XXIII

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Les médecins sont ressortis du bloc un peu avant le dîner. Ils étaient en meilleure forme que le matin. Ils nous ont donné des nouvelles de Katja et Kaczynski.

Katja s’en sortirait bien, sans séquelle autre qu’une balafre sur le crâne et une mèche de cheveux blancs. Et peut-être un trou dans sa mémoire, comme moi.

Pour Kaczynski, ils le laisseraient encore un peu dans le coma avant de l’en sortir avec du Revarol, une substance découverte par ATS en cherchant autre chose et qui aidait les patients à sortir du coma.

On est repartis en patrouille le lendemain. Erk emportait, dans son sac, cinq kilos de glaise pour la maman des deux gamins que nous avions retrouvés morts. Elle était heureuse de nous voir, et nous a tous accueillis chez elle. Sabra vivait maintenant seule avec son mari, Asif.

On était nombreux, alors on a juste dîné dans leur maison, puis on s’est installés dehors pour la nuit. On est restés sur les marches pour boire la tisane de menthe qu’elle nous avait préparée, pendant qu’Erk, lui empruntant un peu de sa glaise à séchage rapide, façonna rapidement deux petites statuettes d’une dizaine de centimètres de haut. Sabra et Asif se reconnurent et furent émus de cet hommage.

- Tu es doué de tes mains, Erk, dit-elle.

- Oh, ça oui, alors ! renchérit Baby Jane, faisant rougir le géant.

Sabra échangea un regard avec la belle Anglaise et Asif rejoignit Erk dans le club des pivoines. Marrant. Quand c’est moi qui lui avait fait la remarque juste avant Noël, il avait sorti une connerie et là, c’était une femme, et il rougissait.

Ce fut le moment marquant de nos patrouilles de novembre. Putain, novembre, déjà… il faisait froid, on rajoutait des épaisseurs, surtout à Tito pour éviter qu’une faiblesse ne réveille sa malaria. Il avait toujours sur lui ses comprimés d’hydro-chloroquine, maintenant qu’on savait qu’il était atteint du palu.

Et Doc nous avait obligés à tous transporter une mini-trousse de secours avec des comprimés en plus du reste. Le reste étant de quoi soigner une blessure pour Erk, puisque lui pouvait nous soigner.

En rentrant d’une de nos patrouilles, la petite toubib nous a donné des nouvelles des blessés. Elise était débarrassée de ses plâtres et Alex lui avait concocté un programme de remise en forme qui l’épuisait tous les soirs, au grand soulagement de la Compagnie. Elle était adorable mais avait besoin de se rendre utile. Elle avait aussi un trop-plein d’énergie à dépenser, et le programme d’Alex faisait le boulot.

Katja s’était réveillée, n’avait aucun souvenir de ce qui s’était passé entre sa première blessure et son réveil chez nous. Elle avait pris un morceau de toit sur le casque quand la maison où elle se planquait avec Vlad et le petit Dragunov avait pris un tir de roquette des Durranites. Vlad lui a dit qu’elle fonctionnait normalement après ça, jusqu’à la balle. Mais elle avait tout oublié. Doc dit que c’est plutôt normal. Bon.

Kaczynski avait été réveillé au Revarol et, si sa tête était bien claire, le reste… Il était paralysé des deux jambes. Vivant, mais… immobile. Kris a réagi avant moi, menaçant Erk de l’assommer s’il tentait quoi que ce soit. Doc a renchéri, en disant qu’il y avait en Europe d’excellents chirurgiens et des exo-squelettes tout à fait performants, légers et fiables et que s’il voulait à tout prix faire le con, elle filerait de la vraie morphine à Kris pour qu’il puisse l’assommer.

Erk s’est rassis.

- Mais, Kris, je ferai ça pour toi et…

- Je sais, mon grand, et c’est bien ce qui me fait peur.

- Mais…

- Erik, s’il te plaît.

Le Viking a obéi.

Le lendemain matin, Erk était agité. Il était debout avant Kris, chose exceptionnelle, et, à table, il ne tenait pas en place. Même quand Kris a posé sa main sur la jambe qu’il agitait et a pesé de toutes ses forces, le géant a quand même réussi à secouer la table.

- Skítt ! et il s’est levé, est sorti dans la cour, retirant son pull en chemin et le laissant tomber sur un banc.

Kris a ouvert de grands yeux puis s’est précipité derrière lui.

- Erik !

- Je vais bien, Kris, j’ai juste besoin de bouger.

- Ou de te dépenser ?

