Chapitre 3 : Des nouvelles d’Ashbarrow

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Malgré la courageuse intervention du magicien, le strig n’avait pas l’air convaincu et n’en démordit pas :

  • Ce malfrat a tenté de s’enfuir de l'auberge avec le dû d’un autre, c’est inadmissible ! J’étais sur le point de le faire avouer, laissez-moi faire !
  • Vraiment ? ricana le supposé voleur. J’aimerais bien voir ça ! Fouillez-moi si vous voulez, mais je n’ai rien fait.
  • Je suis sûr que c’est un malentendu !

Cette conversation tourna en rond un moment. Le luma fut un peu secoué et le nouvel arrivant tenu à distance par le strig. Mon regard vagabonda sur le paysage, à la recherche d’une idée pour résoudre cette situation délicate, quand il rencontra la présence d’un sixième protagoniste sur la scène. Derrière le strig en armure, à une distance raisonnable, se trouvait un jerbeen tout blanc, à peine visible sous sa cape. Il n’avait pas l’air à son aise, ses yeux passaient d’un élément à un autre en s'arrêtant quelques fois en direction de la forêt. Il doit être arrivé avec le magicien, me dis-je. Quelle curieuse paire ils faisaient, un tout petit jerbeen et un grand vulpin ! Enfin, Clem, Jéricho et moi-même formions également un trio bien singulier…

Je songeais à m’éclipser quand la situation s’envenima un peu plus.

  • Écoute, mon ami, ce n’est pas que ta présence m’ennuie, mais j’ai des affaires à régler avec le barde ! annonça Jéricho. Alors lâche-moi maintenant, tu seras gentil.

Le strig déplaça lentement ses grands yeux ronds et inquisiteurs dans ma direction. J’entendis ma dernière heure sonner…

***

Scott arpentait ses coins préférés de la forêt, sous la chaude ombre de l’été. Ces derniers temps, l’atmosphère semblait plus sèche et le jeune jerbeen blanc était inquiet. Ses sources de nourriture s’amenuisaient à vue d’œil, ainsi que celles des habitants de Meadowfen, dont il pouvait entendre les plaintes jusque depuis les branches hautes, lorsqu’il se prenait quelques fois à les observer. Les Plaines Cendrées reposaient à plusieurs kilomètres au nord-ouest, à une distance acceptable de son territoire. Il ne devrait pas s’inquiéter autant, c’était irrationnel. Mais c’était juste plus fort que lui.

Le feu qui avait créé les Plaines s’était récemment rallumé et avait peu à peu grignoté sa maison. L’anxiété de la perdre tout à fait s’emparait souvent de lui. La chaleur particulièrement féroce de cet été ne le rassurait pas, c’était un signe avant-coureur d’une nouvelle expansion… Mais que pouvait-il bien y faire, jeune et petit jerbeen solitaire qu’il était ? Ce n’était pas avec ses deux dagues, qui paraissaient être des cure-dents pour les autres races de boishommes, qu’il allait combattre cette magie ancienne et destructrice. Cette magie qu’on pensait endormie… à tort.

C’est donc impuissant qu’il s’était déplacé de plus en plus vers l’est, vers Meadowfen, délaissant à contrecœur les champs prolifiques d’Ashbarrow, bien qu’ils le soient de moins en moins. Désormais coincé entre le Mokk Field et le village, éviter les interactions avec les locaux devenait difficile. Scott n’appréciait pas devoir voler pour subsister, il préférait nettement compter sur ses capacités personnelles et des sources plus sauvages, moins disputées, moins dangereuses pour lui. Il l’avait appris à ses dépens.

La concentration de Scott fut soudain troublée par un cri étouffé en provenance de la forêt. Il suspendit son harpon de fortune dans les airs et se retourna, tous les sens en alerte. Il l’avait reconnu comme n’était pas animal. Une personne s’était aventurée sur son territoire…

Le jerbeen s’approcha d’une éclaircie à pas feutrés, presque invisible et parfaitement silencieux grâce à ses talents inégalés de roublard, aiguisés au fil du temps. Une vision pitoyable l’accueillit. Un vulpin gris noir de plus d’un mètre soixante-dix de haut – à vue d’œil – s’était étalé dans la boue et maudissait sa malchance. Il avait dû s’entraver dans une racine, ses bottines n’étaient pas du tout adaptées au terrain. Scott pouvait le comprendre facilement, même s’il avait toujours su se passer de chaussures.

