XXIX

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Le lendemain, Kris dormait toujours quand je me suis levé. Baby Jane avait dormi avec lui dans le grand lit d’Erk et nous a dit qu’elle lui avait donné un peu du mélange de Lin, à sa demande. Il faisait des rêves très durs pour lui, mais il a refusé de nous en parler, à qui que ce soit.

Après le petit-déj, on a eu des nouvelles de P’tite Tête qui a pu nous donner les numéros de série des flingues d’Erk, mais qui nous a dit qu’il y avait quelque chose de bizarre et qu’il allait creuser.

Mac et ses motos, avec JD, Yaka et Quenotte, sont rentrés à la base. Et Yaka s’est jetée sur sa gamelle quand Cook la lui a tendu, et, morfale comme elle ne l’est jamais, a englouti sa ration. Elle a fait les yeux doux à Cook qui lui en a redonné une demi-portion. Et là, elle s’est calmée et est allée se coucher dans sa niche, puis, comme elle devait la trouver un peu froide, elle est allée dans celle d’Alpha et s’est roulée en boule, la truffe sous la queue et plus personne.

Je savais que personne n’affamerait la chienne, et que JD ne laisserait personne faire. Donc…

- Cook, faut prévoir large à midi. Et tu as quoi pour les caler en attendant le déj ? Je pense qu’ils vont avoir les crocs, si Yaka a bouffé comme ça.

- J’ai des biscuits et je peux faire du chocolat chaud, s’ils dorment comme elle en attendant le déjeuner, on ne perdra rien.

- Parfait Cook. Merci.

Je suis allé aux douches, ramasser le linge sale et le porter à la laverie, juste à côté. Puis je suis retourné là-bas et j’ai proposé mon aide pour frotter le dos des patrouilleurs.

- JD, j’ai dit en le frottant, comment ça se fait que Yaka aie eu aussi faim ?

- C’est Erk qui porte la majorité de nos rations. On est arrivés un peu juste, alors on a dû se rationner et rentrer vite fait.

- Forcément. Cook a des biscuits et fera du chocolat chaud, pour attendre le déj.

Kris étant encore sous mélange de Lin, la journée fut plutôt calme. Il faisait beau, très beau, et au soleil il faisait bon, et le pire pour nous tous, c’est que le ciel avait la couleur des yeux d’Erk, ce bleu intense du ciel d’hiver sans nuage.

Quand Yaka s’est réveillée, après le déjeuner, elle est allée droit vers Kris dès qu’il est sorti boire une tisane dehors avec nous, a posé son museau sur sa cuisse et l’a regardé droit dans les yeux.

- Oui, ma grande. Il me manque beaucoup, à moi aussi, il a dit en lui caressant la tête.

- Elle est désolée de ne pas avoir pu le retrouver, a dit JD.

- Eh… connaissant mon frère, il a dû tout faire pour brouiller les pistes, quitte à descendre la rivière et… Est-ce qu’on a pensé à regarder plus en aval de la rivière ?

- Pas certain, j’ai dit. On va chercher cet aprèm, s’il nous reste du temps satellite. Et on a les numéros de série des flingues d’Erk, maintenant.

- Pourquoi ne les a-t-on pas eus dès le départ ? demanda Kitty.

- Ils ont été faits sur mesure pour lui, a répondu Kris. Les modèles qu’on avait dans la Légion étaient à peu près ajustables, mais restaient un peu petits pour lui. On a dû lui bricoler des extensions pour ses flingues. Mais ici, Lin a préféré lui offrir des armes à sa taille, parce qu’on va les garder longtemps, ces flingues, vu leur prix et leur modularité.

- Modularité?

- Magasins plus grands, le rail pour ajouter un scope ou tout autre chose, tout ça… un GPS… Une antenne wifi, pour qu… Putain!

Il nous a fait sursauter. Il s’est tourné vers Bear.

- Bear, tu avais bien eu l’idée d’écouter leur comms, n’est-ce pas ?

- Oui.

- L’Archer, qu’est-ce que ça a donné ?

- Leurs comms sont bien encryptées et on n’a pas les moyens de cracker ça.

- Nous, non. Mais je connais quelqu’un qui pourrait nous aider. Faut juste la convaincre. Et pour ça, il me faut passer un appel en Italie…

Je l’ai suivi au PC Ops et il a demandé à Phone l’accès au téléphone. Le radio lui a filé une brique. Enfin, une boîte connectée au réseau téléphonique, dans laquelle Kris a placé son smartphone, dans le creux prévu pour, et qu’il a fermée et verrouillée. Utilisant le clavier de la boîte, exactement en face de celui de son tél, il a composé un numéro commençant par 39.

