XVIII

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Bon, comme vous vous en doutez, la paix – toute relative – a été brisée.

On était partis en balade – comprenez patrouille – vers le Sud, on longeait le territoire de Durrani mais de loin. Elise nous avait dit qu’avec cet accident, elle avait raté sa mission de servir de pilote aux R&R pour les déposer près d’un village chez Durrani. Ça devait être le village que Katja nous avait montré sur la carte, après Fort Alamo.

Là, vous me voyez venir avec mes gros sabots et vous aurez raison.

Quenotte, notre radio, a reçu un message qu’il a basculé chez les frangins. Y a de l’Islandais qui a volé, à vitesse grand V, y a eu des gestes d’Erk, des grimaces de Kris puis le silence. Et un aller-retour de regards entre les frangins.

- Bon, les gars, dites-nous à quelle sauce on va être mangés.

Encore un regard, puis Kris a baissé les yeux. C’est nouveau, ça. C’est plutôt Erk qui fait ça. Lui, quand il a vu ça, il a soupiré.

- En fait, Lin nous a laissé libres de choisir.

- Parce que c’est dangereux ? j’ai demandé.

- C’est toujours dangereux, l’Archer. Mais, oui, c’est encore plus dangereux. Lin nous a appelé parce qu’elle voulait qu’on rentre mais… on a une dette.

- Stop, Erik. Dans l’ordre, mon grand.

Erk a pris une grande goulée d’air, s’est secoué comme le molosse auquel Baby Jane l’avait comparé – et ça m’a fait bizarre, je vous jure, vu le contexte – puis nous a tous regardés un par un, droit dans les yeux et on a tous reçu cet incroyable regard laser bleu.

- Près de ce que l’Archer appelle notre mini Fort Alamo, il y a un village que les R&R ont investi. C’est loin de chez eux, mais… ils n’ont pas pu déplacer la montagne, cette fois-ci. Le village était occupé par des hommes de Durrani, et par les villageois. Mais n’allez pas croire que les R&R aient fait ça par altruisme.

- Ouais, a dit Kitty, ils n’ont pas un Erk pour les garder dans le droit chemin.

Et le Viking a rougi. Et encore une qui le fait rougir sans participer à notre concours idiot. Kris s’est marré doucement.

- Oui, il a repris quand Erk a eu du mal à le faire. Il y a dans ce coin-là quelques cailloux intéressants pour eux. Bref. Ils ont investi le village, tué des vilains, et foutu la trouille aux villageois. Y a eu des… échauffourées après coup. Et là, il y a quelques instants, ils ont appelé à l’aide, parce qu’ils se sont fait encercler, bloquer dans le village par les hommes de Durrani. Ce qui est surprenant, c’est que ce n’est pas Katja, mais Vlad qui nous a appelés.

- Lin nous a demandé de rentrer, a continué le géant. On a voulu savoir pourquoi, elle a renaudé puis nous a dit pourquoi. Et, je ne sais pas pour vous, mais moi, j’ai une dette envers eux, surtout après Fort Alamo.

Il y a encore eu un échange de regards.

- Kris, beaucoup plus pragmatique que moi, moins idéaliste, aussi, est beaucoup plus réticent. Donc, Lin nous a laissé à nous, toute la patrouille, la possibilité de prendre une décision tous seuls.

- Mais, Erk, même si on décide de tous y aller, c’est loin, à pinces, quand même, a remarqué Quenotte.

- Lin a eu pitié de nous, si on décide de retourner se faire cramer là-bas, on n’usera pas nos semelles. Frisé n’est pas loin, il passera nous prendre et on se tassera dans le pick-up.

- Bon. On voudrait réfléchir entre nous, les frangins, c’est possible ? a demandé le rouquin.

- Pourquoi ?

- Parce qu’Erk est déjà convaincu et que toi, tu hésites parce que tu n’as pas envie de risquer la peau de ton frère. Alors, on aimerait voir entre nous, sans les yeux de cocker d’Erk ou tes froncements de sourcil…

- Je ne…

- Juste une expression, Kris.

- Bon, OK, dit le p’tit frère qui fronçait les sourcils.

On s’est un peu éloignés, laissant les frères à portée d’œil, mais pas d’oreille. Les frangins ont retiré leur oreillette et nous les ont montré, pour nous prouver qu’ils n’écouteraient pas. Mais nous, on ne pouvait pas, parce que notre conversation devait être enregistrée. Pour que Lin sache, quoi qu’il arrive, ce qui nous avait motivés à prendre l’une ou l’autre décision.

