IV

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Une fois débarrassés de notre harnachement, on est repartis creuser.

Et notre tractopelle personnel a fait des merveilles. Sauf que, au bout de 4 heures, il n’avait remué que 9 autres mètres cubes, alors qu’en faisant une règle de trois on pourrait s’attendre à 12 mètres cubes pour 4 heures.

Bon, il faut lui pardonner, on a atteint la caillasse, en fait. Et puis, malgré ses prouesses physiques, ce n’est pas une machine. Il fatiguait, et l’idée de devoir sortir le marteau-piqueur, après 4 heures à charrier de la terre, a eu l’air de l’achever. On a eu pitié de lui et, dans le crépuscule un peu rapide du coin, on l’a aidé à préparer la machine, pour qu’il n’ait plus qu’à appuyer sur le bouton le lendemain matin.

J’avais beau être en forme, après une année sous le commandement du Lys de Sang, j’ai senti que je risquais de me réveiller tout courbatu. Un coup d’œil autour de moi m’a montré que je n’étais sans doute pas le seul. On traînait un peu la patte…

J’étais un peu assommé, comme dans du coton, quand je me suis glissé sous la douche. Par habitude, on s’était dessapés sous les arcades, laissant nos fringues terreuses en tas, sachant que Lin ou le Gros les apporteraient à la laverie. On a aligné nos bottes le long du mur et on est allés se doucher, les fesses – et autres – à l’air comme toujours, le Behemoth à la main. Après la chaleur de la journée, la terre qui nous collait à la peau, la transpiration, ça faisait du bien d’être à poil.

Et c’était encore meilleur de sentir l’eau chaude couler sur la peau, emportant avec elle la terre, la sueur, et les quelques contractures musculaires qu’on avait pu récolter à creuser. Avec la chaleur ambiante, c’était tentant de se doucher à l’eau froide, mais c’était le meilleur moyen de crisper nos muscles. Et puis, une douche chaude, c’est un putain de paradis, ici. Ce qui manquait, c’était un bassin, carrelé, pour tremper et se détendre.

J’ai pris énormément de plaisir à me décrasser, à sentir le gel douche plutôt que la sueur ou la terre. Le seul problème, c’était d’atteindre mon dos… Je me tortillais depuis un moment quand une voix m’a demandé si j’avais besoin d’aide. Complètement concentré sur la tâche qui consistait à me rendre propre, j’ai répondu oui et j’ai failli fondre, tout détendu, parce que non seulement les mains me frottaient le dos et me lavaient, mais en plus, j’ai eu droit à un massage complet du dos, des épaules à la taille…

- Holà, l’Archer, reste avec moi…

J’ai sursauté, me suis retourné à moitié, cherchant à échapper aux mains si talentueuses.

- Kris ?

- Oui. Que crains-tu, l’Archer ? Je sais me tenir.

Je me suis calmé, passé une main mouillée sur le visage.

- Excuse-moi, Kris, avec la fatigue, et le plaisir de la douche, je… j’ai beaucoup apprécié ton massage…

- Je vois ça, oui…

J’ai rougi pendant que Kris rigolait silencieusement.

- Vous êtes tous un peu dans cet état, l’Archer.

- Erk aussi ? Et d’ailleurs, pourquoi tu n’es pas à le chouchouter comme tu fais d’habitude ?

J’ai cru qu’il allait se vexer, mais il a juste eu un sourire attendri et s’est poussé, me laissant voir derrière lui Erk debout sous sa douche, complètement immobile. Le front appuyé sur le mur carrelé, les bras ballants, il laissait l’eau lui couler sur les épaules, ses cheveux, lâchés, ruisselant de chaque côté de son visage, gouttant sur le carrelage. Les yeux fermés, il semblait dormir.

- Il ne risque pas de se casser la gueule ?

- Il somnole, et il a bloqué ses genoux, comme les chevaux.

- Il va râler si tu le compares à un canasson !

- Ben…

Et Kris a eu un geste vers le bas-ventre de son frère, avec un air entendu.

