26 - Yves (Jules)

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Pas trop tôt ! Ce fichu train arrivait enfin à quai. Je détestais perdre mon temps. Et poireauter presque vingt minutes pour récupérer les trois tornades qui revenaient de vacances d’avec leur père m’avait mis d’humeur massacrante. J’adorais Hélène et notre couple fonctionnait vraiment bien ; nous étions sur la même longueur d’onde : boulot, organisation, loisirs, achats, amis. Mais le lot bonus de ses trois rejetons… comment dire diplomatiquement : je m’en serais bien passé. Surtout depuis que nous avions emménagé ensemble, ils étaient là une semaine sur deux ! Hélène s’en occupait vraiment beaucoup et m’en demandait le moins possible. Je constatais bien ses efforts et en profitais pour travailler un maximum ces semaines-là. Je devais même avouer que les mômes étaient plutôt attachants dans leur genre, mais beaucoup trop épuisants. Comment les parents à temps plein faisaient-ils d’ailleurs pour survivre ?

Je terminai de consulter les dernières données statistiques du bureau sur mon Smartphone et le rangeai dans la poche interne de ma veste. Je découvris une auréole sur ma chemise. Merde, mon agacement m’avait fait transpirer et ce nouveau déodorant était loin de me convenir. Hélène s’agrippa à mon bras coupant court à mes réflexions hygiéniques.

« Merci de m’avoir accompagnée, me dit-elle, prêt pour une semaine de folie ?

- La semaine de folie, c’est celle qu’on vient de passer, lui susurrai-je, lui remémorant ces quelques jours aux Baléares en amoureux.

- Oh oui, un tout autre genre, approuva-t-elle.

Le pétillement de ses yeux me rassura. J’avais toujours des doutes nous concernant quand elle se retrouvait en présence de ses enfants…et de son Ex. En parlant du loup, je le vis s’approcher, dépassant la foule d’au moins une bonne tête. Il ressemblait à un sherpa avec tout son fourbis sur le dos : un énorme sac de randonneur d’où dépassait un cerf-volant, un autre plus petit en ventral, une guitare et le plus jeune de ses mômes sur les épaules, flanqué des deux autres de chaque côté. Pas du tout mon genre, mais ce type avait le don de me filer des complexes. Surtout à ce moment précis, le teint bronzé par leurs vacances au bord de l’océan et avec ses lunettes de soleil, il irradiait de décontraction et de charisme.

Le petit perché nous aperçut et nous désigna du doigt en criant « Y a maman et Jules-Yves ». Bonjour, la discrétion. Le viking s’évertuait à me baptiser Jules, comme si je n’étais qu’une passade auprès d’Hélène et je me faisais plaisir à lui rappeler son statut en l’appelant l’Ex. C’était de bonne guerre. Mais je dois dire que depuis ce début d’été, son attitude s’était considérablement modifiée. Lui qui semblait constamment pris par le temps, agacé et stressé, peut-être notre seul point commun, apparaissait de plus en plus détendu. Déjà, il avait arrêté de fumer et considérablement réduit sa dose de caféine dévoilant une fois de plus son mental d’acier, alors que je ne parvenais pas à passer sous la barre des six cafés journaliers. Et puis, il prenait un peu plus soin de lui, à sa façon. Disons qu’il se rasait plus souvent et avait fait couper ses cheveux. Ce qui m’inquiétait plus c’était le regard d’Hélène empli de souvenirs, quand il avait recommencé à jouer de la guitare. C’était elle qui l’avait quitté et j’avais bien senti que l’Ex ne s’était jamais vraiment remis de cette rupture. Sauf depuis ces deux derniers mois, où il paraissait tourner peu à peu la page, attirant ainsi l’attention d’Hélène à son insu, même si elle s’efforçait de prétendre le contraire.

Trois têtes blondes foncèrent droit sur nous dans un concert de cris et de paroles ininterrompues, chacun voulant raconter les glaces, les vagues, les coquillages, la pêche, les bateaux, les constructions en sable et que sais-je encore. Je tentai un tapotement amical sur chaque épaule enfantine pour ne pas être en reste, essayant d’identifier qui était qui.

