Chapitre 5 : Bandits des chemins

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Le trajet fut calme sur plusieurs kilomètres, les heures passèrent. La traversée était agréable grâce à la couverture des arbres qui bloquait la majorité des rayons du soleil de ce début d’été. Des motifs dansants se dessinaient dans mes yeux, me faisant imaginer mille mélodies.

Soudain, le chariot fit halte et ma lyre m’échappa des mains.

  • Attention ! protestai-je à l’intention de Clem.
  • Là-bas, répondit ce dernier en désignant la suite du chemin. Des bandits.

Letico posa une dernière carte sur la pile avant de jeter un œil rond. Un peu plus loin, au milieu du passage, un groupe de trois petites figures encapuchonnées s’agitait au-dessus d’une quatrième personne recroquevillée au sol. Une dernière était tranquillement adossée à un arbre proche et observait la scène d’un air narquois. Sur le côté de la route, il y avait un petit chariot de marchandises, que l’une des figures vint fouiller sans ménagement. Il s’agissait donc bien de bandits. Peut-être certains d’entre eux avaient-ils attaqué les villageois fuyant Ashbarrow !

  • Allons à leur rencontre, proposa Jéricho. De toute façon, ils nous ont déjà vus et il n’y a pas d’autre chemin pour notre chariot.
  • Quoi ?! protestai-je.

Était-il complètement inconscient ou bien suicidaire ? Clem approuva et l’âne se remit en marche. Non, non, non ! Je ne veux pas déjà mourir ! paniquai-je en me recroquevillant au fond du chariot.

Quand nous fûmes plus près, nous pûmes identifier les bandits comme étant des mapachs, une race dotée d’une grande dextérité et de bonnes capacités de survie. Chacun d’eux était équipé d’une épée courte et portait une armure légère en cuir. Heureusement pour nous, il semblait s’agir de bandits de bas étage. Mais je n’en aurais pas dit autant pour leur cheffe. La vulpine rousse adossée à l’arbre était équipée d’une épée de bien meilleure facture, qu’elle avait dû obtenir d’une manière peu recommandable…

  • Passez votre chemin, si vous tenez à la vie, ordonna un des trois mapachs, qui était une femme.

Jéricho mit pied à terre et se plaça sans crainte face à elle.

  • Oh là ! Du calme, l’amie. Peut-être pouvons-nous négocier un terrain d’entente ? proposa-t-il en jetant un œil à la charrette de marchandises.
  • Non, mais je rêve ? Jéricho ?! s’exclama soudainement une voix joyeuse.

Le concerné se tourna vers la cheffe des bandits qui quitta le confort de son arbre et fit quelques pas dans sa direction, l’air agréablement surprise.

  • Fray ?! fit-il totalement bouche bée. Qu’est-ce que tu fais là ?
  • Eh bien, je fais mon boulot comme tu peux le voir. Mais je ne te retourne pas la question. J’imagine que cette rencontre n’est qu’une coïncidence et que tu n’étais pas du tout à ma recherche, mhh ?

Jéricho lui rendit un sourire narquois.

  • Une pure coïncidence en effet, ma belle. Tu sais, je n’ai pas oublié que je devais t’acheter ce fameux collier à laisse dont tu rêves tant !

Une minute. Une minute ! Était-il en train… de flirter avec la cheffe des bandits ? Et d’une manière crasse, en plus de ça !

  • Ah ! C’est ça, rêve toujours ! s’amusa-t-elle en posant négligemment son poignet sur le pommeau finement ouvragé de son épée.

Fray n’avait pas l’air de partager l’attirance de Jéricho pour elle, mais le petit jeu semblait quand même lui plaire. Je n’y comprenais rien… Pendant leur échange sulfureux, les mapachs avaient poursuivi leur sale besogne, l’un fouillant le chariot, les deux autres martyrisant leur otage. Ils pensaient sûrement être en terrain allié, après cette intervention de leur cheffe, mais le reste de mon groupe n’était pas du même avis.

  • À l’aide, supplia la victime d’une petite voix apeurée.

C’est à ce moment que Letico en eut assez. Ses yeux adoptèrent leur élargissement maximal et il sauta spontanément du chariot, bouclier et Citrouille en main. Sans un brin d’hésitation, il fonça droit sur le mapach le plus proche.

