XVII

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Nous voilà de nouveau coincés à la base, mais cette fois-ci c’était pas à cause de nous, en quelque sorte. C’était à cause du Don d’Erk, mais pas parce que l’un d’entre nous (suivez mon regard vers le plus grand) s’était encore blessé. Il avait déconné, mais pour le mieux au final.

On est restés à la base jusqu’à ce que la petite Elise soit stabilisée.

Quand elle a repris conscience, elle a demandé Erk. Tout de suite.

J’ai laissé traîner mes oreilles près de l’infirmerie et j’ai entendu un petit merci et la demande de prévenir BH, le Bunker Helsinki, la base des R&R. Erk a répondu de son baryton tout doux que ça avait été fait dès que les conditions l’avaient permis.

- Katja va m’en vouloir, pour l’avion.

Il a gloussé.

- C’est marrant, elle a dit que tu ne devais surtout pas t’en faire. Que, malgré le prix de l’avion, le plus important c’était toi. Par contre, elle voudra un debrief quand tu le pourras.

- Tu veux bien prendre mon debriefing à l’oral et lui transmettre ?

- Non, Elise, tu dois te reposer. Le debrief n’est pas urgent, et Doc et Alex, et moi, tes “médecins”, avons décidé que tu avais surtout besoin de repos.

- Mais…

- Elise, ne m’oblige pas à te shooter à la morphine. Repose-toi. Organise tes pensées dans tes moments de lucidité, mais surtout, repose-toi et commence à guérir. Je viendrais donner un coup de main entre deux patrouilles.

- Erk, combien de temps allez-vous me garder ?

- Aussi longtemps que tu en auras besoin, ma belle. Dors, maintenant.

- D’accord. Merci Erk.

- De rien.

Il est sorti, un peu soucieux. Et il m’a vu.

- Tu sais ce que disent les anglophones ? il a demandé. La curiosité a tué le chat.

- Miaou… Mais j’ai neuf vies, donc.

- Huit. Il y a celle que tu as laissée dans ton casque…

- Ah oui. Bon, Viking, comment va la belette ?

Il m’a regardé et je me suis senti un peu idiot.

- C’est le surnom que je lui ai donné dans ma tête la première fois que je l’ai vue…

- Hmm. Ça ne va pas fort. Elle est très affaiblie. Et elle ressent de la culpabilité quant à la perte du Valkyrie. Je sais que Katja ne lui en veut pas et pense soit à une malfaçon, soit à un sabotage.

- Un sabotage ? Mais… de qui ?

- Ça, ça regarde les R&R. Nous on a assez à faire avec Durrani et le Vioque. Ce sont eux, notre mission. Pas les R&R. Et même si ça m’inquiète de savoir qu’ils sont victimes de sabotage, je ne peux pas me préoccuper de leur sort sans mettre la Compagnie en danger.

- Tu as raison. On en est où, avec Durrani ?

- Je n’ai pas vraiment eu le temps de m’en préoccuper. On pourra demander à Lin, si elle veut bien.

- Attends, t’es officier de la Compagnie et…

- Et j’ai été plutôt occupé ces derniers temps.

- Pardon, Erk.

- Ne t’en fais pas, l’Archer, pas de corvée de laverie ce coup-ci, sauf si tu as envie de t’occuper.

- Ça va dépendre du nombre de jours qu’on va passer ici.

- Et ça, ça va dépendre de ce que Doc décidera. Si elle a besoin de moi ou pas.

- Erk ?

- Oui ?

- Ça te fait pas chier d’être baladé comme ça, partout où on a besoin de toi ? Enfin, de ton Don, pas de toi.

- Non, l’Archer. Si j’ai ce Don, c’est pour une bonne raison.

- Certains disent que les Dons sont arrivés par hasard.

- Ah, mais, vois-tu, quelqu’un, il y a très longtemps, a dit : « Hasard est le nom sous lequel Dieu avance masqué ». Et ça, tu vois, ça me convient. Après, peu importe le nom qu’on lui donne. Dieu, Allah… Hasard…

J’ai souri parce que y a rien à faire, Erk est mystique, oui, mais il a quand même un sacré sens pratique.

On est repartis en patrouille, vers le nord, vers le sud, vers l’est. Jamais vers l’ouest. Notre mini Fort Alamo avait montré à Lin qu’on ne pouvait s’attaquer à Durrani que véhiculés. Je peux vous dire que si on avait eu des motos, on se serait tirés vite fait en apercevant les pick-ups qui venaient à notre rencontre.