- Oui, là, je veux bien. Mais bon, en ce moment, il a plutôt l’air d’un bœuf après une dure journée de labeur…

- Holà, pas de blagues là-dessus !

- Hein ?

Je n’ai pas compris, tout de suite. Puis Kris a fait le signe de couper quelque chose avec ses doigts en ciseaux et je me suis souvenu de la minuscule blessure faite par le chef des Fils de l’Enfer des Roumis à la virilité du Viking.

- Merde… Désolé. Ceci dit, je pense que tu devrais le réveiller, il va glisser. Je vais te chercher le tabouret.

Kris s’est retourné vers le géant qui, effectivement, commençait à glisser lentement sur la céramique mouillée. D’une petite tape sur la joue, il l’a réveillé et l’a aidé à s’asseoir sur le tabouret pour lui laver les cheveux.

- J’en connais un qui va faire un gros dodo, moi.

- Et tu veux me border avec un bisou, aussi, mère poule ?

- Tiens, tu te réveilles. T’as bien dormi, à la verticale ?

- Ça va. Faudra demander à Lin de changer les oreillers, par contre, ils sont un peu durs.

- C’est hilarant, frangin.

- Oui, je suis le roi du stand-up.

- Avec des histoires à dormir debout, a dit Kris avec un grand sourire.

Erk s’est passé la main sur le visage, paraissant – faussement – catastrophé par la blague idiote de son frère. Moi, je la trouvais plutôt bien vue, et surtout, une bonne répartie, jouant sur les deux situations. Pour les non-anglophones, stand-up, ça veut dire debout…

Bon, une fois tout le monde lavé et séché, on a enfilé des fringues propres, apportées par Baby Jane et Kitty. Quand on est sortis des douches, la petite Américaine était un peu rouge. Malgré ses presque huit mois chez nous, elle continue à rougir devant la nudité. Mais elle fait des progrès. Elle ne part plus en courant ni ne prend sa douche les yeux fermés.

Avaler quelque chose ce soir fut difficile, et pourtant, on crevait de faim.

Le lendemain matin, on est passés voir Bear à l’infirmerie. Il ressemblait encore un peu à un homard cuit, le pauvre, mais il avait l’air de moins souffrir.

Erk, avec l’accord de Doc et de Kris, lui a retiré ses pansements de gel pyrrho-sédatif et a regardé l’état général de sa peau, pour voir s’il pouvait faire quelque chose pour aider. Il a posé ses grands battoirs pâles sur la peau rougie du Suédois.

Le gel pyrrho-sédatif, dit PS pour aller plus vite, est le remplaçant du tulle gras, tout en étant nettement plus efficace. C’est un mélange savant de collagène, d’aloe vera, de je ne sais quoi encore – peut-être de l’acide hyaluronique –, et qui est déposé en couche fine sur un calicot, que l’on peut découper à la taille voulue. C’est extrêmement efficace sur les brûlures et, d’après Doc, ça peut rendre service sur les cicatrices, à condition que la blessure soit refermée et récente.

Retirant ses mains, Erk a secoué la tête.

- J’ai fait un diagnostic rapide, Bear, et je ne peux rien faire pour l’instant.

- Diagnostic ? Comment toi… tu as fait ?

- En te touchant, j’ai pu… sentir ton corps ? Non, plutôt écouter. Là, en ce moment, ta peau continue à refroidir. Donc je ne peux rien faire. Quand la brûlure sera complètement froide, peut-être ce soir, tu vas commencer à peler. C’est à ce moment-là que je pourrais t’aider à moins peler, à réparer plus vite.

- Pas si tu t’effondres encore, Erik, a dit Kris, très ferme.

- L’autre soir, c’est parce que…

Erk a rougi, baissant les yeux sur ses pieds.

- Qu’est-ce que tu as encore fait comme connerie, frangin ?

- Je… je me sentais coupable, alors j’ai voulu… effacer le coup de soleil…

- Coupable ?! Mais putain, Erik, on l’est tous, coupables, espèce de mule bornée…

- Mais, non, c’est parce que… la moto… en plein soleil…

- Erik, nom de…

Kris s’est tu, levant les yeux au ciel, et les mains, ne sachant plus quoi dire. Il s’est passé une main sur le visage, la tirant lentement vers le bas, comme s’il cherchait à s’arracher la peau du visage.