  • Attends ! s’exclama Paul, l’air paniqué.

Il bafouilla quelques mots, fit un signe de ses mains, et une sorte de brouillard brillant comme de la poussière d’étoiles se manifesta autour du groupe. L’espace d’un instant, je le perçus comme un grand héros, je crus qu’il allait tous nous sauver avec ce sort à l’exécution impeccable. L’instant d’après, le nuage enveloppa nos deux camarades qui s’écroulèrent, plongés dans un profond sommeil…

  • Oh non… geignit le magicien.

Fray, voyant Jéricho à terre, à sa merci, s’approcha lentement de son corps inerte avec un air malicieux. Paul se précipita hors du chariot et se confondit en excuses, autant aux bandits qu’à nos deux camarades. Les choses ne furent pas aussi catastrophiques que je l’avais anticipé, car la vulpine et les trois mapachs trouvèrent ce développement très amusant, limitant l’impact de la tentative d’assaut de Letico. Clem se permit lui aussi d’en rire.

  • Votre ami a le sang chaud, fit remarquer Fray. Il faudrait mieux le dresser.

Tandis que Paul tentait de justifier les actes du strig, je vis la marchande, que j’avais identifiée comme telle à sa voix, s’éloigner discrètement en rampant. Son regard terrifié croisa le mien et un frisson parcourut mon échine.

En l’état actuel des choses, il était peu probable que Paul parvienne à nous tirer d’affaire seul. Que Letico soit à terre nous arrangeait, mais pas Jéricho. Et si jamais le strig se réveillait maintenant, il serait furieux… Quant à Clem et Scott, ils n’avaient pas l’air de vouloir intervenir. Ce qui n’était pas plus mal, car si nous devions nous éclipser en vitesse, il nous faudrait un chauffeur et une couverture.

Je soupirai d’exaspération. Les évènements s’étaient si bien déroulés jusque-là… J’étais même parvenu à passer inaperçu malgré mon immense touffe de plumes turquoise. Mais les choses étaient ce qu’elles étaient. Mon sens moral surpassa ma peur et je me retrouvai à me lever, lyre en main, pour faire face à quatre bandits assoiffés d’or.

  • Chère demoiselle Fray ! m’exclamai-je d’une voix claire et assurée. Permettez-moi de m’excuser pour mes camarades, en vous offrant cette ballade.
  • Ohh ? roucoula la vulpine, intriguée.

Elle croisa les bras et me donna son entière attention, comme espéré. Pour un tel public, il convenait de jouer un air joyeux avec des paroles banales, sans « prise de tête », sans pour autant être absurdes. Il ne fallait pas prendre ses clients – en l’occurrence, adversaires – pour des imbéciles, ça jamais ! Les gens préféraient se détendre avec des paroles sans profondeurs, mais pas sans recherche. Et on pouvait trouver de nombreuses rimes riches avec des mots pauvres.

L’ambiance s’améliora nettement quand j’atteins le refrain. Paul me regardait avec un air contrit, il ne comprenait visiblement pas ce que je faisais. Bah ! il comprendrait bien assez tôt ! Ce qui comptait, c’est que j’étais parvenu à faire danser les bandits, qui poussaient de petits cris d’allégresse. J’en aurais presque été honoré, s’il ne s’agissait pas d’une stratégie de vie ou de mort. Les deux mapachs qui ne fouillaient pas le chariot se désintéressèrent totalement de leur cible et dansèrent ensemble. Quand un des quatre faisait mine de se détourner de moi, je mettais plus de vigueur à ma performance. Je parvins à conserver leur attention suffisamment longtemps pour voit la figure de la marchande disparaître derrière les arbres, emportant sur son dos un lourd bagage en bois.

Fray m’applaudit avec vigueur.

  • Bravo le barde, tu as du talent !

Je saluai mon singulier public, encore riants et un peu essoufflés.

  • Allez, ça ira pour cette fois. Prenez ces deux imbéciles et partez, avant que je ne change d’avis.

