XLIV
On a plus ou moins repris notre ordre de marche, mais Erk et Kris étaient au milieu et je fermais la marche.
La brebis, fatiguée par sa lutte dans l’eau, suivait JD et Yaka sans rien dire. La chienne était très attentive.
Malgré ses fringues sèches, Erk était secoué par des frissons impressionnants qu’il essayait de cacher à Kris, sans beaucoup de succès, si j’en crois les regards que Kris lui lançait juste après.
Erk avait l’air éteint, mais ça pouvait s’expliquer par les efforts faits pour le village et le lessivage avec essorage subi dans la rivière.
- Bróðir, ça va ?
- Oui… Non. Non, ça ne va pas. J’ai mal au côté, là où j’ai cogné le caillou. Je suis crevé. Et je crois que j’ai de la fièvre.
J’étais surpris qu’il n’essaye pas de cacher son état à son frère. Mais ils avaient peut-être eu une discussion sérieuse, depuis l’aveu du Viking à Noël.
En tout cas, Kris a souri, a remercié Erk, puis Tito parce que celui-ci, ayant entendu la discussion, avait préparé, dans sa propre gourde, l’ibuprofène dilué qui avait bien marché lors de leur escapade involontaire.
Erk a eu un peu de mal à attraper la gourde, comme si ses yeux ne voyaient plus, sa grande main ratant la gourde. Kris a attrapé la gourde et a fait boire le Viking, juste un peu. Le pauvre a eu un haut-le-cœur et est tombé à genou, vomissant de la bile et de l’eau. Kris s’est précipité, le soutenant et l’aidant à s’asseoir.
Appuyé contre son frère, Erk s’est laissé aller, épuisé.
- Erk, je suis désolé, a dit Tito, je pensais que ça marcherait.
- Pas grave, bonhomme, a dit le géant d’une voix épuisée.
- Erik, mon grand, est-ce que tu vas pouvoir marcher ? On est vraiment tout près du village.
- Je peux essayer.
- Hmm…
Kris nous a regardés. J’ai hoché la tête et je me suis avancé pour l’aider à relever Erk.
- Allez, Viking, on va t’aider à aller jusqu’au village, j’ai dit en passant un de ses bras sur mes épaules.
- On… peut pas… s’imposer…, Erk a dit, se laissant hisser entre Kris et moi.
- On a sauvé leurs moutons et leurs garçons, ils nous doivent bien ça, a dit Kris un peu sèchement.
Je sais qu’il ne le pensait pas. Il a beau être nettement plus pragmatique qu’Erk, il sait très bien que notre présence ici n’est pas un échange, une transaction. On est là, on protège, on sert, mais on n’attend rien en échange. Mais là, il était inquiet et il lui fallait faire passer le message.
Le reste de la patrouille nous a entourés, en losange autour de nous, protecteurs. On est repartis, Erk lourd et à moitié conscient entre nous, Kris vibrant d’inquiétude.
- Kris ?
- Oui l’Archer ?
- C’est comme la Guyane ?
- Comme la… comment ça ?
- La fièvre ?
- J’espère que non. La bonne nouvelle, c’est qu’il n’y a pas d’infection et pas de LSD. Je pense qu’il s’est juste refroidi.
Il a reniflé, un peu.
- Mais comme il ne fait jamais rien à moitié, c’est un très gros refroidissement.
- Kris ?
- Oui, Quenotte ?
- Lin me dit que la Land est encore loin de V3 et que Frisé doit finir un truc avant de pouvoir venir nous chercher.
- Emmerdant. Mais on fera avec.
- Kris, a dit Tito, je me demande si on ne devrait pas essayer l’ibuprofène encore, mais en le diluant encore plus.
- On ne perd rien à essayer, Tito. Merci.
On a continué à marcher, la patrouille nous écoutant, mais avec les yeux à l’extérieur, pour nous protéger. Même si je n’y suis pas pour grand-chose dans ce comportement, je suis fier des gars de ma patrouille. Avant que les Islandais arrivent, il y aurait plus que des oreilles tournées vers nous, il y aurait eu des yeux aussi.
On a fait une pause pour que Tito puisse faire boire Erk. Le pauvre a encore eu un haut-le-cœur, mais Tito lui a dit que c’était juste un réflexe et que, franchement, il pourrait faire un effort. Le pauvre Viking a essayé de déglutir, a réussi en en crachant un peu, alors Tito lui a redonné à boire et ça s’est mieux passé. La grande carcasse du Viking a été secouée par un frisson gigantesque, nous secouant nous aussi, ses piliers.
