XXX
Le lendemain, on a recommencé à détailler la carte, j’ai passé mon temps à zoomer, dézoomer, rezoomer…
Il a fallu qu’on calcule le degré maximal de pente qu’Erk pouvait gravir sans les mains.
Il a fallu que je réécrive le programme de la table. Pendant que je travaillais sur le code, je me suis dit que j’aurais peut-être pu hacker les comms des affreux. Puis je me suis cassé les dents, métaphoriquement, sur un morceau de code qui refusait de faire ce que je lui demandais. Donc, oui, il valait mieux que ce soit Domi qui hacke.
J’ai finalement pondu un truc pas très élégant mais qui permettait de soulever la carte et de la faire pivoter dans toutes les directions, voir par en-dessous, par le travers, par le haut… J’étais assez content de moi car ainsi on a pu éliminer pas mal d’endroits impossibles pour le géant, rien qu’en tournant la carte dans tous les sens.
Puis je me suis souvenu de Kaymani center et de notre préparation sur la carte. Et j’ai eu une idée.
J’ai pris l’avatar d’Erk, et j’ai essayé de lui donner un poids, un barda… et un Tito. Je me suis recassé les dents. Après presque une journée de frustration, j’ai demandé à Kris s’il voulait bien demander de l’aide à Domi.
- C’est possible. Mais il faut que tu me détailles tout ça très précisément, puis que tu m’aides pour la traduction en italien. Je peux la faire, mais il me faudra de l’aide quand le terme sera flou ou trop technique.
Alors je me suis assis avec papier et crayon et j’ai mis mes idées au propre. J’ai même écrit les lignes de code que j’avais utilisées, j’ai fait un dessin grossier de l’avatar que je voulais, puis un autre de l’avatar montant une pente pour donner à la fameuse Domi une idée de ce que je voulais faire.
Je suis allé voir Kris avec ma copie, il l’a lue, soigneusement et m’a demandé de préciser un ou deux trucs. On est ensuite allé au PC Ops, on a sorti la bécane et Kris a traduit mon truc, que je lisais en français à voix haute. Mike, de garde, nous jetait de drôles de regards. Kris a pris des photos de mes crobards, a joint tout ça au mail et a appuyé sur le bouton envoi. Et j’ai vu l’adresse mail.
- Quoi ? Calliope… Tu envoies à…
- Tais-toi, a dit Kris d’une voix tendue.
- Je n’ai rien entendu, Kris, a dit Mike d’une voix posée.
- Merci Mike.
Kris m’a chopé par la manche et m’a entraîné dehors. Il s’est arrêté au milieu de la cour.
- Comment tu connais ce nom ?
- Elle est… était mythique. Je rêvais d’être aussi célèbre quand j’étais gamin. C’est pour ça que j’ai hacké Balard.
- Et tout ce que ça t’a rapporté, c’est d’être envoyé au fin fond de la Sarre à jouer les troufions.
- Eh oui, tout le monde ne peut pas être célèbre dans ce milieu. Quand je pense que tu connais… que tu la connais.
Je n’en croyais pas mes oreilles. Mon idole de jeunesse… Calliope était célèbre, dans le milieu des hackers européens, pour avoir fait tomber quelques réseaux de commerce – et pire – illicites. Pour avoir, aussi fait quelques tours innocents en apparence, comme de changer la couleur des LED qui éclairaient Rome, ou de transférer de l’argent criminel dans des mains nécessiteuses. Bref, une cyber Robin des Bois.
Jusqu’à ce qu’elle disparaisse de la circulation après avoir laissé un teaser. Et maintenant que j’ai une autre partie de son histoire, je comprends ce que voulait dire la pieuvre verte et blanche sur fond rouge. Et je comprends aussi qu’elle n’est pas morte, qu’elle est même heureuse. Etrange destin que celui d’une hackeuse légendaire ayant épousé un Don de la mafia du nord de l’Italie.
Kris, qui s’agitait, m’a sorti de mes pensées.
- Qu’est-ce qui ne va pas ?
- Il va falloir attendre, maintenant. Et…
- Et tu ne sais pas faire, quand il s’agit de lui. Il faut que tu t’occupes.
- Je sais bien !
J’ai froncé les sourcils, pas très content et il s’est excusé.
