XLIII
J’ai eu l’impression que ça s’était un peu calmé. Juste un peu. Ça drachait toujours, mais j’ai eu l’impression que la visibilité était meilleure et que la pluie pesait moins lourd sur mes épaules.
On est partis deux par deux, Kris fermant la marche tout seul, Erk et Baby Jane l’ouvrant et comme toujours, Yaka en tirailleur, même si, avec la pluie, son nez et ses oreilles ne nous serviraient pas aussi bien que la liaison satellite de nos casques.
On avait de la boue jusqu’au-dessus des orteils et je commençais à me dire que tout n’était pas de la pluie, mais peut-être un peu de la rivière, aussi. Après tout, elle débordait souvent, ici, apportant son riche limon aux champs sur ses rives. Les moutons allaient généralement de l’autre côté de la rivière, plus rocailleux, moins apte à la culture, pour paître.
Quand j’ai commencé à sentir un peu de courant contre mes pieds, mes doutes quant à l’origine de l’eau ont commencé à fondre. Et quand l’eau a atteint mes chevilles, je n’en avais plus du tout.
J’ai regardé le satlink sur mon HUD et vu qu’on n’était plus si loin que ça de la rivière. Devant, Erk s’est arrêté. Il avait une jambe mouillée plus haut que l’autre. Comme s’il avait mis le pied dans le “vrai” lit de la rivière. Il a tourné à gauche, au nord, remontant la rivière vers l’un des pacages indiqués par la femme du malik. La majorité d’entre eux de ce côté-ci de la rivière était en amont du village.
On a vérifié tout au long de la marche, mais on n’a rien trouvé. Pas plus de moutons autour de nous que d’honnêteté dans le regard d’un maquignon, comme disait mon grand-père.
Alors Erk s’est rapproché de la rivière pour la traverser. Plus facile à dire qu’à faire, apparemment. Le courant était fort. Très fort.
- Mince, a dit Kris. Si les garçons sont de l’autre côté, je ne vois pas comment on va pouvoir les aider à rentrer au village.
- Y a plus qu’à espérer qu’ils aient trouvé un endroit où attendre la fin de la pluie, j’ai dit.
- S’ils sont de l’autre côté de la rivière, ils seront chez le Vioque, a fait remarquer Erk. C’est… emmerdant.
- Tu es sûr de ton coup, mon grand ?
- J’espère m’être trompé. Tito ?
- Je check, a répondu mon p’tit pote.
J’ai regardé notre géant et il avait l’air tendu. C’est vrai que si les gamins étaient du mauvais côté de la frontière, ils allaient avoir des emmerdes, le Vioque cherchant sûrement des prétextes pour envahir notre territoire. La seule chose qui le retenait, c’était sa peur de Lin et le fait qu’on ne lui avait pas cherché de poux.
J’ai voulu regarder le satlink au cas où il y aurait une image du troupeau, même si des moutons trempés ne feraient pas une grosse tâche sur une photo, et je me suis souvenu avoir modélisé cette rivière lorsqu’on cherchait nos deux brebis égarées (déjà). Alors j’ai rassemblé mes souvenirs et puis…
- Kris ?
- Oui, l’Archer ?
- On devrait pouvoir utiliser le hack de… tu sais ?
- Pour quoi ?
- Pour écouter les comms du Vioque et voir s’ils ont les gamins ?
- Le hack ? a demandé Erk.
Et Kris lui a raconté comment il avait demandé à une hackeuse de sa connaissance de quoi écouter les comms des mecs de Higgins. Ça n’avait pas donné grand-chose d’autre qu’un gros tas de walou, puisque quand on avait réussi à les écouter, Erk et Tito étaient déjà de l’autre côté de la rivière, chez le Vioque.
J’ai remarqué que Kris a fait un signe de la main et que Erk n’a fait aucune remarque sur l’identité de la hackeuse, comme s’il savait.
- Bon, j’ai dit. Quand on a modélisé le coin pour vous retrouver, on a aussi modélisé cette partie de notre petit coin de paradis. Et je crois bien me souvenir qu’il y a un endroit intéressant pas trop loin d’ici. Une butte qui est chez le Vioque quand il flotte moins.
- Et tu te dis que les gamins ont pu se réfugier là.
- On ne perd rien à essayer, j’ai répondu en haussant les épaules.
- Absolument. Tu saurais la retrouver, cette butte ?
- Je pense, oui. Il faut continuer vers l’amont et se rapprocher de la rive encore plus.
