20 - Wlad
Et merde ! C’était mal embarqué. Une pluie diluvienne s’abattit brusquement, nous trempant instantanément : Poub’s, mon sac à dos et moi. J’abaissai la capuche de mon sweat en pure perte. Presqu’une heure d’attente déjà, sur cette portion de trottoir à la sortie de la ville, à tenir ma pancarte « Lyon ». Personne ne nous prendrait en stop maintenant, mouillés de la sorte.
Hier soir, le chantier avait pris fin à la tombée de la nuit. Il avait pris du retard et, arrivé à échéance, il fallait tenir les délais. Du coup, je n’avais pas pu partir comme prévu dès le vendredi soir où il est bien plus facile de faire de l’auto-stop. Je m’étais donc levé tôt ce samedi matin. Le train : trop cher avec Poub’s. Pas de covoiturage acceptant les animaux. Il me restait le choix entre le stop et partir en camion. Mais ce dernier n’était pas pratique dans les grandes villes où il était impossible de stationner, surtout chez Marco, qui m’hébergeait pour la nuit.
J’en étais résolu à opter pour cette dernière solution et retourner au parking où j’avais laissé mon fourgon, quand un camion de transport apparut au bout de la route. Une dernière chance, peut-être. Je tins ma pancarte en évidence et levai le pouce. Le camion ralentit imperceptiblement et me dépassa dans une grande gerbe d’eau. OK, je n’avais plus qu’à prendre mon propre véhicule pour aller rendre visite à Babcia. Je trouverais bien un parking en périphérie où le laisser pour le week-end.
C’est alors qu’une voiture blanche au logo de la ville se gara à quelques mètres derrière moi. J’hésitai. Seuls les routiers et quelques artisans m’avaient pris en stop jusqu’à présent avec mon chien. Etait-ce vraiment pour moi ? J’en doutais fortement. Mais la porte passager s’ouvrit en grand comme pour me contredire. J’attendis quelques secondes puis m’approchai à grands pas. Je me penchai par la portière ouverte.
« Alors, vous montez ? m’apostropha vivement la conductrice, apparemment seule dans le véhicule.
- Je veux bien, mais j’ai mon chien, dis-je en le désignant de la tête juste à mes côtés.
- Ah un chien… constata-t-elle embêtée.
Manifestement elle ne l’avait pas vu avant de s’arrêter.
- C’est pas grave. Je comprends avec toute cette pluie que…
- Ça ira s’il voyage dans le coffre ? m’interrompit-elle.
- Euh oui, il sait se tenir, répondis-je surpris qu’elle accepte. Vous allez bien sur Lyon ?
- Oui, oui. Alors, allez-y ! Dépêchez-vous ! Cette pluie est en train de tout mouiller.
J’installai rapidement Poub’s dans le coffre, mis mon sac à côté du sien sur la banquette arrière et m’assis à la place passager.
- Ceinture ! ordonna-t-elle, à peine fus-je installé.
- Pas de soucis. J’enlève ça avant.
Je me contorsionnai pour enlever mon pull avant de tout tremper et attachai ma ceinture.
Ma conductrice avait repris la route. Mouais, à cette vitesse, nous ne risquions pas beaucoup l’accident, elle conduisait comme une tortue. Et surtout les deux heures de trajet risquaient d'en prendre le double. L’horloge de bord indiquait 8h10. Avec un peu de chance, nous serions arrivés avant midi.
- Je dois avoir des mouchoirs dans mon sac si vous voulez vous sécher, proposa-t-elle plus hésitante qu’au début.
Elle commençait peut-être à douter de son choix de m’avoir pris en stop sous une pluie battante.
- Merci, j’ai ce qu’il faut dans mes affaires. »
Mes pieds étaient au sec dans mes boots, mon treillis sècherait vite, mon tee-shirt avait été relativement épargné. Je me penchai néanmoins vers l’arrière, farfouillai dans mon sac et attrapai une serviette pour me sécher les cheveux. Pendant que j’œuvrais, ma covoitureuse en profita pour s’incliner dans ma direction et récupérer subrepticement des Post-it de couleurs collés le long du tableau de bord. Peine perdue, la voiture fit un écart, faisant glapir la jeune femme et tomber ses bouts de papier à mes pieds.
