XV
Le soir, Alpha se traînait aux pieds du géant et lui demandait pardon. Et Erk pardonne toujours. Donc il a accepté les excuses du chien, lui a caressé le ventre puis la tête, l’a gratté derrière les oreilles.
- Je sens meilleur, maintenant, Alpha ?
Le chien-loup a couiné et lui a collé son nez dans l’entrejambe. Erk s’est immobilisé, le temps de le laisser faire. Alpha a reculé, a fixé le géant et a éternué.
- Je te remercie, mon pote, a répondu le Viking d’un ton ironique. Ça fait toujours plaisir de se voir apprécié.
- En voilà un qui est insensible à ton charme, Viking.
- Très drôle, l’Archer. Tu aimes tant que ça faire la lessive ?
- Va falloir que tu te renouvelles, Erk.
- Je vais y réfléchir, en effet. Mais tu ne perds rien pour attendre, il a ajouté avec un sourire carnassier.
Je savais que je serai sans doute le premier à tester la nouvelle punition d’Erk, mais j’étais content de le voir sourire, même si c’était à mes dépens.
La journée du lendemain s’est gentiment passée, à nettoyer le mess, à aider Cook, sa femme et notre petit mitron… En fin d’après-midi, Cook ayant décidé de faire de la sauce bolognaise pour le dîner, on a fini couverts de rouge bien tenace. Parce qu’Erk a voulu soulever une gamelle et qu’avec seulement deux doigts, elle lui a glissé des mains et … ça a jailli vers le haut quand la gamelle a touché le sol. Cook, Ketchup et Moutarde étaient dans la salle, prenant un café avec Baby Jane et Kitty pendant que nous, les hommes de la patrouille, essayions de prouver que les hommes aussi savaient faire la cuisine. Ce qui est débile, puisque notre cuistot était un homme. Mais nous avions quelque chose à prouver, ou le besoin de nous dépenser, ou de… je ne sais pas trop, mais on était pénibles et on a pris des risques. Surtout Erk, en soulevant cette gamelle. Il avait la force de la porter, même avec deux doigts. Mais malgré ses grandes mains, il n’a pas pu la tenir comme il faut et elle a glissé.
- Skítt, il a dit quand elle a glissé.
- Merde, j’ai dit quand elle a touché le sol.
- Skítt, a dit Kris quand la sauce a jailli vers le haut, nous arrosant nous et le plafond.
- Shit, a dit Cook quand il a passé la tête par la porte pour voir les dégâts.
- Double shit, a dit Ketchup, juste derrière lui. Serpillères, seau, produits, balais sont dans le placard. Au boulot. Et quand ce sera si propre qu’on pourra manger par terre, vous irez vous faire engueuler par Lin.
On avait tous l’air très penaud et on s’est vite mis au boulot. A un moment, Ketchup a passé la tête par la porte.
- Et pensez à nettoyer sous les tables, les placards et tout.
On a tous fixé le géant d’un regard peu amène. Il a répondu avec un de ses grands sourires et on n’a pas pu s’empêcher de sourire en retour. P’tit con.
Bon, on était tous un peu coupables, parce qu’aucun d’entre nous n’avait eu l’intelligence de proposer de l’aide au Viking.
Après une bonne heure à nettoyer, on a demandé à Tito de nous dire si le dessous des meubles, des tables, était propre. C’était le cas, alors on a appelé Ketchup pour inspection. Et comme elle avait décidé de nous faire tourner en bourrique, elle a pris des gants blancs et elle les a enfilés avec un sourire ironique. Mais son inspection n’a rien trouvé et elle nous a envoyés nous faire remonter les bretelles par Lin.
Elle nous a regardés, constellés de rouge comme des victimes d’un accident.
- J’imagine que vous avez nettoyé vos conneries.
On a hoché la tête, tous ensemble, comme si on avait répété.
- Je ne sais pas ce qui vous a pris, mais ne recommencez pas. Et je vais réfléchir à une punition. Je vous dirai laquelle demain. Maintenant, à la douche.
