Chapitre 23 : Premier assaut
Arrivé à la canopée, le groupe se sépara. Letico retourna chez les Tendres pour discuter plus amplement avec Havel, Clem descendit voir notre âne, Paul alla chiner de la connaissance sur le marché, Scott… avait déjà disparu, et Jéricho et moi décidâmes d’aller noyer notre angoisse dans une taverne proche. Une auberge croisée précédemment dans le tronc fut choisie comme lieu de rassemblement pour la nuit.
La taverne de la Branche d’Or se trouvait juste à côté du marché et constituait un des seuls bâtiments creusés dans le bois de l’arbre n’étant pas un logement. Son architecture de façade évoquait d’ailleurs l’allure accueillante des modestes maisons situées juste en périphérie, comme un avant-goût de chez soi qui réchauffait l’âme.
À quelques pas de notre destination, nous débattîmes de ce que nous allions consommer. J’ignorais moi-même quelles étaient les coutumes de beuverie de la capitale et avait une certaine hâte de les étudier, surtout si cette éducation pouvait m’aider à penser à autre chose.
Alors que mon regard passait régulièrement de mon camarade à devant moi, il croisa l’éclat rouge d’une silhouette familière. Je m’interrompis brusquement. Avec surprise, le bec grand ouvert, je vis passer ma mère, bien portante, parfaitement apprêtée, main dans la main et discutant chaudement avec une luma rouge de la sous-race sable, qui n’était pas sans me rappeler Jéricho. Mon compagnon se stoppa également et observa le curieux couple écarlate s’éloigner en direction des branches.
Je fus littéralement paralysé par le millier de questions qui se pressèrent dans ma tête et que l’on pouvait résumer par « c’était qui ?! ». Mais une pensée domina rapidement les autres : il ne fallait pas que ma mère me voie !
Oui, décidément, j’avais grande hâte d’étudier en profondeur les coutumes de consommation d’alcool de la capitale ! Quasiment à l’unisson, nous entrâmes – ou plutôt, prîmes la fuite – à la Branche d’Or, nous assîmes au comptoir et commandâmes le breuvage le plus fort. Le serveur nous observa comme deux raptors en perdition, puis exhaussa notre demande après un bref haussement d’épaules. Nous enchaînâmes rapidement plusieurs petits verres appelés « shots » par les locaux, avant de nous considérer satisfaits, car complètement ruinés – il fait cher vivre à Alderheart.
Jéricho était prêt à rouler sous la table et baragouinait des paroles incohérentes. Hélas, je ne semblais pas prêt à le rejoindre. Peut-être, malgré mon petit corps, étais-je naturellement moins sensible à l’alcool. Quel mauvais moment pour découvrir cette faculté !
Impossible, cette fois encore, d’échapper à moi-même… Je n’en avais pas cru mes yeux, si bien que je me répétais obstinément que ma mère avait juste trouvé une nouvelle amie, qu’elles se tenaient la main dans la rue comme ça, platoniquement. Il n’y avait là rien de surprenant ! Quoique, ma mère avait-elle déjà eu des amies proches auparavant… ? Avait-elle déjà tenu la main à père dans la rue ?!
Au bout d’un moment de stase silencieuse, le doute fut trop fort. Il me fallait des réponses, je devais confronter ma mère. Je me levai soudainement de mon tabouret, abandonnai Jéricho à sa décuve, et me dirigeai à peu près vers là où elles s’étaient rendues. Puis… Puis quoi ? Je l’avais vite perdue de vue parmi les passants, et nous étions restés bien une heure dans cette taverne. Mes chances de la retrouver étaient minces… Mais il fallait pourtant que j’y parvienne.
J’errai sans but sur l’une des trois branches les plus proches et commençai à poser des questions aux passants. « Avez-vous vu une femme luma avec des plumes rouges ? », « auriez-vous vu quelqu’un me ressemblant passer par ici plus tôt ? », « savez-vous où je pourrais trouver… ».
Un luma parmi les habitations oishommes, ça n’avait rien de déroutant. Pourtant, beaucoup me passèrent devant sans même un regard, sans une réponse, tout juste en bredouillant « désolé » ! De nombreuses portes me furent également claquées au nez. Quel manque de politesse ! Il faisait pourtant encore jour…
En dépit de meilleure idée, je me mis à chanter. C’était un peu ma solution à tous les problèmes ! Ainsi que ma meilleure manière d’expression. Je me dis que si ma mère était dans le quartier, elle m’entendrait et reconnaîtrait forcément ma voix !
