Chapitre 7 – un jeu d’enfant apaisant

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Saarf recula en fermant les yeux sous le chagrin. Sa main était encore crispée sur la manette qu’il venait d’actionner. L’alpha s’était accroché à son collier qui en délivrant une dose de venin assez importante le faisait suffoquer à moitié. Il cherchait à reculer loin d’eux. Ce n’était pas difficile, les deux omégas s’étaient jetés hors de sa portée et Leyn dévisageait l’alpha au sol comme s’il ne l’avait jamais vu. Ce dernier gémissait d’une voix roque et cassée.

- Je vais appeler les bêtas pour qu’ils l’installent pour l’après-midi… dit Saarf.

Leyn se retourna vers son ami et remarqua à quel point il tremblait. Il ne s’attendait visiblement pas à ce que Merwan leur grogne ainsi dessus. En quelques secondes, il s’était redressé, tellement menaçant que l’oméga avait dû sévir pour assurer leur sécurité. Rapidement, le plus jeune avança vers son ami pour le prendre entre ses bras afin de le calmer tout en lui murmurant :

- Je… Je suis désolé.

Il l’était réellement. Désolé de les avoir mis dans cette situation. Désolé de ne pas savoir quoi faire ou comment gérer. Désolé également de ne pas avoir le courage de s’approcher de son alpha pour lui caresser les cheveux et l’apaiser. Il avait l’air d’aller particulièrement mal. Merwan n’eut pas l’air mieux lorsque quelques minutes plus tard, différents bêtas s’approchèrent pour l’installer de force dans le caisson sans s’occuper de ses gémissements.

Le caisson fut fermé, ne dévoilant plus que sa bouche ouverte par un écarteur et son sexe mou entre ses cuisses qui tremblaient. Et Leyn resta là, assis, à l’observer jusqu’à ce qu’on l’éloigne pour le ramener dans la chambre. Saarf finit par venir à côté de lui, lui attrapant la main pour lui montrer son soutien.

- Je m’excuse… quand un oméga confie son alpha au collectif, je demande toujours à ce qu’il voit l’envers du décor pour qu’il comprenne réellement ce que l’on fait ici.
- Les autres… Ils… Ils ne sont pas comme ça.
- Non, beaucoup d’alphas adorent être ici. Barry, mon alpha, il demande à passer une à deux journées en chambre chaque semaine ou presque… Il n’y a qu’une fois réellement lié que les alphas ne veulent plus en entendre parler.

Saarf soupira. Il ne voulait plus accepter Merwan dans la partie commune, mais il ne voulait pas non plus blesser Leyn ou le mettre dans une position impossible à tenir. Le blond sembla le comprendre puisqu’il hocha lentement de la tête.

- Je le garderais avec moi… demain matin, mais… je ne sais pas qu’elle a été son évaluation… mais il a aussi certains besoins à assouvir…
- Je le prendrais l’après-midi pour qu’il se décharge.
- Merci… Merci beaucoup.

Leyn passa la suite de l’après-midi comme dans un brouillard cotonneux. Ses pieds le menèrent aux lieux où il devait aller sans vraiment s’en rendre compte et quand l’heure arriva pour aller chercher son alpha, il sut parfaitement ce qu’il allait trouver. Le brun avait refusé de s’asseoir ou de se coucher, il se tenait donc contre un mur, cherchant son équilibre. Il avait l’air complètement défait.

Lorsque Merwan vit son oméga entouré de deux bêtas, il se sentit encore un peu plus mal, mais il n’y avait rien à faire à part, bien-sûr, se laisser faire. Les hommes l’attrapèrent et le trainèrent plus qu’autre chose jusqu’à la chambre où on l’abandonna sur le futon. Rassembler deux idées lui était difficile, il savait pourtant qu’il devait parler. Les jours s’enchaînaient, il ne tiendrait plus longtemps avant d’être renvoyé et s’il voulait reculer encore un peu la date fatidique, il devait faire quelque chose. Malheureusement, il se sentait mal, presque comateux et il n’arrivait pas à réfléchir. Deux fois, il tenta de bouger et retomba, le souffle court, retenu par sa laisse. Les deux fois Leyn l’observa avec de grands yeux inquiets, sans rien lui dire.

