VI

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Tito a raccompagné Bear au mess, puis à leur chambre après le dîner.

Erik s’est fait engueulé par Lin, mais comme il faisait déjà sa punition, elle ne pouvait pas en rajouter.

- Au fait, hálfviti, les Suédois n’étaient pas des vikings. Mais plus souvent leurs proies. Revois tes cours d’histoire. Et évite de faire de notre Suédois ta proie, tu veux.

Mouché, le géant ! Il a regardé Lin avec de grands yeux presque étonnés. Puis il a hoché la tête et lui a fait son grand sourire. Elle a roulé des yeux, secoué la tête, soupiré un bon coup puis elle a murmuré : “Crétin” et lui a rendu son sourire.

On est sortis boire notre tisane dehors, assis en tailleur sur le sable de la cour. Devant moi, deux tasses couvertes attendaient sagement un Albanais et un Suédois. Ils nous ont rejoints un peu après, Tito est venu s’asseoir à mes côtés, l’air dans la lune. Je lui ai tendu sa tasse et il l’a prise par réflexe.

- Ben mon vieux, j’ai chuchoté, on dirait que tu marches à côté de tes pompes… C’est Bear qui te fait cet effet-là ?

A ma grande surprise, et ma très grande joie, il a hoché la tête. J’ai passé un bras autour de ses épaules, je l’ai serré contre moi et j’ai murmuré à son oreille :

- Il te plaît ?

- Oui, il a soupiré. Mais je ne sais pas si…

- Le plus amusant, Tito, ça va être de le découvrir.

- Mais si…

- Tito, il est comme toi, il aime les hommes.

J’ai vu des étoiles dans ses yeux… Et ce n’était pas que le reflet de la voûte céleste. Bon, je plaisante. Mais si vous aviez vu son sourire plein d’espoir.

Je n’ai rien dit d’autre, je voulais bien aider Cupidon, mais je n’allais pas lui mâcher le travail.

Le lendemain, on a de nouveau posé les petites sapes, fait exploser le caillou et Erk nous a passé les sacs pleins de gravats qu’il remplissait à la main avec des gants, cette fois-ci. Les autres patrouilles étaient reparties de leur côté, la patrouille de Frisé en Land au Nord, la patrouille de Mac à l’est à moto, les deux emportant leurs nouvelles recrues.

On dit la patrouille de Mac, maintenant, parce que même si Stig est bien caporal, comme elle, il a demandé à être relevé du commandement de ce peloton. Mac étant d’accord, elle en a fait son second. Ils s’entendent vachement bien, ces deux-là, et Lin ayant l’habitude de ne pas se mêler de quoi que ce soit tant que ça ne risque pas de dégénérer, elle a juste demandé au Gros de modifier le registre et basta.

Donc, notre patrouille, celle des frangins, était toujours à la base, puisque notre dernier homme était encore « alité ». Il a participé à la fabrication des petites sapes, qu’Erk consommait beaucoup, mais comme le disait Lin, il vaut mieux y aller à petits pas avec des explosifs.

Il a aussi aidé Jo à réparer le générateur. Bon, réparer n’est pas le mot, mais à eux deux, ils ont trouvé une bidouille pour augmenter sa durée de vie. Le petit a été dédié aux frigos, on a mangé froid pendant les trois jours qu’il nous a fallu pour finir de creuser le trou. Le gros générateur n’était allumé que pour faire chauffer l’eau des douches. Pour tout vous dire, on a même été privés de café chaud. Cook a sorti une grosse théière en fonte, il l’a peinte en noir, a mis dedans de l’eau et des sachets de thé noir, et l’a posée en plein soleil. Ça a donné un thé très amer, très fort et presque aussi efficace que le café. Mais franchement, le café m’a manqué, son thé n’était pas aussi bon…

Le caillou qu’on avait attaqué à la sape n’était pas la base du promontoire, mais un caillou à part, posé comme ça sur une couche de sédiments elle-même posée sur le roc du promontoire. Et quand, à 4m50 de profondeur, on est retombés sur de la terre, on était plutôt contents, et Erk a ressorti sa pelle-bêche.

Et au bout du troisième jour – et je vous laisse faire le parallèle biblique vous-même – Erk est sorti de son trou, terreux, suant, hilare. Il était content d’avoir fini.

Comme le trou faisait maintenant un peu plus de cinq mètres de profondeur, on lui a lancé une corde à nœuds et on l’a laissé se hisser. Il était moins fatigué que le premier jour où il avait évacué quelques 20 mètres cubes de terre en une journée.

Lin est venue inspecter le trou, Jo l’a mesuré avec un fil à plomb, pendant qu’Erk attendait le verdict. Parce que, oui, sa punition pour avoir poussé son Don trop loin, c’était de creuser un trou de cinq mètres de profondeur, pas de creuser pendant trois jours.