Les heures passèrent ainsi, mes mains commencèrent à me faire souffrir et à s’engourdir, si bien que les cordes de ma lyre me semblèrent aussi coupantes et inébranlables qu’une lame. Ma voix commença à s’éteindre, elle aussi.
Au beau milieu de la nuit, alors que les habitants n’en pouvaient plus de protester contre mes « jérémiades », je finis par m’écrouler de fatigue sur le sol, et le silence put enfin tomber sur le quartier ensommeillé.
Je n’avais pas pu retrouver ma mère.
***
De puissants clairons résonnèrent soudain à travers Alderheart. La clameur partit des racines, où elle était presque inaudible, puis elle progressa rapidement le long du tronc jusqu’à atteindre la canopée en à peine une trentaine de secondes. Tous les Messagers Ardents, où qu’ils soient sur l’arbre, s’éveillèrent et furent aux aguets.
J’étais encore au milieu de la rue quand cela se produisit et, alors que mes yeux s’accommodaient à la pénombre, j’essuyai la bave qui coulait vulgairement du bord de mon bec. J’avais encore l’esprit embrumé et ne saisissait pas ce qu’il se passait quand les premiers habitants commencèrent à passer leur tête par l’embrasure de leurs demeures. Puis, un peu de temps après, le bruit des armures et des armes qui se secouaient au rythme des pas se rapprocha de mon étage, et je réalisai alors ce que je venais d’entendre.
Il y avait des raisons d’être surpris et perdu – outre la gueule de bois. Même en seize années de vie à la capitale, je n’avais entendu l’alarme que lors des exercices d’entraînement mensuels. Cette fois-ci, ce n’était pas un entraînement, la menace devait être réelle… La Garde était en mouvement. Les habitants sortis de chez eux malgré l’alerte commencèrent à crier « des bandits ! » aux quatre coins du quartier.
Je m’approchai en trottinant du marché. De la place du Conseil, des dizaines de gardes descendirent en trombe, leur supérieure hurlant des ordres et les motivant à accélérer. Ils se pressèrent dans l’escalier du long du tronc. Les citoyens trop curieux ou en travers du chemin furent invités à immédiatement rentrer chez eux. Je n’étais cependant pas un citoyen comme les autres. Trop curieux, je me penchai à une rambarde en périphérie du tronc pour observer le mouvement en contrebas. Une attaque avait lieu, c’était certain. Plusieurs chariots étaient arrêtés au-delà du bidon-ville et une grande quantité d’individus s’affairaient, se battaient avec moult fracas tout autour. À cette distance, il était impossible d’identifier les protagonistes et leur nombre, mais on se doutait qu’il s’agissait de bandits contre gardes, voire de marchands contre bandits…
Si les renforts mettaient trop de temps à arriver, il y avait un risque que les bandits parviennent à prendre la fuite. Il était aussi possible que des réfugiés soient pris en otages ou victimes de vol, si le butin était insatisfaisant, même si j’imaginais que cette caravane avait été prise pour cible pour une raison. Après tout, ces gens avaient dû quitter leurs maisons, mais n’en avaient pas pour autant perdu toutes leurs possessions de valeur.
Bref, ma conscience me poussa à dévaler les escaliers à la suite de la Garde, en utilisant au maximum ma capacité à planer pour les rattraper et même finir par les dépasser. Sentir le vent frais dans mes plumes me fit un bien fou et me réveilla tout à fait. Le sol se rapprocha à grande vitesse, la descente n’en fut que plus enivrante. Il y avait longtemps que je ne m’étais pas senti autant en vie. J’étais sur le point de me jeter à corps et âme dans une bataille et je ne craignais pas la mort ! Je ne sais pas ce qui m’avait pris, mais j’aurais aimé que la sensation dure éternellement.
Le chaos m’engloutit quand j’atterris au pied des premiers baraquements. Les réfugiés couraient dans tous les sens et la Garde tentait de les calmer et de les rediriger vers l’arrière de l’arbre où ils seraient plus à l’abri, mais certains refusaient d’abandonner leurs affaires.
Je respirai un grand coup et tentai de faire le vide en moi, de garder mon calme afin de repérer plus facilement ma cible. Contournant groupe après groupe, je parvins à slalomer jusqu’à m’extraire de la foule et avoir les chariots bien en vue. Un groupe de bandit était en train de les piller, les bras remplis d’or, de tableaux et d’équipement de combat. Leurs petits rires victorieux couvraient presque le tintement des épées contre les boucliers de la Garde, débordée pour l’instant en nombre. Il fallait que j’aille leur prêter main forte en attendant les renforts encore embourbés entre les baraquements.