- Eiríkur, chacun d’entre nous aurait dû lui dire de remettre son tee-shirt. Lui-même…

Il s’est tu, parce que Bear a posé sa main sur son bras.

- Erk, je…

Bear avait l’air de chercher ses mots, et on l’a tous laissé faire.

- Je savais que le soleil était dangereux pour moi. Je… en Suède aussi j’ai eu des coups de soleil. Plus petits… Non, légers, pas petits. Et je sais que, ici, le soleil est plus fort. Mais je… j’avais trop chaud et concentré et j’ai oublié.

Il a regardé ses pieds.

- Je suis désolé, Erk. J’ai… déconné. Je te demande pardon. Tu n’aurais pas dû… tomber pour moi.

- Voilà, Erik, de la bouche des enfants. Et je te rappelle que tu m’as fait une promesse après l’attaque de nuit. Tu t’en souviens ?

Le géant a hoché la tête.

- Bien. Donc Bear est désolé et Erik ne recommencera pas. Maintenant, on va mettre du gel PS propre à Bear, il va se reposer et nous, on va aller démarrer le tractopelle.

- Il y a un tractopelle, ici ? Où ?

Kris a secoué la tête puis un sourire a commencé à se dessiner et il a brusquement éclaté de rire. On l’a suivi mais je vous avouerai que c’était sans aucun doute nerveux. Bear n’avait pas l’air de comprendre mais comme il n’avait pas participé au terrassement, c’était plutôt normal.

- Le tractopelle, c’est Erk, j’ai expliqué entre deux fous rires.

- Mais… non, c’est un… homme…

- C’était le cas quand j’ai regardé ce matin, ça, c’est sûr. C’est une blague que j’ai faite quand Lin m’a demandé de creuser. C’est le premier truc que j’ai trouvé à dire.

- Vous creusez quoi ? Enfin, vous creusez un trou, mais pourquoi ?

Et Kris lui a expliqué l’histoire de la mini pile atomique. Il a eu l’air fasciné. Ce que j’ai remarqué, moi, c’est que Bear avait fait beaucoup de progrès en français en peu de temps. J’imagine que l’un de nous a dû passer du temps avec lui.

- Et qui fera… underhållreparera… ?

- Les réparations ? Personne, j’espère, a dit l’Islandais.

- Non… avant ?

- Avant les réparations ? Oh, l’entretien ? La maintenance ? Quand on vérifie que tout va bien ?

- Oui, maintenance. Qui va faire la maintenance ?

- Jo, je pense. Pourquoi, tu voulais la faire ? C’est pas de la mécanique, tu sais.

- Je sais, mais ça intér… ça m’intéresse.

- Bear, ça ne sera pas possible, tu seras en patrouille avec nous.

- Dommage…

- Tu sais, p’tit frère, ça pourrait être bien qu’il apprenne quand même. Au cas où.

- Ouais, ben j’aime pas penser au cas où Bear sera l’expert…

Kris a secoué la tête, voulant sans doute chasser de vilaines pensées. Ouais, si Bear était notre seul expert, ça voulait dire que les choses étaient parties en couille, ici, à la base, où Jo restait à l’abri. Et qu’il ne serait sans doute pas la seule victime. Putain, il fallait que je pense à autre chose, je ne voulais pas envisager ce genre de trucs.

- Bon, on brûle du jour, là, comme dirait John Wayne, alors au boulot, le tractopelle, on a un trou à creuser. On s’occupera de la maintenance plus tard.

D’un seul coup, avec la remarque de Kris, je me sentais mal et j’avais besoin de bouger. J’ai été sec, en donnant cet ordre, mais personne n’a rien dit. Peut-être qu’ils voulaient, comme moi, ne pas penser à l’éventualité de la destruction de la base.