Et elle avait un petit sourire en disant ça, mais j’étais tellement content de m’en tirer à si bon compte que je n’y ai pas prêté attention.
En allant aux douches, on s’est demandé quelle serait notre punition. On a échafaudé plein de théories diverses et variées en se déshabillant. Et bien sûr, l’anticipation a augmenté notre inquiétude quant à la fameuse punition.
Une fois propres et rhabillés, nos fringues mises à tremper, on s’est retrouvés au mess et on a mis le couvert. Sans s’approcher de la cuisine et en interdisant à Erk de porter quoi que ce soit.
On a eu des spaghettis carbonara, puisque la bolognaise avait fini collée au plafond. Ketchup ne s’est pas privée de nous foutre la honte devant le reste de la Compagnie, et ce soir, ça faisait beaucoup de monde, puisque tout le monde était là.
Ketchup, encore elle, nous a mis à la plonge, avec des gants, a-t-elle insisté, ne nous permettant pas de toucher l’eau savonneuse si on n’en portait pas. Sauf Erk, bien sûr. Elle ne voulait pas risquer sa vaisselle. A Erk elle a confié les couverts en inox, qui ne craignaient rien. Il a réussi à n’en faire tomber aucun.
Pendant ce temps, les autres sortaient, mugs de tisane et chocolat en main.
Une fois la vaisselle propre et rangée, Ketchup nous a libérés.
Le Gros nous a regardés arriver, les mains sur les hanches.
- Franchement, qu’est-ce qui vous a pris ? C’était franchement débile. Ah, vous n’êtes pas des lumières, les mecs.
On commençait à se vexer un peu quand :
- Tu trouves, le Gros ? Moi, je les trouve…
Les lumières de la cour se sont éteintes.
- Brillants !
Un halo verdâtre entourait nos visages, nos mains… toute parcelle de peau non couverte. Erk a soulevé son tee-shirt et son ventre brillait aussi, encore plus que d’habitude. Avec un bel ensemble, nos camarades ont sifflé, admiratifs. Erk a rougi (décidément, tous ceux qui ne sont pas au courant de notre concours de patrouille arrivent à le faire rougir et pas nous…).
Faut dire que le phénix se détachait en blanc sur le verdâtre de sa peau, éclairant ses abdos bien dessinés...
- Oh, merde… a dit Quenotte, la voix tremblante. Oh merde… les douches atomiques…
- Mais non, c’est de la luciférase, a dit Kris.
Et on s’est immédiatement tournés vers lui, le transperçant de nos regards accusateurs.
- Oh, ce n’est pas parce que je connais le nom de l’enzyme qui brille dans le noir que je suis coupable.
- Pourtant, c’est tout à fait ton genre de blagues, Kris.
- Pas celle-là, bróðir.
- Hmm. Tu as raison, pour celle-là, il faut avoir quelques notions de chimie, n’est-ce pas, Lin ?
Elle avait un sourire satisfait, notre capitaine. Très satisfait.
- Elle est bonne, Lin, très bonne, a dit Kris.
- Merci, litla min. Mais ce n’est pas votre punition, malgré la trouille de Quenotte. Ça partira au lavage. Ou pas.
- Attends, comment veux-tu que ça parte au lavage si c’est la douche qui nous a colorés ?
- Je vous laisse trouver la réponse car, je l’espère, vous êtes assez malins pour ça.
- Merci du vote de confiance Lin.
- Allez, venez boire votre tisane, les vers luisants, a dit Ketchup, hilare.
- Erk, c’est pas un ver luisant, a dit Frisé d’un ton catégorique.
- Ah non ? a demandé Tondu, d’un air faussement innocent.
C’est là que j’ai compris qu’on était victimes d’une blague organisée, planifiée de longue date.
- Non, Erk, c’est le géant vert.
Ledit géant a soupiré.
- Eh, Jo, toi le mécanicien, combien de mercenaires à pied faut-il pour changer une ampoule ?
- Aucun, ils brillent dans le noir.