« Attendez, je vais le faire », proposai-je en reprenant place et en me pliant en deux pour ramasser ses papiers. Anaïs Nin. Jacques Salomé. Que des citations. Je les lui rendis sans faire de commentaires, elle avait l’air suffisamment gênée. Elle me remercia du bout des lèvres et les rangea dans sa portière. Je finis de me sécher les cheveux en l’observant à la dérobée. Jeune femme brune de mon âge à mon avis, avec un look un peu bohémienne avec sa jupe longue, ses boucles d’oreilles créoles et sa natte compliquée qui retombait sur son épaule. Elle portait des lunettes qui lui donnait un air plus étudiante. Une fille très passe-partout, qui devait peu se faire remarquer mais qui laissait deviner un petit côté fantaisiste à bien observer. Je me demandais toujours ce qui l’avait poussé à me prendre en stop.
Les minutes s’égrainèrent silencieusement. Elle plus gênée que moi.
« Alors, vous faites du stop pour aller sur Lyon ? finit-elle par dire.
(Finement observé !)
- Oui.
- Avec votre chien ce n’est peut-être pas évident ?
- Non.
- Mais vous avez l’air d’avoir l’habitude… d’être sur la route ?
- Oui, on peut dire ça.
…
- Vous n’êtes pas un bavard, vous ?!
Et bien au moins, elle était directe.
- C’est vrai. J’ai plutôt l’habitude d’être seul.
- Ah bon, vous faites quoi dans la vie ? continua-t-elle de me questionner s’engouffrant dans la brèche.
Mince, une curieuse, elle n’allait pas me lâcher du trajet. En attendant, elle était sympa de me véhiculer, je pouvais peut-être faire un effort.
- Je travaille dans le BTP. Je conduis des engins sur les chantiers.
- Ah. C’est plutôt un travail d’équipe pourtant. Mais les journées doivent être éprouvantes, commenta-t-elle visiblement sincère.
- …
- Est-ce que vous allez me faire du mal ? demanda-t-elle soudainement changeant complètement de sujet.
Je la regardai ahuri. Qu’est-ce que c’était que cette question ? Cette fille était vraiment bizarre.
- Comment ça du mal ? répondis-je prudemment.
- Vous avez l’air plutôt …musclé, vous avez un chien énorme et vous travaillez sur des chantiers. Tout le monde sait que c’est plus facile pour dissimuler un corps. Alors si vous avez de mauvaises intentions, je ne risque pas de faire le poids, argumenta-t-elle apparemment sérieuse tout en continuant de regarder la route droit devant elle.
- Et c’est maintenant que vous vous posez la question ? m’exclamai-je, poursuivant cette conversation surréaliste.
- C’est maintenant que je VOUS la pose, oui ? Et mieux vaut tard que jamais, ajouta-t-elle comme pour se défendre.
- Non, je n’ai pas de mauvaises intentions, répondis-je après quelques secondes.
- Parfait ! sourit-elle en se détendant.
Et le silence se réinstalla. Cette fois, moi plus gêné qu’elle.
« Et ça vous suffit comme réponse ? ne pus-je m’empêcher de lui demander.
- Bien sûr, si vous me dîtes que vous n’êtes là que pour faire de l’auto-stop. C’est bien le cas ?
- Oui ! Mais je pourrais …
- Quoi, vous m’avez dit que vous n’aviez pas de mauvaises intentions, répliqua-t-elle.
- Non, mais c’est naïf de me croire sur parole, lui signifiai-je en m’emportant un peu et souhaitant réveiller en elle un quelconque instinct de survie.
- Et alors ! Ça s’appelle faire confiance aux gens, me défia-t-elle.
- Il n’y a pas que des gens bien intentionnés sur cette planète, soulignai-je.
- Je sais bien. Je suis peut-être naïve mais pas bête, se défendit-elle. De toute façon, cela ne changerait rien. Alors autant rester optimiste.
Quoi, elle allait me faire confiance, juste comme ça ! Je me sentis perturbé pour la première fois depuis longtemps.
- Vous pouvez attraper le Tupperware qui est à l’arrière s’il vous plaît, je n’ai pas réussi à déjeuner ce matin, changea-t-elle à nouveau de discussion me sortant de ma sidération.
La boîte était remplie de muffins odorants : pépites de chocolats, framboise, noix de coco, myrtille, banane, carotte ? Une vraie devanture de pâtisserie.
- Servez-vous largement, il y en a pour tout un régiment. Et si votre chien en veut aussi… proposa-t-elle.
- Merci, c’est gentil. Je lui ai donné à manger avant de partir et puis, j' voudrais pas qu’il salisse votre voiture. »
L’atmosphère se détendit enfin de nos deux côtés. Tout en savourant les différents gâteaux moelleux, je me calai confortablement dans le siège et l’écoutai raconter ses anecdotes. A croire que les pâtisseries l'avaient rendue bavarde. Sa chef qui l’envoyait en visite à la médiathèque de Lyon pour son travail. Ses déboires pour récupérer cette voiture de fonction le matin même. Ses heures de conduite et nombreux passages de permis rocambolesques. Son traumatisme un jour d’avoir écraser un pigeon suicidaire. Manifestement, elle avait quelque chose avec la conduite pour en parler autant. Je trouvais qu’elle conduisait pourtant bien, certes prudemment et très lentement.
