Chapitre 2
C'est compliqué d'expliquer pourquoi ça fonctionne comme ça, puisque j'en suis encore à l'étape où je me pose moi-même la question. Mais je ne m'en plains pas. J'aime ces relations.
J'ai choisi depuis longtemps où je voulais m'installer. La place dont personne ne veut.C'est-à-dire devant près de la porte et au premier rang. Ainsi, ça me permettra à la fois d'être dehors en moins de deux minutes et de bien pouvoir suivre les cours.
Ça devrait aussi m'éloigner du plus con d'entre tous parce que, bien que j'aie voulu qu'il en soit autrement, ils ne sont pas tous parfaits. J'ai remarqué qu'en général ceux de cette catégorie choisissent toujours de s'installer aufond.
Je lève les yeux au ciel en me disant que c'est du n'importe quoi que de croire que ces places les épargnent des critiques et des mauvaises notes. Après, si cette zone leur permet de se sentir mieux, je n'en serai que plus libre de respirer au premier rang.
J'espère quand même avoir quelqu'un assis à côté de moi. Et que mon voisin de table ne sera pas ce style d'abruti et qu'il sera capable d'égayer un peu mes journées. Je vais en avoir besoin si je veux tenir l'année entière.
— Allez, allez.Dépêchez-vous.
Fini le temps de la réflexion.Voilà qu'elle est là, celle qui va tenter de nous enseigner pour qu'on ne devienne pas des cancres. Toute pomponnée et guillerette, en jupe longue qui plus est d'une couleur indéfinissable tirant sur le café au lait sans que ça en soit vraiment cette couleur, assortie d'un haut vert kaki au décolleté quelque peu osé pour un professeur.
Je suis sûre que son enthousiasme est un style qu'elle tente de se donner. Ça doit même être le même, année après année. Cette façade a certainement pour but de se rassurer et de trouver le courage de nous affronter .Quoiqu'il en soit, je la trouve ravissante. J'admire ses efforts,vraiment. J'aurais sûrement fait de même à sa place. Sauf que, le hic, c'est que la sauce d'ondes positives a choisi de ne pas prendre avec moi. Je suis trop anxieuse. Mais je dois avouer quand même,qu'elle m'épate car elle a un certain charme ! Elle me plaît ! Au sens figuré du terme bien sûr.
Elle ouvre la porte et entre.Je m'efforce de la suivre rapidement pour suivre mon objectif et m'installer là où je souhaite.
Voilà j'y suis. Dans l'arène.Je n'ai plus qu'à prier et à compter les secondes avant devpeut-être devoir grincer des dents ou de me tirer les cheveux en découvrant mon ou ma camarade.
— Vous comptez dormir dehors! Dépêchez-vous un peu.
Le ton est donné, mais aïe,ce que sa voix peut me faire mal aux oreilles ! On ne peut pas la rater. En plus, elle a parlé suffisamment fort pour couvrir ce brouhaha produit par les autres élèves.
Je les surprends qui se bougent enfin les fesses mais ils me désolent tous car ils auraient pu tellement éviter ce premier remontage de bretelles. Sur ce point,ce n'est pas si différent de là où j'étais avant.
Pendant les longues secondes où ils se décident enfin à s'exécuter tant bien que mal, je reste debout. Pour m'occuper l'esprit et éviter les regards, je libère mes mains et m'applique à tout ranger de manière très ordonnée sur ma table.
Ils passent tous à côté de moi sans exception et sans s'arrêter. On dirait que j'ai contracté...un truc, genre la gale. Je suis assez surprise car c'est bien la première fois que je vais me retrouver toute seule. L'espoir infime qu'un mec intelligent s'assoit là, et avec qui j'aurais pu partager de bons moments s'envole beaucoup, beaucoup trop vite. J'en soupire de frustration. Il y a un fossé entre avoir une personne sans-gêne et n'avoir personne.
La solitude, ça pèse quellequ'en soit la raison.
— C'est bon, asseyez-vous !Bon, ok. Silence maintenant ! Vous allez garder ces places tout le reste de l'année. Vous ne pourrez plus en changer sauf si je vous le demande. Commencez par prendre votre carnet de liaison et regardez votre emploi du temps. Vous pouvez voir que vous m'aurez tous les jours entre deux à quatre heures par jour. J'espère que vous êtes ravis.
J'entends tous mes camarades râler ou soupirer. Je ris intérieurement. Un peu de sadisme ne fait pas de mal j'imagine.
Je suis ravie de voir que j'ai beaucoup d'heures de français, mais j'en ai tout autant en sport et il faut bien dire que je déteste le sport ! La sueur, les douches communes, les jours de froid et de mauvais temps...rien de tel pour me mettre de mauvaise humeur pour des jours entiers. Et cerise sur le gâteau, je commence la semaine par ces cours là.
Les heures passent sans que je m'en aperçoive et il est temps d'une petite pause puisque la sonnerie retentit. J'en suis plus qu'heureuse, mon cerveau commençait à bouillir et mes jambes à s'ankyloser.
Étant toujours toute seule,je me dirige vers un banc avec l'infime espoir que quelqu'un vienne enfin s'adresser à moi. Je sais que c'est nul d'attendre,mais je suis de nature réservée. Merci papa ! Merci maman !J'imagine que ça doit être génétique. Alors je prends mon mal en patience. Et rien. Nada. J'ai l'impression d'être complètement invisible aux yeux de mes camarades.
J'ai le sentiment que je ne suis pas prête de me faire des amis. Peut-être vais-je vite en conclusion. Une récréation c'est court en même temps, il faut que je me laisse du temps. Mais elle dure trente minutes quand même ! Je sens alors la déprime envahir mon cerveau.
C'est la reprise des cours. A force de divaguer, je ne pense plus qu'à une chose, ma future chambre. J'en oublie d'écouter le professeur alors que je suis là pour ça. Je me demande si je vais me faire à l'idée de partager cet espace confiné en plus de tout le reste. Pour le moment on ne peut pas dire que ça m'enchante, c'est comme le reste. Rien que depenser que quelqu'un va savoir ce que je porte comme sous-vêtement est assez gênant comme situation. Je secoue légèrement la tête pour retrouver mes esprits et m'efforcer de me détendre mais je trépigne d'impatience d'être au moment d'aller me coucher et oublier l'enfer de cette journée.
Je prends le peu de courage qu'il me reste. Lève la tête et regarde mes camarades. Je me mets à les observer pour tenter de comprendre qui ils sont. Sont-ils tous aussi paumés que moi ? Ils me donnent tellement l'impression de se sentir déjà chez comme chez eux... La preuve, c'est que personne ne parle quand le professeur est face à nous, mais, et il fallait sans douter, ils se fichent bien d'elle. Dès qu'elle tourne le dos, ils deviennent puérils et s'agitent dans tous les sens pour faire n'importe quoi.
Je crois qu'en fait je comprends mieux pourquoi je n'ai personne à côté de moi, ils auraient dû tous se battre pour les places du fond.
Je ne sais pas si ça fait partie de leur jeu débile mais quand certains yeux croisent les miens, j'ai droit à des regards bien appuyés et étranges en retour. Du coup, je me dis qu'à la prochaine pause, il faudra absolument que je file aux toilettes, ne serait-ce que pour vérifier que rien ne cloche sur moi.
On dirait qu'ils ont lancé les hostilités.
Annotations
Versions