- Pourquoi ne pas profiter de ce temps libre pour ranger votre chambre ? La faire à fond ? On n’a pas pu faire de ménage depuis un moment.
- Bonne idée. Merci. J’irai faire les douches après. Et les toilettes…
Il s’est éloigné en faisant une liste presque à la Prévert, mais sans raton-laveur. Je me suis dit qu’on allait avoir les baraquements les plus propres de tout l’Univers…
Quand j’en ai parlé à Lin, elle m’a dit que c’était une bonne idée. Contrairement à Bear, Kris n’a pas touché aux affaires des autres, mais il a récuré, pendant les trois jours qu’il a fallu à Calliope pour coder les avatars et leur donner un poids, une masse et suffisamment de paramètres réglables pour envisager tous les cas de figures (blessé, pas blessé, portant Tito, ne portant pas Tito, etc).
Kris se levait tôt, filait aux cuisines donner un coup de main pour la table du petit déj, faisait la plonge, le ménage de la cuisine et du mess, puis s’attaquait à ce qu’il avait décidé de nettoyer. Le soir, il demandait une goutte du mélange à Lin et filait se coucher, avec toujours une femme qui le surveillait. Baby Jane, Moutarde, Mike. Il a refusé Kitty.
- Pourquoi, Kris ?
- Je ne veux pas te faire mal, Kitty.
Elle l’a regardé un bon moment, puis a posé une main sur sa joue, caressant la peau de l’Islandais. Il s’est appuyé contre sa main, les yeux fermés. Tiens donc.
- Merci Kitty.
- J’attendrai, Kris.
Elle s’est penchée et a posé un baiser sur le front du petit frère. Il a passé ses bras autour de la taille de la miss, l’a attiré entre ses jambes écartées et a posé sa tête contre son ventre. Tiens donc bis.
Elle a caressé ses cheveux et ses épaules à lui se sont détendues.
- Je… Bientôt, Kitty. Merci d’attendre.
J’avais raté une partie de la conversation, ou en tout cas, une partie de l’histoire. Mais, au final, ça ne me concernait pas. J’avais une impression bizarre… comme si Kris, ne pouvant plus attendre que son frère se sorte la tête du cul, avait jeté son dévolu sur l’innocente. Et ça me plaisait moyen. Un peu comme s’il profitait des sentiments qu’elle avait pour lui histoire de se soulager. Mais bon, il n’avait rien fait, apparemment, donc c’était sans doute pas ça. Et puis zut, ça ne me concernait pas vraiment, sauf si ça nous mettait en danger.
Mes nuits à moi, je les passais dans le lit de Lin, à la réconforter, à la tenir dans mes bras quand elle pleurait. J’étais le seul à voir ses larmes. Comme elle l’avait dit après Alamo, elle les connaissait depuis si longtemps, elle avait participé à leur éducation… Elle était comme une grande sœur, pour eux… Et être sans nouvelle d’Erk, voir Kris être la moitié de lui-même ou être complètement fou d’angoisse, ça la minait. Alors, la nuit, sous ses couvertures, dans mes bras, elle pleurait. Et le lendemain, elle affrontait sereinement la journée. Le lendemain, elle est notre Capitaine, badass, motivée, juste, calme… mais la nuit, elle est mon amante, une femme qui souffre. Et cette dualité me fait l’aimer encore plus.
Nous souffrons tous de l’absence de Tito et d’Erk. Certains plus que d’autres. Certains plus discrètement que d’autres.
* * * * *
Quand ils se sont réveillés, il faisait bien nuit. Tito se sentait mal, il aurait dû veiller et réveiller Erik au crépuscule, mais il était encore épuisé. Erik a haussé les épaules, disant que ce n’était pas grave et qu’avec un peu de chance, ce repos supplémentaire leur serait bénéfique.
- Avec un peu de chance, putain, on en a bien besoin, de cette chance.
- Ecoute, on est vivants, à peine amochés, et c’est moi qui ai les rations, donc on a assez à bouffer.
- Mais pour combien de temps ?
- On verra bien. On va se rationner un peu, pour être tranquilles.
- Je te trouve vachement fataliste.
- Je ne peux contrôler qu’une chose, dans cette affaire : la longueur de mes pas et l’endroit où je veux arriver.
- Ça fait deux choses.
- J’ai l’impression d’entendre Kris.
Tito a boudé un peu puis lui a tiré la langue.