- Et je confirme, dit Tito, que cette rivière est la frontière, ici.
- Espérons que les enfants soient sur la butte et pas de l’autre côté de la rivière, remarqua Erk. Aucune envie de remettre les pieds chez le Vioque, moi, après…
- On va tout faire pour éviter ça, mon grand, a dit Kris en posant la main sur l’épaule de son amour. L’Archer, on te suit. Tito, enregistre. Les autres, caméra on, je veux une preuve qu’on n’aura pas franchi la frontière.
J’ai appelé une carte sur mon HUD et j’ai pris la tête.
On a marché un moment, les mecs derrière moi. Erk avait posé sa main sur mon épaule pour me guider, car j’avais l’attention sur mon HUD et pas vraiment là où mes pieds se posaient.
- OK, je pense qu’on devrait y être, j’ai dit, les yeux toujours sur mon HUD.
J’ai entendu un gloussement du Viking. J’ai donc éteint le HUD, gardant la visière baissée. Et là, à travers la pluie, j’ai vu la rivière et la butte, devenue une île.
Très sages, agglutinés les uns aux autres, une vingtaine de ces moutons à la laine super fine et chaude se tenaient autour de deux garçons. Erk les a hélés, ils ont fait un signe.
On s’est rassemblés autour des frères.
- Bon… Stratégie ?
- Il faut aller les chercher, a dit Erk. La rivière érode la butte et les moutons auront peur et paniqueront quand ils ne pourront plus poser les pieds sur la terre sèche.
- Et on va faire ça comment, mon grand ? C’est dangereux de traverser… Et aucun de nous… Oh non, putain, Erik, tu ne peux pas faire ça !
- Je suis le seul à pouvoir le faire, Kris. Et on a promis.
Kris a soufflé, s’est passé la main sur le bas du visage.
- OK. Mais on fait ça proprement. L’Archer, sors ton arc, la corde et de la ficelle.
- Tu veux que je tire sur l’île ? Je risque de toucher une bête, ou un des gamins. Y a rien pour ancrer une flèche, Kris.
- Merde, tu as raison. Bon…
- Kris, je vais m’alléger, en gardant casque et pare-balles, et je vais m’attacher. Je traverserai et vous me retiendrez. Ensuite, je trouverai un moyen de fixer la corde sur place pour pouvoir faire des allers-retours.
- Des allers-retours ? Erik, c’est hors de question ! Tu prends les mômes et tu reviens !
- Kris, ces moutons sont toute la richesse du village, avec leurs cultures. S’ils les perdent, ils perdent beaucoup et rien ne les empêchera de se tourner vers la culture du pavot.
Kris a regardé son frère un moment, les yeux plissés de colère. Puis il s’est détendu.
- Le pire, c’est que tu as raison, ducon. Très bien. Mais je n’aime pas ça du tout. Et si je sens que tu es en danger, tu sors de l’eau, sans discuter. Promis ?
- Promis, petit frère.
Erk a retiré son poncho gigantesque, le pliant soigneusement pour que la doublure reste bien sèche, il a ensuite tendu son sac à dos à Kris, son pull et sa veste d’hiver, ses armes, ne gardant que les couteaux dans ses bottes. Il a bien sûr gardé son casque et son pare-balles, comme promis.
J’avais sorti la corde pendant ce temps, alors je l’ai tendue au géant qui l’a enroulée autour de sa taille. Kris a vérifié que le nœud tenait bien et qu’Erk pourrait le défaire facilement si besoin.
Erk est entré dans la rivière avec une inspiration de surprise.
- Un problème ? a demandé Kris
- Elle est glacée. Du genre à congeler les roustons.
- Moins froide que la Sibérie, quand même ?
- A peine moins.
- T’en fais pas, Viking, on te réchauffera, a dit Baby Jane avec un sourire égrillard.
Et il a rougi. Trop mignon.
Il s’est gratté la gorge, a tiré sur la corde et s’est avancé dans l’eau. On a laissé filer la corde lentement pour retenir le géant. Mais c’était difficile car le courant était quand même vachement fort. Et à cause du courant, il a dépassé l’île avant d’avoir fait la moitié du chemin, alors on a essayé de le tracter, de le ramener vers l’île… Il nous a aidés en se hissant le long de la corde tout en nageant vers l’île. Et il a réussi à poser le pied sur la butte.