- Bon, a dit Quenotte, vous en pensez quoi, vous ?

- Mon premier réflexe, a dit Baby Jane, serait de foncer à leur secours. Vous n’imaginez pas le putain de bonheur que j’ai ressenti en voyant arriver ce foutu hélico. Je crois que je n’aurai pas pu tuer Kris si…

- Ouais, a dit Quenotte, je crois que pour nous, les mecs, c’était plus facile, parce que la seule décision qu’on avait à prendre, c’était où planter notre lame. Alors que toi, ma belle, tu avais trois âmes à sauvegarder…

- Trois ? demanda Kitty, étonnée.

- Oui, kotele, la troisième, c’était toi.

- Moi ? Mais…

- Kitty, a dit Baby Jane, vu le programme qu’on nous réservait, je n’aurai laissé personne te prendre vivante.

- Je ne sais pas si je dois t’en coller une pour avoir dû décidé de prendre cette décision à ma place, ou t’embrasser parce que tu voulais me sauver…

La voix de Kitty tremblait et ses jointures étaient toutes blanches, ses mains serrant son EMA 7 à le tordre, si elle avait eu la force du Viking.

- Je préfèrerais un baiser, j’ai assez d’ennemis comme ça.

La voix de Baby Jane tremblait aussi, tout comme le sourire que Kitty lui adressa en retour. Nous, les mecs, on ne disait rien. Parce que, comme l’avait dit Quenotte, notre seule préoccupation, à nous, avait été de faire un max de dégâts avec nos couteaux, puis de se préparer à se trancher la gorge si les choses en arrivaient là. Juste notre vie à nous. Mais Baby Jane, elle… Erk lui avait confié la vie de son frangin adoré. Comment ne pas craquer sous le poids d’une telle responsabilité ? Putain, elle était forte, notre belle Anglaise. Sacrée nana.

- Dis-moi, Baby Jane, tu disais ton premier réflexe. Mais le second ? Enfin… j’imagine après avoir réfléchi.

- On manque d’informations. Et ça, ça me surprend de la part de Lin. A moins que ce soit les frangins qui aient caché…

Elle s’est tournée vers les Islandais.

- Erk, Kris, ramenez vos jolis culs ici. Et au trot !

Ils ont obéi partiellement. Ils ont ramené leur cul vers nous. Mais en marchant.

- Bon, a dit Baby Jane. On est loin d’être cons, et on ne prendra pas de décisions sans avoir plus d’infos. Et comme vous non plus n’êtes pas si cons que ça, on pense que vous nous cachez les infos que Lin vous a données. Alors allez-y, crachez le morceau. Et arrêtez ces regards entre vous, putain !

- Fais gaffe, Baby Jane, ça te vaudra une corvée de laverie, j’ai dit.

- Ça me fera une belle jambe si je suis entre quatre planches parce que ces deux couillons ont fait de la rétention d’information. Vous êtes peut-être nos officiers, les mecs, mais si vous nous laissez décider par nous-mêmes, faites-nous confiance, merde !

- C’est ce couillon de paladin qui voulait que vous décidiez avec votre cœur et pas avec votre cerveau, a dit Kris en pointant le géant du pouce.

- T’es vraiment un crétin, Erk, tu sais ça ? répondit Baby Jane, qui avait décidé d’être notre porte-paroles ce coup-ci. T’as pas encore compris que notre cerveau aide notre cœur à décider, adorable idiot ?

- Et c’est pas moi qui l’ai dit, hálfviti, a fait Kris avec un sourire un peu narquois. C’est une des raisons pour lesquelles on n’était pas d’accord, il a ajouté en se tournant vers nous. Allez, Erik, donne-leur les infos.

Pendant ces échanges, Erik avait rougi (et c’est Baby Jane qui a gagné notre concours), fixé ses pompes, changé la position de ses mains sur son flingue... L’était bien penaud, l’animal, je peux vous dire.

Il a fini par arrêter de s’agiter et il a sorti une de ces cartes plastifiées que prépare le Gros.

- L’Archer, tu peux appeler Mike et obtenir une image satellite de ces coordonnées ?