On a démarré le marteau-piqueur. Quand Sean disait qu’ils s’en servaient pour creuser dans le caillou pour agrandir leur base, je ne m’attendais pas à ce truc-là. Ce n’était pas un marteau-piqueur pour le sol, mais pour les parois. C’était un truc à porter à l’épaule, une sorte de pioche pneumatique. Une grosse perceuse, en fait. Mais autant c’était adapté aux parois verticales de la base des R&R, autant, pour creuser sous nos pieds, ça l’était un peu moins.

Le Viking a soulevé le merdier, l’a soupesé et a fait la grimace.

- Je crois que j’ai besoin de Jo, il a dit. Et du Gros, aussi.

Une fois les deux gars arrivés, Erk leur a montré la grosse perceuse et le caillou.

- Ouais. Pas adapté, la perceuse. Mais, Viking, je peux pas t’aider, là-dessus.

- Non, ce que je veux, c’est que, avec l’aide du Gros, tu me marques les endroits où je dois percer pour fragiliser la roche sans faire effondrer la base. J’avais pensé à des sapes. Des petites charges qui fracasseraient la roche, et il n’y aurait plus qu’à évacuer les gravats, et recommencer.

- OK, mais, Erk, pourquoi as-tu besoin de moi ? a demandé le Gros.

- Soit avec ta mémoire, soit avec des plans, des études géologiques, un survol satellite, même, je voudrais que tu nous dises si on risque, en sapant cette caillasse, de tout faire s’effondrer.

- Bon. J’ai quel délai ?

- Aussi vite que possible, mon pote.

Le Gros a filé vers le PC Ops.

- Erk, a dit Jo, en attendant, on peut creuser un puits au centre de la caillasse, ça sera toujours ça. Ce qui serait bien, ce serait de pouvoir dégager le caillou au max, mais sans aspirateur…

- Ouais, et avec le gégène qui calanche, on ne s’en serait pas servi de toute façon…

- Hmm. Et il est hors de question d’utiliser l’eau, on ne veut pas fragiliser… Ecoute, il me faut… Je reviens !

Et Jo a planté le Viking là.

- Bon, a fait Kris, on fait quoi, en attendant ?

- On fait rari, j’ai osé dire.

- Oh non… L’Archer, tu devrais avoir honte, a gémi le petit frère. Et en plus, tu as tout faux.

- Ah ? Je ne trouve pas, moi.

- Tu aurais dû dire qu’on fait bli…

- Ou gnasse…

- Tide ?

- Bon, ça suffit, vous deux, est intervenu le géant. On ne fait rien, et c’est tout.

- Mais, frangin, ça ne marche pas, rien. A la rigueur, on fait… Erik ?

- Oh, non, pitié…

Heureusement, notre florilège digne de l’Almanach Vermot fut arrêté par le retour de Jo, alourdi par une douzaine de fers à béton, un maillet et un marteau.

- Où as-tu trouvé des fers à béton, Jo ? j’ai demandé.

- Ce sont les restes des pieux des fossés. On va s’en servir pour sonder la pierre.

On a échangé des regards surpris, voire carrément étonnés. Jo a tendu un fer et le maillet à Erk et lui a demandé de le planter au milieu de son trou. Puis un autre, qu’il a planté à mi-chemin entre la paroi et le fer au milieu. Et un autre et… Bon, vous avez saisi, ils ont planté des fers en ovale autour du central.

- Très bien, a dit Jo en sortant un appareil de sa poche.

Il l’a installé sur le fer central et, les yeux rivés sur le cadran, a pointé un doigt sur le Viking. Il l’a raté d’au moins vingt centimètres.

- Erk, je veux que tu donnes un grand coup de marteau, pas de maillet, sur ce piquet.

- Je veux bien, mais comme j’aime pas mourir bête, j’aimerais que tu nous expliques.

- Euh, OK. L’appareil que je tiens est un dérivé du sismographe, en plus sensible. Il va réagir à tes coups de marteau si les deux piquets sont sur la même caillasse.

- S’il y a deux cailloux, ça pourra indiquer une faiblesse ?

- Oui. Il faudra y aller à la pioche…

- OK. Bon, Jo, si on a un seul caillou, et qu’on utilise tes sondages pour placer de toutes petites charges…

- Ça peut marcher si on a deux cailloux aussi.

