XLVIII

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On s’est réveillés le jour J assez excités. A midi, on ne tenait plus en place, alors Erk nous a fait faire de l’aérobic. Toute la patrouille, son frangin compris. Les motards nous ont rejoints, vite suivis par les mecs de Frisé. Tout le monde avait apparemment besoin de se débarrasser du trac d’avant opération.

Il faisait encore frais dans la journée, mais on a vite transpiré, car le Viking était intraitable et infatigable. Une fois bien échauffés, il nous a fait faire des mouvements d’ahemvé un peu particuliers, qui demandent une grande précision pour pouvoir être efficaces à pleine vitesse. Ce sont souvent des enchaînements de prises de karaté ou tai-chi et de capoeira ou autre boxe thai.

Il a été chiant, il nous a fait refaire chaque mouvement à la perfection, nous interrompant tous si l’un de nous merdait. Même Kris y a eu droit, mais il ne disait rien, il se concentrait. C’est le plus gracieux des deux, mais, étrangement, il lui est arrivé de se tromper cette fois-ci. Etait-il distrait par la perfection du Viking ? Possible. Car le géant était vraiment gracieux ce jour-là, chacun de ses mouvements paraissant facile, et aisé, comme si n’importe qui pouvait le faire.

A la fin de la séance, on était transpirants, suants et on avait mal à des muscles qu’on ignorait avoir. Et pourtant, depuis leur arrivée, on s’était bien remusclés. Pendant qu’on se remettait de nos efforts en marchant, Erk a pris la main de Kris comme s’il l’invitait. Et, comme ça, sur une musique qu’eux seuls semblaient entendre, ils ont dansé un tango. Il était soft, celui-là, mais il était parfait.

Lin nous a rappelés à l’ordre à la fin de la danse, nous envoyant nous passer à l’eau chaude et au savon avant de nous envoyer bouffer. Elle m’a avoué plus tard qu’elle était là depuis un moment, admirant les deux hommes qu’étaient devenus les petits garçons qu’elle avait gardés adolescente. Tout comme nous, elle avait été prise par la beauté de leur danse et n’avait pas vu l’heure.


Le dîner fut léger, quiche lorraine, salade et riz au lait, suivi par une tisane de camomille et menthe poivrée, histoire de rester calmes.

Puis on a revu nos cartes, nos armes, nos équipements, Erk portant une attention particulière à celui de son frangin. Il le faisait toujours, mais sachant ce que je savais, j’ai vu, cette fois-ci, beaucoup d’amour. Tout comme Kris en montrait discrètement en vérifiant celui de son frangin et amour. (Rappelez-vous, je dis frangin pour aller vite, ils n’ont aucun lien de sang, hein ?)


Vers minuit, la patrouille de Mac est partie à moto jeter le gaz, dans les petites pochettes hydrosolubles fabriquées par Lin, dans les deux ruisseaux qui alimentaient les fontaines du Pashtoune.

Vers 2h du matin, on s’est entassés dans la Land, Kris assis devant Erk, les bras du géant autour de lui, leurs casques se heurtant un peu avec les cahots du chemin. Comme les tenues hazmat étaient peintes et qu’on ne voulait pas que la peinture s’écaille, on les a mises dans une housse suspendue dans la cabine.

On s’est arrêtés à 800 mètres de la porte de la forteresse, sur une petite éminence qui faisait un excellent nid de pie pour notre sniper et son guetteur. On s’est débarrassés de nos casques et on a enfilé les tenues hazmat par-dessus notre uniforme et notre gilet pare-balles, puis on a mis les masques. Erk a vérifié tous nos masques les uns après les autres, très, très soigneusement. On les avait testés à la base, mais là, c’est l’ajustement qu’il a vérifié. Le gaz choisi était un neurotoxique léger, parfait pour que les vilains fassent un gros dodo, mais il agissait aussi au contact de la peau.

Puis on a attendu, nos respirations un peu fortes dans nos oreilles. Très Dark Vador.

Erk et Baby Jane sont montés en haut de l’éminence, pour être ce que les Anglais appelaient overwatch : surveillance, direction, destruction « d’obstacles »…

A travers le scope de son flingue, Baby Jane était sensée nous dire quand le gaz commençait à agir. Erk avait des JVN aussi, et on a fini par entendre son baryton dans nos oreillettes : « Les mouches commencent à tomber. Hou, celui-là va avoir mal au réveil. Oh, ils sont mignons, ces deux-là… »

On a eu droit à des petits commentaires comme ça, ce qui m’a fait sourire et je pense, en voyant une ou deux têtes secouées, que je n’étais pas le seul.