C’était assez calme, depuis le sauvetage d’Elise. On crapahutait quatre jours, on rentrait, Erk et Kris taillaient une bavette au pilote, Erk faisait un Soin et on repartait.

A cause de ma mémoire eidétique, et ma capacité à me faire oublier, quand les frangins allaient voir Elise, j’entrais dans la petite chambre et je me mettais dans un coin et j’écoutais de toutes mes oreilles. En général, Kris accompagnait le Viking quand il venait voir s’il pouvait Soigner Elise, comme ça il pouvait le surveiller, et discuter avec la belette. Ça donnait des moments assez doux, avec Erk qui posait ses mains sur Elise pour Soigner, et Kris qui parlait à la jeune femme, la faisant sortir de sa coquille au fur et à mesure.

Je me souviens d’une conversation en particulier, à notre retour de la première patrouille. Elise allait beaucoup mieux, elle était sortie de cette espèce de coma dans lequel l’excès d’adrénaline l’avait plongée, et qui avait été entretenu et surveillé par Doc, pour que son corps se repose et se répare. Bon, vu l’étendue des dégâts, elle avait besoin d’Erk pour aller mieux, et lui, ma foi, ne demandait pas mieux.

- Elise, est-ce que tu sais pourquoi ton avion s’est crashé ?

- Il est tombé en panne de carburant.

- Oui, c’est ce que tu as dit la première fois. Mais un Valkyrie a une autonomie double de celle du Rafale, ce qui veut dire que tu aurais pu aller jusqu’à Paris et avoir encore du jus en réserve. Même avec un demi-réservoir, tu aurais pu faire Abu Dhabi – votre bunker sans problème.

- Tu veux dire que les émiratis ont été plus radins que je le pensais en carbu ?

- Plus que… Tu savais ?

- Le plein n’a pas pris assez de temps, mais je pensais qu’ils en avaient mis juste assez pour que je puisse atteindre notre base.

- Pourquoi, demanda Erk, ne pas te faire le plein ?

- Parce qu’ils n’assuraient que la livraison de l’avion, et ne fournissaient le kéro que pour les vols d’essai et le trajet en aller simple pour le bunker.

- Donc soit Simo a été radin, a commencé Kris. Holà, Elise, calmos. Laisse-moi finir. Donc, soit il a été radin, ce dont je doute, surtout avec le soutien d’ATS, soit il s’est fait enfler. Et comme l’avion a disparu, impossible de prouver que les émiratis l’ont grugé sur le kéro…

- Kris, tu penses que c’est ce qui s’est passé ?

- Je n’en sais rien, Elise. Il est possible que quelqu’un ait trafiqué l’avion avant ton départ. Et avec l’incendie qui s’est déclaré à bord, selon toi…

- Mais, pourquoi ?

- Ça, seul Simo pourrait répondre. Parce qu’il doit savoir qui voudrait faire échouer son projet. Bon, sinon, Erik, tu as fini ?

- Oui, pour aujourd’hui.

- Et tu as fait quoi, Erk ? a demandé Elise.

Le Viking l’a fixée un moment, Kris aussi, puis son regard est allé à son frère.

- Ben, c’est mon corps, j’ai le droit de savoir, quand…

- Oui, Elise, ne t’inquiète pas, a répondu le géant.

- Alors, pourquoi ces regards ?

- C’est marrant, d’habitude personne ne met en doute nos regards, a remarqué Kris.

- Peut-être parce que nous sommes leurs officiers, a répondu Erk.

- Peut-être, a remarqué Kris. Elise, nous ne sommes pas tes officiers, mais nous avons nos secrets, tous les deux.

Elle s’est affaissée, Erk a pris une grande inspiration.

- J’avais besoin de me recentrer un moment après t’avoir Soignée. C’est toujours un peu compliqué, sauf avec Kris. Bref, j’ai donné un coup de pouce à tes os et dispersé le lactate qui traînait encore dans tes muscles. Et j’ai aussi donné un petit coup de main à ta peau, là où elle a brûlé. Tu n’auras pas de cicatrice.

Sur ces gentilles paroles, on est repartis nous préparer pour notre patrouille du lendemain.

On a fait plusieurs patrouilles, de nouveau, le temps a passé, il s’est mis à faire vachement froid quand on se levait, et la nuit, dehors, on gardait nos petites laines et on rajoutait nos couvertures, toujours en tas les uns sur les autres. J’avais souvent Kitty ou Quenotte dans les bras, Erk et Kris étaient, comme Tito et Bear, inséparables, Baby Jane et JD se baladaient, en quelque sorte, cherchant leur oreiller au gré de leurs envies.