Plusieurs personnes se joignirent spontanément à moi au cours de ma course. Tout d’abord, il y eut le fidèle Letico, dont l’ébouriffement des plumes montrait qu’il était en train de passer sa première bonne nuit quand l’alarme avait sonné. Il avait l’air furieux, à juste titre, à la fois pour ce désagrément et parce qu’il détestait les bandits. À ses côtés, il y avait Scott, les armes dégainées et prêt à l’attaque. Plus loin, je parvins à brièvement entrevoir Paul et Clem en train d’aider à évacuer les réfugiés. Le vulpin tentait de les rassurer à l’aide de ses sorts tandis que le jerbeen les poussait sans ménagement loin du danger. Quant à Jéricho, il était aux abonnés absents, sans doute encore écroulé à la taverne.
Letico, Scott et moi chargeâmes les bandits. Le strig poussa un cri à réveiller les morts et balança un coup de citrouille dans le tas. Les bandits s’écartèrent de justesse en poussant à leur tour un cri, de surprise cette fois. Que leur voulait donc ce fou furieux ? Quand ils virent son armure reluisante et son bouclier doré, ils avalèrent leur salive et reculèrent d’un pas, par précaution. Ils remontèrent leur garde et cessèrent tout à fait de rire.
Au loin, quasiment depuis la protection des arbres de la forêt, on pu entendre une voix féminine gueuler des ordres. Malgré la distance et l’absence de lune, mon intuition me dit qu’il s’agissait sans doute de Fray, la vulpine « amie » de Jéricho qui avait pillé le chargement d’Eliza. L’idée qu’elle fut là, si proche et pourtant inatteignable, me mit en rogne.
Sur ses consignes, et alors que les bandits écopaient d’une pluie de pierres et de lances en provenance de réfugiés indomptables, ils battirent en retraite. Un rugissement de victoire émana du bidonville tandis qu’ils emportaient comme ils pouvaient leur butin, couverts par une bande de mapachs. Leurs rangs étaient tenus serrés et empêchèrent la Garde d’entamer une poursuite. Cependant, les renforts étaient proches. Je pus mettre ma toute nouvelle armure à l’œuvre en écopant de plusieurs coups d’épée courte, encore incapable de parer correctement avec la mienne, tandis que Scott usait de la sienne entre les côtes des ennemis. Letico écrasa quelques têtes avec un air triomphant.
Une volée de flèche cloua sur place plusieurs fuyards avant qu’un mur de gardes parfaitement ordonné n’encercle le petit groupe restant. Avec leur aide, il fut aisé de mettre un terme à l’attaque, en faisant même quelques prisonniers. L’abandon de la poursuite fut cependant ordonné par la Capitaine de la Garde, une jeune et fière strige aux yeux dorés, emplis d’une brûlante détermination. Étant donné la fureur qui transparaissait dans sa physionomie, cette décision lui déplaisait au plus au point. Mais ce n’était que partie remise, la véritable chasse n’allait sans doute pas tarder à être lancée.
Une fois que la clameur se fut calmée, que les réfugiés eurent cessé de crier et que les clercs commencèrent à traiter les survivants parmi les bandits et les marchands de la caravane, on put voir Jéricho accourir, emmitouflé dans un drap couvert de taches vertes.
– Qu’est-ce que j’ai raté ?! s’exclama-t-il tout essoufflé.
Scott le scruta de la tête aux pieds et lâcha un petit rire, ce qui fit tourner toutes les têtes du groupe vers lui, y compris celles de Paul et Clem qui nous avaient rejoints. C’était la première fois que le jerbeen riait en notre présence. Il devait vraiment y avoir quelque chose d’exceptionnel à la tenue ridicule de Jéricho, et il gardait jalousement pour lui la mystérieuse explication.
– Quoi ? Vous avez jamais vu une œuvre d’art sur pattes ? se justifia le luma.
Personne n’eut le temps de faire de commentaire. L’attaque était terminée, mais il restait fort à faire. La Garde nous employa pour récupérer les biens volés ayant été abandonnés ou perdus par les bandits. Ils s’occupèrent de rassurer la population encore en état de choc pendant que nous acheminions l’unique chariot endommagé jusqu’à l’arbre pour être réparé aux frais de la cité. Puis les mages du groupe, c’est-à-dire Paul et moi, furent réquisitionnés pour donner un coup de main aux soigneurs. Clem poussa les réfugiés dans l’autre sens, de retour vers leurs « maisons » à présent que le danger était écarté, Jéricho se retint de voler l’in-volable, Scott rengaina ses armes et patienta, et Letico se balança nerveusement sur ses pattes.