- Tu as une idée en tête ?

- Un peu de muscu ? Si je me souviens bien, soulever des poids, ça te fera bosser un peu, non ? Et ces derniers temps, tu n’as rien soulevé de plus lourd que Tito, tu dois te ramollir.

- Ah, je me ramollis !

Et Erk – on avait suivi les frangins, bien sûr – de se jeter sur Kris qui l’a évité d’une roulade sur le toit de la niche d’Alpha, qui a râlé.

Le Viking ne souriait pas. Il était très concentré.

On s’est planqués sous les arcades, à l’écart.

Ils jouaient à chat, mais plus comme le guépard chassant la gazelle que des chatons après un bouchon de bouteille.

Bref, c’était du sérieux.

Erk a réussi à coincer Kris dans un des coins de la cour, alors, plutôt que de risquer de se faire attraper, Kris a « marché » sur le mur et, arrivé au bout de son élan, pour ne pas tomber la tête la première, a fait une espèce de saut périlleux, un salto arrière puissant, qui aurait dû lui permettre de retomber derrière son frangin.

J’ai remarqué que l’attitude d’Erk avait changé quand Kris avait couru sur le mur, il était plus attentif, plus soucieux, prêt, sans aucun doute, à le rattraper.

Puis, quand Kris a commencé son salto arrière, Erk a reculé, les genoux pliés, les yeux fixés sur le sauteur et Kris a atterri sur ses épaules, Erk a vite attrapé ses mollets et les voilà l’un sur l’autre. Kris avait l’air surpris. Puis un sourire en coin s’est dessiné sur son visage. Erk a levé les yeux, puis a lentement basculé la tête en arrière, juste assez pour voir son frère.

- Alors, je me ramollis ?

- Je dirai que mes quatre-vingt-dix kilos sur deux épaules, c’est facile.

- Vraiment ? Attends un peu. Elise, viens par ici, s’il te plaît.

- Pourquoi moi ?

- Pourquoi pas ?

- Réponse à la con, Viking.

- Absolument.

- Bon, que veux-tu que je fasse ?

- Je vais me baisser, et tu vas monter dans ma main. Tu pourras t’accrocher à Kris.

Lequel Kris avait un grand sourire joyeux sur son visage. Erk s’est accroupi, la main gauche paume vers le haut et Elise, posant ses mains sur l’épaule du Viking, est montée dans la grande paluche. Se tenant bien droite, elle a pris la main de Kris.

- Baby Jane, à droite.

La belle Anglaise a fait la même chose.

Lentement, Erk s’est redressé. Il portait une belle fille dans chaque main, et son frère sur les épaules. Les filles à bout de bras, quand même. Avec leur uniforme et bottes, elles devaient peser entre 60 et 65 kg, donc Erk soulevait, au total, 210 kilos. La vache !

Derrière moi, j’ai entendu Lin retenir Doc.

- Ils sont tous très concentrés. Si tu distrais Erk, c’est là qu’ils vont tomber.

Sur l’arbre à chats humains, Baby Jane et Elise, sur un mot de Kris, se pliaient lentement pour s’asseoir dans les grandes paluches. Elise se tenait à la jambe de Kris, mais Baby Jane croisa les jambes et les bras, l’air très à l’aise.

Le géant plia de nouveau les jambes et Kris aida les filles à descendre. Puis, après un petit mot en islandais, Erk lui tendit les mains et Kris se mit en équilibre dessus, sur les mains. Un vrai numéro de cirque.

- Prêt ?

- Quand tu veux, mon grand.

Erk a plié les genoux et, se redressant, a projeté Kris en l’air. Celui-ci a fait un double saut périlleux puis Erk l’a rattrapé, a freiné sa chute et le p’tit frère a touché le sol comme un papillon.

On a applaudi. Erk a gagné un massage des épaules. Et nous, on était soufflés. J’ai secoué la tête, incrédule. Derrière moi, Lin a chuchoté :

- Non, ils n’ont pas fait l’école du cirque. C’est de la danse classique, à la sauce Hellason.

- Et comme tout ce qu’ils mettent à leur sauce, c’est juste… incroyable.

- Bien d’accord, Breton de mon cœur.

La première patrouille de décembre s’est faite sous une légère chute de neige. On avait des gants bien épais, des bonnes chaussettes en cachemire dans nos bottes en cuir pleine peau, des caleçons long en mohair sous nos treillis, des sous-vêtements en je ne sais plus quelle matière naturelle. Bref, on était bien, et avec nos balaclavas ocre en mohair, on n’avait que les yeux qui étaient au contact de l’air frais – gelé, même pour le Breton que je suis – du petit matin qui nous a vus descendre le promontoire vers le village.

