XXXVIII
On est repartis. On devait atteindre le mois de février, je crois. On se les caillait. Au matin on se réveillait avec de la glace sur les poils de la moustache, juste sous le nez, là où notre haleine gelait. Sauf ceux qui, comme Kris ou Tito, pouvaient mettre leur visage au chaud dans le cou de quelqu’un (je vous laisse deviner qui). Et les filles avaient plus de mal car pas de moustache pour amortir. Tous les soirs, Erk faisait des micro-soins pour elles.
Malgré les cagoules, malgré la chaleur des autres, on se les gelait. On avait les super fringues thermiques, mais les doigts et le bout du nez…
On était drôlement contents de trouver une grotte abritée du vent, où il ne faisait plus 0° mais 10° voire 15° si on arrivait à aller assez profond.
On est tombés sur un vrai trésor, lors d’une de ces patrouilles inintéressantes. Ce n’était pas monnayable. C’était beau.
On s’était accagnardés dans une grotte, sous une tempête de neige. Bon, selon les frangins, c’était pas un blizzard, juste un petit peu de vent et de neige. Ben, pour nous, c’était quand même vachement impressionnant.
Bref, vers midi, les petits flocons qui tombaient lentement étaient devenus des gros machins qui tombaient plus rapidement et surtout, qui étouffaient tous les bruits. Kris nous avait demandé de nous resserrer et de baisser nos visières, d’enclencher la vision infra-rouge, à Tito de trouver une grotte où se planquer en attendant que ça cesse, et à Quenotte de prévenir la base.
On a fini par s’engouffrer dans une fissure à ciel ouvert et à peine plus large que les épaules de Kris. Erk a dû se mettre de profil pour avancer.
- Tito, a dit Kris, t’es sûr de ton coup ?
- Oui, il y a bien une grotte ici, d’après les cartes. Mais je crois qu’elle se mérite.
Oui, en effet, elle se méritait. On a crapahuté un moment puis la fissure s’est ouverte sur une micro vallée… Si on avait été dans une forêt, j’aurais dit une clairière. Et micro, parce qu’elle était à peine plus grande que la petite chambre de Lin. Il y avait de la neige épaisse sur la moitié et moins sur l’autre, car il y avait une source d’eau qui fumait dans l’air glacé.
- De l’eau chaude ? j’ai demandé, surpris.
- Pas vraiment, a dit Baby Jane. D’après mon HUD, elle est à peine plus chaude que la neige.
- Il ne faudra pas la boire telle quelle, alors, a dit Erk. Trop dangereux. Est-ce qu’elle est potable ?
- On a toujours nos comprimés de désinfectant, Erk.
- Oui, JD, mais moins on en avalera et mieux on se portera.
Pendant cet échange, Baby Jane a sorti sa tablette de combat de son étui sur son bras gauche et a lancé une appli super utile pour nous. Elle a positionné sa tablette de manière à récupérer une goutte d’eau sur la surface lisse et a appuyé sur le bouton vert. La tablette a pris une série de photos, a clignoté puis le fond est passé par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel avant de s’arrêter sur le vert. L’eau était potable.
On a tous rempli nos gourdes et on a suivi Tito dans une autre crevasse, un peu plus large, et avec un plafond, cette fois-ci.
Très vite, on a débouché sur une grotte d’une taille sympa, avec un sol qui était un mélange de sable et de cailloux, avec quelques cailloux un peu plus gros.
Il y faisait presque tiède, et je me suis dit que c’était parce qu’on était enfin à l’abri du vent et de la neige. Puis j’ai senti la glace sur ma lèvre supérieure qui fondait. Alors j’ai regardé mon HUD : 17°C. Surprenant quand il faisait entre -5 et 0 dehors.
- Bon, les gars, a dit Erk, on va s’installer de manière pseudo-temporaire. Poncho au sol, couverture dessus. On n’enlève rien, sauf le casque. Je veux une sentinelle à l’entrée de la grotte.