Finalement : « OK, tout le monde a l’air de pioncer, les gars, donc vous êtes bons. »

- Erik, peux-tu confirmer que le Pashtoune dort ?

Silence sur les ondes puis un soupir : « Non. Il était couché avant le gaz, et il n’a pas bougé depuis. Mais… J’ai vu les autres tomber, mais pas lui. Alors je ne peux pas garantir qu’il dort. »

- Je vois. Merci mon grand.

Je n’étais pas trop surpris. On avait réfléchi avant de venir et on pensait bien qu’il avait dû sécuriser un peu mieux son alcazar depuis notre passage avec la photo de Baby Jane en pin-up. C’était pour cette raison, entre autres, qu’on avait choisi d’utiliser le gaz et les tenues hazmat.

On a continué à pied vers l’alcazar, Kris se secouant un bon coup puis se concentrant sur la tâche : nous approcher des murs de l’alcazar.

Avec une mauvaise surprise : les murs avaient été surélevés.

« Les gars », a dit Erk dans nos oreillettes, « les murs ont été surélevés. »

- No shit, Sherlock, a grommelé Kris.

« Ben, on ne pouvait pas… »

- Non, je sais, sans nous à côté pour comparer, tu ne pouvais pas voir ça. Désolé, bróðir.

Erk a gloussé avant de reprendre :

« Si vous faites dix mètres vers votre gauche, il y a une petite butte. De là où je suis, je ne peux pas voir si elle est près du mur, mais ça pourrait aider si oui. »

- OK, on regarde et… oui, c’est bon. Merci bróðir pour l’info.

Kris a fait la courte échelle à Tito, le plus léger et silencieux d’entre nous tous. Je suis certain qu’il a un Don. Mais bon…

Ensuite ce fut Kitty, Bear, Quenotte et moi. J’ai regardé Kris avec un peu de doute et il m’a fait un doigt d’honneur et m’a dit qu’il soulevait son frère, alors, moi, hein, j’étais un sac de plumes. Ça m’a fait rigoler. Une fois en haut du mur, je me suis allongé dessus, pour pouvoir attraper Kris. Il s’est un peu éloigné, a couru sur le sol puis sur le mur jusqu’à ce que je prenne ses mains et utilise son élan pour le hisser sur le mur.

On a sauté à l’intérieur, couverts par le reste de la patrouille, sans JD resté à la base avec Yaka. On est ensuite partis vers le bâtiment principal où se trouvait la chambre de Duran Duran.

Ça faisait très château de la Belle au Bois Dormant, l’alcazar avec tous les gars qui roupillaient, là où ils étaient tombés. On a retrouvé celui qui allait avoir mal au réveil, tombé au sol complètement tordu, ou les deux mignons, appuyés l’un contre l’autre.

Puis on est entrés dans le bâtiment principal, très prudents parce qu’on ne savait pas si le gaz avait atteint toutes les pièces et tous les recoins de l’endroit. Flingues en avant, les yeux qui vont partout, l’attention sur le moindre bruit, le moindre mouvement. Tout ça avec une capuche hazmat sur les oreilles et la visière du masque qui coupait un peu la vision sur les côtés.

Est-ce que ça peut expliquer que Durrani ait surpris Kris quand on est entrés dans sa chambre ? Possible. Toujours est-il qu’il a sauté sur Kris dès que celui-ci est entré dans la chambre.

On a entendu un bruit étranglé dans nos oreillettes mais notre overwatch n’as pas fait de commentaires. Et tant mieux parce qu’on avait besoin de toute notre concentration.

Quand Kris avait poussé la porte, elle s’était ouverte lentement, sans bruit. Il n’y avait pas de lumière et, avec la visière du masque de la tenue hazmat, impossible de porter des JVN ou autres. J’ai juste été surpris qu’Erk ne nous ait pas prévenus que notre cible était debout.

Puis Durrani s’est jeté sur Kris, le surprenant et lui faisant lâcher son arme, non pas sous le choc, comme j’allais le découvrir plus tard, mais parce qu’il l’avait blessé au bras. Kris a immédiatement saisi les mains du Pashtoune pour empêcher la lame déjà rougie du couteau d’atteindre son cou. Il grognait et je voyais son bras gauche qui faiblissait.

