Chapitre 26 : Représailles
Le camp des bandits, constitué de simples tentes de toiles et d’une tour de guet penchée, était enclavé entre les reliefs du paysage, protégé par un mur de rondins de bois au sud et au nord-est. Le groupe attaquant fut séparé en deux, Ismael menant le gros des troupes par sud et nous seuls par le nord. Avant même que nous n’atteignions notre position, les échos de la bataille commencèrent à monter dans l’air frais de la forêt. Quand nous dépassâmes finalement la barricade, nous fûmes accueillis par un groupe de cinq mapachs armés jusqu’aux dents. Dents qu’ils nous montraient, d’ailleurs, en vue de nous intimider.
Mes yeux repérèrent rapidement les différents éléments de l’environnement qui pourraient nous servir de couverture ou d’aide au combat, comme le feu de camp, par exemple. En face de cette entrée se trouvait aussi la tente principale, celle où devait se terrer le chef. Le battant en était pour l’instant fermé.
Les Messagers Ardents se mirent en position. Letico devant, avec son bouclier et sa fidèle citrouille, les mages et l’archer à l’arrière, le roublard et le barde au milieu, en attente des premières attaques. Elles ne se firent pas attendre, les mapachs se jetèrent sur nous la bave aux lèvres, leur soif de sang plus évidente encore que ma peur.
Letico les accueillit avec un cri de guerre. D’un seul grand coup, il blessa deux d’entre eux et en fit reculer un troisième. Les deux restants hésitèrent. Scott quitta le rang pour se cacher derrière la charrette à notre gauche et se préparer à attaquer le premier bandit qui aurait le malheur de passer à sa portée. Paul et Jéricho commencèrent à bombarder les plus éloignés de sorts offensifs, faisant crépiter feu, glace et électricité à mes oreilles. Motivé à ne pas laisser mes compagnons faire tout le boulot, je me munis d’une de mes toutes nouvelles dagues, maintins fermement le bout de manche entre deux doigts et tentai de la projeter sur l’un des plus éloignés. Si je parvenais à les éliminer à distance, je n’aurais pas à éprouver de nouveau la solidité de ma nouvelle armure.
Malheureusement, cette première tentative se conclut par un échec. La dague passa à une large distance du bandit qui la suivit du regard en ricanant. Il me mit au défi de réessayer. Rapidement, je m’équipai d’une seconde dague et la projetai similairement, un peu plus vers la gauche cette fois. Elle fila droit à une vitesse modérée, sans parvenir à traverser la distance et finit sa course dans le feu de camp… Avant qu’un sort raté de Jéricho ne vienne carrément le geler sur place. Le bandit rit de nouveau et mima une ligne sur sa gorge avec son pouce. J’avalai ma salive et me préparai à l’inévitable confrontation.
J’avais eu le malheur de m’être décalé de la protection de Letico une seconde de trop. Tandis que mon entière attention était focalisée devant moi, un bref sifflement suivi d’un bruit mat et d’un pic de douleur me mirent presque à terre. Un cri s’échappa de mon bec et l’incompréhension se peignit sur mon visage. J’observai l’origine de la chaleur qui envahissait mon corps et y trouvai une flèche plantée entre les deux parties de mon armure. Mon regard se porta vers sa provenance, selon la trajectoire la plus directe. L’occupant de la tour de guet réarma rapidement son arc. Par réflexe, je reculai à l’abri de notre paladin, position que je n’aurais jamais dû quitter ! La flèche se figea dans le sol près de nos pieds et le tireur se concentra ensuite sur d’autres cibles.
Nos ennemis directs s’étaient grandement rapprochés depuis le début du combat. Heureusement, ceux bataillant au premier rang avec Letico étaient déjà sur la verge de la défaite, du sang leur couvrant le visage. Une nouvelle preuve de l’efficacité de cette arme non-conventionnelle.