- Avant ou après la fissure, Erk ?
- Avant, dans la petite vallée.
- Bróðir, ce serait mieux plus loin.
- Oui, mais…
- Mais ce ne serait pas sympa pour celui qui s’y collera. On va croiser les doigts et espérer que le sale temps les gardera tous au chaud.
- Les gardes à l’entrée de la grotte seront d’une heure seulement, a dit Erk avec un sourire. Je prends la première.
- Attends, viens là, mon grand.
Le géant s’est approché de Kris, perplexe, et Kris a commencé par vérifier son harnachement, la mentonnière de son casque, puis a passé une main derrière sa tête et l’a attiré vers lui. J’ai cru qu’il allait l’embrasser, mais ils ont juste doucement cogné leurs casques. C’était… très doux et il y avait dans ce geste simple une immense tendresse de la part de Kris et un peu de retenue chez Erk, mais il donnait à son frère, à son amour, ce qu’il pouvait.
Erk est parti nous garder et Kris a supervisé le campement, en sortant une mini gamelle et en mettant de l’eau à chauffer.
- Yaka, tu seras nos yeux cette nuit, alors maintenant, fais un gros dodo, d’ac ?
On avait pris l’habitude de nous adresser à elle directement, comme si elle comprenait. Et comme JD, toujours à ses côtés, entendait ce qu’on disait, leur lien le lui traduisait. La chienne a jappé discrètement et a attendu que JD lui déroule sa couverture pour s’allonger dessus. Attrapant un coin entre ses dents, elle l’a rabattue sur elle et a fermé les yeux. JD est allé étaler une crème très grasse – c’est quasiment de la graisse à traire – sur ses coussinets puis lui a enfilé des chaussettes pour que ses pattes restent au chaud tant qu’elle ne marchait pas. Enfin il a rabattu le reste de la couverture, histoire que pas un bout de la chienne ne dépasse, hormis sa truffe et ses oreilles. Ils sont trop mignons, tous les deux.
Yaka est bien équipée, en hiver. Comme nous, elle a son gilet pare-balles, mais en plus, elle a un manteau épais qui couvre son dos, ses flancs et son ventre. Si elle a besoin de pisser, il faut qu’elle demande à JD de l’ouvrir et de le relever, mais le reste du temps, elle est bien au chaud.
On avait essayé de lui mettre des bottines, mais elle avait réussi à les enlever sans les déchirer et les avait déposées au pied de JD en faisant ensuite semblant de les enterrer, disant ainsi : « C’est de la merde ». JD lui a promis qu’elle ne les mettrait pas tout le temps, sauf quand les lieutenants en donneraient l’ordre. Il a fallu que Kris lui explique que parfois il faudrait qu’elle aille à des endroits où des cailloux ou du verre pourraient la blesser. Elle a éternué, pas ravie, mais a accepté. Enfin, c’est ce que nous a dit JD.
Pendant que l’eau chauffait, on a fini de préparer le camp, ce qui fut rapide, puis Kris nous a demandé, deux à la fois, de vérifier toutes nos armes.
On a passé le temps comme on a pu, remplaçant la sentinelle toutes les heures. Erk était revenu couvert de neige, ce qui n’a pas manqué de nous surprendre.
- J’ai poussé jusqu’à l’entrée. Je ne suis pas allé plus loin, toutes nos traces ont été effacées, je n’ai pas voulu en créer de nouvelles. Il y a toujours du vent, il a forci, et les flocons sont beaucoup plus denses. Ça caille, aussi. Plus qu’avant.
- Viens enlever tes fringues mouillées et boire une tisane.
- Merci. J’aurai dû mettre mon poncho. J’ai dit à Tito de ne pas aller au-delà du premier coude, histoire que la grotte ait l’air de n’avoir pas été visitée, de l’extérieur. Mais ça ne sert à rien de rester à l'entrée. Juste aller jeter un œil de temps en temps, ça évite de se refroidir.