Il a pris le casque à micro qui était connecté à la boîte et a attendu. Cette boîte permet de passer des appels sans que l’on puisse savoir d’où il vient, car ça saute d’un réseau à l’autre en permanence.

- Mauro? Sono Kris…

Puis il a parlé à toute vitesse en italien, jusqu’à ce que son ton et son attitude changent, se faisant plus respectueux. A un moment, pendant qu’il était silencieux (j’ai appris après que son interlocutrice descendait dans son antre de hacker), il a rassemblé des données sur la console des comms (c’est un ordinateur) faisant des captures d’écran et des sauvegardes d’enregistrements.

Il s’est redressé, de nouveau respectueux, et a utilisé l’ordi portable, rarement connecté au Net, pour envoyer les captures d’écran et les sauvegardes.

- Grazie, Domi.

Il a tout rangé, récupéré son smartphone et remercié Phone. Il est allé voir Lin, votre serviteur toujours à la traîne.

- Lin, j’ai demandé à Domi de hacker les communications des hommes de Higgins.

- Tu as fait quoi ?!

Aïe.

- Quel est son prix ?

- La vie de son mari. Deux fois.

- Tu… Vous avez vraiment le cul bordé de nouilles, les garçons…

Elle a secoué la tête.

- Ben, je ne trouve pas tant que ça, Lin… surtout en ce moment. Mais on a de bons amis, oui.

- Qu’a-t-elle dit, exactement ?

- Que d’avoir sauvé Matteo deux fois voulait dire qu’Erik et moi faisions partie de sa famille et que son aide nous est acquise. Et Mauricio a fait une proposition intéressante.

- Je t’écoute.

- Tu sais que Matteo, pour nous remercier de lui avoir sauvé la vie deux fois, a proposé de l’argent, que ce grand couillon si droit dans ses bottes d’Erik a refusé… Bref, Matteo m’a proposé d’ouvrir un compte commun dans sa banque, avec une belle somme de départ. Il a fait des placements pour nous, et gère tout ça en notre nom.

Lin m’a glissé un regard en coulisse, que Kris a vu.

- Il est au courant. La proposition de Mauricio, c’est de faire pareil pour la Compagnie, et pour chacun de ses membres.

- Oh !

Elle avait l’air aussi surpris que je devais l’être.

- Comment ça marcherait, son offre ?

- Pour la Compagnie, tu donnes à ton commanditaire le RIB du compte chez Rizzi, l’argent fait des petits tant que tu n’en as pas besoin. Pour les gars, tu leur proposes un compte rémunéré, et l’idée c’est de verser la moitié sur le compte Rizzi, l’autre sur leur compte à eux. Tu présentes ça comme un compte épargne retraite, ça les fera rire puis réfléchir. Surtout si tu leur dis qu’ils peuvent désigner un bénéficiaire s’ils meurent avant. Et avant que tu me poses la question, ça ne nous coûtera rien. Erik et moi faisons partie de la famille Rizzi.

- Eiríkur Thorvald Haraldson Hellason Rizzi… Kristleif…

- Oui, oui, je sais.

Il souriait en faisant semblant de râler. Ça faisait plaisir à voir. Puis c’est parti en vrille quand Phone nous a appelés. On est allés au PC Ops.

- J’ai P’tite Tête en ligne.

- Mets-le sur haut-parleur, s’il te plaît.

- Lin ? a demandé P’tite Tête de son bureau à Balard.

- Affirmatif.

- Avez-vous essayé de chercher les flingues d’Erk ou pas encore ?

- Pas encore. Pourquoi ?

- Vous ne les auriez pas trouvés, Lin. Ils ne sont pas pucés.

Kris s’est brutalement assis.

- Mais… pourquoi ? a demandé Lin après avoir digéré l’information.

- J’ai fini par apprendre que, dans l’urgence de vous fournir les armes sur mesure, ils ont, plus ou moins involontairement, sauté une étape.

- Celle de sertir la puce et son antenne dans le métal du canon. Tu as le nom du… responsable à me donner ?

- Pour lui bouffer le nez ? a demandé P’tite Tête, vaguement rigolard. Pas la peine, son supérieur l’a déjà fait quand il a appris la connerie.

- Ça n’arrange pas nos affaires, ça, ceci dit. P’tite Tête, peux-tu me trouver une puce GPS avec une portée d’au moins 100 km ?

- Je dois pouvoir trouver ça, oui. Quelle taille ? Et… dans quoi tu veux la mettre ?