J’ai commencé à baliser, me disant que s’il y avait du sang sur la lame, ça voulait dire que la tenue était déchirée. Et donc, que Kris allait être en contact avec le gaz. Puis mon entraînement a pris le dessus et j’ai poussé Kris dans la chambre pour avoir plus d’espace pour agir, tout en bloquant un de ses pieds et en attrapant son épaule gauche pour le faire tourner. S’il était à terre, on aurait plus de place à hauteur de flingue pour s’occuper de l’autre salaud. Kris est tombé au sol, le Pashtoune et son couteau le suivant. Sacrés réflexes, ce salopard !

Tito a saisi l’occasion d’assommer Durrani avec la crosse de son Behemoth et Kitty s’est accrochée au poignet qui tenait le couteau, évitant à Kris de se faire transpercer.

Bear a sorti des zip-ties et a attaché le Pashtoune bien serré, puis lui a retiré son masque à gaz avant de le charger sur ses épaules. Quenotte et Tito sont partis en avant, ouvrant la voie. Kitty a ramassé l’arme de Kris, la remettant dans son holster, puis a passé un bras autour de sa taille.

- Erk, j’ai dit en les suivant, venez nous prendre au mur si c’est sans danger.

Il a acquiescé et on a continué. On n’avait pas de scotch sur nous – on aurait dû, a posteriori – et je n’avais qu’une envie, en coller un morceau sur la déchirure de la combi de Kris, au biceps gauche. Je la voyais bien à cause du sang qui brillait sur la peinture mate de la combi.

Kris a trébuché, emportant presque Kitty avec lui. J’ai pris le lieutenant sur mon dos aussi, disant à la miss de fermer la marche.

Au bout d’un moment, Kris s’est mis à délirer, alors je l’ai posé au sol et j’ai coupé son micro. Je ne voulais pas qu’Erk entende ça et panique. J’ai pris un risque en ouvrant sa combi pour aller chercher l’oreillette et la mettre dans une de mes poches, mais comme elle était déjà percée…

Puis je l’ai repris sur mon dos et j’ai suivi les autres vers le mur.

Kris est plus lourd qu’il n’y paraît et j’ai commencé à fatiguer. Dans mon souvenir, le mur était plus près. Mais… je devais continuer, je ne pouvais abandonner. J’ai donc continué, serrant les dents. J’entendais le pauvre Kris qui racontait je ne sais quoi en islandais. Puis plus rien. Je me suis pris à espérer qu’il dorme.

On a atteint le mur et je me suis demandé comment j’allais soulever Kris pour le lui faire passer.

« On est derrière le mur avec la Land, les gars, on va vous aider à descendre. L’Archer, je n’entends pas Kris. Il dort ? »

Je l’espérais. J’espérais surtout que ce n’était rien de plus grave. Les frangins et leurs allergies…

J’ai grogné, laissant Erk interpréter à sa guise, et j’ai allongé Kris au sol, pour me reposer avant de devoir le porter encore et lui faire passer le mur. J’ai voulu retirer son masque à Kris pour vérifier son pouls mais je me suis dit que je n’allais pas risquer lui faire avaler plus de la saloperie qu’on avait utilisée. Il y avait un peu de buée sur son masque, alors je me suis senti rassuré.

- L’Archer ! a chuchoté Kitty. Erk est sur le mur, passe-lui Kris.

J’ai pris Kris dans mes bras, en princesse, et je l’ai porté jusqu’au Viking perché sur le mur comme une grosse gargouille inquiète. Il s’est penché pour prendre ses poignets et le hisser, puis l’a fait basculer de l’autre côté, où j’imagine les autres le recevaient. Je m’attendais à ce qu’il le suive, mais il a tendu les mains à Kitty, qu’il a fait passer de l’autre côté, puis à votre serviteur.

Il m’a laissé tomber sur le pick-up et m’a suivi, pour se porter aux côtés de Kris, qu’il a pris dans ses bras.

- Attendez un peu avant de retirer vos masques et capuches, il a dit en glissant ses doigts nus par la déchirure de la combi de Kris. On va laisser le vent virer les quelques miasmes.

- Comment va-t-il, Erk ? On a été surpris et…

- Moi aussi. Durrani est soudain apparu, mais… partiellement. Juste les bras et la tête, puis tout le corps. Mais il avait déjà blessé Kris à ce moment-là.

- Comment est-ce qu’il a pu se cacher ?