On l’a vu farfouiller autour de son cou et montrer, sans doute possible, le bijou que nous avait donné la femme du malik. Il a discuté un peu, puis a défait la corde et l’a enroulée plusieurs fois autour d’un truc qu’on n’a pas bien vu, sans doute un affleurement rocheux, la base de la butte, peut-être ?
« Kris, je vais traverser avec les gamins, fixez bien la corde » on a entendu dans nos oreillettes. Kris a confirmé. Kitty a sorti une bougie chauffe-plat et une petite gamelle, vite remplie avec ce qui tombait puis, la gamelle protégeant la flamme, elle a fait chauffer de l’eau pour un bouillon de poulet. Bonne idée, les gamins et le géant allaient en avoir besoin.
Erk a pris les mômes dans les bras, utilisant son keffieh gigantesque pour les aider à se tenir à lui, faisant un peu comme un kangourou. On a vu les gamins s’accrocher aux attentes de son pare-balles puis il est entré dans l’eau de nouveau, les deux mains sur la corde.
Il s’était placé en amont de celle-ci, donc si son nœud sur la butte tenait bien, et si nous on ne lâchait pas, il ne risquait presque rien s’il ne lâchait pas la corde. Le courant près de la rive était moins « lisse » qu’au milieu, avec plus de tourbillons, alors on s’efforçait de garder la corde tendue pour éviter que le Viking soit pris dedans.
Après cinq bonnes minutes à lutter contre le courant de la rivière, Erk a enfin pu sortir de l’eau, les deux gamins accrochés à lui comme des bernacles à ce gros rocher. Ils étaient tous les trois trempés, les gamins jusqu’à la taille, Erk jusqu’aux épaules.
Kitty tendit un quart de bouillon aux petits et au géant. Les gamins refusèrent de boire tant qu’Erk ne leur eut pas confirmé qu’il allait chercher les brebis.
- Ne vous inquiétez pas, les garçons, je m’en occupe. Vous avez un mot pour les calmer ?
- Oui, ümsüm. Ça veut dire calme.
- OK. Et laquelle des brebis est la chef ? Celle que les autres suivent ?
- La plus vieille.
- D’accord. Comment je la reconnais ?
- Euh…
- Je n’ai jamais gardé de moutons, et je ne les approche que dans mon assiette, en général.
Ça a eu le mérite de faire rigoler Ousman, le plus jeune.
- Tu regardes ses dents, a dit Salim, du sérieux de l’expert qu’il était malgré son jeune âge.
- T’as pas autre chose, bonhomme ? Je ne sais pas dire l’âge d’un mouton à ses dents. Je crois que Quenotte pourrait, mais pas moi.
- Elle a une encoche à l’oreille gauche, en V. Un rat l’a mordue, elle l’a tué, a dit Ousman.
- Je ferai attention à ne pas la mordre, alors.
Ça a fait rire les deux loupiots.
- Merci. OK, Kris, je vais faire traverser les bêtes une par une. Gardez les petits au chaud, sous mon poncho.
- Tu vas prendre la chef en premier ? a demandé Tito.
- Non, sinon le troupeau va la suivre. Je vais la prendre en dernier. Et croiser les doigts pour qu’elle ne suive pas de son propre chef.
Et il est retourné dans la rivière, accroché à la corde des deux mains, des bandes de tissu glissées dans les attentes de son pare-balles. Bear en a préparé d’autres pendant ce temps.
On a vu Erk prendre pied sur l’île, regarder des oreilles tout en murmurant ümsüm à en perdre le souffle. Puis il s’est penché, disparaissant presque au milieu des bêtes, pour se relever un mouton sur les épaules. La bête était calme, mais il lui a quand même attaché les pattes à son gilet avec les bandes de tissu, puis il a commencé sa traversée.
Quand il est arrivé, Kris lui a tendu du bouillon, que Kitty surveillait religieusement, et Bear a détaché les pattes du mouton, laissant les lanières de tissus attachées au pare-balles par leur nœud en tête d’alouette qui les empêchait de glisser. On s’est mis à trois pour faire rouler la bête sur les épaules du géant et la faire descendre dans son dos. Comme ça Erk pouvait boire le bouillon chaud pendant qu’on le déchargeait de son fardeau.
Erk est reparti. Certains voyages se passaient bien, d’autres moins, quand la brebis paniquait et que notre géant était obligé de retourner sur l’île pour lui bander les yeux. Il buva it toujours le bouillon de poulet, faisant provision d’énergie et de chaleur. Nous, debout à le regarder, comme des glandeurs, bien malgré nous, on se refroidissait. Mais aucun ne se plaignait. On avait le beau rôle, nous.