- Bien noté, mon grand. Yaka sera nos yeux cette nuit, à l’entrée de la grotte, juste là, donc on pourra essayer de dormir un peu. Une sentinelle quand même. Je prendrais la dernière garde.
- Je propose qu’on fasse des quarts de deux heures cette nuit, j’ai dit.
- Pourquoi ? Par le froid qu’il fait…
- Ben, justement, il fait froid. Je suis prêt à parier qu’on va devoir tous dormir en tas pour se tenir chaud. Toute personne qui se lèvera pour aller prendre sa garde nous réveillera, quasi sûr.
- Donc ta solution nous donnera deux heures de sommeil ininterrompu. Bien vu, caporal.
- Merci. Et je propose une autre chose : qu’on mette Erk au milieu, qu’il ne fasse pas de garde, juste le radiateur.
- Mais non, pas de raison que… a commencé le Viking.
- Moi, je suis assez d’accord, l’a interrompu son frère avec un sourire. Tu fais un excellent radiateur.
- Oui, peut-être, mais…
- Erk, l’a coupé Baby Jane, nous apprécions tous ton envie de nous protéger, mais je peux t’assurer que nous apprécierons encore plus ta capacité à nous réchauffer.
Et il a rougi. C’est vrai que la phrase peut être à double sens, et que Baby Jane a levé un sourcil en disant ce mot.
- Et puis, ceux qui ont fait les gardes de jour ne feront pas celles de nuit. Donc.
Il a fallu un peu de temps à notre radiateur humain pour retrouver sa peau de porcelaine, surtout que Kris s’était collé à lui en ronronnant comme un chat.
- Tu fais quoi, là, crétin ?
- Le chat contre le radiateur.
- Pff, t’es franchement idiot, des fois.
- Mais je suis ton idiot.
- Pas faux.
- Quel mot n’as-tu pas compris ?
J’ai éclaté de rire. Je me souvenais de la série comique à l’origine de cette expression et ça me faisait marrer qu’un Islandais ayant appris le français à 18 ans la connaisse.
- Je crois que c’est « ton », a répondu le géant très sérieux.
Kris s’est redressé, outré, et Erk l’a attrapé par la nuque avec un grand sourire narquois.
- Espèce de pedzouille, Erik !
- Mais je suis ta pedzouille.
Et ça a mouché Kris. Car, au regard surpris d’Erk, il avait dû comprendre, comme moi, la portée de cette minuscule phrase. Et Kris a fondu, se coulant contre son frangin, un bras autour de sa taille. Le Viking a passé un bras autour des épaules de Kris et ils se sont tus.
Quand Baby Jane est revenue de sa garde, elle était congelée et s’est réfugiée dans les bras d’Erk.
- Je prends une avance sur cette nuit.
- Et tu auras le premier quart de soupe, ma belle.
C’était l’heure de dîner, et j’ai distribué les quarts de soupe pendant que Bear sortait les rations et qu’Erk faisait le radiateur.
Au dessert (crème au chocolat maison), les frangins se sont regardés et Kris a hoché la tête.
- Bon, a dit Erk, vous avez été exemplaires et vous avez réfréné votre curiosité depuis l’attaque de nuit. Alors, Kris est d’accord, on va vous raconter la Guyane, et la première fois que Kris a utilisé sa danse de mort. Tout ça, avec une tisane, quand même.
JD a réveillé Yaka, lui a servi son dîner, un bourguignon bien gras et chargé de patates et carottes, qu’elle adore. Il lui a mis ses bottes malgré ses protestations mais Kris a fait les gros yeux et Yaka a obéi en soupirant et en roulant les yeux. Elle est super expressive, depuis qu’elle a réussi à parler à JD.
- On dirait une ado, a fait Erk.
- C’est vrai. Bon, je reviens, a dit JD.
Il a accompagné la chienne dehors, pour lui montrer où elle devait se mettre. Nous, on est sortis chacun notre tour pour aller pisser, recouvrant tout de neige autant que possible.
