Pothon d’Axance courait droit devant lui, des ronces, des branches giflant son visage, battant ses flancs, griffant son armure. Tout en avançant, il pensait à cette fichue jument. Il aurait dû se méfier lorsqu'il l'avait achetée, se douter au regard de son prix si bas qu'il y avait anguille sous roche ou plutôt poney sous crottin. Certes elle était grande, belle, robuste, en parfaite santé, mais il y avait un vice caché. Ce vice caché résidait dans son caractère. Un caractère de cochon dans un corps de cheval de guerre. Galopine avançait quand elle voulait avancer, courait après les lapins lorsqu'il venait à en passer un et cherchait à le foutre régulièrement par terre. Il se souvenait de la charge contre le monstre Krak'cptanakjtz. Elle s'était tout bonnement arrêtée en plein milieu pour brouter des pissenlits. Des pissenlits ! Si au moins cela avait été de l'herbe bien grasse. Même pas.

Justement à propos de cette fichue jument, la voici. Elle est au milieu d'une clairière et sautille autour d'un cochon. Le chevalier observa la scène avec dépit. Quel autre destrier aurait si peu d'amour-propre pour batifoler avec un porc ? Un truc qui fait groin-groin et se vautre dans la gadoue ! Pothon s'approcha à pas furtifs dans la mesure où l'on peut être furtif avec un casque, une cuirasse, des spalières, des tassette et un gorgerin, et justement, on ne le peut pas. Galopine tourna la tête, le vit et s'enfuit. Le cochon mécontent d'être ainsi privé de son compagnon de jeu grogna en direction de Pothon et déploya de larges et majestueuses ailes emplumées, car oui, le cochon avait des ailes.

— Qu'est-ce donc que cette diablerie, se dit le chevalier en tirant son épée.

Le cochon ailé décolla, survola Pothon et de sa queue classiquement tire-bouchonnée mais étonnamment longue, lui arracha son épée des mains, car oui, en plus d’ailes, le cochon avait une queue préhensile. Ne s'en laissant pas conter, Pothon se tourna et tira sa dague mais déjà le porc volant, ayant pris de l'altitude, largué l'épée au loin, revenait en piqué, le crâne penché à la manière d'un bélier. Le choc fut terrible. La cuirasse plia. Pothon eut le souffle coupé, fut déséquilibré et chuta. Le grouineur voltigeur resta au-dessus de lui, tandis que Pothon peinait à se relever à cause de son casque, sa cuirasse, ses spalières, etc., pas la peine de préciser. Il sentit un liquide chaud et odorant dégringoler sur lui. Le cochon ailé lui urinait dessus. Pothon fulmina. Le porc versa une dernière goutte et s'envola dans un grognement victorieux. C'est ainsi que se termina le combat du chevalier Pothon d'Axance contre le cochon ailé. Inutile de préciser qu'il n'entra pas dans les annales...