La brebis de tête a commencé à paniquer quand la moitié du troupeau eut traversé et Erk a été obligé de l’attacher, couchée dans la boue, les yeux bandés, pour qu’elle reste calme, ne voyant rien.
Et quand ce fut son tour de traverser, elle a fait payer la trahison au géant. Comme c’est un gentil gars, il l’a détaché, pour lui éviter des blessures ou un traumatisme, que sais-je. Elle l’a chargé pendant qu’il vérifiait ses lanières, le cognant au creux des genoux et il est tombé à la flotte, se rattrapant à un rocher in extremis et jurant dans cinq langues. Ensuite, elle a tout fait pour lui échapper, le faisant courir partout et nous tirant des éclats de rire à en pleurer, malgré nous. Même Kris, pourtant inquiet pour Erk, riait aux larmes.
Et le Viking qui marmonnait dans son micro qu’il n’y avait rien de drôle à sa situation, nous faisant redoubler d’hilarité. Finalement, sur fond de jurons polyglottes, la brebis s’est jetée à l’eau et il l’a suivie, pour s’assurer qu’elle aille au moins dans la bonne direction et que le courant ne l’emporte pas.
Il a commencé sa traversée, une main sur la corde, l’autre crochée dans la laine du cou de la bête. Ça lui rendit la traversée bien plus difficile et bien plus lente, aussi.
Quand Erk a atteint au milieu, j’ai vu Kris blanchir et se raidir puis se porter en avant au moment où le flot de la rivière en crue achevait son œuvre de sape et le caillou où était attachée la corde se descellait de sa gangue de terre et partait dans le flot.
Entraînés par le courant, l’homme et la brebis ont glissé le long de la corde qui s’est désolidarisée du rocher au moment où Erk l’atteignait. On l’a vu écartelé entre la corde et la brebis, on a entendu la corde craquer, crisser puis :
- Erik !
Et le Viking a lâché la corde, se faisant emporter vers l’aval par le courant.
Kris est parti en courant à sa suite, restant sur la rive et tentant de rester à sa hauteur, ce qui était impossible, forcément.
J’ai dit aux enfants de rentrer chez eux avec les moutons, qu’on reviendrait avec le Viking et la brebis de tête, puis je suis parti à la suite de la patrouille.
Dans nos oreillettes, il y a eu beaucoup de bruits d’eau, puis un juron et j’ai respiré. Erk était vivant.
Kris courait toujours devant, il nous avait bien devancé, mais ce mec est une vraie gazelle quand il court. On a fait de notre mieux pour suivre. Je portais le poncho du géant sur les épaules, récupéré quand les mômes étaient repartis, et ça me ralentissait un peu, mais j’ai fait au mieux pour suivre. Surtout que Kris portait le sac de son frère en plus du sien, et malgré tout il nous faisait bouffer sa poussière…
- Erik !
- Ici…
Kris a suivi la voix faible et on a trouvé Erk bloqué contre un caillou par la force du courant, la brebis immobile dans les bras, à deux mètres de la rive. Deux petits mètres. Infranchissables.
- Erik…
- Ça va, Kris.
- Mon cul, Erik ! Tu as les lèvres bleues et tu trembles.
- Et j’ai cogné le caillou très fort, mais ça va.
Kris a voulu se passer une main sur le visage et a cogné sa visière. Il a juré.
- Très bien. Est-ce que ta position est stable ?
- Si je ne bouge pas, oui.
- C'est-à-dire ?
- Je suis calé, là. Je peux vous passer la brebis, mais je préfère ne pas bouger, j’ai peur que le courant me déloge, sinon.
- Très bien. On va te lancer la corde, tu vas te démerder pour y attacher la brebis. Après, on la relancera et tu l’attacheras autour de toi pour qu’on te sorte de là, compris ?
- Compris.
Il y avait de la douleur dans la voix du Viking et j’ai regardé Kris. Il savait. Mais il faisait comme si tout allait bien. Pour ne paniquer personne, pour ne pas non plus faire de connerie.
Quenotte avait récupéré la corde et l’a tendue à Kris qui y a fait une boucle coulissante, pour qu’Erk ait un minimum de mouvements à faire.
Ensuite, il lui a lancée. Deux petits mètres infranchissables pour le Viking chargé de la brebis, mais pas pour la corde, heureusement. La bête a été rapidement sécurisée et halée jusqu’à la rive, où Yaka, très attentive, l’a prise en charge. Elle n’arrivait plus à bouger, sa toison épaisse gorgée d’eau, épuisée par sa nage et son combat contre le Viking. JD a commencé à essorer la toison.