- Elle est moyenne, celle-là, je trouve, a dit Tito.
- Tu peux trouver mieux, peut-être ?
- Pas pour le moment.
Ce qui était étrange, ce soir-là, c’est que personne n’avait rallumé les loupiotes. Comme d’habitude, on prenait notre tisane à la lumière des étoiles (c’est poétique, yes, je sais). Mais ce soir-là, il y avait sept étoiles vertes de faible magnitude au sol. Ouais, les vers luisants, c’était bien trouvé.
- Hé, Tito, a demandé Frisé, qu’est qui est petit, qui brille dans le noir et qu’on n’entend pas arriver ?
- Mon poing da…
- Tito ! a dit Erk, ce n’est qu’une blague… et c’est vrai que tu es très silencieux. C’est plutôt un compliment, je trouve.
- Eh bien, pas moi, Erk !
Il est parti à grands pas, laissant Erk tout surpris et Bear hésitant, jusqu’à ce que Kris lui dise d’aller le rejoindre pour lui éviter de faire une bêtise.
C’était un moment sympa, malgré la bouderie de Tito. Un de ces moments qui nous font oublier l’endroit où on se trouve.
Lin nous a laissé phosphorescents jusqu’au lendemain soir. C’était un peu gênant pour dormir, faut avouer. Mais ce qui nous empêché de dormir, c’était qu’on ne savait pas quelle punition Lin nous réservait. Pour moi, il y en avait une en plus, c’est que j’ai dû dormir dans ma carrée avec mes co-turnes officiers, et non dans les bras de mon capitaine préféré.
On a donc découvert notre punition le lendemain au petit déjeuner.
- Bon, les idiots, voici votre punition. Elle est double. Premier volet : vous ne pourrez vous laver que juste avant de vous coucher, histoire de rester de brillants garçons encore un bon moment. Ça nous changera. Et si vous vous salissez, tant pis pour vous. Deuxième volet, vous serez de garde, en sentinelle, de 23h à 3h, tous les sept.
- Donc on cessera de briller à 3h, si j’ai bien compris ? C’est pas un peu dangereux, pour nous, d’être aussi… visibles ?
- Considérez ceci comme un exercice. Vous êtes en territoire ennemi, les conditions ne sont pas optimales et vous avez quelque chose sur vous qui vous rend facilement décelables. A vous de trouver comment équilibrer vos chances. Vous êtes, normalement, assez malins pour trouver. Et vous avez toute la base à votre disposition, à part les douches et le savon.
On s’y est mis à sept, les filles ayant refusé de nous aider. Sauf si on n’avait toujours pas trouvé avant le dîner. Mais on a vite trouvé. Nos cheveux, visage, cou et mains brillaient. Le reste aussi, mais était caché par nos fringues. Erk a eu l’idée d’utiliser nos chèches pour cacher nos cheveux et nos visages au maximum. Cette idée toute simple nous a fait sortir les gants pour nos mains et, nous équipant au max, nous nous sommes installés dans la chambre des frères, porte fermée et sans lumière, pour voir si le tissu était efficace.
Première constatation, après une bonne quinzaine de minutes à attendre dans le noir que nos yeux s’accommodent, c’est que le henley ne suffisait pas à arrêter la phosphorescence. Erk a enfilé son pull, glissant le trop-plein du chèche dans le col.
- Ça va, comme ça ?
- Remets tes gants, frangin. Mmm, pas mal. Faudra trouver un truc pour cacher ce qui reste de peau.
- Du cirage, a dit Quenotte.
- Pas pour nous, et surtout pas autour des yeux. Mais… Lin a bien dit qu’on avait accès à toute la base ?
- Absolument, j’ai confirmé.
- Donc son labo aussi, a affirmé Kris.
- Je ne m’y risquerai pas, moi, j’ai dit.
- Moi non plus, l’Archer. Je vais lui demander.
- Tu veux lui demander quoi, Kris ?
- Qu’elle valide une recette de crème opaque et qu’elle m’autorise à lui emprunter du cérat.