Une fois tout cela fait, les marchants furent alignés au pied de l’arbre et on leur présenta une à une les marchandises qui avaient pu être récupérées. La plupart d’entre eux déclinèrent d’un mouvement de tête, ce qui embarrassa la garde des objets n’ayant pas trouvé de propriétaire. Comme ils n’avaient pas que cela à faire, ils s’en délaissèrent à qui les voulait bien. Eliza nous expliqua plus tard que c’était certainement parce que de la marchandise endommagée risquait de ne pas se vendre, et donc de leur coûter plus que ça ne leur rapporterait. Ne nous en déplaise, puisque nous en profitâmes également, surtout Jéricho.
Le silence était loin d’être retombé sur l’assistance quand notre attention fut réclamée par la Capitaine de la Garde. Elle regroupa les soldats et habitants ayant participé au combat et nous adressa ces mots d’une voix tonnante :
– Merci pour votre aide, soldats, citoyennes et citoyens. Les bandits ont été repoussés, cette fois, mais pas stoppés à temps. De nombreux biens ont été dégradés et dérobés aux habitants du Bois. Certains ont été injustement blessés et un garde a failli perdre la vie. Cette fois-ci, la Coalition est allée trop loin. Il en est assez de la terreur. Il en est assez de la tyrannie. Il est temps pour Alderheart de réagir et de porter un coup à l’ennemi. Demain, nous amènerons les représailles chez eux ! J’invite tout citoyen armé et préparé à nous accompagner au Conseil pour préparer l’attaque ! Leurs actes ne doivent plus rester impunis, justice doit être faite, la Garde du Perchoir s’en assurera !
Un grand « hourra » accueillit ce discours et des poings rageurs se levèrent dans la foule. La Garde commença à rapidement regagner l’arbre, suivie d’un groupe de civils enivrés par les effluves persistantes de la bataille. Toute la Garde, sauf la Capitaine, qui s’approcha de nous.
— Frère, dit-elle d’une voix officielle en arrivant à notre hauteur.
Elle me dominait bien d’une tête et demie, plus que Letico et que Paul. Le strig, d’ailleurs, lui sourit et s’avança pour le serrer dans ses bras. Des regards surpris furent échangés dans le groupe, mais l’interrogation générale fut vite résolue.
– Sœur, répondit Letico sur le même ton. Ça fait plaisir de te voir.
Des petites tapes dans le dos furent échangées.
– Alors comme ça, tu es devenue Capitaine ?
– Eh oui, j’ai grimpé les échelons. C’est ce qui arrive quand a suivi le meilleur entraînement, ajouta-t-elle avec un clin d’œil.
– Je n’ai jamais douté de toi ! protesta Letico en gonflant les plumes. Je suis très fier, je sais que tu le mérites.
Sa sœur sourit chaleureusement, presque toute trace de formalité effacée de son visage. Mais elle se redressa bien vite et fit un salut militaire pour le remercier.
– Chers compagnons, dit-il en se tournant enfin vers nous, je vous présente ma petite sœur, Nyarla.
Letico nous présenta tour à tour en lui épargnant les détails. Il lui conta brièvement notre rencontre et nos aventures, et conclut sa tirade sur son engagement chez les Tendres. Sa sœur accueillit très bien la nouvelle, elle l’applaudit même, mais le réprimanda sur sa conduite avec le grimoire. Selon elle, il aurait dû le détruire. Une fois le débat engagé, les deux strigs furent intarissables de conversation. Ils commencèrent naturellement à marcher en direction de l’arbre, pour emboîter le pas aux derniers gardes et aller jusqu’au sommet.
Nous fûmes alors totalement oubliés, les deux strigs étant trop heureux de se retrouver après une séparation de durée indéterminée. Cette réunion de famille était réconfortante à contempler, j’en étais presque envieux.
***
Les marches du Conseil furent d’autant plus dures à monter que des dizaines de personnes lambinaient devant nous. Une fois enfin tous arrivés sur la place, seule une sélection d’élus fut autorisée à pénétrer dans la chambre, pour ne pas troubler la quiétude du lieu, a-t-on dit. Les conseillers s’étaient réunis en urgence au tintement du tocsin pour converser des mesures à prendre contre les bandits. Ils s’étaient attendus à un rapport de la Capitaine, mais pas à une foule enragée à gérer.
– Que signifie ce rassemblement ? s’échauffa Rita, la porte-parole, en toisant notre groupe du haut de son promontoire.