Mon adversaire personnel couvrit la distance qui nous séparait plus vite qu’une de mes dagues, me contraignant à m’équiper de l’épée courte que j’avais achetée plus tôt. Je n’avais aucune idée de comment m’en servir, mais rien que la tenir en main me donnait un peu de courage. L’autre main tenait la pointe de la flèche sur ma hanche, chaque mouvement était un supplice.
En cet instant, je regrettai l’absence du roublard qui aurait été bien meilleur pour ce genre de défense. Je bloquai comme je pus quelques coups du mapach avant que le bouclier de Letico ne nous sépare de nouveau. Cependant, le deuxième étant resté à l’arrière plus tôt parvint à se glisser derrière sa garde et à m’atteindre avec son épée. Il lui suffit d’une seconde d’inattention du strig pour qu’il cisaille par deux fois la chaire, des hanches jusqu’aux épaules. Plus que le cuir, j’eus l’impression que mon corps entier venait d’être tailladé et tombait en morceaux. Le sang inonda l’interstice entre ma peau et l’armure, me couvrant d’une dégradable sensation d’humidité. La douleur, fulgurante, vint après l’impact et fut aggravée par le sourire railleur du mapach. Mes jambes me lâchèrent et je m’effondrai lourdement sur le sol.
Non, pas encore… me dis-je piteusement avant de sombrer dans l’inconscience.
***
– Herran… Herran ! me hurla Paul dans les oreilles alors que j’ouvrais à peine les yeux.
Quoi… ? bougonnai-je en éloignant la potion de soin de mon visage.
– Ça va ?
Les deux entailles avaient été largement refermées. La flèche, en revanche, me dépassait encore du côté et m’élançait selon comment je bougeais.
« Parfois, je regrette tes questions idiotes, Paul… ». Mais je n’en dis rien et me contentai d’un hochement de tête.
Le vulpin m’avait tiré à l’abri de la charrette derrière laquelle Scott avait été caché un moment. Enfin, apparemment il était toujours là. Qu’est-ce qu’il attendait pour passer à l’attaque ? Que je me vide de mon sang ? Alors que Paul cherchait lui aussi le moment opportun pour sortir de notre couverture, je fis un bref état des lieux de nos forces.
Au fond, du côté de l’entrée sud, des cris de douleurs retentissaient à intervalles réguliers. Tantôt en provenance d’un camp, tantôt de l’autre. Parmi les figures les plus marquantes, on trouvait les roturiers qui avaient souhaité se joindre à nous et faisaient pale figure avec leurs fourches et leurs marteaux, par rapport à la Garde. En première ligne, il y avait le vicieux Ismael, qui fendait les rangs ennemis avec un plaisir non dissimulé et coursait les fuyards en ricanant. Un comportement couard et répugnant qui mettait en doute notre appartenance au groupe des « gentils ». Heureusement qu’il y avait Riffin pour contrebalancer. Le fier strig fut un atout majeur dans la conquête du camp. Il les pourfendait avec une facilité déconcertante, parait les flèches tirées de la tour de guet comme s’il avait ses deux yeux rivés dessus et repoussait les attaques venant du sol, tout en protégeant les paysans à ses côtés. Le chevalier n’achevait pas ses victimes, contrairement au sergent. Il se contentait de les assommer pour les mettre hors combat.
Une vive admiration pour ce vaillant héros éclaircit le brouillard de mes pensées, et c’est la tête plus claire que je me relevai, malgré la douleur et la peur, pour reprendre ma place dans la formation. Paul se demanda certainement d’où me venait cette soudaine motivation, mais me suivit sans sourciller.
Alors que nous étions sur le point de vaincre, le battant de la tente principale s’ouvrit à la volée, révélant la haute et fine silhouette de Fray, ainsi que celle plus menue d’une enfant jerbeenne couverte de cicatrices. Elle devait en avoir vécu, des malheurs…
– Encore vous ? fit Fray, dédaigneusement.
Avec tout le calme du monde, elle s’avança au milieu des corps de ses subalternes, dégaina sa rapière décorée de roses et se teint ferme sur ses appuis, un sourire joueur aux babines.
– J’aurais dû m’occuper de vous la première fois… !