- Comment tu vas l’opacifier, la crème ? a demandé Quenotte.
- J’ai pensé à de la suie. Ça ne serait pas super opaque, mais comme c’est noir, ça peut atténuer la luminosité. Et ça ne craint rien pour nos peaux de bébé. Faudra juste se savonner fort pour faire partir le noir.
- Mais, Kris, je croyais que vous étiez allergiques à tout ce qui est chimique ? a demandé Quenotte, l’air un peu perdu.
- Non, à tout ce qui est synthétique et artificiel.
- Et ? C’est la même chose.
- Non. Pour te donner un exemple, Kris a repris, parce que le rouquin n’avait pas l’air de comprendre, le sel de table, NaCl, est chimique. Mais il existe à l’état naturel. Donc Erik et moi pouvons manger salé, heureusement.
- Ce n’est pas un très bon exemple, Kris, parce que le sel synthétisé, c'est-à-dire créé par l’homme, s’il respecte cette formule, on peut en manger aussi. Le meilleur exemple, c’est l’aspirine. Ou la morphine maison.
- Explique, alors.
- Dans l’écorce de saule, il y a de l’acide acétylsalicylique. Et j’ai réussi à le dire du premier coup. De l’aspirine. Cette molécule-là, je la supporte très bien. Mais la même, synthétisée en labo, non. Pourquoi ? Aucune idée.
- En fait, j’ai dit, quand on parle d’arômes chimiques, on fait un abus de langage. On doit dire artificiels.
- C’est ça, la chimie existe naturellement, si je puis dire. Kris et moi supportons tout ce qui est déjà présent dans le monde, naturellement. Mais l’ibuprofène, par exemple, ou le paracétamol, sont des créations humaines. Très utiles, efficaces. Sauf pour nous.
- C’est pour ça que les agrafes en acier inox t’ont fait aussi mal, j’ai dit, saisi par une illumination soudaine.
- Oui, l’acier inox est une création. Le fer serait mieux, mais il y a ce risque de rouille et donc, de tétanos. Bien sûr, comme je peux Soigner Kris, c’est surtout gênant pour moi. Un autre exemple, nous supportons le latex, s’il est d’origine naturelle, mais pas le vinyle ni le nitrile. C’est pour ça qu’il y a deux sortes de gants à l’infirmerie et dans notre pharmacie de patrouille. Et qu’il y a des préservatifs dits bio.
- Ça va jusque là ? s’est étonné Quenotte.
- Ça va jusque là, a confirmé Kris.
- J’ai saisi. Bon, donc on va voir Lin pour le maquillage ?
- Oui, allons-y.
Lin a approuvé l’idée de Kris et nous a même proposé deux pigments naturels : un oxyde de fer noir, facile à obtenir dans son labo et un noir de fumée, un peu plus compliqué à obtenir à la base parce qu’on ne fait pas de feu sur le promontoire. Pour cette nuit-là, elle nous ferait une cire de maquillage à l’oxyde de fer.
Donc, à 11h du soir, on était postés en sentinelles sur le périmètre, remplaçant neuf de nos camarades qui auraient une nuit un peu plus longue. Oui, parce que les filles, par solidarité, avaient décidé de faire notre punition aussi. Merci Baby Jane, merci Kitty.
Il n’y avait pas de lune, donc pas besoin pour elles de se camoufler. Elles ont juste, comme nous, enfilé un poncho foncé, serré à la taille pour éviter qu’il batte au vent, avec des pattes qui ferment au velcro autour des jambes.
Erk a voulu poser un petit baiser à Baby Jane mais elle a fait la grimace.
- Le rouge à lèvres noir, c’est pas mon truc. Tu auras un baiser quand tu seras propre.
- J’attends ça avec impatience.
On est partis se poster, se préparant à une nuit tranquille et chiante.
Un peu avant trois heures du matin, la fin de notre garde, il s’est passé deux choses.
On a reçu un appel de détresse.
Une météorite a survolé la base.
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