Kris a farfouillé dans son sac, sortant leur pharmacie en cuir noir, et une bouteille d’huile essentielle qu’il a débouchée avec précaution. Prenant les poignets d’Erk, il a déposé quelques gouttes dessus et les a massés. Le géant a ouvert un œil.
- Ça va mieux, mon grand ?
- Peut-être.
- Super, comme réponse.
- Pas d’autre.
- OK. L’Archer, on soulève et on y retourne. Erik, tu ne me refais pas le coup de la Guyane, s’il te plaît, il a ajouté en ajustant le bras du géant sur ses épaules.
On y est retournés. Erk m’a paru moins lourd, moins endormi. Il claquait des dents, il titubait, mais il marchait.
On a fini par atteindre le village et on a eu la meilleure des surprises possibles : ils nous attendaient, avaient chauffé la salle commune, préparé des couvertures chauffées, préparé un bouillon de poulet (KUB ? possible, on en avait tellement semé) en attendant le dîner…
On s’est concentré sur Erk, Kris, Bear et moi lui retirant son poncho, son pare-balles et tout le merdier, l’allongeant sur la banquette contre le mur, le couvrant avec un max de couvertures, Tito le faisant boire de nouveau, lui rappelant qu’avec la balle en décembre, ça passait tout seul et qu’il n’y avait pas de raison que ça ne passe pas maintenant.
Le fait qu’Erk cherche toujours à faire plaisir (donc à obéir à Kris, entre autres, mais aussi à d’autres) lui a bien rendu service cette fois-ci car il a fait beaucoup d’efforts pour garder l’ibuprofène.
Pendant qu’on s’occupait de notre malade, parce qu’il l’était bien, quand même, Quenotte expliquait au malik et à sa femme ce qui s’était passé. Il n’a pas eu besoin de demander quoi que ce soir, elle a tout de suite proposé qu’on reste là, dans la salle commune, jusqu’à ce que la Land passe nous prendre. Comme les Islandais nous ont bien élevés, Quenotte a commencé par refuser, disant que le grenier à foin serait très bien.
- Pas pour lui, elle a dit d’un ton qui ne souffrait aucune discussion. Et vous devrez vous relayer pour le surveiller. Donc, vous restez ici. On vous doit bien ça, pour nos filles, pour nos garçons, et pour nos moutons.
Kris a eu un sourire tordu et moi, j’ai failli rigoler. Ses propres mots, presque tels quels.
Erk s’étant endormi, on a pu se débarrasser de nos affaires humides, mettre le pantalon du Viking à sécher près du feu, essayer de se réchauffer un peu.
Kris s’est assis sur la banquette, la tête d’Erk sur les genoux, buvant son bouillon tout en caressant doucement le front du géant. Celui-ci ne frissonnait plus, il était immobile, il dormait. Mais il était encore très chaud et transpirait.
- Kris, comment va-t-il ? j’ai demandé.
- Un petit 8,99 sur l’échelle de Richter, il a dit sans lever les yeux, continuant à caresser le front brûlant de son frère.
- 10 étant la Guyane ?
- Oui… L’Archer ?
- Oui Kris ?
- Je suis inquiet. Je rigole avec l’échelle de Richter, mais…
- Tu veux que je demande à Lin pour les motos ?
- C’est une bonne idée, mais avec la pluie et la boue, c’est presque plus dangereux que de rester ici. Je… En Guyane, on avait Mercier et ses mains magiques et ici… le Guérisseur ne peut pas se Soigner… ça me fait peur, des fois, ça. Je voudrais vraiment qu’Erk ait pu recruter Mehdi.
- Le guérisseur du Vioque ?
- Tu sais, Kris, a dit Tito qui s’était rapproché avec sa gourde d’ibuprofène dilué, il ne viendra pas tant qu’il sera retenu chez lui.
- Mais qu’est-ce qui peut bien le retenir ? a dit Kris. D’après votre récit, il n’est pas considéré, ils le traitent comme une merde.
- Il parlait de quelqu’un, un enfant, un parent, une épouse ou un compagnon ? Aucune idée, mais il y tient assez pour supporter beaucoup de choses. Il faudrait que tu m’aides à faire boire Erk, Kris.
On l’a aidé, massant la gorge du géant jusqu’à ce qu’il avale tout seul. Pas de haut-le-coeur. Trop épuisé, sans doute. Pauvre gars.
