V
Les mauvais rêves commencent quand le jour se lève. C'est une vérité singulière que Mathilde avait remarquée au cours de ses dernières semaines d'insomnie. Chaque lever du soleil perçant les rideaux fatigués de sa chambre apportait avec lui un indicible malaise, se manifestant en idées sombres et en scénarios menaçants Mathilde s'éveillait souvent, le cœur affolé, le souffle haché, devant une menace intangible qui s’amplifiait à mesure que le jour se levait. Chaque bruit du matin – le chant des oiseaux, le bourdonnement lointain de la ville qui s'éveille – semblait conspirer pour alimenter cet étrange malaise. Mathilde se leva, ses pieds nus rencontrant le sol froid avec une hésitation. Le miroir dans le coin de la pièce reflétait son expression tirée, ses yeux cernés témoins silencieux de ses nuits tourmentées. Elle se rendit dans la cuisine, espérant que le rituel familier d'une tasse de café pourrait chasser les brumes de son esprit. La journée promettait d'être ordinaire, mais pour Mathilde, même l'ordinaire avait pris des allures de défi. Les trajets quotidiens en métro, les réunions au bureau, les conversations banales avec des collègues avaient tous un goût d'irréalité, comme si son esprit flottait à une distance préoccupante de son corps. Ce matin-là, cependant, une chose paraissait différente. En buvant son café, elle remarqua un léger changement dans l'air – un parfum de lilas qu'elle n'arrivait pas à situer. Les lilas ne fleurissaient pas à cette période de l'année. Était-ce un vestige de ses rêves troublés ou une manifestation de quelque chose de plus concret ? C'est alors que la vision se matérialisa, et un frisson glacé descendit le long de l'échine de Mathilde tandis qu'une silhouette prenait forme devant elle, près de la fenêtre inondée par la lumière matinale. Pierre. Apparaissant avec une étrangeté perturbante, elle ne se serait jamais attendue à voir une réminiscence paraissant d'un autre âge. Son expression familière était accentuée par ses yeux écarquillés et ses lèvres mouvantes en silence, laissant la jeune femme perplexe face à des mots insaisissables. Le temps semblait suspendu, chaque instant s'étirant, alourdissant son cœur comme une horloge qui retient son souffle. Elle s'efforça de lire sur son visage, de comprendre le sens caché derrière ces mots muets. Pouvait-il s'agir d'une prière ? D'une mise en garde ? Puis, aussi vite qu'il était apparu, Pierre s’évanouit dans l’air, laissant Mathilde seule avec son café refroidi et le parfum de lilas qui s'intensifiait brièvement avant de disparaître, comme une brume chimérique dissipée par la lueur crue de la réalité du matin. Le silence étouffant remplit la salle, et Mathilde contempla l’espace désolé où l’apparition avait flotté, son esprit agité comme un papillon paniqué à la recherche d'une explication plausible à l'événement. Était-ce une vision fugace, un reflet de son inconscient, ou l'intrusion d'un mystère inextricable ? Déconcertée et troublée, elle hocha doucement la tête, tâtonnant pour agripper la solidité d'un jour émergent et imparfait.
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