XVI
C’était pas une météorite, mais à trois heures du mat’, en pleine nuit, difficile de faire la différence.
Ce qu’on a vu, c’est une traînée de feu accompagnée d’un grand rugissement.
Ce que c’était, c’était un Valkyrie en flammes, en train de perdre de l’altitude.
Un Valkyrie, c’est un avion de combat, successeur du Mistral, lui-même successeur du Rafale, un avion multi-missions hyper utilisé au début du 21ème siècle. Et ce n’est pas Dassault Aviation qui l’a conçu mais bien, oui, vous avez deviné, ATS.
Erk a appelé le PC Ops et dès qu’on a su que c’était un avion et que le pilote était une femme, une R&R, il a cavalé jusqu’à la base, abandonnant son poste à 2 minutes de la fin, a pris une trousse d’urgence à l’infirmerie, a sauté sur une moto et est parti en suivant la traînée de feu. Ça, c’est ce que m’a dit Lin après.
- Erik ! Putain, frangin !
- C’est Elise, il a répondu par radio.
- Elise ? Comment ?
- Kris, Lin l’a interrompu, prépare la Land avec ta patrouille, Tito, réveille Alex, il part avec vous. Wilha, rattrape Erik, protège-le, accompagne-le. Bear, réveille Jude, qu’il conduise. Vous suivrez Erik et Wilha pour l’aider et ramener le blessé. Enfin, la blessée, si ton frère a raison. Erik, tu as ma bénédiction, hálfviti.
On a obéi à ses ordres. Pendant qu’on préparait la Land, Kris continuait à interroger son frère à la radio.
- Mais comment tu sais que c’est elle ?
- Y a qu’un seul pilote féminin, chez les R&R. Et là… Merde !
- Quoi ? Merde quoi, Erik ? Réponds, putain !
- L’avion vient de se crasher…
- Oh… Tu vois un parachute ?
- De nuit ? Je ne suis ni Lin, ni l’Amiral…
- L’Amiral ! Putain, Erik, t’es un génie !
- Je le savais mais…
- Lin… Non, le Gros, l’Amiral est debout ?
- Difficile de dormir avec ce barouf, dit l’Amiral en sortant de sa piaule. Mais de toute façon j’étais quasi debout. Bon, que faut-il que je fasse ?
- Regarde vers l’est et dis-nous si tu vois un parachute.
- Fait trop noir pour ça, Kris, désolé. Par contre…
Il a plissé ses yeux, a tripoté son oreillette.
- Viking, tu me reçois ?
- Trois… cinq… miral.
- Merde, le signal est mauvais, a dit Lin.
Elle s’est tournée pour trouver quelqu’un à envoyer réveiller Jo. Mais en fait, avec les cris, on avait réveillé une bonne partie des troupes et il était déjà debout. Il est allé rejoindre Phone au PC Ops et ils ont bidouillé quelque chose.
- L’Amiral, tu me reç.. ?
- C’est mieux, Viking. Je n’ai pas vu de parachute, mais j’ai vu une fusée, à un ou deux degrés au sud de la trajectoire de l’avion.
- OK. Mer…i
Jo et Phone ont encore bidouillé et puis on a pu entendre la respiration du géant comme s’il était à côté de nous.
- Bróðir, tu dois avoir Wilha aux fesses, si elle ne t’a pas déjà rejoint. Elle est censée t’escorter et te couvrir pendant que tu t’occuperas du pilote, alors attends-la.
- On verra, petit frère.
- Erik !
- Je ne suis pas loin, Viking, a dit Wilha.
- D’accord, mais je ne t’attends pas. Je ne peux pas me le permettre.
- Tu oublies que je suis championne de trial, Viking. Je vais te rattraper !
Erk a gloussé, on a souri. Un peu coincés, mais des sourires quand même.
- Wilha ?
- Oui, Lin ?
- Quand vous serez à destination, tous les deux, envoie les coordonnées à Kris, tu veux ?
- A tes ordres.
- Lin, est-ce qu’on réveille Doc et Nounou ? j’ai demandé.
- Non. Alex part avec Kris et tant qu’Erk n’a pas fait son diagnostic, inutile de les réveiller, surtout si… Laissons-les dormir. Va rejoindre ta patrouille, Tugdual.
Dans la Land, il y avait Jude au volant, Alex et le reste de ma patrouille, et Song, qui devait ramener la moto empruntée par le géant.
- Kris, vous êtes Go. Direction est, pas trop vite pour avoir les coordonnées. Erik, tu es proche ?