Erk a manœuvré les ponts-levis tout seul, sa grande force amplement suffisante pour la manip. En fait, avec un système de palans bien pensé, même Kitty pouvait les ouvrir toute seule. Il fallait tirer sur la chaîne pour soulever l’une des deux passerelles métalliques, la coincer soulevée puis utiliser un cabestan démultiplié pour la faire pivoter en travers du fossé.

Pour refermer le pont-levis, même chose. Erk est resté du côté du mécanisme, donnant son sac à Kris, a ramené la passerelle à sa place puis s’est un peu reculé. On s’est écartés de sa trajectoire et il a foncé, s’envolant au-dessus des fossés et se réceptionnant de toute la puissance de ses muscles de l’autre côté.

- Cabotin, a murmuré Kris en lui rendant son énorme sac-à-dos.

Le Viking avait son sourire de gamin heureux sur le visage et ça faisait plaisir à voir.

On s’est arrêtés au village prendre de leurs nouvelles. Ils allaient bien, et nous ont transmis des rumeurs d’exactions sur le territoire de Durrani. Des exactions, des représailles, de la vengeance, des punitions. Tous ces mots ont été prononcés ce jour-là et on avait une petite idée de la raison derrière tout ça.

Erk s’est décomposé, Kris l’a secoué un peu et le géant s’est repris.

On est repartis vers le sud et l’est. Là-bas, on avait une frontière, mais ni avec le Vioque, ni avec le Pashtoune. Et Lin voulait qu’on fasse une reconnaissance à pied, la moins bruyante et la plus discrète. La Land-Rover nous rejoindrait un peu avant pour nous ravitailler puis nous récupèrerait pour nous économiser le retour. A l’aller, c’était l’occasion de prendre des nouvelles de notre territoire.

On a passé une nuit à V3. Les deux ados qu’Erk avait Soignées se sont précipitées vers lui, leurs nattes volant derrière elle, de grands sourires aux lèvres.

Il les a attrapées à bras le corps, une sur chaque bras, et a fait un tour sur lui-même, heureux comme tout. Leur mère suivait plus calmement et quand Erk a posé ses filles au sol, elle s’est approchée de lui, elle a posé ses mains sur les joues du géant et l’a embrassé. Ses filles ont gloussé et lui a rougi.

- Merci Erk. Ce que tu as dit à mon mari sur l’honneur l’a fait beaucoup réfléchir, le pauvre.

Elle souriait en disant ça.

- Il commence à se faire à l’idée que tu as émise, cette petite graine que tu as semée. Je crois qu’étant très touché par cette affaire, il a pris la peine d’examiner ce qu’il avait appris, ce qu’il croyait être la vérité et de le comparer à ce que tu as dit. Moi aussi, j’ai réfléchi, un peu, sur cette éducation que nous recevons. On dirait que tu as déclenché une petite révolution. Mais pour le mieux, je pense.

Elle s’est penchée vers lui, ce qui n’est pas facile vue la taille du Viking. Elle a fait un geste vers ses filles qui se sont précipitées vers leur maison.

- Il faut que je t’avoue quelque chose : mes filles sont amoureuses de toi.

Il a sursauté, surpris et peut-être gêné, ou craignant autre chose.

- Je te rassure, Erk, c’est plus le syndrome du sauveur qu’autre chose. Ça leur passera. Mais le fait qu’elles soient amoureuses de toi me rassure. Elles ne sont pas totalement dégoûtées des hommes. Peut-être du sexe, mais ça, comme tu l’as dit, ça n’a pas d’importance, n’est-ce pas ?

- Non, en effet. Seraient-elles intéressées pour venir étudier le métier d’infirmière chez nous ? Nous avons déjà une jeune fille qui apprend et qui nous aide beaucoup, Fara. Elle doit avoir un an de plus que tes filles. Et il y a notre psychologue, qui pourrait aussi les aider.

- Et les hommes, les soldats de ta Compagnie ?

- S’ils osaient ne serait-ce que les regarder avec envie, les femmes de la Compagnie les feraient chanter sur un autre ton. Bien plus aigü.

Elle s’est tournée vers Baby Jane et Kitty, qui ont hoché la tête toutes les deux.

- Je vais y réfléchir.

- C’est déjà beaucoup.

- Pas autant que de décider leur père à les y autoriser si elles le veulent.