- Tout ça pour dire que ça ne sert à rien de s’inquiéter de quelque chose qu’on ne maîtrise pas. Notre fatigue due à nos blessures, par exemple. Se priver de sommeil maintenant serait une sacrée connerie. Mais… en route. Tu veux marcher ?
- Oui, j’aimerai autant.
- OK, je te porterai quand tu fatigueras.
- Et toi, Erk ?
- Moi, ça va, ne t’en fais pas.
- Si c’est un « ne t’en fais pas » comme avant ta fièvre, j’aime autant qu’on passe une nuit de plus ici.
- C’est un vrai « ne t’en fais pas ».
- Hmm… J’ai du mal à te croire.
- Eh bien tu me porteras si je tombe.
- Pfff, gros malin.
Erik a souri et ils se sont rééquippés pour sortir de la petite grotte.
Ils ont marché toute la nuit, Tito réintégrant le kangourou vers minuit et se laissant porter par le géant qui avait, en effet, l’air en forme.
Au matin, ils ont trouvé une petite grotte, juste un creux derrière une grosse pierre, à peine de quoi se planquer derrière, Tito sur les genoux du Viking. Le creux était trop près d’une route, alors Erik a veillé toute la journée, prêt à tirer pour sauver leur peau, s’il le fallait. Tito a dormi en partie, a voulu relever Erik qui a décliné, disant que tout allait bien en langage de plongée. Ne pouvant parler, Tito lui a montré combien son médius était droit et Erik a rigolé silencieusement.
Ils ont quitté le creux plusieurs heures après le crépuscule, une fois sûrs que le trafic sur la route était nul, et ont enfin trouvé un chemin qui allait vers le nord tout en restant au fond d’une vallée. Ils ont soufflé un peu, se sentant plus proches de la base.
Tito a réintégré le kangourou après minuit, content des progrès qu’il faisait.
Ils ont trouvé une grotte avec une source et se préparaient à s’installer.
- Bon, on va pouvoir remplir nos gourdes et se reposer, a dit l’Albanais.
- Pas vraiment. Regarde cette pierre.
- OK, c’est une jolie pierre plate qui trempe dans la source, avec une tache claire.
- La tache, c’est une éraflure faite par de l’acier ou de l’alu. Par le fond d’un bidon métallique ou d’un seau. Pour venir chercher de l’eau. Donc on va remplir nos gourdes et se tirer vite fait.
- Mais il va faire jour bientôt.
- Je sais. Mais on ne peut pas se faire piéger ici. Je refuse de tuer des innocents, mais je ne veux pas non plus qu’ils puissent nous dénoncer au Vioque.
- T’as raison, Erk. Bon… File-moi ta gourde et monte la garde.
Ils sont repartis dans la lumière blafarde du petit matin.
- Putain, ça caille, a dit Tito.
- Il fait frais, c’est vrai. Attends.
Il s’est mis à l’écart du sentier qu’ils suivaient, a posé son sac à dos et retiré son pull pour le tendre à Tito, remettant sa veste d’uniforme sur son henley.
- Mais, tu vas te les geler.
- Je suis Islandais, alors, ça, c’est plutôt une température de mi-automne, pour moi. Et puis, j’ai un peu de gras sous la peau, genre combi néoprène intégrée, pour me protéger. Toi, t’as que dalle.
- Merci mais… bon OK.
Tout en sachant que le gras sous la peau d’Erik tenait de la légende urbaine, Tito a enfilé le pull qui lui arrivait aux genoux et a dû faire un nombre de rouleaux aux manches qui devaient se compter sur les doigts des deux mains et des deux pieds.
- T’es mignonne, dans cette robe, ma petite.
- Fais gaffe, Viking, je suis p’tet petit, mais je suis à la hauteur de tes bijoux de famille, alors si tu y tiens, modère ton langage.
- Je t’ai vexé ? a demandé Erik d’un ton désolé.
- Mais non, idiot. Fallait que je sorte une connerie aussi grosse que la tienne, pour équilibrer. Bon, tirons-nous d’ici.
Ils ont trouvé, en grimpant un peu, un autre creux.
- Skítt, pas sûr que je tienne dedans, a dit le géant.
- Va falloir, on ne peut pas continuer comme ça en plein jour.
- Bon, passe le premier, va au fond. Je te passerai mon sac à dos, tu pourras ouvrir une ration. Je me mettrai devant.