- Kris, il transpire un peu trop, non ? a demandé Tito.
- Oui, mais ça aide. Est-ce qu’on a un thermomètre dans nos affaires ?
- Je ne crois pas, mais on peut demander aux villageois. Je vais y aller avec Bear.
- D’accord, mais faites attention.
C’est la femme du malik, Aryana – j’ai fini par lui demander son nom –, qui est venue, mais sans thermomètre. Elle s’est agenouillée à côté du Viking, tâtant son front, son cou, soulevant ses paupières.
- Il faut le refroidir maintenant. Il y a un lavoir dehors, l’eau qui tombe est froide, c’est parfait.
- Ça va être trop froid, a contré Kris.
- Il vaut mieux un choc thermique pour lui que de laisser sa température monter. On va chauffer des pierres et les mettre dans le lavoir, pour qu’elle soit plutôt à 30°C qu’à 16°C, mais il faut faire vite. Déshabillez-le et préparez-vous à le porter dehors.
Le reste de la patrouille a proposé son aide pour trimballer les pierres et des gamelles pleines d’eau chaude pour transformer le lavoir en baignoire. Comme elles y faisaient leur lessive, il était plutôt propre.
Kris a fouillé dans le sac d’Erk pour s’assurer qu’il avait bien un boxer propre et sec, pour lui laisser son actuel, histoire de ne pas choquer la pudeur des gens de V3.
J’ai pris Tito à part.
- Tito, demande à Quenotte de te passer la base et voit avec Lin si Doc ou Alex peuvent venir à moto ici. Fais ton rapport et ne cache rien sur l’état du Viking.
- Kris va être furax.
- Je ne pense pas. File.
- A tes ordres, caporal.
Je lui ai fait les gros yeux, ce qui nous a fait marrer.
Bear et moi avons aidé Kris à déshabiller Erk, qui a marmonné quelque chose qui ressemblait à “grat”. Kris a grommelé parce qu’il n’y avait aucune raison que quoi ce soit gratte son frère, vu qu’il était quasi à poil.
- Il délire, a dit Bear.
- Oui. Il est temps de le mettre à l’eau, a dit Kris. L’Archer, température de l’eau ?
- J’y vais.
Je suis sorti, j’ai filé vers le lavoir, l’inquiétude me mordant les talons. J’aurai pu utiliser les comms pour demander à JD, ou à Baby Jane, mais j’avais besoin de sortir. Voir Erk dans cet état me faisait du mal. Et je comprenais très bien ce que Kris pouvait ressentir, même si je n’aimais pas Erk comme lui l’aimait.
J’ai retrouvé la patrouille qui trimballait des pierres chaudes sur une planche en bois et des gamelles fumantes. Aryana surveillait tout ça. J’ai vu les gars poser les pierres au fond de l’eau, la faisant fumer, verser les gamelles dans le lavoir. Puis elle a relevé une manche et mis un coude dans l’eau. Elle a hoché la tête et Yaka a filé vers la salle commune. On a entendu un aboiement bref, puis elle est revenue à fond de train. JD l’a renvoyée vers Kris, pour le guider, j’imagine. Elle est repartie en courant. Elle avait de l’énergie, elle.
Kris est sorti de la salle commune, son frère dans les bras, et s’est dirigé vers nous. Yaka marchait à ses côtés, tout aussi attentive que Bear qui portait des couvertures et le poncho d’Erk.
On a aidé Kris à mettre Erk dans l’eau et on est restés autour du lavoir comme des branques, à ne plus savoir que faire. La femme du malik a pris un chiffon qu’elle a trempé dans l’eau et utilisé pour débarrasser le visage du Viking de sa sueur. Puis elle l’a rincé, essoré et posé sur son front. Kris était agenouillé, un bras autour des épaules de son frère pour qu’il ne coule pas. Il tremblait. J’ai pris une couverture des mains de Bear, je l’ai pliée en deux et l’ai posée sur le dos de Kris qui a dit merci d’un air absent.
Tito est arrivé à ce moment-là et m’a fait un signe. Je l’ai rejoint, loin des oreilles indiscrètes mais voyant toujours ma patrouille. J’ai d’ailleurs sifflé et fait un geste en rond autour de ma tête après avoir pointé mes yeux. Ils se sont réarmés et tournés vers l’extérieur, protecteurs.