Les autres conseillers avaient à peine eu le temps de se dissimuler derrière leurs somptueux rideaux blancs quand nous étions entrés avec fracas à la suite de Nyarla et de ses gradés. La Capitaine ne se laissa pas affecter par la mauvaise humeur de Rita. La détermination qu’elle avait affichée plus tôt brûla à nouveau dans ses yeux. Elle expliqua au Conseil l’attaque, avec moult détails sur les dégâts et perte sustentées, notamment l’état du garde gravement blessé. Elle mit ingénieusement l’accent sur la nécessité stratégique de représailles rapides et puissantes, pour montrer aux bandits qu’ils n’avaient pas l’intention de se laisser faire. Elle insista également sur la fureur populaire, la volonté ambiante de vengeance, et conseilla au Conseil de ne pas tenter d’étouffer ce sentiment, mais plutôt de l’utiliser à leur avantage. En cas de tentative d’apaisement, on risquait la guerre civile.
Nyarla estimait que le peuple avait le droit à la justice : les bandits devaient être ramenés devant un tribunal et jugés pour leurs crimes. S’ils résistaient, ils devraient périr. Étant donné le risque grandissant qu’ils représentaient, aucune demi-mesure ne devait être prise. Les deux lieutenants et leurs sergents appuyèrent cette précision.
Rita l’écouta attentivement sans montrer de signe quelconque dans un sens ou dans l’autre. À la fin de sa tirade, elle consulta ses collègues du regard, mais le Conseil resta silencieux. Alors Rita parla alors en son propre nom :
– Capitaine, vous suggérez donc une attaque sur leur camp le plus proche, engageant une partie de la Garde d’Alderheart et des citoyens et citoyennes volontaires ?
– Oui, madame, valida Nyarla en claquant des talons. Demain aux premières heures.
Rita sembla soupeser le pour et le contre, sans l’aide de ses collègues. À croire qu’ils dormaient sur leurs sièges.
– Je me range de votre côté, déclara-t-elle finalement, au grand soulagement des soldats. La situation n’a que trop longtempsF duré. Si un camp a été établi à proximité, je vous charge de le détruire et de ramener un maximum de prisonniers. Malgré l’état de nos prisons et la violence dont les bandits ont récemment fait preuve, je ne souhaite pas voir la Garde et les citoyens volontaires participent à un massacre cautionné par la plus haute autorité d’Alderheart. Réservez leur un châtiment proportionné à leur crime, car les bandits font aussi partie du peuple, même s’ils ont perdu leur chemin. Gardez bien cela en tête quand vous les aborderez, Capitaine.
Nyarla hocha cérémonieusement la tête, satisfaite de la réponse apportée. La nuance apportée par Rita, sa retenue bien pensante, me surprirent. Venant de quelqu’un qui n’avait pas voulu offrir le gîte et le couvert à de nombreux réfugiés par principe de précaution et qu’il avait fallu convaincre d’apporter de l’aide aux petites villes de l’ouest, je m’étais attendu à un discours bien plus tranché, pour la mort des mécréants qui menaçaient la vie des Aldériens… Rita les voyait donc comme de vrais citoyens, et non pas des parasites ? À moins que tout cela ne soit qu’une question de réputation, des paroles en l’air… Il faudrait attendre la fin de la bataille pour pouvoir en juger avec certitude.
Autour, plusieurs soldats rirent dans leur cape, notamment un grand sergent vulpin à l’autre bout de la salle. Il semblait que quelque chose d’ironique avait été dit, à moins qu’ils ne partagent une sorte de code avec Rita ou Nyarla… Je l’ignorais, mais ces ricanements me firent froid dans le dos.
Pour conclure cette brève consultation, les deux plus hautes figures discutèrent entre elles des détails de l’opération, du nombre de troupes engagées, de la logistique de transport, des vivres, des armes… Il fut décidé que le sergent vulpin qui avait ricané plus tôt et son supérieur raptor dirigeraient les troupes, et que Nyarla et les autres divisions resteraient pour protéger la capitale, à la plus grande déception de Letico. Pour une raison qui m’était encore inconnue, Scott geignit à cette annonce.
Rita conclut en nous lançant un regard équivoque, avant de se détourner avec majesté et d’entrer dans l’ombre. Partant du principe que nous étions déjà engagés dans l’affaire, elle semblait s’attendre à des résultats de notre part. Le meurtre ou la merci, ça, je l’ignorais. Mais je n’avais pas l’intention de m’abaisser au vil acte du meurtre.
Annotations
Versions