Kitty s’est gratté la gorge et m’a demandé de la regarder à travers les JVN du géant. Je l’ai vue, puis elle a disparu, sauf la tête. J’ai retiré les jumelles. Elle était toujours là, mais enveloppée dans un truc gris foncé.

- Qu’est-ce que c’est ? a demandé Baby Jane.

- Une cape, avec une capuche et un voile, a répondu la petite Américaine, en retirant la cape et en la lui tendant. Je l’ai vue tomber de Durrani, alors je l’ai ramassée, me disant que ça pouvait être important.

La belle Anglais a examiné le tissu puis l’a mis de côté.

- Bien joué, Kitty. Pas assez de lumière pour bien voir, mais selon ce qui s’est passé, on peut déduire qu’elle rend invisible à la vision de nuit. Sans doute pas aux infrarouges. Encore que… Quenotte ?

- Ça me rappelle quelque chose mais… je cherche, a-t-il ajouté en haussant les épaules.

Bon, cette discussion était importante, mais je n’avais pas eu ma réponse.

- Erk, on peut enlever nos combis ?

- Oui, je pense que c’est bon maintenant, oui.

- Bien, j’ai répondu en obéissant. Tu n’as pas répondu à ma question.

- C’est vrai. Je voulais attendre un peu.

- Ben crache ta valda, maintenant, lieutenant.

- La blessure est refermée, mais il est toujours out.

- Pas de réaction bizarre au gaz ?

- Je… C’est trop tôt pour le dire. Il dort, sa respiration est normale pour un dormeur, son rythme cardiaque est correct, sa tension aussi…

- Il parlait en islandais tout à l’heure, mais impossible de savoir s’il était cohérent ou s’il délirait. J’ai pas entendu ton prénom.

- On verra à son réveil, a dit le Viking.

Il était inquiet, notre gentil géant, ça se voyait dans sa main toujours sur le pouls de Kris. Il y avait beaucoup de tendresse dans ce geste, aussi, et dans la façon dont il soutenait Kris dans le berceau de ses bras. Ce dernier était complètement immobile, et la combi cachait les mouvements de sa poitrine. Si Erk ne le touchait pas, il n’aurait pas forcément su qu’il respirait. Mais le lieutenant était bien vivant. Juste assommé par le gaz.

On a continué à rouler dans la nuit pendant que Kris dormait dans les bras du Viking et que Durrani se réveillait et s’agitait. On l’avait bien sécurisé, le Pashtoune, mais il n’avait pas l’air d’aimer ça et s’est mis à nous injurier. Ça a énervé Kitty, qui comprenait ce qu’il disait. Elle lui a balancé une claque, qui l’a tellement surpris qu’il s’est tu, puis elle lui a retiré ses belles bottes en cuir et a pris une de ses chaussettes, lui a fourré dans la bouche, et a noué l’autre autour de sa tête pour l’empêcher de le cracher. Comme on avait fait avec le tireur des Lions de Jacobs.

Le silence nous a fait du bien et le reste du chemin s’est fait en silence relatif. On avait le vent dans les oreilles mais plus les jurons et franchement, c’était top.

Dans les bras d’Erk, Kris a soupiré et a bougé un peu, mettant son nez dans le cou de son frère. Le géant a souri, rassuré, sans doute.


Quand on est arrivés au village où on avait donné rendez-vous aux « sujets » de Durrani, les frangins dormaient. On est descendus de la Land sans faire de bruit, même quand on a tiré Duran Duran du plateau, on l’a fait en douceur malgré notre envie de lui faire payer tout un tas de choses, dont la mort de nos camarades, celles des villageois, etc, etc.

Comme on n’était pas des salopards, on a allongé Duran Duran pour qu’il finisse sa nuit en presque confort.

Ensuite, je suis allé réveiller Erk, ma main sur l’épaule droite.

- Hé, Viking, viens donc, on a fait un lit pour Kris et toi.

- Oh… fallait pas.

- Ne t’en fais pas, c’est pas un cinq étoiles, c’est juste un matelas un peu poussiéreux avec une couverture.

- Merci l’Archer, a dit Erk en rigolant doucement.

- Comment va-t-il ?

- Il dort toujours. Mais je pense que c’est du sommeil et pas le gaz, son souffle est plus régulier et mon Don ne réagit pas.

- Bonne nouvelle, alors. Allez, amène-toi, lieutenant, comme ça Jude peut repartir à la base.

Et c’est ce qu’il a fait une fois les lieutenants descendus, Kris toujours endormi dans les bras du Viking.

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