Erik ne tenait pas vraiment, et il a encore veillé pendant que Tito dormait, ses yeux se fermant malgré lui.
Ils sont repartis à la nuit tombée, grimpant vers le nord et passant un col assez bas qui ouvrait sur une autre vallée, orientée vers le est-nord-est. Bon, pas la direction idéale, un peu trop à l’est, mais mieux que rien.
Au petit matin, ils ont eu une très grosse frayeur. Ils progressaient sur un sentier de chèvres, leurs têtes allant de droite à gauche pour trouver un refuge pour la journée quand ils se sont trouvés nez à nez avec une patrouille à cheval qu’ils n’avaient pas entendue, puisque la patrouille était immobile.
Les yeux des hommes du Vioque se sont écarquillés, des flingues se sont levés et Erik a laissé tomber son EMA 7 au bout de sa sangle, levant les mains. Tito, un couteau de lancer prêt à jaillir, s’est planqué derrière le géant.
L’un des cavaliers a mis sa monture au pas et commencé à tourner autour des deux hommes, tandis qu’Erik, tendu comme une corde de violon et ivre de fatigue, se demandait comment il allait faire pour s’en sortir. L’envie de se livrer à eux pour pouvoir enfin dormir était grande, mais la main de Tito, dans son dos sous son pare-balles, qui tremblait légèrement, l’a amené à reconsidérer son projet, qu’il n’aurait pas mis à exécution, car il lui était interdit de se livrer comme ça à l’ennemi.
Puis la décision a été prise pour lui, puisque le gars a pointé le lys de sang sur l’épaule du géant et a baragouiné à toute vitesse en dari et Tito a écouté soigneusement.
Puis les mecs sont partis. Comme ça, sans rien dire, mais il y en avait un qui a tendu ses rênes à un de ses potes et s’est foutu à l’envers sur sa selle, visant les deux hommes de sa kalach.
- Putain… s’est passé quoi, là ?
- Ils disaient en gros qu’il ne fallait pas nous toucher, sinon Alshaytana allait les tuer avec son gros flingue. Ça doit être Lin.
- Une bonne nouvelle. S’ils ont peur d’elle, ils nous lâcheront les baskets.
- Ils ont aussi peur de toi, Erk.
- Pourquoi ?
Tito s’est souvenu qu’Erik n’aimait pas qu’on ait peur de lui.
- Ils t’ont reconnu. Suite à ce que tu as fait dans la forteresse des FER, ils t’appellent…
- Ils m’appellent comment ?
- Ça ne va pas te plaire du tout, mon grand.
Il y avait beaucoup de compassion dans le regard de Tito. Erik a dégluti.
- Balance, Tito.
- Ils t’appellent le Massacreur, a dit Tito en tendant une main pour prendre celle du géant.
Il l’a serrée très fort quand Erik a vacillé. Le géant a passé sa main libre sur son visage.
- Ce n’est pas possible, je… C’est pas vrai… C’est horrible… Je ne suis pas…
- Erk…
Mais le géant, choqué par le nom donné, avait du mal à se secouer. Tito tira sur sa main pour l’emmener à l’écart du chemin, le géant se laissant faire, murmurant toujours ces mêmes paroles de déni. Tito sentit son cœur se serrer. Erk était la gentillesse même, suivant son propre code de l’honneur, faisant les choses proprement. Mais le berserk qui le saisissait parfois voulait autre chose, souillant cette âme si belle et si pure.
- Erk, dit-il une fois cachés derrière un pan de rocher.
- Je ne suis pas un massacreur, ce n’est pas vrai, Tito, je ne suis pas un massacreur.
- Non, Erk, tu n’es pas un massacreur.
- Je ne suis pas un massacreur, ce n’est pas vrai…
Tito comprit que le pauvre Erik, qui veillait depuis qu’il avait été blessé, qui n’était peut-être pas complètement remis de sa blessure, n’arrivait à se sortir du cercle vicieux dans lequel le surnom l’avait jeté.
- Erk ?
- Je ne suis pas…
- Je sais, mon grand. Est-ce que tu m’entends ?
- Je ne suis pas un massacreur…
- Erik ?
Pas de réaction.
- Eiríkur ?
Les yeux bleu bourrache se sont fixés sur lui. Bien.