- J’ai eu Lin. Elle a râlé contre Erk mais elle le félicite en même temps. Elle envoie Alex avec Song, disant que tu as eu raison de demander.
- Ouf, on pourra vraiment mesurer sa température, du coup… Il m’inquiète, tu sais, j'ai ajouté.
- Moi aussi.
- Tu l’aimes toujours, Tito ?
- Oui. Ça n’a pas changé. Et Bjorn comprend très bien que je puisse toujours éprouver quelque chose pour le Viking. Lui-même ressent un petit quelque chose. Mais bon, faut dire qu’Erk est beau à damner un saint, et d’une gentillesse à toute épreuve. Son âme est aussi belle que son corps, et Dieu que son corps est beau !
Il avait un air rêveur, en disant ça. Hé oui, toujours amoureux du géant.
- Bon, j’ai dit, brusque malgré moi, allons dire ça à Kris.
- Oui. C’est une bonne nouvelle, autant qu’il soit au courant.
Quand Kris a appris qu’un vrai toubib avec de quoi aider son frère allait arriver, il a failli fondre en larmes. Il a fait un effort surhumain, visible dans sa façon de trembler. Je me suis agenouillé à côté de lui.
- Kris, il va falloir qu’elles sortent, ces larmes. Sinon tu vas te rendre malade.
- Je…
- On s’en fout que tu paraisses fort et inébranlable. On s’en fout que tu pleures parce que la vie d’Erk est en danger. Ce qui nous importe, c’est que tu ailles bien. Et je pense que si tu gardes ce chagrin à l’intérieur, il va te bouffer…
- Oh… putain, l’Archer, toujours les bons mots… il a dit d’une voix étouffée.
Il s’est appuyé contre moi et a laissé ses larmes couler. Ça me rassurait. J’ai passé un bras autour de ses épaules et je l’ai soutenu. Puis je l’ai aidé à se moucher quand les larmes se sont taries, parce qu’il n’a pas voulu lâcher Erk. Celui-ci n’avait pas meilleure mine, et sans moyen de mesurer sa température, c’était difficile de se faire une idée. J’avais hâte que la moto arrive.
Aryana a de nouveau tâté le front du Viking, son cou, a soulevé ses paupières.
- On dirait que sa température a un peu baissé. C’est en allant chercher les moutons qu’il s’est refroidi, n’est-ce pas ? Dans la rivière ?
- Oui.
Elle a secoué la tête.
- Il est… Il ne fallait pas. C’est… Allah ! Comment un homme qui ne nous connaît pas peut-il se mettre en danger pour nos moutons !?
- Il est comme ça, Aryana, j’ai dit. Il pense d’abord aux autres.
- Même quand c’est dangereux pour lui ? C’est de la folie !
- Non, a répondu Kris d’une voix étranglée, c’est de l’amour.
- De l’am… Je ne comprends pas.
- J’ai mis longtemps à comprendre, Aryana. Il aime l’humanité toute entière, quelle qu’elle soit.
- Même les salopards, les violeurs, les assassins ?
- Oui. Mais comme il aime aussi les autres, il est prêt à punir les premiers pour sauver ces derniers.
- C’est un saint !
- Ne lui dites jamais ça, il se trouve trop humain pour aspirer à la sainteté. Mais je suis en général d’accord avec vous.
- En général ?
- Avez-vous idée à quel point c’est fatigant de suivre un saint ? D’essayer de rester à sa hauteur ? De faire en sorte que nos actions soient dignes de lui ?
- Oui. ça doit être épuisant, en effet. Pourtant, lâcher la bride à son côté mauvais, ça fait du bien, des fois.
- Bien d‘accord. Mais lui a l’impression d’avoir démérité, quand ça lui arrive.
- Ah, je vois. Un saint chiant, quoi !
Cette sortie nous a surpris, puis nous a fait rire. Elle avait bien résumé la situation. Et pourtant, qu’est-ce qu’on l’aime, notre géant. Mais c’est vrai qu’il peut être chiant, par moment, même si c’est inconsciemment.
- Bon, Kris, dites-moi pourquoi il a voulu à tout prix ramener les moutons aussi.
- Parce qu’ils sont votre plus grande richesse, avec leur laine si fine et si chaude, digne de Pashmina.
- C’est vrai. Sans ce que nous rapporte leur laine, et sans les châles que nous tissons avec et qui rapportent encore plus, nous aurions du mal à vivre sans cultiver le pavot…
Un écho de ce qu’avait dit notre géant fiévreux.
