura pas…

***

  • Salutations ! lança le luma écarlate. J’ai entendu dire que tu voulais te rendre à Ashbarrow. On pourrait peut-être faire route ensemble ?

Je supposai que Clem devait le lui avoir dit. Il n’y avait qu’avec ce petit jerbeen joufflu rencontré la veille que j’en avais discuté. Enfin, il serait plus juste de dire qu’il s’était incrusté dans mes projets… Il était en effet temps pour moi de changer de localisation, rester trop longuement au même endroit était mauvais pour les affaires. Ashbarrow était certes une des deux seules destinations possibles à partir de Meadowfen, mais que cet inconnu louche soit au courant de mes déplacements me mettait mal à l’aise. Je jetai un regard contrarié au fond de la taverne, vers le fameux Clem qui levait le nez en l’air, m’ignorant totalement.

  • Oui, tout à fait, lui répondis-je par courtoisie. Je ne suis pas pressé, mais je songeais à partir à l’aube.
  • Ça me convient parfaitement ! Je m’appelle Jéricho, au passage ! Jéricho Bella Fiora, ajouta-t-il avec fierté, comme si son nom était supposé m’évoquer quoi que ce soit.

J’allais lui faire remarquer que je n'avais pas encore accepté, mais l’inconnu avait déjà tourné les talons. Au point où j’en étais, je ne perdais rien à joindre une ou deux personnes à mon trajet… Au contraire, j’aurais plus de chances de pouvoir me défendre contre d’éventuelles menaces.

À mi-chemin, au milieu des tables des convives, il se retourna.

  • Viens en discuter dehors !

Ah, bon… d’accord, pensai-je, n’ayant pas la volonté de protester. Je rangeai soigneusement ma lyre dans son étui et la confiai à Saldi, qui m’en libéra avec un plaisir non dissimulé, puis me dirigeai en trottinant vers la sortie. Dès que la porte fut ouverte, un parfum musqué d’épicéa s’engouffra dans la taverne. Les cartes volèrent des tables et firent râler les joueurs. Je refermai doucement derrière Clem, qui s’était enfin senti concerné par la situation, en m’excusant.

***

Clem était parvenu à Meadowfen tôt dans la matinée la veille. La petite ville, en pleine ébullition à l’heure du départ aux champs, se vidait à grande vitesse autour du nouvel arrivant. Ces derniers passaient à côté de lui sans même le remarquer, malgré l’odeur. En effet, Clem était un aficionado de la nature, si l’on peut dire. Rôdeur de son état, il avait longtemps parcouru Humblewood en quête de spécimens rares et de plantes uniques. Il en portait des échantillons sur lui à chaque instant et ce fait, ajouté à l’absence de bains réguliers, le couvrait d’un relent plus que repoussant.

Depuis son départ précipité d’une contrée lointaine, à l’autre bout du continent d’Everden, le jerbeen n’avait cessé de chercher une nouvelle maison. Il rêvait d’un lieu qui piquerait sa curiosité, un paradis rempli de faune et de flore, où chaque jour apporterait son lot de découvertes, où chaque minute serait une aventure. Un lieu, enfin, où il pourrait conduire ses expériences « immorales » en paix.

Ses pas l’avaient par hasard porté jusqu’au tranquille village de Meadowfen, qui aurait semblé de peu d’intérêt dans son objectif s’il n’avait été une étape obligatoire pour atteindre Ashbarrow, le dernier village avant les Plaines Cendrées, où il comptait poursuivre ses recherches.

Clem n’avait que trop entendu parler d’elles, même s’il n’avait pas pris la peine de retenir les détails : seules les créatures de feu l’intriguaient. Cependant, l’idée qu’elles puissent progresser le terrifiait autant que ça le fascinait. Le feu et la forêt ne font pas bon ménage, généralement, et le jerbeen redoutait de ne jamais trouver son paradis si le Bois venait à disparaître. Entre fuir et se laisser tenter, Clem avait été indécis. Il était si proche, à présent, qu’il aurait été déraisonnable de faire demi-tour !

Alors qu’il se rendait à l’auberge pour un repos bien mérité, les portes de La Plume Dorée s’ouvrirent sur la silhouette d’un luma turquoise avec une longue traînée de plumes pendant derrière lui sous sa robe colorée. Il s’agissait d’un barde, sans nul doute. Clem aimait bien les bardes, ils avaient tendance à constituer d’excentriques personnages. Surtout les lumas.

Bien que d’ordinaire assez peu bavard, préférant vivre dans son petit monde, le jerbeen avait rarement eu l’occasion de parler à un barde là d’où il venait, il ne s’en priva donc pas. Le soir à l’Auberge, il alla s’installer à sa table sans lui solliciter son opinion et parvint, grâce à sa langue aiguisée, à le convaincre de faire route commune jusqu’à Ashbarrow.

Clem fut tout à fait satisfait de cette conversation : il avait obtenu un nouvel « allier » sur lequel il pourrait tranquillement se reposer.

Le lendemain, les pièces du puzzle semblèrent s’emboiter toutes seules pour lui. Alors qu’il passait une paisible matinée à ne rien faire, un autre luma, rouge cette fois, entra dans La Plume Dorée et commença à demander à tout le monde s’ils avaient l’intention de se rendre à Ashbarrow dans les prochains jours. Prenant les devants, le jerbeen l’aborda et lui parla de leur propre expédition. Il se permit d’assurer au luma écralate que ça ne serait pas un problème pour le barde, lui désigna ensuite la scène avec un sourire cynique, puis se remit à papillonner, ignorant le regard inquisiteur de son compagnon. Quand ses deux camarades de voyage passèrent en face de lui pour atteindre la porte, il les suivit instinctivement.

Puis, lorsqu’une dispute éclata pour une quelconque raison entre le luma rouge et un grand strig baraqué sorti de nulle part, Clem recula tranquillement d’un pas et se délecta du spectacle à une distance sécurisée.

Le jerbeen n’écartait jamais un divertissement de qualité.

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