- Ecoute-moi bien, Eiríkur. Tu vas t’asseoir en tailleur, là, à mes pieds, et tu vas faire ce que je te dis.
Le géant a obéi et s’est plié aux pieds du petit homme. Priant pour qu’il n’y ait pas de sniper dans le coin, Tito a délicatement défait la mentonnière du casque du Viking, lui a donné en lui disant de ne surtout pas le lâcher et Erik s’est concentré sur cette tâche toute simple pour son cerveau dépassé.
- C’est bien, mon grand, c’est très bien. Maintenant, détends-toi pour moi. Là, encore un peu… Eiríkur, relâche tes épaules… Là, c’est très bien.
Retirant son gant, Tito lui a caressé doucement le front, comme pour écarter des mèches de cheveux. Erik a fermé lentement les yeux, s’appuyant contre la petite main qui le détendait. Puis Tito a glissé son autre main vers la nuque du Viking et a serré comme s’il voulait le prendre par la peau du cou, comme un chaton. Un gros chaton, mais quand même. Erik s’est complètement détendu, appuyant son front sur le ventre de Tito. Celui a continué à caresser ses cheveux, lentement, toujours du front vers son chignon, et à tracer des petits cercles sur la nuque du géant, comme il avait vu Kris le faire.
- Erik, c’est très bien. Reste détendu. Voilà, c’est bien… On y est presque…
Tito a continué ses félicitations, ses encouragements et Erik s’est calmé. Il a tourné la tête, posant sa joue sur le ventre de Tito. Celui a vu quelques traces de larmes, mais n’a fait aucun commentaire, continuant ses caresses.
- Merci Tito, a dit le Viking.
- Ça va mieux, mon grand ?
- Oui. Tito ?
- Oui Erk ?
- Tu crois que…
- Non, mon cher Viking. Je sais que tu ne l’es pas. Que c’est le berserker qui l’est, pas Erik Hellason. Erik Hellason est un homme merveilleux, gentil, droit, presque un saint.
- Mais le berserker, c’est moi, aussi, Tito.
- Le berserker, c’est toi, oui, c’est vrai. Mais ce n’est pas le toi de tous les jours. C’est le toi sombre, pragmatique, sans pitié, qui est prêt à tout pour défendre ceux qu’il aime. Et ce qui s’est passé chez les FER, c’est parce que tu voulais pouvoir revenir vers nous pour nous protéger. Mais cette part sombre de toi, ce n’est pas celle que je vois. Celle que je vois, c’est cette part de toi qui nous protège, qui nous soigne, qui nous aime. Et ça, Eiríkur, c’est toi. C’est ça qui est toi, pas autre chose.
Erik n’avait pas l’air très convaincu.
- Bon, je te sors mon argument massue.
Le géant a eu un sourire en coin, qui a fait sourire Tito à son tour.
- Quelle est l’opinion qui compte le plus, pour toi ? Celle de connards qui ne t’ont même pas vu et se sont fait une opinion à l’emporte-pièce, ou celle de ceux qui te connaissent et qui t’aiment ?
Erik a secoué la tête.
- Tu as raison, Tito. C’est votre opinion qui compte. Mais… Je vais avoir du mal à oublier ça.
- Je m’en doute. Tout comme je me doute qu’il y a d’autres choses dont tu ne parles pas et que tu as du mal à oublier. Des choses qui te rendent fragile et qui nous donnent envie, à nous autres, de te mettre dans du coton pour te garder à l’abri.
- Toi aussi ?
- Que veux-tu, Viking, on tient à toi… Et si on veut continuer à tenir à toi, ce serait bien qu’on reparte.
- Oui, bien sûr. Merci encore pour tout.
- Je t’en prie.
Erik a remis son casque, s’est rééquipé et ils sont repartis.
Au matin, ils n’ont pas trouvé de grotte assez loin d’un village pour passer la journée, alors ils se sont planqués entre des buissons et ont veillé. Tito a fini par s’endormir, dans les bras d’Erik qui somnolait un peu. Ils ne pouvaient pas faire de feu, forcément, et même la bougie chauffe-plat était dangereuse, si près des habitations. Pas de café. Il a pris une gourde de jus d’orange et l’a sifflée, espérant que la vitamine C naturelle l’aiderait à tenir.
Cela devait faire une semaine qu’ils avaient été séparés. C’était trop long.
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