Ils ont échangé un sourire puis elle a lâché Erk et nous a invités à dîner chez elle et on a accepté.

Après on a dormi dans la salle commune, en tas comme on aime. Cette fois-ci, avec le froid, la chaleur des autres était appréciée.

On atteignait presque le point où la Land devait nous ravitailler quand les choses sont parties en couilles.

Kris avait mis Erk et Tito en tête, mais ça bavardait pas beaucoup. Erk, sachant que Tito, plus petit, ne verrait rien, faisait un tour d’horizon puis jetait un œil à l’Albanais. Et Tito faisait un tour d’horizon mais s’arrêtait avant de regarder Erk.

Bear était derrière eux, avec Baby Jane, suivis de Kitty et Quenotte, de JD et Yaka et nous deux, fermant la marche.

On avait le vent de dos. Puis il a tourné, nous prenant de face, Yaka a relevé la tête, JD s’est tendu, nous aussi. Devant, ils n’avaient rien vu.

Kris n’a pas eu le temps de prévenir. On a rien vu, rien entendu.

Puis Tito a trébuché, plié un genou, lâché son EMA 7 et Erk l’a rattrapé avant qu’il touche le sol. Après l’avoir vite regardé, il s’est tourné vers nous : « Embuscade ! »

On a giclé hors du chemin et on s’est planqués. Juste à temps car ça a défouraillé sec en face, on a vu les balles soulever la poussière du chemin. Erk a poussé un gros juron en disparaissant à notre vue.

Bizarrement, ça n’a commencé à tirer que quand on était presque planqués. Bizarrement, on était tous à droite du chemin et Erk à gauche.

- Erik ?

- ?

- Sitrep ?

- Je suis au fond du ravin, rien de cassé pour moi.

- Et Tito ?

- C’est… Une balle dans l’épaule, une dans la cuisse. Inconscient.

- Tu t’occupes de lui et tu nous rejoins.

- J’ai arrêté l’hémorragie, mais pour vous rejoindre ça va être difficile, j’ai glissé sur plus de 100 mètres. Et avec Tito dans cet état, je ne peux pas… Skítt !

Silence du Viking. Respiration tendue de Kris. Puis, dans nos oreillettes, on a entendu une voix inconnue.

- Bon, ma poule, maintenant que ton boyfriend est sûr de pas crever, pose tes armes, ramasse-le et suis-nous.

- Ce n’est pas…

- On s’en fout, tu ramasses la petite tantouze et tu nous suis, sale violeur.

Kris et moi, on s’est regardés.

- Je n’ai jamais fait ça !

- C’est pas ce qu’elle a dit.

- Elle qui ?

- Le chef. Elle a dit que tu l’avais violée et que ton frangin avait regardé. Et elle nous a demandé de t’attraper, pour te baiser puis te couper les couilles. En punition pour son viol. Et ton frangin ne perd rien pour attendre.

- Jamais… Jamais, ni lui, ni moi, jamais nous ne ferions ça, vous entendez, jamais ! Je ne sais pas qui est votre chef, mais elle vous a menti !

Il était en pétard. Kris se taisait. Ce n’était pas le moment de distraire le Viking qui allait avoir besoin de toutes ses facultés pour se sortir de ce mauvais pas. J’ai vu les jointures de Kris blanchir. Il a voulu traverser le chemin, une balle a sifflé sur son casque, déchirant la toile de camouflage. Son HUD est descendu tout seul, est remonté et j’ai failli le rater quand j’ai voulu le tirer à moi, à l’abri.

Il tremblait. Pas de peur. De tension.

En bas, on a entendu des cailloux qui glissaient puis deux coups de feu. Des grognements, des gargouillements, des râles, un bruit de course et plus rien.

- Erik ?

- Oui ? Fuck !

Encore des coups de feu, un bruit de course qui s’éloigne.

- Désolé, bróðir.

- Erik ? Erik ! Réponds-moi, merde !

Rien. Rien du tout, juste le silence dans nos oreillettes.

Encore des coups de feu.

J’ai tenté d’appeler le portable de Tito, je suis tombé sur le répondeur. J’ai appelé cinq fois, pensant qu’Erk n’avait pas eu le temps de le… Merde. C’était direct répondeur. Donc quelque chose n’allait pas.

Kris s’est dressé, se foutant des balles qui pourraient le frapper, et a hurlé de toute la force de ses poumons le prénom du géant. Ça m’a brisé le cœur, la détresse qu’il y avait dans ce cri.