Jéricho, irradiant de bonheur, s’avança négligemment jusque devant Letico pour s’amuser avec sa meilleure ennemie. Les deux dansèrent plusieurs minutes sans que l’un ne l’emporte sur l’autre. Le luma n’était doté que de sa magie et sa survie ne dépendait donc que de la distance qu’il était capable de mettre entre la lame et son corps sans armure, puisque mis à nu dans la nuit. Il s’en sortit très bien jusqu’à ce que la petite compagne de Fray ne s’en mêle et ne lui plante sans retenue sa dague entre les côtes.
Surpris, le luma se projeta inconsciemment en avant, se jetant de lui-même dans l’étreinte mortelle de son amie, qui n’hésita pas un instant à porter un coup quasiment fatal. Jéricho s’accrocha à la garde ornementée avec un regard oscillant entre déception et consternation.
– Ahah ! J’ai gagné, petit voleur ! Cette fois, tu ne pourras pas t’échapper. Dommage, j’aurais aimé jouer plus longtemps.
Fray retira son arme d’un coup et Jéricho s’étala sur la terre battue. La jeune jerbeenne s’éloigna de lui d’un bon fulgurant, avant de foncer droit sur nous à une vitesse incroyable. Un sillage lumineux accompagnait chacun de ses pas tandis qu’elle harcelait Letico de sa dague, nous permettant de déduire la nature magique de cet exploit. Cependant, cela ne suffit pas à empêcher le grand strig de l’attraper fermement par le poignet et de l’envoyer valser trois mètres plus loin, où Scott s’empressa de la rejoindre pour un duel en tête à tête : il avait trouvé son adversaire idéale !
Fray se retrouva face aux quatre Messagers restants seule. Elle fut bien en peine d’esquiver les coups de Letico tout en nous gardant à l’œil. Elle ignorait alors que Paul n’avait plus une once de magie à sa disposition, que Clem n’osait pas décocher une flèche par crainte de nous toucher et que j’avais trop mal pour le corps à corps et aucun sort offensif pour l’instant.
Il ne fallut pas longtemps pour mettre la vulpine à terre. Peu de temps après, Scott parvint également à mettre son adversaire hors d’état de nuire. Voyant leur cheffe vaincue, les bandits aux alentours commencèrent à fuir de manière désordonnée, tentant d’emporter avec eux le reste de leur butin. La plupart furent rattrapés par Ismael et ses hommes, mais une petite partie parvint à nous faire faux bond par la porte nord et se dirigèrent vers l’est, vers la Crête. Leur campement permanent devait se trouver là, au cœur des montagnes…
Quelle emmerde, me dis-je.
Les montagnes étaient un des environnements les plus impitoyables d’Humblewood, si on pouvait encore se considérer à Humblewood quand on quittait la forêt jusqu’à dépasser le plus grand arbre. Ostracisée à l’extrémité est d’Everden, la Crête était constamment balayée par un vent froid et maritimes. Domaine d’Altus, l’Amaranthine des tempêtes, elle abritait plusieurs dangereuses espèces de carnivores et de vieilles ruines, faisant la joie des archéologues et, visiblement, des bandits. Si nous devions menez le combat jusqu’aux bandits, nul doute que nous allions devoir mener une expédition là-bas…
Le brouhaha ambiant se calma peu à peu, jusqu’à ce qu’un cri de victoire retentisses glorieusement au sud, marquant la fin de l’assaut. Je me laissai alors tomber à terre, vidé de mes forces. Paul vint à ma rescousse, mais il n’y avait rien à faire. Tout allait bien, j’étais juste… épuisé.
J’étais parti d’Alderheart avec en tête la possibilité de ne pas revenir. J’avais frôlé la mort, encore une fois. La flèche plantée dans ma hanche et les entailles sur mon armure plus si neuve en étaient la preuve. La main du magicien dans mon dos m’assura cependant d’une chose : j’étais bel et bien en vie. Mon soulagement était immense. Je remerciai Clhuran pour la chance qu’il m’offrait de poursuivre ma quête.
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