Le vulpin chouina quelques minutes avant de finalement se relever et de poursuivre sa route, visiblement à l’aveuglette. Scott le suivit instinctivement en restant caché derrière les fourrés. Il tourna en rond pendant un moment, irritant le jerbeen qui se demandait quand il finirait par quitter la zone et le laisser pêcher en paix. Il avait en plus dû abandonner ses prises sur la rive, à la merci de ses concurrents !

  • Je suis trop nul… se plaignit l'intrus. Il avait pourtant dit que c’était tout droit ! À quel endroit je me suis trompé… ?

Scott poursuivit sa filature, et le vulpin retourna sur ses pas toujours à partir du même tronc, encore et encore… Scott en eut vite marre. Contre toutes les précautions requises en approchant un étranger, et spécifiquement un potentiellement plus fort que lui, il révéla sa présence au tournant de l’arbre en question. L'autre sursauta et poussa un cri aigu. Mais la surprise passée, il sembla se rasséréner.

Le jerbeen l'observa de la tête aux pieds et le jugea rapidement comme inoffensif, voire dangereux pour lui-même. Il n’avait pas d’arme et presque pas assez d’équipement pour affronter un environnement pareil. Surtout s’il était incapable de s’orienter. Scott s’étonna de ressentir de l’inquiétude, ou peut-être de la pitié ?

  • Oui, je peux vous aider ? demanda le vulpin, se sentant détaillé sans pudeur.

Scott garda le silence un moment. Il n’était pas habitué à tenir des conversations. Ces dernières années, peu avaient eu l’opportunité d’entendre sa voix.

  • Le village est par là, finit-il par lâcher en pointant une direction.

Il désignait la position de Meadowfen, qu’il connaissait avec certitude, peu importe où il se trouvait dans la forêt. Le vulpin se tritura les doigts avec gêne.

  • Ah, euh, merci, mais je ne suis pas sûr de pouvoir m’y rendre seul…

Le jerbeen sentit qu’il ne serait pas débarrassé de cet étranger de si tôt. Ses craintes se confirmèrent quand ils atteignirent le village et assistèrent à une dispute sur la place principale, dans laquelle le vulpin se jeta tête baissée.

D’ordinaire, Scott aurait profité de cette occasion en or pour s’éclipser discrètement. Mais un sentiment mystérieux le retint. Une sensation qu’il n’avait encore jamais vécue auparavant. Il était comme attiré par la lumière d’au delà des arbres, attiré par ce groupe d’individus plus étranges les uns que les autres et par l’inconnu qu’il avait aidé, aussi naïf soit-il. Lui qui n’avait connu toute sa vie que l’ombre rassurante du Bois, il sentait que s’il fuyait maintenant, il risquait de rater quelque chose.

Cette intuition était amplifiée par la présence parmi eux de plusieurs races qui lui étaient obscures, des représentants de la classe des oishommes qui se faisait rare par ici. La réunion soudaine de ces individus ne pouvait s’expliquer par le simple hasard, le destin devait être en marche, Scott en était convaincu. Trop longtemps il avait vécu dans une sécurité précaire et solitaire, trop longtemps il s’était senti impuissant et s’était vu victime des évènements. Plus jamais. Il n’allait certainement pas manquer cette chance, même si cela signifier devoir sortir de sa zone de confort.

Pour la première fois, Scott fit un pas dans la lumière.

***

Le strig rivait son regard assassin sur moi quand quelque chose, ou plutôt quelqu’un détourna l’attention du groupe entier. Ce fut d’abord Clem qui me tapota sur l’épaule et me montra une direction, puis tous se tournèrent à leur tour en voyant l’horreur sur mon visage.

Une oishomme gravement blessée titubait en s’avançant vers nous. Du sang maculait ses vêtements, son bras gauche était quasiment détaché du reste de son corps et la totalité de son plumage était couvert de cendre et de suie noirâtres. Malgré cela, je reconnus Cara, la cheffe de la milice locale et une des habitants s’étant portés volontaires il y a une semaine pour aller observer la source d’une colonne de fumée provenant de l’ouest. Elle était revenue seule…

Cara s’écroula sur le puits au centre de la place et reprit son souffle afin de nous prévenir :

  • J– Je… dois voir l’ancienne… l’ancienne du village… vite.

Le strig en armure et à la citrouille abandonna immédiatement sa proie et se dirigea vers elle pour la soutenir. Nous vinrent tous à sa rencontre de manière chaotique, et bientôt de nombreuses têtes curieuses sortirent des habitations, de la taverne et de tout autour. Elle s’accrocha aux vêtements du strig et susurra avec difficulté :

  • Nous sommes tous… en grave danger… Les Plaines ont pris Ashbarrow…

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