- Erik ? a dit Kris.
- Je n’ai pas bougé.
- C’est pour ça que je t’appelle, je te trouvais trop immobile.
- Je crains de glisser dans le courant si je bouge trop.
- OK. Tu peux lever les bras sans être arraché de ton caillou ?
- Je ne… attends.
Accroché des deux mains à son caillou, Erk m’a donné l’impression de chercher une meilleure prise avec ses jambes – il m’a confirmé que oui, après – puis il a levé un bras, et n’a pas bougé. Il a levé l’autre et n’a pas bougé non plus. Alors Kris a tout de suite agrandi l’anneau de corde qu’il a lancé sur les bras d’Erk. Le géant a attrapé la corde et l’a fait glisser sous ses bras, resserrant l’anneau puis attrapant la corde à deux mains.
- Paré.
Tous les mecs de la patrouille sont venus saisir la corde pour aider Kris. Baby Jane gardait l’œil sur la rive opposée, avec Kitty. Pas de soupe cette fois-ci.
- Erik, on tire. Laisse filer.
Et on a tiré comme des malades pour hisser le géant trempé sur la rive. Il a dérivé un peu vers l’aval, parce qu’il est nettement plus lourd que la brebis et qu’on avait du mal à le maintenir là où elle était passée. Quand il a atteint le bord, il a donc été pris dans un tourbillon et a tournoyé autour de la corde, sa tête passant sous l’eau par moments. Il n’est pas con, il a pris le rythme et a fermé sa bouche, mais ça devait bien le fatiguer. Aussi, on a redoublé d’efforts pour le sortir de là.
Quand Erk est enfin sorti de l’eau, quand il a été allongé sur le sol à nos pieds, il a craché la moitié de la rivière en toussant et Kris, avec notre aide, lui a retiré son pare-balles, son casque et son tee-shirt pour lui frotter la couenne avec sa couverture.
- Je ne sais pas avec quoi tu as appâté, Kris, mais tu as pêché un sacré poisson ! j’ai dit, histoire de détendre un peu l’atmosphère.
J’avais vu sur le flanc du Viking un bon gros bleu, sans doute là où il avait frappé le caillou qui l’avait arrêté dans sa descente de la rivière à dos de brebis…
Ma blague idiote a fait glousser Erk et une partie de la patrouille a rigolé aussi. Tito a tendu à Kris un teeshirt sec tiré du sac du Viking et Kris l’a aidé à se rhabiller. On s’est mis à la tâche aussi pour lui remettre son pull, sa veste et son pare-balles.
Puis Kris a mis son frère debout, l’a tiré vers une pierre. Il s’est agenouillé à ses pieds et a commencé à défaire les fermetures éclair de ses bottes trempées.
- Non, Kris, je vais me les cailler si tu les retires.
- Erik, mon grand, il faut changer aussi le bas.
- Mais je n’ai pas de pantalon sec…
- On va l’essorer, mais les sous-vêtements, on peut t’en mettre des secs.
- Tu… tu veux que je me mette à poil ici ? Mais pourquoi ?
- Pour…
Kris a levé les yeux vers Erk, une botte en main. Puis j’ai vu une petite étincelle dans ses yeux gris-bleu.
- Pour vérifier si tes roustons sont bien congelés, mon grand.
- Mes… Kris !
- Því miður, je suis allé trop loin.
- Ouais. Mais c’était marrant quand même.
Kris s’est redressé, la deuxième botte à la main, tendant la paire à Bear pour qu’il les vide. Kris a défait la ceinture et la braguette d’Erk, qui s’est figé de surprise. Ouais, en effet, il n’était vraiment pas prêt pour le côté physique de l’amour qu’il portait à Kris.
Une fois le pantalon et le caleçon aux chevilles du géant, Kris a choppé les chaussettes et lui a fait lever les pieds l’un après l’autre, tendant les fripes trempées à JD et prenant des mains de Tito chaussettes et boxer secs, qu’il a aidé Erk à enfiler.
Quand JD eut essoré le pantalon au mieux, Kris le regarda un instant et décida que son frère se baladerait les quilles à l’air, sous son poncho gigantesque. Erk a ouvert la bouche, a regardé son frère et l’a refermée aussitôt.
Une fois le géant rééquipé, on est partis vers le village dont on s’était bien rapprochés en suivant le Viking à la dérive.
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