- Je ne sais pas trop… ah, attends, j’ai cru voir une lueur. Je coupe le moteur et mon phare.
Comme les astronautes, comme ceux qui travaillent à distance, il commentait ce qu’il faisait, comme à Kaymani Center.
- Je vois une lueur rouge… je me rapproche.
- Lin ? Je viens de voir le phare du Viking se rallumer. Il est à moins d’un kilomètre de moi.
- Wilha, j’ai oublié de demander. Vous êtes en électrique, tous les deux ?
- Oui. Erk aussi. Il avance, mais je n’entends pas son moteur.
- Ok, merci. Kris, une fois le village franchi, passez en électrique vous aussi.
- Lin, je vois un feu à main rouge, a dit le géant.
On a entendu un bruit métallique. J’ai supposé qu’Erk avait laissé tomber sa meule. Puis, des bruits de branchage.
- Skítt… Elise…
- Phone, enregistre. Erik, diag !
- Oui, donne-moi un instant…
Des bruits de tissus qu’on bouge ou qu’on déchire, un gémissement et des bruits apaisants du Viking. De son côté, Wilha, pestant doucement parce le géant avait laissé tourner sa moto, couchée dans les broussailles, donnait les coordonnées GPS à Kris qui les entra dans celui de la Land. Puis la voix d’Erk, assez distante. Kris m’expliquerait plus tard que c’était parce qu’il était déjà concentré sur ses Soins.
- Jambe droite, tibia et fémur, cassée en deux endroits. Côtes… fêlées et au moins une cassée. Poumon droit… la plèvre est touchée. Clavicule droite fêlée. Pas de commotion grâce au casque. Des brûlures mineures sur les jambes. Poignet droit cassé. Je la stabilise. Elle est out. Son cœur bat vite, la pression sanguine a l’air dans la moyenne. Sans connaître sa tension habituelle, difficile à dire.
- Phone, a dit Lin, réveille-moi Doc et Nounou. Transmets-leur le diagnostic d’Erik.
- A tes ordres.
Nous, dans la Land, on ne savait pas encore où on était.
- Wilha, tu peux allumer ton phare ? a demandé Kris. On arrive bientôt sur tes coordonnées mais il fait trop sombre.
- C’est normal, le feu à main s’est éteint. J’allume ma torche.
- On te voit. On va devoir vous rejoindre à pied, malheureusement.
- Oui, j’ai senti la pente en approchant. Mais je pense qu’Erk n’a rien vu, trop concentré sur sa destination.
- OK. On monte avec la civière. On a aussi une attelle et une minerve gonflable.
- Parfait, a dit Erk. Si vous pouvez trouver une perche de presque 2m de long. La civière pliante ne suffira pas à la garder à l’horizontale.
- On va monter avec le matelas, alors, ça sera mieux, a dit Kris.
- Ça ira, oui, merci.
On est descendus de la Land, Bear et moi avons transporté le matelas jusqu’au Viking, les filles nous éclairant avec de grosses lampes torches type Maglite. JD et Quenotte étaient nos sentinelles.
Alex a fait un rapide diagnostic, confirmant les constatations du Viking. En suivant ses instructions, on l’a aidé à poser l’attelle et la minerve, Kris et moi soulevant Elise, Tito posant la minerve puis l’attelle, Erk stabilisant toujours la jeune femme. Puis on l’a délicatement déposée sur le matelas, les mains brillantes d’Erk toujours sur elle, et on est redescendus précautionneusement, les filles, JD et Quenotte conservant leur rôle.
Avec beaucoup de délicatesse, on a fait glisser le matelas sur le plateau de la Land, Erk, aidé par Kris, réussissant à monter dessus sans jamais retirer ses mains d’Elise. Et quand on a tous été parés, avec Wilha et Song sur les bécanes, Jude a fait demi-tour et est reparti doucement vers la base. Doucement, parce que la piste n’était pas terrible et qu’il faisait encore nuit.
- Erik, ça va ? a demandé Kris doucement.
- Elle va aussi bien que possible. Je la stabilise.
- Je parlais de toi, surtout, mon grand, mais je suis content de savoir qu’Elise va bien.
- Comme je ne fais que la stabiliser, ça devrait aller.
- Que la stabiliser, hm ?
- Comme tu me connais bien, petit frère. Il y avait une hémorragie interne ou deux, peut-être…
- Cette imprécision ne te ressemble pas, mon grand. Plutôt trois ou quatre, non ? Et tu les as arrêtées ?
