Plus jamais
— Où est ce que je suis ?
— Tu voulais qu’on monte un musée dans le bunker pour te rendre hommage et montrer la complexité de cet homme. Avec tes souvenirs, on te fais visiter. Tu peux refuser aussi.
Mon frère lui explique tout en m’aidant à descendre le fauteuil roulant. Six mois plus tard, elle n’arrive plus à se déplacer, mais parle un peu mieux. On est tout les trois ici et on a pris plaisir à imaginer ce qui peut lui rendre hommage avec l’aide d’Eva. Elle nous a d’ailleurs déposée pour faire quelques courses et reviendra dans moins de deux heures.
— Laissez-moi.
Elle s’avance un peu en touchant les murs verts avant de se lever. Elias s’avance :
— Elle ne va pas y arriver à faire toutes les pièces. Et puis, est-ce vraiment une bonne idée ?
Il me chuchote et je réfléchis. Le nombre de fois que cette question est venu sur le tapis.
— Maman voulait le faire. Aucune idée, en revanche si cela va marcher….
— Sa mort bouleversa le monde, des fans iront ici pour admirer sa vie. On va faire carton plein pour en plus un bénéfice positif. Chaque sous pour la recherche.
Son clin d’œil me rassure et on revient ici. Se sentant vite épuisée, elle se rassoit.
— Les enfants ? Expliquez-moi.
Elias la conduit pour l’emmener dans un premier temps, dans la salle de tir. Une partie est reconstitué sur la gauche avec quelques armes de notre grand-père. Le reste de la pièce comporte des panneaux sur sa vie, de sa naissance à maintenant. Au centre, dans une vitrine, est prévu quelque chose de spécial :
— Je me sens vieille, âgée de quatre-vingts ans…ma mémoire se reconnecte pour que tout soit lu par ceux qu’ils veulent. Je comprends où je suis et pourquoi il n’y a rien dans cette vitrine ?
— Justement maman, on pensé y placer ton dernier cœur. Histoire que les gens voient le premier prototype et seul exemplaire vu que les proches des anciens patients, ont refusés de donner les organes.
— Tu a le droit de refuser ou d’admettre des pistes d’améliorations pour le musée rajoute mon frère.
— J’ai confiance en vous pour cette salle. Et, j’accepte. Emmener moi dans le bureau et la chambre. J’ai souvenir d’une cuisine et d’autres pièces…
— On a fermé les trois chambres qui sert désormais de stockage. Le bureau n’a rien de spécial mais je peux comprendre que tu y tiens.
Elle m’écoute attentivement et on fait demi-tour. Depuis mon enfance, je ne suis jamais vraiment longtemps resté ici. Mon frère plus pour les anniversaires. Je préférais plus la maison avec la piscine. Sans doute, que ne pas voir la lumière m’angoissait….
Pour le bureau, on a laissé le mobilier d’origine. Questions de documents, on a improvisé avec un carnet fermé avec un stylo bien rangé ainsi que des papiers plus disposé en bazar. Un réveil est accolé à un ordinateur de contrôle.
— Il était les yeux de ma folie.
Pour la chambre, les sanitaires étaient déjà. En revanche, le reste provient d’une vente aux enchères d’un ancien Ephad, qui ne pouvait plus gérer leurs mobiliers vieillissants. C’est ici, qu’avec mon frère, on s’attend à tout types de réactions.
— Maman, tu vois toujours en boucle ta captivité ?
— Espé ! Quelle question !
— Bé quoi ! Il ne faut pas que…
— Je ne sens plus rien de sa présence dans ma tête et pourtant plus jamais. Plus jamais mes enfants, plus jamais. Le livre sortira quand ?
— Il ne reste plus que le titre.
— Elias, tu veux un titre ? Plus jamais.
— Plus jamais quoi ? Plus jamais de titre ? Il faut bien un nom pour…
— C’est plus jamais le titre Elias ! Cette fois, c’est toi qui est bête !
— Ho ça va toi !
On reste des grands enfants en se poussant par les épaules. Notre mère continue de fixer le lit :
— Il a reconstitué chez moi et un peu d’ici pendant mes premières épreuves de deuil. Sans doute que la salle de tir était plus grand pour représenter la maison. Ici, ça m’a l’air d’être la pièce des émotions, salle émotionnelle. Du vomis, des cris, des autos-punitions. Ho ! Mais oui, l’entre deux.
— L’entre deux ?
— Espé, membres oubliés, réveil, rendors-toi.
Parfois, elle communique par mot clés. Elias m’interroge en silence si j’ajoute quelque chose.
— Tu es donc d’accord pour que ce soit un musée à ta gloire ?