Une fois tous revenus, une tasse de tisane à la main, on s’est assis en cercle et les frangins ont été la cible de sept paires d’yeux curieux et de sept paires d’oreilles très, très curieuses.
- Tu commences, mon grand ?
- D’accord. C’était après Ariane. Bear, tu demanderas les détails à Tito, mais sache que, juste après avoir aidé un petit soldat français à éviter un attentat qui aurait empêché Ariane IX de décoller vers la Lune, j’ai passé un certain temps enfermé dans un hôpital, aveugle et interdit de communication avec mes camarades ou avec Kris. L’officier français qui commandait la team du petit biffin avait prévenu la Légion, mais bon…
- Pendant ces trois semaines, a dit Kris pendant qu’Erk reprenait son souffle, notre sergent m’a fait faire un max d’exercice physique, histoire que je dorme la nuit. Les premiers jours, ils m’ont filé un sédatif, pour six heures, j’ai vomi sur les chaussures du Médecin-Principal Mercier et j’ai dormi 48 heures. Ils ont arrêté d’essayer de me shooter, et ils ont tout fait pour m’épuiser. Ça marchait, heureusement pour nos nerfs à tous et ma feuille de notation.
- Je suis sorti de l’hosto avec les yeux sensibles à la lumière, mais fonctionnant. Les trois semaines et la médecine moderne avaient fait des miracles. Bon, j’avais moi aussi bien décoré certaines paires de pompes, et fait un quasi-coma à cause d’un de leurs trucs, mais je ne m’en sortais pas trop mal. Chaque fois que je le pouvais j’allais faire des exercices, histoire de ne pas trop me ramollir. Ce qui fait que, de retour à la caserne, je n’ai pas eu à trop patienter avant de me voir de nouveau envoyé au charbon avec mon peloton.
Il a bu un peu de tisane et Kris a repris.
- Le peloton avait comme second un lieutenant qui parlait un peu notre langue, car il avait connu Lin. Ils avaient foutu les islandophones dans le même peloton. Vous devez vous demander comment ça pouvait nous faire apprendre le français plus vite ? Eh bien, ils voulaient surtout que les ordres soient bien compris. Alors ils nous ont mis sous les ordres de ce petit gars, qui apprenait l’islandais avec Lin depuis quatre ans. Il ne nous parlait que français, mais traduisait ou expliquait dès qu’il voyait qu’on était à la ramasse. Et il nous obligeait à ne parler que français.
- On a vite appris, comme ça, a continué Erk. Mais on parlait lentement. Quand j’ai dit au petit biffin : « Moi légionnaire, toi qui ? », c’était parce qu’on était pressé. Sinon, j’aurai fait un peu moins homme de Cro-Magnon. Bref. On nous a déposés en hélico loin au sud de Cayenne, sur la rivière Comté, en amont de Cacao. Très en amont. On était en patrouille mixte, bidasses habituels et nous, légionnaires. Le chef était un pitaine du 3° RSMA. Un mec bien.
- Bref, a dit Kris, on nous largue au sud de Cacao car ils avaient eu vent de la présence de garimpeiros.
- De quoi ? a demandé Kitty.
- Des orpailleurs illégaux. Des chercheurs d’or, a dit Erk. La Guyane française est, avec la Nouvelle Guinée, l’une des deux dernières vraies forêts primaires du globe, car la France en a toujours interdit l’exploitation. L’Amazonie se requinque, mais c’est maintenant une forêt secondaire. Une recroissance, si vous voulez. Mais… Bon, il y a des orpailleurs légaux, encadrés et qui déposent un permis, n’utilisent pas de mercure et payent leurs employés. Pas les garimpeiros. Il n’y a généralement pas de Français dans le tas, ce sont souvent des étrangers qui s’imaginent que c’est facile de s’installer dans une jungle. Ils oublient nos satellites, nos moyens modernes…
- Et c’est le 3° RSMA et les autres qui vont leur rappeler les bonnes manières, a conclu Kris. Et c’était notre mission cette fois-ci. Erik, moi et la moitié des trouffions ne savions pas à quoi nous attendre. Les autres, un peu. Le Pitaine, lui, avait déjà fait ce genre de choses. Il nous a briefé une fois que l’hélico nous a déposé assez loin des affreux. Ils n’ont pas de satellites, mais ils ont des mecs prêts à tout pour soutirer un max d’or avant qu’on arrive à les déloger.