- Oui. Et son aorte a été touchée, mais j’ai pu arrêter l’hémorragie.
- L’aorte ? Mais… depuis le temps, elle aurait dû… y rester !
- En fait, je pense que soit la déchirure était minuscule et laissait suinter une gouttelette, soit…
La voix du géant s’est faite douce et hésitante.
- Soit quoi, bróðir ?
- J’ai peur d’avoir causé la déchirure en la bougeant un peu pour les premiers soins.
- Ah, je comprends. Mais dis-moi, mon cher frère, n’as tu pas réparé ça avec ton merveilleux Don ?
- Si, bien sûr…
- Alors tout va bien, mon grand.
- Mais…
- Ecoute, Erik, même si ça t’a fait dépenser de l’énergie en trop, ce n’est pas grave, au final tu lui as sauvé la vie. Peut-être que c’est nous qui aurions causé la déchirure en la mettant sur le matelas, donc, tout va bien.
- Si tu le dis. Tu veux bien m’aider à ne pas bouger ?
- Bien sûr. L’Archer, assieds-toi à sa droite et pousse-le vers Bear qui va s’asseoir à sa gauche. Moi, je vais me mettre derrière toi.
On s’est installés comme Kris nous l’a demandé et on a fini le trajet en servant de serre-livres au Viking. Les mains d’Erk brillaient toujours, posées sur les tempes d’Elise.
- Kris ?
- Oui, bróðir ?
- Peux-tu me donner à boire ?
Kris a pris la gourde que le géant portait à sa ceinture, comme nous tous, et l’a aidé à boire. Ça m’a rappelé ce jeu qu’on faisait en colo, quand l’un de nous, caché sous un poncho, essayait de faire manger celui qui était devant lui… Mais les frangins s’en sortaient mieux que les enfants que nous étions.
C’est le moment qu’Elise a choisi pour ouvrir un œil.
- Hey, bonjour Elise, j’ai dit.
- Qui ? elle a essayé de répondre.
- Chut, Elise, ne dites plus rien. On vous emmène à la base et Erk a déjà commencé à vous réparer. Ce sont ses grandes paluches que vous sentez sur vos tempes. Rendormez-vous, Elise. Reposez-vous.
- Qui ? elle a insisté.
Kris a montré son visage encore noirci et j’ai réalisé que la pauvre Elise ne pouvait nous reconnaître.
- Le Lys de Sang, Elise.
Elle a refermé les yeux et Erk s’est détendu. Ça m’a surpris mais je n’ai pas voulu poser la question tout de suite. Ça devait se voir sur ma tronche, malgré le maquillage, parce que Kris a répondu.
- Quand Erk Soigne quelqu’un qui est endormi ou inconscient, c’est plus facile car l’esprit de la personne ne combat pas le Soin.
- Pourquoi voudrait-il combattre le Soin ? j’ai demandé. C’est …
- Instinctif. Un Soin, c’est une intrusion, une invasion, une attaque, contre laquelle se défend notre cerveau reptilien.
- Reptilien ? Tu en connais, de grands mots, j’ai répondu pour cacher ma surprise.
- Moque-toi, crétin. Si tu as d’autres questions, c’est maintenant.
- Oui, j’en ai une, Kris. D’habitude, sauf dans ton cas, Erk a besoin de toucher la blessure. Mais là…
- Tu veux répondre, Erik ?
Il a secoué la tête puis s’est appuyé sur Kris. Il devait commencer à fatiguer.
- Bon. Heureusement que j’ai étudié ton Don, mon grand. L’Archer, c’est simple. Pour soigner une blessure externe, visible, le plus facile est de la toucher, ou juste à côté. Pour tout ce qui est sous la peau, c’est plus compliqué. Il faut qu’Erik glisse sa conscience, et donc son Don, le long des chemins existants, en empruntant deux types de voies : les nerfs ou les vaisseaux sanguins. Sous ses doigts, là, passent au moins deux nerfs crâniens et plusieurs vaisseaux. De là, il peut voyager jusqu’aux blessures.
Erk a hoché la tête. Puis, d’une voix pâteuse, qui a paru alarmer Kris, il a continué l’explication.
- Tout ça, je le fais instinctivement. Je décèle une blessure et mon Don attire ma conscience vers cette blessure. Ce que je fais, moi, c’est de m’assurer que je peux réparer sans mettre la vie de la personne en danger ou sans compliquer les choses, comme réparer un intestin percé s’il y a torsion, par exemple.