La seule réponse qu’on a eu, ce fut un coup de feu. C’était loin, mais ça ressemblait à un Behemoth. J’ai croisé les doigts pour que ce soit le moyen pour Erk de nous dire qu’il était toujours vivant.

On n’a pas reçu un seul projectile, depuis celui qui avait touché le casque de Kris.

- Kris ? L’Archer ?

C’était Quenotte, notre radio.

- Oui, Quenotte ? j’ai répondu.

A côté de moi, Kris était blanc et tremblant. Tout en écoutant Quenotte, je l’ai forcé à baisser la tête, une main pesant sur sa nuque.

- J’ai appelé la base tout de suite, Lin nous envoie les motos et la Land pour les chercher. Ils seront là dans une heure ou deux.

Je l’ai remercié en regardant Kris. Il avait du mal à se calmer. Il haletait. Crise de panique ? Aucun moyen de le savoir, mais il m’avait toujours paru très maître de lui, très calme. Et là…

Il s’est redressé d’un coup et il est parti droit vers l’endroit où s’étaient tenus les tireurs.

- Nom de … Kris, reviens, bordel !

Je me suis redressé à mon tour, dans un silence troublé uniquement par le vent et les pas de Kris. Pas de fusillade. Etrange.

En réfléchissant à cette bizarrerie en poursuivant Kris - et ça m’apprendra à faire deux choses en même temps - je me suis laissé distancer. Heureusement pour nous tous, entre lui et nos agresseurs, il y avait JD, Yaka, tous les autres. Ils se sont jetés sur lui, ont réussi à le mettre à terre.

J’ai vu un Behemoth et trois couteaux quitter le tas au sol, puis un chargeur d’EMA 7. Contrairement au géant, le lieutenant ne retenait pas ses coups. Alors, de la crosse de mon flingue, je l’ai assommé. Un coup au menton, bien sec. Ça m’a fait mal de le frapper alors qu’il avait perdu son frère adoré, mais on ne pouvait pas le laisser continuer.

Je l’ai relevé, soutenu dans mes bras pendant que JD le fouillait pour lui retirer le reste de ses armes. Puis, pendant que je le serrai contre moi en retenant mes larmes, j’ai, soudain, réalisé que quelqu’un d’autre…

- Où est Bear ? j’ai demandé à JD.

- Avec Kitty.

J’ai haussé les sourcils d’étonnement. Mais c’est vrai que Kitty et Tito sont comme frère et sœur.

- Bon. Amène-le par ici et que Quenotte me passe Lin.

Quand Bear est arrivé à mes côtés, je l’ai fait asseoir à ma gauche, pour pouvoir le serrer contre moi de mon bras libre.

- Tugdual ? D’autres problèmes ?

- Pas vraiment. Mais une question : ta morphine maison peut-elle servir de sédatif à Kris ?

- Qu’a-t-il fait ?

- Il a voulu foncer vers l’embuscade. On l’a rattrapé et il a commencé à cogner. Je l’ai assommé, mais je ne suis pas sûr de l’accueil qu’il me réserve. Et… je me dis que s’il dort, il ne s’inquiètera pas. Et ne risquera pas de faire d’autres conneries.

- Je vois. Bon, une double dose le shootera suffisamment pour qu’il soit mal coordonné et facile à maîtriser.

- Ah bi…

- MAIS vu où vous êtes, attends un peu avant de faire quoi que ce soit. Et comment va Bear ?

J’ai regardé à ma gauche.

- Mal. Il est limite catatonique.

- Skítt. Je crois qu’il va falloir les rapatrier tous les deux… Et même toute la patrouille.

- Mais, Lin… Erk ? Tito ?

- Tugdual, ta patrouille est décimée : il vous manque la moitié de vos hommes. JD, Yaka et Quenotte vont rester avec Mac et ses motos, pour utiliser le nez de la chienne, mais je veux que les filles et toi reveniez à la base avec Bear et Kris. J’aurai besoin de vous pour maîtriser Kris.

- Il va vraiment… ?

- En Sibérie, quand Erk a été blessé par le tigre, j’ai dû l’étouffer pour qu’il se calme. En Guyane… Je t’autorise à l’assommer de nouveau s’il se réveille avant l’arrivée de Frisé. Dans la Land, tu pourras le shooter si nécessaire. Et surtout, sans Erik, ne te trompe pas d’injecteur, Tugdual.

- Compris.

On a coupé la comm.

- Putain.

Ils avaient tous entendu notre conversation. J’ai serré les deux hommes contre moi. Putain de bordel de merde.

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