Il a attendu que j’ai Mike en ligne, puis il me les a données. Sur ses instructions, j’ai diffusé l’image sur nos tablettes de combat. J’ai zoomé un peu. On a vu le village où les R&R étaient piégés. Y avait des dégâts. Il n’y avait pas de véhicules dans le coin. Pas même chez les assiégeants. Donc, soit Durrani avait appris de Fort Alamo, soit ses hommes n’étaient pas basé très loin du village des R&R. C’est vrai que, quel que soit l’endroit où étaient planqués les camions, une approche à pied était nettement plus discrète.

- Bon, vous en pensez quoi ? j’ai demandé à mes camarades.

- Kris, tu crois qu’on peut avoir les motos ? a demandé Tito.

- Euh… faut demander. Pourquoi ?

- Parce qu’on peut attaquer de plusieurs façons. Par derrière, à pied, avec Baby Jane en hauteur, et avec l’Adlerauge et sur cette hauteur-là, avec le Viking… non, Kris en sentinelle, elle doit pouvoir voir quasiment tous les attaquants tout en étant à l’abri.

Ah, je comprenais pourquoi Tito mettait Kris là-haut. On avait besoin du Viking en bas, pour les blessés, et il prendrait moins de risques s’il savait son frangin à l’abri.

- OK, a fait Kris, songeur. Continue.

- Ensuite, si on a les 9 motos de Mac, avec nous en voltigeurs, on peut faire des putains de dégâts, comme faisaient les Indiens d’Amérique en attaquant les fermes ou les convois : ils fonçaient droit sur leur cible, offrant eux-mêmes des cibles plus petites puis, en arrivant à portée de tir, ils viraient et tiraient, parfois à l’aveugle, contournant leur proie puis se regroupant de l’autre côté pour recommencer. Ce que je propose, moi, c’est que les motos longent les assiégeants sur seulement quelques mètres avant de retourner se mettre à l’abri.

- Dommage qu’on n’a pas un char, a dit notre artilleur suédois.

Ça m’a fait marrer tout seul dans mon coin. Faudra que je la raconte à l’Amiral, ça le fera rigoler.

- C’est une bonne idée, Bear. Mais comme on n’a pas de char, on va improviser et lancer des grenades avec le premier passage des motos.

- OK, Tito, a dit Kris, c’est pas mal du tout. Que fais-tu de la Jeep ?

- Plateforme mobile de tir et de Soins, avec Erk à bord et quelques mecs de Frisé pour le protéger. Jude au volant, forcément, Benji à la 12.7. Les quelques mecs en trop, à pied, en tirailleur pour tirer eux aussi sur les assiégeants.

- Ouais, vraiment pas mal, Tito. Deux questions. Pourquoi moi là-haut ?

- Parce qu’après Baby Jane et ton frère, tu es notre meilleur tireur.

- OK mais pourquoi Erik… ah, oui… Les soins. J’aurai préféré que ce soit lui là-haut, à l’abri.

- Je sais, mais tu ne Soignes pas.

- Oui. Et ça m’emmerde bien, t’imagines pas.

Moi, j’imaginais très bien. Ça devait l’angoisser un max de voir son frère couvert de sang et de ne rien pouvoir faire quand Erk n’avait qu’à le toucher pour le Soigner.

- Deuxième question : on n’est pas assez nombreux pour encercler les assaillants à notre tour. Donc as-tu une idée ?

- En fait, Kris, oui, j’en ai une. Il faut parler à Vlad avant, que les R&R concentrent leur attention sur le point opposé à notre attaque. Et nous, on prend les assaillants par derrière.

Et là, il a rougi. Et Bear, qui est normalement très discret dans sa relation avec Tito, lui a murmuré un truc à l’oreille et l’Albanais est devenu absolument pivoine. J’imagine que notre Suédois lui avait glissé une ou deux douces cochoncetés dans le creux de son oreille. Bref.

On a échangé quelques rires et Kris nous a demandé si on approuvait le plan de Tito. Il a ensuite réalisé qu’on avait pris notre décision d’aller porter secours aux R&R.

Il a appelé Lin, lui a transmis notre plan. Elle a approuvé, disant qu’elle tiendrait Nounou, Alex et Doc prêts à partir à moto avec Kim, Bloody Mary et Bic – même si j’aime pas ce mec, il est plutôt bon avec une bécane et un flingue – pour aider Erk aux soins, une fois que tout serait tassé. Elle essaierait aussi d’obtenir un hélico en appelant Simo.

En attendant Frisé et sa tire, on a déballé nos rations et on a bouffé.

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