— C’est gentil de votre part. J’ai remarqué dans le couloir, des photos, des albums, des trophées…Merci mes enfants, je me rêvais à l’Opéra ou avec Upa Dance, je ne regrette absolument pas de vous avoir. Des naissances qui m’ont apaisées. J’en suis encore une fois, désolé, de partir volontairement. Désolé aussi, de vous avoir menti, entre déni et angoisse.
— Maman, arrête de t’excuser. Evidemment, ça nous brise le cœur que ce soit la vrai fin, mais tu as tellement fait pour les autres, pour toi, pour nous. On est une famille réunie et je sais que de là-haut, tu nous donnera des nouvelles. Une chance unique ce don.
— Ne me faite pas pleurer….
— Espé a raison.
On s’enlace en larme un long moment. Des talons aiguilles nous font sursauter :
— Pardon, je ne voulais pas interrompre ce moment.
— Eva, vient voir ta vieille amie.
Ma mère roule jusqu’à elle pour l’embarquer dans un autre câlin.
— Dis-moi pourquoi, je suis malade ? Les déchets ne peuvent atteindre mon cerveau, non ?
— Ta dernière chute couplée avec la dernière lutte avec lui, t’a vraiment atteint. Tu es en dépression ma poulette. Ce n’est pas drôle tu sais.
— Tu souris aussi. Non, mais, je pense que…tout ça est surréaliste. Avec ma famille et ma fille, je retrouve une connexion. Pourtant, tu te souviens quand on s’est retrouvé ? Ce moment où j’ai perdu les pédales en me coupant le doigt ?
— Parfaitement. J’aimerais plus jamais m’en rappeler….
— Ouai, pourtant, en appelant ma mère, je crois lui avoir dit que j’avais peur de ne plus rien entendre. J’étais tellement habitué à ces tourments, que je flippais du silence….
— Tu es angoissé ?
— Tu te souviens quand je t’avais demandé, ça fait quoi de mourir ?
— Une chute brutale, pas une douce mort.
— Après Espé, calme, en paix. J’angoisse ne plus me réveiller…je me sens comme dans un rêve flippant. C’est ma décision oui. Hors, aucune heure précise. Je veux donc, en terminer rapidement.
— Marta….
— Maison, chambre à part.
— D’accord, en route.
Je ferme les lieux pendant qu’ils remontent. De retour chez nous, Eva propose un jeu de carte qu’elle a acheté, ma mère refuse mais reste près de nous dans le salon.
— On a une chambre de libre ?
Elle nous coupe au bout d’une heure de jeu. Notre père arrive à ce moment là pour nous saluer et lui répond :
— Oui, quand Eva ou ta sœur dort ici, pourquoi ma chérie ?
— Mon sang manque d’oxygène, manque de force. Mon odeur ne doit pas empester notre chambre. Partir à vos côtés, c’est la meilleure chose à faire dans un endroit neutre. Installe-moi là-bas, le moment venu, je vous ferais signe de tous me rejoindre.
Elle s’en va et il hésite à la suivre. Je le pousse dans le dos pour l’encourager. Eva initie un autre mouvement pour qu’on l’aide. Dans sa nouvelle chambre, des photos de famille, des livres, des fleurs, l’accompagnent. Le soir, elle me demande de venir m’allonger à ses côtés.
— Ferme tes yeux, voyage avec moi.
— On va où ?
— Dans mon monde. Ces Dieux ne sont que personnages, ces endroits aussi. Seulement, moi, j’ai inventé, mon endroit apaisant.
«
Un désert, n’est ma définition d’une paix intérieur…Je suis plus plage. M’enfin, je la suis aussi longtemps que possible jusqu’à que le soleil se couche pour nous arrêter à une porte ancienne, creusé dans la roche.
— On est où ?
D’un simple geste, elle l’ouvre et je continue de la suivre intriguée. Elle allume des flammes et je reste bouchée bée devant :
— Mais pourquoi installée une salle de danse au milieu du désert ?!
— Le sable englouti le passé. Le soleil est une source d’énergie qui me guidera ici. Je n’ai pas la volonté de danser, hors crois-moi, quand je t’inviterais, on le fera. Je sais que tu en as toujours voulu, en faire avec moi plus qu’avec Adela. Bien, j’ai envie que tu rencontre mieux ton grand-père, et les deux sœurs. Mamie n’est pas en reste.
En un clin d’œil, on se retrouve au dîner, en Italie, dans la villa de Rosa que m’a si souvent décrite ma mère. Sur la terrasse, l’équipe du troisième âges assis et debout, Zok qui préside.
— La famille est essentielle. J’aurais aimé que ton frère suit ta trace, mais je peux compter sur toi, pour lui donner des nouvelles des anciens, de moi et de Zok.
Pleine de robustesse, elle s’installe aussi et m’invite à faire de même. Plus jamais, je ne couperais ce lien.
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