On ne se le fit pas dire deux fois ! Paul chargea à grande peine Letico et Jéricho sur le chariot et nous repartîmes au plus vite, avant qu’ils ne s’aperçoivent de la supercherie. Un peu plus loin, nous entendîmes leurs éclats de voix, mais ne nous inquiétâmes pas trop d’être poursuivis, comme ils avaient pu conserver la plus grande partie de leur butin.

Malgré cette assurance, mon cœur battait encore la chamade. Cette rencontre avait été terrifiante, toutefois, j’en retirais une certaine fierté. J’avais même l’impression d’être un peu excité : j’étais parvenu à surmonter ma peur pour sauver quelqu’un et ça avait marché ! Peut-être que tout n’était pas perdu d’avance !

Nos deux compagnons finirent par se réveiller. Letico se leva immédiatement et chercha « l’ennemi » des yeux. Quand il se rendit compte qu’il n’y avait personne, il se laissa retomber mollement, visiblement déçu. Jéricho l’était aussi, il aurait bien aimé converser un peu plus longtemps avec son « amie ». Tous les yeux étaient d’ailleurs fixés sur lui, exigeant des explications – sauf ceux de Paul, trop honteux d’avoir raté son sort.

  • Quoi ? se défendit Jéricho. C’est une amie d’enfance.

Personne ne fut convaincu. Qui plus est, être ami avec un bandit, même si elle ne l’était peut-être pas encore à cette époque, n’avait rien de rassurant pour le reste de ses fréquentations. Letico allait lui faire un commentaire acerbe quand un bruit attira notre attention derrière le chariot.

  • A– Attendez ! implora une voix.

C’était la marchande, qui nous courait après, son lourd bagage retentissant bruyamment dans son dos. Après seulement quelques mètres, elle commençait déjà à s’épuiser, mais parvint tout de même à nous rattraper. Letico l’aida bien volontiers à monter avec nous, Clem n’eut même pas à ralentir.

  • Ouf… Par mes moustaches, c’était moins une ! Eh, je ne vous remercie pas ! Vous alliez me laisser là ! Et négocier quoi, le rachat de mon chariot ?! Ça aurait été bien, j’ai tout perdu maintenant !
  • J’ai fait diversion ! protestai-je. Ça vous a permis de vous enfuir.
  • Oui, oui, merci au barde ! Lui au moins, il a fait quelque chose d’utile.

Je me surpris moi-même à réagir ainsi, mais reconnus que la gratitude était appréciable.

  • Eh, on t’a laissée monter dans notre chariot, s’indigna à son tour Jéricho. Et tu t’en es sortie, c’est déjà pas mal.
  • Oui, mais j’ai perdu la moitié de ma marchandise… Bon, qu’importe, vous avez raison : je suis en vie ! Merci à vous.

La jeune femme était une elurane, une race de félins provenant des terres à l’ouest d’Humblewood, mais qui n’en était pas rare pour autant. Elle posa son lourd paquetage en bois sur le chariot et fit une rapide toilette de sa fourrure couleur fauve.

  • Je m’appelle Eliza, se présenta-t-elle enfin. Je suis venue établir boutique à Alderheart, dans l’échoppe de ma défunte sœur. J’ai l’intention de faire un arrêt à Winnowing Reach pour échanger quelques marchandises avant de poursuivre. Qu’est-ce que vous en dites ? Vous voulez bien m’escorter jusque-là ?
  • Qu’est-ce qu’on y gagne ? demanda sans hésitation Jéricho, récoltant un féroce coup de coude de Letico. Aïe ! Quoi ?!
  • Nous allons nous aussi à la capitale, expliqua le strig sans détailler. Nous sommes pressés, mais un rapide arrêt ne devrait pas nous faire de mal.
  • Ça nous permettra peut-être de récolter plus d’informations sur les Plaines, s’enthousiasma Paul.

Il sembla que l’affaire était entendue, Eliza serait du voyage jusqu’à la capitale. Devant la mine déconfite de Jéricho, la marchande fit une proposition :

  • Assurez ma protection, et je vous ferai don de matériel à chaque étape. A Winnowing Reach, puis à Alderheart quand nous y serons. Si tout se passe bien – et seulement si ! – vous aurez également une réduction permanente à ma boutique. Alors ?
  • Ça me paraît bien plus raisonnable, acquiesça Jéricho.

Letico roula des yeux, ce qui était immanquable vu leur taille.

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