- Pensez-vous, on a pu s’offrir une salle de bain moderne, avec douche, baignoire… D’ailleurs… C’est une salle utilisée par tout le village et je me dis que vous apprécieriez de vous laver avec de l’eau chaude, tous, non ?
- Si vous avez une baignoire, pourquoi mettre Erk dans le lavoir ? j’ai demandé.
- C’est une baignoire sabot, pour économiser l’eau. Et il n’y tiendrait vraiment pas.
- Ah, d’accord. Merci Aryana. Bon, on fait quoi, pour Erk ?
- Je pense qu’il faut le sortir de là, le sécher et le ramener au chaud en attendant cet Alex. Qui est-ce ?
- Un des médecins de la Compagnie. J’espère qu’il pourra aider le Viking. Allez, Kris, debout. Il faut que tu t’étires un peu avant…
- Non, je vais le porter.
- Kris, tu as besoin de te laver, de te changer. Alors va chercher des vêtements propres et secs, et va te laver. Emmène quelqu’un avec toi. Baby Jane ou Quenotte ou je ne sais qui. Allez, file.
Il était assez désemparé pour obéir, demandant à Kitty si elle voulait bien venir. Avec l’aide du reste de la patrouille, on a sorti Erk du lavoir, JD a sorti la civière pliante, on l’a posé dessus délicatement et on l’a emporté vite fait dans la salle commune.
Là-bas, on a retiré au géant son calbar mouillé, puis on l’a frotté à lui faire rougir la peau, pour faire circuler le sang, pour le réchauffer… Puis je l’ai rhabillé avec l’aide des autres. La totale. Des chaussettes au pull. Il avait beau avoir de la fièvre, on m’avait toujours dit qu’il fallait couvrir un fiévreux alors on l’a couvert.
Je le trouvais moins chaud, mais comme il avait été dehors, peut-être que sa peau était froide mais que sa fièvre n’était pas descendue. Il était inconscient, notre gentil géant. Il n’avait pas bronché pendant qu’on le faisait tremper, ni pendant qu’on le manipulait pour le rhabiller. J’avais hâte qu’Alex arrive.
Kris est revenu avec Kitty, dont les cheveux étaient mouillés. J’imagine qu’elle avait pris une douche aussi. Elle avait raison. J’ai envoyé Tito et Bear se laver pendant que Kris se remettait en oreiller sous la tête du Viking et lui caressait le front.
Je lui ai tendu un bol de ragoût. Lentilles, pois chiches et courgettes, avec des épices sympas. Comme il ne voulait pas cesser de toucher le front brûlant, je l’ai nourri. Il m’a remercié d’un sourire un peu triste.
- Hey, Kris, avec Alex qui est bientôt là, ça va aller mieux, ne t’en fais pas.
- Me raconte pas de conneries, l’Archer.
- C’est pas des conneries, Kris. Je suis sûr que ça ira mieux quand Alex arrivera.
- Oui, parce qu’on saura qu’il a 41°C au lieu de 39.9°C…
- Kris…
- Pardon… Tu as raison. Il faut… positiver. Mais tu vois, j’ai un peu de mal, quand je le vois comme ça. J’ai déjà vu Erik fiévreux, depuis tout petit, et celle-là, c’est la pire après la Guyane.
- Kris…
- Quoi ?
- Il va aller mieux. Je le sais.
- Allons bon, tu es prescient, toi aussi ?
- Non, mais toi oui. Et as-tu eu un pressentiment de danger imminent pour Erk ?
- Non.
Il a regardé son frère, caressant le front trop chaud.
- Dieu fasse que tu aies raison, Tudic.
- Je sais que j’ai raison, Kris. Parce que si Dieu a mis ce type extraordinaire sur Terre, c’est pas pour le retirer de si tôt.
C’était un peu tiré par les cheveux, et un peu gonflé, mais ça a atteint le but que je recherchais : faire sourire Kris. Il a même eu un petit rire, contraint, certes, mais sincère.
Tito et Bear sont revenus de la douche, remplacés par JD et Quenotte. Mon p’tit pote a pris sa gourde et a fait boire Erk. Le géant a avalé tout seul, et j’ai voulu y voir un signe positif.
- On dirait qu’il est moins chaud, non ? a dit Tito.
- C’est l’impression qu’il donne, oui. Mais sans thermomètre, ça va être dur d’être sûr.
- Alors heureusement que je suis là.
- Alex !
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