Depuis la boîte à gants, le bruit d’un SMS arrivant sur un téléphone portable l’interrompit plusieurs fois dans sa narration. Elle préféra les ignorer, je ne fis pas de commentaires comme à mon habitude. Au bout du huitième message sa contrariété se manifesta plus visiblement.
« Vous voulez bien regarder ? demanda-t-elle.
- Quoi ?
- Mon téléphone. Dans la boîte à gants. Tous ces appels m’empêchent de me concentrer.
Je trouvai son portable et lui demandai si elle souhaitait que je l’éteigne.
- Non. Dites-moi plutôt ce qui est écrit, affirma-t-elle.
Décidément cette fille n’était pas banale. Et ne savait pas du tout se protéger ou me faisait confiance beaucoup trop facilement.
- Vous êtes sûre ?
- Oui. Je n’ai pas grand-chose à cacher. Et puis je conduis.
- D’accord, acquiesçai-je tout en allumant l’écran déverrouillé. Alors…
1er message : Rosalie vous dit qu’elle pense à vous pour cette journée.
2e : qu’elle pense surtout à vous pour le trajet.
3e : que Rémi se joint à elle pour penser à vous.
4e : qu’elle reste joignable si vous voulez l’appelez si besoin.
Elle a l’air un peu inquiète pour vous et pour votre trajet, commentai-je pour une fois, me tournant vers elle.
Ma conductrice leva les yeux au ciel en soupirant.
- C’est ma grande sœur.
- Protectrice ?
- Elle a ses raisons, répondit-elle énigmatique.
La suite semblait beaucoup plus délurée.
- Je vous lis textuellement, c’est un peu dur à résumer :
5e de Jul : Coucou frangipanier. J’espère que les muffins t’aideront à passer le cap. Souviens-toi, c’est aujourd’hui que le petit bourgeon fraîchement éclos se transforme en jolie fleur ! Pensées. :-)
L’évocation me rappelait la citation d’Anaïs Nin que j’avais entraperçue.
- Frangipane ? ne pus-je m’empêcher de l’appeler en souriant, ça lui allait bien.
- FrangipanIER, c’est une fleur, répondit-elle un peu agacée. Continuez !
- 6e toujours de Jul : Allez courage. Tu approches de la délivrance ma petite fougère patte de lapin.
7e : Non, je viens de regarder sur internet, elle est trop moche cette fougère pour te souhaiter bonne chance. Attends je trouve mieux…
8e : Dierama pulcherrimum = la canne à pêche des anges. Beaucoup plus approprié. T'inquiètes pas, tu n’es pas seule ma Lili.
Ding. Le 9e message venait d’arriver : Rosalie à nouveau qui demandait comment se passait le trajet.
- Bon, c’est bon, coupa-t-elle finalement embarrassée de me dévoiler un peu trop son intimité. Répondez-leur. Vous n’avez qu’à écrire : Merci pour votre soutien mais je conduis, j’ai besoin d’être concentrée. Je vous appelle en arrivant.
- Je signe Frangipane pour Jul, la taquinai-je.
- Non, vous n’avez qu’à mettre Cynorrhodon. Jul comprendra. C.Y.N.O…
- Je sais écrire Cynorrhodon. Ma grand-mère en faisait de la confiture. C’est du gratte-cul !
Je m’exécutai hilare et remis le portable où je l’avais pris.
- Vous souriez ?! Vous souriez, je vous vois, observa-t-elle mi-fâchée mi-amusée.
- Il a l’air marrant votre copain. La plupart de mes collègues appelle leur copine ‘bébé’ ou ‘chérie’. Vous c’est plus … poétique … fleuri…, me moquai-je gentiment.
- Ce n’est pas mon copain ! C’est ma copine ! s’énerva-t-elle.
- Comme vous voulez ! C’est quand même beaucoup plus drôle.
- Non, je veux dire, Jul, Julianne, c’est ma meilleure amie, expliqua-t-elle gênée que j’ai pu comprendre autre chose de leur relation.
Et nous passâmes un bon moment à rire des petits surnoms qu’on pouvait se donner dans un couple.
- Attention, me prévint-elle, me taquinant à son tour, vous commencez à être bavard. »
Annotations