J’ai demandé à Kitty pourquoi elle préférait mon gilet pare-balles à celui de JD ou Quenotte pour poser sa tête et elle a répondu qu’elle n’avait rien à craindre de moi, parce que j’étais avec Lin. Bon. OK. Après tout, c’est pas faux. Ceci dit, comme Erk avec Baby Jane à V3, je n’aurai jamais insisté. Mais son passé, quel qu’il soit, lui fait peut-être craindre de tomber sur des mecs lourdingues.

Elise se remettait doucement, et chaque fois qu’on rentrait de patrouille, elle allait mieux et elle devenait de plus en plus chiante parce qu’à cause de sa jambe, elle ne pouvait pas quitter son lit sans aide. Dio ou Nounou la sortaient dehors quand il faisait beau, sinon, elle restait dans la grande salle de l’infirmerie. Elle s’emmerdait.

Quand on était là, elle parlait chevaux avec Baby Jane. Apparemment elle montait en compétition depuis l’enfance, jusqu’à son engagement dans la Marine française. Sur les raisons de sa présence chez les R&R après la Marine, silence radio.

Tout comme nous avions nos secrets, Elise avait les siens. Tout comme elle n’avait pas insisté pour connaître ceux des frangins, nous n’avons pas insisté pour connaître les siens.

Un secret que je n’ai pas eu besoin de chercher, parce que, même si elle ne disait rien, Elise le portait sur son visage, c’est qu’elle éprouvait quelque chose envers les frangins. Quand elle croyait qu’on ne la voyait pas – je sais me faire oublier –, si Erk passait, elle avait un air tout doux et un peu rêveur sur son visage. Quand c’était Kris, ce n’était plus très doux, ni rêveur, mais presque… affamé ? En tout cas, il y avait une forme de désir dans ses yeux verts.

Je n’osais pas lui demander, alors je suis allé voir Baby Jane. Je suis trop curieux, c’est ce qui m’a valu d’être ici… Bref, Baby Jane s’est foutu de moi mais elle m’a expliqué que, sans doute, Elise était attirée par Erk parce qu’il est beau, gentil et tout et tout, et son regard est rêveur parce qu’il paraît aussi inaccessible qu’un archange. Pour Kris, la belle Anglaise m’a dit que Kris était atteignable et extrêmement attirant.

- Comment ça ?

- Chez nous, on dit « Sex on legs » mais ça ne couvre pas tout ce représente Kris. Si tu le regardes bouger, et si les hommes t’attirent, Kris représente la perfection. Mais contrairement à son frère, qui est trop beau, trop grand, trop fort, Kris n’est pas « trop » quelque chose. Kris est à la portée de n’importe qui. D’autant plus qu’il est bi, donc à la portée des deux sexes.

- Pourtant, tu as couché avec Erk, toi ?

- Vilain curieux… Chez nous, on dit que la curiosité a tué le chat. Eh bien, je vais te faire mourir… de honte.

Et j’ai rougi. Elle s’est marrée.

- Tu dois t’en douter, non, vu qu’il rougit chaque fois que je lui souris un peu ?

- Oui, mais…

- Mais quoi, l’Archer ?

- Eh bien, pourquoi Erk et pas Kris ?

- Hmm… Figure-toi que si j’ai quitté l’Angleterre pour arriver ici, c’est parce que j’ai tué un homme.

Je l’ai regardée, surpris tant par le coq à l’âne que par son discours. Elle était aussi délicate qu’une poupée de porcelaine, même si je savais qu’elle était un excellent soldat. Mais… je me suis souvenu de cet exercice que les frères nous avaient fait faire pendant qu’Erk se remettait d’un coup aux précieuses.

- Baby Jane, j’ai une théorie te concernant. Accepterais-tu de la confirmer ?

- Dis toujours, l’Archer.

- Pour moi, tu viens d’une grande famille anglaise. Et cet homme que tu as tué… je pense qu’il voulait…

J’ai pas osé dire le mot, mais elle m’a lancé un regard et j’ai compris qu’elle avait compris.

- Figure-toi que oui, j’ai porté un nom célèbre et au sang bleu. J’étais fiancée à un type avec un nom presque aussi célèbre que le mien, mais nettement moins bleu. Plus… argenté, disons.

- Plus riche ?

- Nettement plus riche. Et c’est pour ça que nous avions été fiancés.

- Un mariage arrangé ? A notre époque ?

- Hé oui… Etrange, non ?

- Rétrograde, arriéré et… bref, j’imagine que ce n’est pas pour ça que tu as tué un homme.