- Je n’avais pas fini, mais c’est bon à savoir.

- Pardon, Erk.

- Donc, sondages, petites charges… On doit pouvoir creuser un puits, comme ça, non ?

- Oui.

- Bon, ben au boulot, alors.

Et Erk a frappé le premier piquet.

- Plus fort, Erk.

Il a frappé plus fort.

- Plus fort, Viking. C’est tout ce que tu as dans les bras ? Je suis sûr que Kitty frapperait plus fort que toi.

Jo était tellement concentré qu’il n’a pas réalisé que, un, il engueulait son supérieur et que, deux, ledit supérieur passait à la vitesse… supérieure en ce qui concernait la colère.

J’ai échangé un regard avec Kris, qui souriait mais gardait ses yeux fixés sur son géant de frère.

- Varlega, Eiríkur.

Erk a pris une grande inspiration et a donné un grand coup sur le fer, ce qui l’a enfoncé de dix centimètres. Complètement inconscient des émotions qu’il avait suscitées chez le géant, Jo a fixé son cadran, puis :

- Parfait. OK, il faut marquer ce fer.

Quenotte est parti chercher de la ficelle à rôti et en a noué un petit bout autour du piquet. Erk et Jo ont continué.

Tous les piquets sauf celui le plus éloigné des douches étaient sur le même caillou. Jo a voulu saper tout de suite, mais Erk a refusé.

- Non, Jo, je préfère faire appel au spécialiste de R&R, Ladislatz. Va donc demander au Gros de les appeler. Moi, je vais percer au milieu… Ou, mieux, je vais piocher.

Jo a obéi, on a aidé le Viking à retirer les piquets et il a pris la pioche et donné un grand coup au milieu, suivi de plusieurs autres, tous aussi puissants.

- Erik, ça va ? a demandé Kris, un peu inquiet.

- Oui ! C’est…juste… que… Jo… m’a…

Il s’est arrêté de taper entre deux mots.

- Jo m’a bien énervé. Donc je préfère que ce soit la caillasse qui prenne.

- Hmm… Fais attention à toi, quand même.

- Je demanderais à Alex de me faire un massage si je me fais mal.

Kris s’est à moitié étranglé de surprise et de colère. Erk lui a envoyé un sourire très particulier par-dessus son épaule. Un mélange de sarcasme, de taquinerie et quelque chose de beaucoup plus… intime ?

Je me suis demandé à quel point la remarque de Tito, sur le cœur déjà pris du Viking, avait-elle marqué le géant. Car ce petit regard, couplé à celui que j’ai reçu hier, plein de colère parce que je m’apprêtais à dévoiler qui occupait le cœur de géant… Erk commençait-il à le réaliser, ça ? Aucune idée. Mais ses actions montraient qu’il progressait. Témoin, ce tango presque érotique dansé au mariage de Katja… Témoin, ce bras passé autour de la taille de Kris quand nous nous remettions de notre mini Fort Alamo, assis sur le matelas dans la cour… Témoin, aussi, ce baiser sur le front après avoir lavé Kris du sang de ses victimes la nuit de l’attaque de la base…

Que se passait-il entre ces deux-là ? Allais-je être le témoin privilégié de leur histoire ? Il était évident, pour moi, que ces deux hommes s’aimaient d’un amour extrêmement puissant. Des âmes sœurs, avait dit Tito, et je pense qu’il avait tout à fait raison. Il était aussi évident, pour moi, que l’amour de Kris couvrait tout le spectre des Grecs classiques : eros, philios, agape. L’amour qui touche le corps, l’esprit, l’âme. Mais Erk ? L’esprit, oui, l’âme, oh oui, putain ! Mais le corps ? Le géant, si hétérosexuel, serait-il prêt à donner à son amour ce qu’il désirait ? Bon sang, ça allait rendre les choses intéressantes, par ici. J’espérais simplement que tout se résoudrait pour le bonheur de chacun, même si je savais que nous n’étions pas dans un conte de fées. Sans parler que nous étions dans un pays en guerre, quand même.

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