- Bon, hálfviti, tu as accompli ta punition. Et Bear est guéri. Donc demain matin, vous partez en patrouille, tous les dix. Maintenant, va te décrasser avec tes petits camarades et allez bouffer.

On a bien sûr obéi à cet ordre très bienvenu. Je trouvais Tito un peu triste, et ça me faisait chier, alors je l’ai pris à part après le dîner, mais il n’a rien dit. Je ne l’ai pas soumis à un interrogatoire digne de l’Inquisition, et quand j’ai vu qu’il risquait de se braquer, j’ai juste passé un bras autour de ses épaules et je l’ai serré contre moi, sans rien dire. Je voulais savoir où il en était avec Bear, si mon plan diabolique avait fonctionné, mais il était muet. Alors je l’ai juste réconforté.

Il m’a quitté pour aller tartiner le Suédois une dernière fois. Bon sang, j’espérais que Bear allait se décider, sinon j’étais prêt à les prendre tous les deux par le colback et à les secouer comme des pruniers.

La nuit était tombée, le ciel était dégagé, il faisait bon, alors beaucoup d’entre nous étaient assis sous les arcades ou dans la cour pour finir la tisane ou profiter de la fraîcheur avant d’aller se coucher. Les lumières inutiles étaient éteintes et on voyait la Voie Lactée.

Lin est venue s’asseoir à côté de moi, j’ai passé un bras autour de sa taille, elle n’a pas protesté. On était bien, tous les deux. Les frangins étaient un peu plus loin, Kris appuyé contre Erk, qui pointait du doigt les constellations. J’entendais le grondement sourd du baryton du géant, sans comprendre les mots. Kitty et Baby Jane étaient de l’autre côté du Viking, écoutant et, à côté de Kris, JD, Yaka et Quenotte semblaient apprécier la leçon d’astronomie.

On voyait très bien Vega de la Lyre, et Altaïr de l’Aigle, Aldébaran du Taureau, le W un peu tordu de Cassiopée. C’était un vrai plaisir de voir ces étoiles sans pollution lumineuse. Je me suis un peu perdu dans ma contemplation.

J’avais le nez en l’air quand Lin m’a chuchoté : « Ils sont sortis. » J’ai à peine tourné le visage et j’ai vu sortir de leur carrée Tito et Bear.

Ils allèrent s’asseoir côte à côte au pied du mât, en silence, les yeux levés vers les étoiles. Bear a dit quelque chose, très bas, Tito a souri, Bear a gloussé et j’ai senti que l’Univers retenait sa respiration, en attente de quelque chose.

Un coup d’œil rapide à ma patrouille m’a montré que Kris, toujours appuyé sur Erk, avait les yeux rivés sur Tito. Les auditeurs du géant étaient silencieux, leur attention tournée vers leurs deux camarades de patrouille.

J’ai reporté mon attention sur mon p’tit pote juste à temps pour le voir poser une main sur la joue du Suédois et un baiser sur ses lèvres.

J’ai retenu ma respiration et j’ai su que je n’étais pas le seul.

Bear s’est reculé légèrement, les épaules de Tito se sont affaissées et mon cœur s’est morcelé. Merde !

A côté de moi, Lin s’est affaissée aussi.

Tito s’est levé, tournant le dos à l’homme qu’il avait embrassé. Bear s’est mis debout, lui aussi, posant ensuite sa main sur le bras de Tito, le retournant vers lui.

- Hé, Tito, a dit Bear, que se passe-t-il ?

- Je… il a begayé. Je ne voulais pas faire ça. Je suis désolé, j’ai mal interpr…

Leurs voix étaient claires et intelligibles, parce que tous les présents étaient suspendus à leurs lèvres, pour savoir ce qui allait se passer.

- J’allais dire que je ne pense pas que ce soit le meilleur endroit pour notre premier baiser. Tu ne crois pas ?

J’ai vu Tito tourner la tête, ses yeux croiser les miens et j’ai souri, très satisfait de moi. Il m’a rendu mon sourire, s’est tourné vers Bear et l’a pris dans ses bras pour lui rouler une pelle, le penchant en arrière comme dans les films hollywoodiens.

- Rien à foutre, il a dit après. Rien à foutre, Bear. Qu’ils nous voient. Qu’ils nous voient heureux !

C’était la bonne attitude et je me suis détendu.

Lin a poussé un petit soupir, Kris s’est détendu, Erk avait l’air plutôt content, et Kitty arborait un grand sourire.

C’est Yaka qui a brisé l’instant en venant lécher la main du Suédois, rejointe par le reste de la patrouille.

Lin s’est levée, je l’ai suivie.

- Bear, contente de voir que tu vas beaucoup mieux, elle a dit, et elle a eu un haussement de sourcil particulièrement moqueur.

Il a gloussé et rougi un peu.