- Oui, et non. Pour une raison que j’ignore, surtout à cette époque où un test ADN est facile et rapide, la famille de mon… fiancé voulait s’assurer que les enfants que je porterai seraient bien les siens, tant biologiquement que socialement, et nous avaient interdit tout rapport avant mariage. Ça ne me posait aucun problème, j’avais été élevé en jeune fille bien sous tous rapports, tout ça…

Elle a soupiré.

- Une vraie idiote, complètement protégée, avec des tuteurs et tout ça.

- Noble ?

- Oui. Proche du trône, héritière en ligne indirecte, si jamais tous les descendants directs d’Elizabeth venaient à crever. Bref.

Elle a regardé par terre, entre ses pieds.

- Lui, par contre, cette chasteté imposée ne lui convenait pas du tout. Il m’a coincée dans le jardin d’hiver et a voulu qu’on passe aux choses sérieuses, puisque de toute façon on allait être mariés… Sauf que moi, ça ne me plaisait pas du tout. Et j’ai eu beau dire non, il est devenu insistant, jusqu’à soulever ma jupe et mettre…

Elle a dégluti, je lui ai dit que c’était bon, que j’avais compris.

- Ça me fait du bien d’en parler, l’Archer. Tu es le seul à qui j’en parle, parce que…

- Je comprends. J’ai une question pour toi. Tu aimais ce type ?

- Je ne le saurais jamais. Avant, c’était mon devoir, après…

- Putain d’histoire… Mais quand même, au 22ème siècle, des mariages arrangés… et… ce sens du devoir… Je savais les Rosbifs étranges, mais là…

- Une réaction à une trop grande libéralisation des mœurs, peut-être… ou alors la noblesse anglaise est restée à l’époque victorienne… Je crois qu’un fils pourrait épouser une roturière et l’élever socialement, mais qu’une fille ne pourrait que déchoir si elle épousait un roturier… Toujours sexistes, finalement.

On a contemplé la poussière sur nos bottes un moment, puis une autre question m’est venue à l’esprit.

- Mais dis-moi, j’imagine que ça a dû te refroidir vis-à-vis des mecs, ça.

- Oui.

- Mais alors… Erk ?

- Comment ça ?

- Tu choisis le plus grand, le plus fort et… tu couches avec lui.

- Je vais te confier un secret, l’Archer. Erk est un bisounours.

- Comment ça ?

- D’abord parce qu’il est doux, gentil et respectueux. Et ensuite parce qu’il est… obéissant.

- Et pourquoi pas Kris, qui est plus accessible ?

- Parce que Kris a une part de folie en lui, et que même s’il est très respectueux des désirs de chacun, je reste persuadée qu’il ferait ce qu’il veut. Il a un côté… dominateur. Et même si Moutarde ou Wilha seraient prêtes à se laisser faire, ce n’est pas mon cas. Donc j’ai choisi Erk, qui veut tellement faire plaisir à sa partenaire qu’il est obéissant comme un gentil petit ch… un gentil gros molosse bien dressé.

Et son sourire était si plein de sous-entendus que j’en ai rougi. Puis…

- Baby Jane, à part faire rougir Erk, tu n’as rien fait de plus, sauf dans la salle commune de V3 pour le réveiller.

- Qu’en sais-tu ?

- En patrouille tu n’es pas dans ses bras, mais dans ceux de JD, de Kris… les miens, parfois. Il est quoi, pour toi, le Viking ? Un coup d’un soir ?

- Oui.

- Rien de plus ?

- Pas pour l’instant. Pourquoi cette question ?

- Je n’ai pas envie que ça nous éclate à la gueule.

- Pourquoi ça le ferait ?

- Eh bien, si pour toi c’était juste une fois et pour lui plus ?

- Ne t’inquiète pas, il sait que c’était juste parce que j’en avais envie.

- Hmm… Pourtant c’est lui que tu as choisi comme oreiller à V3 ?

- Il est confortable.

- Donc si je le vois embrasser Wilha ou Moutarde, je n’aurai pas à défendre ton honneur ?

- Je suis parfaitement capable…

- Je sais. Je voudrais juste éviter de lui faire la leçon alors que c’est pas nécessaire.

- Comme je te l’ai dit, il est comme un chien très bien dressé. Obéissant…

Si je vous dis que j’ai passé une bonne partie de la nuit à essayé d’imaginer ce qu’elle avait bien pu demander à Erk et… Ça ne me regardait pas, bien sûr, mais que voulez-vous… J’ai beaucoup trop d’imagination.

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