- Erk, a dit Quenotte, tu parlais de mercure. Moi, je sais à quoi ça sert, mais les autres ?
On a secoué la tête. A part les thermomètres, je ne voyais pas le rapport entre l’or et le mercure.
- En fait, le mercure amalgame les micro-pépites et la poussière d’or. On fait couler l’eau dans un canal, on jette du mercure, ça amalgame l’or qui finit dans un tamis, ou une batée, puis on rince tout ça et le mercure finit dans la rivière, empoisonnant la contrée alentour.
- OK, merci Erk, a dit Baby Jane. Je comprends pourquoi c’est illégal. Mais comment font les vrais… pardon, les orpailleurs officiels ?
- Je ne saurais te dire exactement, mais en prenant leur temps, en respectant la loi et l’environnement, ça, c’est certain.
Il a haussé les épaules et reprit le fil de son histoire.
- On a donc crapahutés dans la jungle vers les coordonnées du camp de garimpeiros. Ce n’était pas facile, parce qu’il n’y a pas beaucoup de sentiers, dans la jungle. Elle les efface. Donc on a avancés un peu lentement. Puis…
Il s’est arrêté, les yeux dans le vague.
- Erik ?
- Ça va. C’est…
Il s’est secoué.
- Pendant les trois semaines d’hôpital, je n’avais que mes oreilles pour me guider, et je viens de me souvenir de la voix du petit biffin qui me tenait compagnie, lui avec son épaule en écharpe et moi les yeux bandés. On devait faire une drôle de paire. Surtout qu’il n’était pas très grand.
- Comparé à toi, Viking, tout le monde est « pas très grand », a dit Tito. Surtout moi.
Ça nous a bien fait rire.
- Bon. En fait, mes trois semaines à l’aveuglette, à ne dépendre que de mon ouïe, l’avaient développée. C’est ce qui m’a permis d’entendre les garimpeiros juste avant les autres. Ça m’a permis de me mettre entre eux et mon peloton et de recevoir les premières balles, dans mon gilet, heureusement. Ça sert, d’être grand et fort.
- Et bête, a dit Kris.
- Absolument. Je me suis retrouvé à plat ventre, un peu sonné et avec le dos douloureux, mais le peloton était intact et défourraillait au-dessus de ma tête. Malheureusement, ça tirait un peu au jugé et ils étaient nombreux, en face. On a commencé un repli stratégique, vers un gros caillou qu’on avait contourné et qui ferait une bonne redoute. Et j’ai pris une balle dans le creux du genou.
- Et comment ça se fait que tu ne boites pas ? Ça aurait dû t’éclater l’articulation, vu où se trouve la cicatrice.
- Tu as tout à fait raison. Les pantalons jungle de la Légion sont faits dans une version améliorée du kevlar, nettement plus fin que celui des pare-balles, et qui résistent aux déchirures normales. Ça n’arrête pas une tronçonneuse longtemps, ni un coup de hache avec beaucoup de force derrière, mais ça protège des trucs moyens. Ça n’arrête pas non plus les balles qui frappent de plein fouet, mais si elles sont tangentielles, elle limite les dégâts. C’était le cas de la mienne. En plus, c’était du petit calibre, du .22.
- Comment ça se fait qu’on n’en aie pas, nous ? a demandé Quenotte.
- On a une version plus légère. La version Légion est hors de prix pour des mercenaires comme nous.
- Même avec l’aide d’ATS ?
- ATS ne nous finance pas, nous.
- Bah, Kris ou toi pourriez demander aux Rizzi.
- C’est hors de question, a répondu Erk sèchement.