- Bon, vous partez demain matin, dès que vous êtes prêts. Vous allez éviter le territoire de Durrani, donc vous allez faire des patrouilles à l’est, sur l’ancien territoire des FER. Je vais vous demander de vérifier que le Vioque a respecté les frontières. Si, par hasard, vous deviez entrer chez le Vioque, et qu’on vous voyait, soyez polis et courtois. Ça devrait aller à peu près, puisqu’il nous tolère. Mais ne créons pas de casus belli. Bonne nuit les gars et à demain.

On n’a pas fait long feu. « Dès que vous êtes prêts », ça veut dire le plus tôt possible, sans lambiner. Donc demain, lever habituel à 6h, douches, petit-déj, vérification des paquetages, collecte des rations et des munitions et en route mauvaise troupe. D’ailleurs, depuis notre mini Fort Alamo, on emporte deux fois plus de munitions. On se demande bien pourquoi, tiens.

Avant d’aller me coucher, je suis resté un peu avec Lin sous les étoiles.

- Je suis contente que ce problème-là soit réglé, Tugdual. Cette tension entre Erik et Tito devenait pénible.

- Tension ? A part éviter Erk, Tito n’a rien fait de particulièrement… tendu.

- Je me suis mal exprimée. Il y avait chez Tito une tension sexuelle et émotionnelle intense, qui est assez compréhensible puisqu’il côtoie jour et nuit, ou presque, l’homme dont il est amoureux mais qui ne peut le lui rendre.

- Là, oui, en effet. Mais Erk ?

- Chez Erik, c’était émotionnel, et presque pire.

- Pourquoi pire ?

- Je vais être crue. Tu sais que mon odorat est très développé ? Je pouvais sentir les phéromones dégagées par Tito chaque fois que vous étiez ici. Et je pouvais aussi sentir quand il s’était branlé. Généralement, ces jours-là, la tension sexuelle était moins présente, ce qui est normal.

- Jusque là, je te suis.

- La tension émotionnelle chez Erik ne pouvait s’arrêter, ou s’atténuer, que si son attention était détournée. Par Kris, mais là aussi il y a une tension, par Yaka, etc.

- Attends, je veux bien que la tension, l’excitation sexuelle, ait une odeur, mais… émotionnelle ?

- Non, mais c’est parce que je connais plutôt bien les garçons. Quand il est tendu, Erik a une façon de se tenir légèrement différente. C’est subtil mais je l’ai suffisamment vu tendu ou détendu pour voir la différence. Quant à savoir que c’est émotionnel, ce n’est pas très difficile, il ne connaît pas la tension sexuelle.

- Vraiment ? Comment…

- Je n’en sais trop rien, mais… J’imagine que comme tous les jeunes hommes il est en forme le matin, et il y a cette allergie à la morphine, mais je ne l’ai jamais vu y succomber. Je sais que Kris a une libido très active, mais celle d’Erik est… pas inexistante, il a une activité sexuelle très saine, c’est juste que ça n’a pas l’air de le toucher. Comme s’il en avait un très bon contrôle, tu vois ? Mais ses émotions, c’est franchement autre chose.

- Le berserker…

- Entre autres. Dis-moi, comment a-t-il réagi après le village ?

- Il était concentré sur Tito mais quand Kris a fait son rapport et qu’Erk a appris le sort des femmes et des jeunes, il s’est éloigné pour pleurer.

- Voilà. Tu vois.

- Il a pleuré aussi, juste des larmes silencieuses, quand Tito lui a avoué son amour. Et tu sais pourquoi ? Parce qu’il ne pouvait pas le lui rendre !

- Voilà. Tu comprends pourquoi c’est pire. C’est pour ça que, pour le punir d’avoir poussé trop loin son Don, je l’ai mis à creuser. Il était trop fatigué pour penser à tout ça. Et maintenant, si ça se passe bien entre Tito et Bear, il devrait être moins tendu. S’il voit Tito heureux, il se sentira moins obligé de le rendre heureux.

- Je comprends. C’est étonnant que sept ans de métier et les morts qu’il a sur la conscience ne l’aient pas changé.

- Ça me convient. Il me rappelle que l’Humanité vaut la peine qu’on se batte pour elle, puisque lui l’aime.

Je l’ai regardée.

- Quoi ?

- Rien. Je trouve cette déclaration très touchante. Surtout venant d’une badass comme toi.

Et je me suis écarté à toute vitesse en ricanant, mais je n’ai pas été assez rapide. Elle m’a attrapé, m’a collé contre le mur de son bureau et m’a embrassé presque violemment.

- Si tu ne partais pas demain tôt, je te montrerai à quel point je suis badass, mon petit Tugdual.

- Il ne tient qu’à toi de retarder notre départ, Captain.

- Pas pour ton joli cul, Breton. Allez, file.

Elle a posé un petit baiser sur mon nez et m’a laissé en plan.

Bon, au lit, mon gars, demain, tu pars en patrouille.

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