« Hélène », l’Ex l’embrassa sur les deux joues puis se tourna vers moi, « Yves ». Je lui tendis la main la plus molle possible de peur de me faire broyer les os si je tentais une poignée plus virile. Je réalisai alors qu’il m’avait appelé par mon prénom. Une ruse ou un premier pas pour enterrer la hache de guerre ?

« C’est sympa d’être venu nous accueillir ici, commença-t-il, mais j’aurais pu accompagner les garçons jusqu’à votre appart.

- Non, y a pas de soucis, ça nous fait plaisir d’être là, répondit Hélène en passant un bras autour de ma taille pour m’inclure (quoi, je n’avais pas l’air débordant de joie ?). J’avais vraiment hâte de savoir comment s’étaient passées vos vacances.

Et blablabla, et les activités, les baignades, les progrès, les découvertes, les repas, le sommeil. Je suis sûr que quand leurs mômes étaient petits, ils passaient à la loupe le nombre de petits pois ingurgités et déféqués. Sérieux, les parents ne se rendaient pas compte que ça n’intéressait qu’eux ce genre de détails. J’en profitai pour glisser deux, trois allusions sur notre propre séjour aux Baléares et leur signifiai subtilement qu’il était peut-être temps de bouger de ce quai devenu désert.

Premier déplacement réussi jusqu’au hall central. La discussion dévia inévitablement sur la fameuse rentrée scolaire, l’organisation pour l’année prochaine. L’entrée au CP, pensez-vous donc, à les entendre c’était comme si leur progéniture entrait en hypokhâgne. Hélène ne tarissait plus, les gosses courraient partout et j’en avais marre de faire le planton. Contre toute attente, c’est l’Ex qui mit fin à la discussion « Ecoute Hélène, les garçons commencent à s’énerver et Yves a déjà suffisamment patienté. Il serait temps que vous rentriez, tu verras ils vont avoir plein de choses à te raconter. Et puis j’ai réfléchi, cette semaine je vais faire le point au garage, mais je pense que je vais embaucher mon apprenti. A trois, ça sera plus facile pour tourner. Du coup, je vais pouvoir changer un peu mon emploi du temps. Je vous propose de venir tous les deux prendre l’apéro à la maison vendredi prochain, on pourra reparler de tout ça tranquillement. D’accord, ça vous va ? Hey les gars, venez me dire au revoir » Alors là ! Il nous laissa comme deux ronds de flanc. L’Ex, qui parlait organisation et apéro, ensemble ?!

Pendant que nous rassemblions les bons sacs avec les bons garçons, Arnaud avait déjà quitté notre groupe pour se diriger vers la sortie ou plutôt vers le kiosque à journaux qui faisait l’angle du hall. Je le vis en pleine discussion avec une jeune femme, cheveux courts avec des mèches rouges, air mutin, manifestement de sa connaissance. La conversation ne s’éternisa pas mais eut l’air de le réjouir grandement. Hélène l’avait vu également et nous échangeâmes un questionnement muet. L’Ex passa finalement les portes automatiques au même moment que nous et prit une deuxième fois congé de ses gosses, nous rappelant sa proposition pour l’apéro. « On s’appelle ! » lança-t-il avant de bifurquer sur la gauche alors que nous prenions à droite pour rejoindre le parking.

Après avoir calé tout le monde dans le pick-up, nous pûmes enfin rentrer à la maison. « Hey ! y a papa qui joue de la guitare dehors, s’exclama Valentin collé à la fenêtre (ou Bastien, je confondais tout le temps les jumeaux si je n’avais pas pris de point de repère vestimentaire ; c’était plus facile à l’époque du plâtre) alors que nous passions juste devant le parvis de la gare.

- Où ça, où ça ? s’écrièrent les deux autres.

- Là, y a plein de monde avec lui, précisa le premier touchant la vitre d’un doigt sale.

- Il a l’air de connaître beaucoup de gens votre papa, notai-je à voix haute.

- Oh ben oui avec le garage, approuvèrent ses gosses.

- Et la dame dans le hall de la gare, il répare aussi sa voiture ? les interrogeai-je l’air de rien sous le regard désapprobateur d’Hélène.

- Celle avec les cheveux rouges ? demanda Sylvestre.

- Oui.

- Ah ben non, elle, c’est la dame des glaces !!! »

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