- Aussi petite que sa puissance le permettra. Et…

Elle a pincé l’arête de son nez entre ses doigts.

- Je vais pucer Erik.

Kris a sursauté, moi aussi. Et, du coin de l’œil, j’ai vu que Phone avait fait pareil.

- Il va te détester.

- J’en doute. Mais je m’en fous qu’il me déteste, du moment qu’on peut le trouver. Chez les FER, on a eu de la chance, parce qu’on avait deviné juste. Mais les prochaines fois… Comme cette fois-ci. Rien. Il a abandonné tout ce qui pouvait l’identifier avec des moyens normaux, ne gardant que son flingue parce qu’il croit qu’il y a cette foutue puce GPS, qui ne peut être suivie qu’avec des satellites militaires. Donc, P’tite Tête, il me faudrait une puce compatible avec la physiologie d’un Hellason, avec une enveloppe externe la moins synthétique possible. De l’or, si tu peux. Ou de l’argent. Le prix ne doit pas être un obstacle.

- OK. Je vais aller voir chez ATS. Je me suis fait un copain, là-bas.

- Bonne nouvelle, P’tite Tête. Et merci encore pour ton aide.

- Capitaine, je ne suis plus sur le terrain, avec vous, mais je reste un membre de la Compagnie, même si c’est l’armée française qui me verse ma solde.

- Je… Je te remercie, Caporal Chesnier. Lin out.

- P’tite Tête out.

Il souriait, ça s’entendait.

- Il est caporal, maintenant ? j’ai demandé.

Ne m’en veuillez pas, c’est la première chose qui m’est venue à l’esprit. Le reste était trop lourd à digérer.

Lin a gloussée, détendue, et Kris a souri un tout petit peu.

- Oui, je l’ai un peu aidé. Bon, elle a dit en redevenant sérieuse, ça ne nous arrange pas du tout, tout ça. OK, réunion de la Compagnie au mess. Phone, tu préviens tout le monde.

- Oui, Lin.

Une fois tous les présents au mess, Lin a exposé la situation. Même sur la sale gueule de Bic (je l’aime pas, ce type, c’est épidermique) il y avait de l’inquiétude.

- Kris a eu l’idée de chercher plus bas dans la rivière, car il est possible qu’Erik, chargé de Tito, n’aie pas pu se hisser et aie dû choisir pour sortir de la rivière un endroit en pente douce. Donc, L’Archer, Kris, Bear, Mac et Frisé, je vous veux autour de la table holographique, pour me trouver des endroits possibles. Ensuite, on enverra quelqu’un de l’autre côté trouver des traces. Et repérez les grottes répertoriées. Et si la carte holo le permet, les non-répertoriées aussi.

Focalisé sur la tâche qui consistait à trouver par où avait pu passer son frère, Kris fut assez calme ce soir-là.

* * * * *

Erik dormit toute la journée, s’éveillant par moments fébrile et désorienté. Tito le fit boire de l’ibuprofène dilué, du jus d’orange, collé à lui chaque fois que possible pour profiter de la chaleur intense que le pauvre homme dégageait.

Chaque fois que Tito refaisait le pansement, il avait l’impression que la blessure empirait. Mais n’ayant aucune connaissance médicale, il ne pouvait pas savoir exactement ce qui se passait.

La nuit n’apporta pas de soulagement au géant, et Tito fut très inquiet. Il était incapable de soulever ne serait-ce qu’une jambe du géant et devoir rester immobiles, cachés dans cette petite grotte, augmentait les risques de détection.

Après dîner, il se blottit contre lui, lui caressant le visage, les joues, le front, pour essayer de l’apaiser. Lui parlant aussi, tout doucement et, retrouvant les berceuses de son enfance, chantant en albanais ce que sa mère lui chantait quand il était malade.

Au petit matin, la fièvre était tombée et Erik respirait plus librement. Il ouvrit un œil, sourit à Tito et demanda à boire.

- Ça va mieux, Erk ?

- Oui… Je pense que c’est bon. Mais je suis épuisé.

- Pas étonnant. Je pense qu’il faut que tu dormes encore toute la journée, en mangeant, cette fois-ci. Puis ce soir, on essaiera de quitter cette grotte et de monter vers le nord.

- Bonne idée. Merci Tito. Et c’est joli, ce que tu as chanté.

Tito a rougi.

- C’étaient des berceuses albanaises.

- Très joli.

Erik a bâillé et allait s’excuser quand Tito lui a dit de se taire et de dormir, qu’il veillerait sur lui. Le géant a fermé les yeux, ouvrant un bras pour que Tito se blottisse contre lui, ce qu’il a fait, bien sûr.

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