- Comme pour Sven à Vestman. D’ailleurs, tu as fait quoi, ce jour-là ?
- J’ai juste comprimé les veines et les artères touchées, pour éviter les hémorragies internes.
- Juste…
- Ouais, juste. Ça faisait beaucoup de veines et d’artères…
- Et pour moi ?
- Pour toi, petit frère, c’est tout à l’instinct. Aucune réflexion. J’ai juste besoin de te toucher.
- Mais s’il y avait une torsion ?
- Je crois que mon Don s’en occuperait avant de Soigner. Mais comme ça n’est encore jamais arrivé… et j’espère que ça n’arrivera jamais, bróðir.
- Je l’espère aussi. Comment te sens-tu, mon grand ?
- Je commence à fatiguer…
- J’imagine. La bonne nouvelle, c’est qu’on est bientôt là.
- Ah ?
- Oui, sors ton HUD, tu verras. Ah, attends…
Kris a appuyé sur le côté du casque qui permettait de faire descendre l’affichage tête haute et Erk a pu voir qu’on arrivait au village.
- Dis, Erk, si tu as traité toutes les hémorragies, pourquoi est-ce que tu dois la stabiliser, encore ?
- Trop intelligent pour ton bien, l’Archer.
- Merci du compliment, Viking. Et, donc ?
Erk a gloussé et même dans ce léger rire on sentait la fatigue.
- Son cœur… trop d’adrénaline…
- Oh ! Je crois que j’ai compris. Merci pour toutes ces explications, Erk.
- De rien… Oh putain, je suis crevé…
- On est arrivé, frangin. Est-ce que tu peux lâcher Elise une fois que Nounou et Doc s’en occuperont ?
Alex s’est manifesté pour la première fois depuis qu’on était dans la Land.
- Erk, je crois qu’il vaut mieux que tu restes encore un peu, désolé. On va la déposer sur la table, commencer puis dès qu’on l’aura mise sous monitoring et qu’on sera fixé, on te laissera aller te laver et dormir. Tu dis que tu as réparé les veines et les artères ?
- Oui. Reste la plèvre et les os… et l’adrénaline.
- OK. A priori, on n’aura pas besoin de toi pour ça. Pas tout de suite, en tout cas. Et puis, on va éviter que tu t’effondres de nouveau, sinon Kris va nous sonner les cloches.
Alex avait un grand sourire en disant ça et fit un clin d’œil à Kris, qui se garda bien de réagir autrement qu’en serrant son frère contre lui.
La Land s’arrêta dans la cour, au plus près de l’infirmerie, et on a tous aidé à descendre le matelas et Erk. Il a failli se vautrer parce qu’on allait trop vite et qu’il avait du mal à nous suivre.
On a enfin déposé la pilote sur la table d’examen et on a laissé les médecins et le guérisseur faire et, sur ordre de Kris, on est tous allés se débarrasser de notre maquillage. Sauf lui. Il a attendu devant l’infirmerie. Debout, tout droit, planté face à la porte fermée, il avait un peu l’air d’un petit garçon perdu.
On l’a laissé là et on a obéi à son ordre. Et la meilleure façon de faire sans foutre du noir sur nos fringues, c’est la douche. Une bonne douche bien chaude. Mais avant, j’ai regardé l’arrivée du tuyau d’eau chaude et j’ai décelé une dérivation qui quittait l’arrivée d’eau, passait par un petit réservoir, et retournait au tuyau. Alors j’ai vérifié les valves et j’ai fermé la dérivation. J’étais prêt à parier que ce réservoir avait contenu la luciférase. Quenotte était trop fatigué pour craindre une douche atomique colorante, mais moi j’en avais assez de cette intelligence artificielle. On n’avait pas besoin d’aide pour être brillants, tous, parce qu’on l’était. Si on avait fini biffins, c’était parce que c’était là que la vie et nos choix nous avaient emmenés.
Lassé de ces considérations philosophiques à cinq heures du mat’, je me suis désapé et j’ai laissé l’eau brûlante me couler sur la peau… Le pied intégral !
On a vite été rejoints par les frangins, Kris couvant son frère, comme souvent, et c’était vraiment trop mignon de voir cette montagne de muscles qu’est Erk, ce poussin de 110kg, être déshabillé et cornaqué par sa mère poule de frère.
Une fois bien propres, on a filé se pieuter. Erk n’a pas eu son bisou, les filles étant aussi claquées que nous.
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