- De toute façon, les Rizzi n’ont aucun lien avec ATS, a ajouté Kris, une main apaisante sur le bras du géant.
- Ah, mais c’est là que tu te trompes, Kris, a répondu Mr Wiki.
- Ah ?
- Oui. Figures-toi que le numéro 2 d’ATS s’appelle Colomba Rizzi. Elle est de Milan. Et selon les feuilles de chou à scandale d’Italie, elle est la filleule de Don Matteo.
Kris est resté interdit. Puis :
- Comment tu sais ça, toi ?
- Wikipédia, les feuilles de chou à scandale et les rapports annuels.
- Tu lis les rapports annuels ? a demandé JD, tout aussi surpris que nous.
- Oui. Je… J’ai parfois trop de choses en tête, alors pour me calmer, je lis des trucs touffus.
- Et tu as décidé de lire les rapports annuels d’ATS.
- Oui. C’est un peu notre sponsor, avec la mini-centrale, les casques. Tout ça.
- Ça n’empêche que je ne demanderais pas d’aide aux Rizzi.
- Et ce n’est pas parce que j’ai couché avec le fils Rizzi et sa femme que je demanderais de l’aide, moi non plus. C’est comme ça, les gars, il faudra vous y faire.
On a un peu grommelé. Je savais déjà que Kris avait été l’amant des Rizzi – pas juste couché, puisqu’il en parlait avec tendresse, par moment – mais j’ai vu que c’était une surprise pour les autres. Tito n’avait pas l’air étonné et Bear avait l’air de s’en foutre royalement.
- N’empêche, Erik, cette balle, même en .22, aurait pu mettre fin à ta carrière.
- Ça aurait pu, oui. Mais ce ne fut pas le cas. Mon ange gardien devait veiller au grain. Et Mercier, le toubib, a aussi le Don de guérison, et ça m’a bien aidé. Bref, je tombe, je me tourne dans ma chute pour finir sur le dos et je pointe mon EMA 6 pour allumer les mecs, en hurlant au Pitaine de foutre le camp et de me laisser là, j’allais les retenir.
- Je n’étais pas d’accord, évidemment. Mais le capitaine m’a assommé et m’a foutu sur son dos et s’est tiré, laissant Erik sur le carreau. J’ai failli passer en cours martiale quand je me suis réveillé. J’ai cogné le capitaine, je me suis fait assommer de nouveau et je me suis réveillé attaché. Un peu comme lors de votre aventure, Tito, Erik.
- Le capitaine s’est laissé surprendre par ton attaque ? j’ai demandé, surpris.
- Il ne savait pas que je suivais cet entraînement un peu à part. Et sans le lieutenant qui connaissait Lin, et qui a négocié avec le capitaine, j’aurais fini au trou, sans savoir comment allait Erik. C’est grâce à lui que j’ai pu convaincre le capitaine d’aller au camp de nuit, moi en éclaireur, prêt à danser avec la mort.
Tous ceux qui avaient vu le résultat de la danse de mort de Kris se turent. Tito chuchota quelque chose à Bear.
- Cette danse… Je l’avais répétée, maintes et maintes fois. Toujours à mains nues, simulant des coups mortels. L’instructeur était exigeant, mais satisfait de moi. Et là, cette nuit-là, pour sauver Erik, j’allais devoir la mettre en application pour la première fois. Tuer, pour sauver mon cher frère. Je tremblais. J’avais peur. Peur de rater, peur de déclencher l’alerte. Peur d’échouer. Mais jamais peur de mourir.
Il était appuyé contre Erk, qui avait passé un bras autour de ses épaules. Il semblait perdu dans ses pensées, alors on n’a rien dit.
- Ce qui m’a redonné confiance en moi, c’est que le Pitaine, le loufiat, les troufions, tous m’ont dit qu’ils avaient confiance. Et le capitaine m’a rappelé qu’ils seraient derrière moi, et interviendraient quand l’effet de surprise ne suffirait plus.
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