Au petit jour, Merwan avait repris assez ses esprits pour se rappeler de ce qu’il voulait faire. Il ne pouvait pas demander à lire, continuellement alors qu’il ne parvenait que très difficilement à déchiffrer le moindre mot. Il attendit que Leyn soit réveillé et préparé pour lui faire son plaidoyer.

- Pourquoi ne pas faire de moi ce que vous voulez ? Un alpha savant ? Je peux apprendre. Mais pas aux zones communes, là-bas, je n’apprends rien et les drogues… n’aident pas. Laissez-moi apprendre.

Il avait essayé de baisser les épaules et la nuque, de plier son dos, il avait même préparé ses menottes pour pouvoir les lier l’une à l’autre derrière lui. Tout puait la soumission, une attitude qu’il avait beaucoup travaillée mais qui sonnait toujours aussi fausse.

- Chez combien d’oméga êtes-vous allé avant moi ? demanda soudain Leyn, le prenant au dépourvu.

Le jeune homme était installé sur son lit, les genoux sagement collés l’un à l’autre, les mains détendues sur ses cuisses et la tête légèrement penchée sur le côté. Il était adorable, mais mortellement dangereux, se dit Merwan.

- Je vous appartiens maintenant, je ne suis qu’à vous et à vous seul.
- Vous ne répondez pas à ma question et je suis un oméga… je suis prêt à partager comme vous avez pu le remarquer.

Merwan frémit très visiblement et il devient légèrement plus pâle. Il serra les dents. En jouant délicatement, avec une grande finesse, il arriverait peut-être à obtenir ce qu’il voulait. S’il tenait un jour ou deux de plus, être renvoyé ne poserait plus autant de problèmes, mais il devait lui plaire et se contenir encore quelques temps. Il réfléchit rapidement et répondit :

- Deux, vous êtes le deuxième, est-ce que vous désirez vraiment un alpha à partager ? Si c’est le cas, pourquoi m’avoir demandé ce que je lisais ? S’il-vous-plait, laissez-moi apprendre.

L’oméga soupira, il avait déjà décidé d’emmener l’alpha avec lui pour la matinée afin de décharger son ami et le collectif de cette tâche difficile. Par contre, il n’avait encore exactement décidé de ce qu’il ferait avec. Une partie de lui avait envie de le ligoter au sol de la chambre et de l’abandonner à lui-même, impuissant. Mais une autre partie, plus raisonnable, avait envie d’essayer. Qu’aurait-il fait avec son alpha idéal ? Ce rêve, cette utopie qu’il ne trouvait jamais. Il l’aurait emmené avec lui, non attaché, jusqu’à sa salle de prédilection. Il l’aurait laissé lire pendant qu’il étudiait et puis ils seraient allés en cours ensemble avant de manger, ensemble, échangeant des connaissances, discutant des points abordés, réfléchissant aux mêmes problèmes, … Suivre ce programme avec Merwan était impossible et cela présentait également une part de danger non négligeable.

- J’aimerais que vous vous habilliez et que vous nouiez vos menottes ensemble. Je vous accorde une chance ce matin, mais vous passerez l’après-midi au collectif.
- D’accord.

Il aurait dû dire merci mais l’idée d'y retourner le mettait en colère. Silencieusement, il obéit… Lorsque le déclic prouvant que ses mains étaient à présent liées l’une à l’autre dans son dos retentit, la nausée le prit à la gorge. Il la chassa en respirant doucement et profondément.

Ce n’était pas si évident que ça. On pouvait toujours croire qu’il se maîtrisait, vu de l’extérieur, mais son sang bouillonnait dans ses veines. Les alphas avaient toujours énormément de mal à rester calme, disait-on, à moins que ce ne soit que lui ? En étant isolé au possible des autres, c’était dur pour Merwan d’en être certain… Régulièrement, la colère montait comme une marée que rien n’aurait pu arrêter et il devait attendre que cela se calme, patiemment. Etant donnée la situation, il fallait surtout être discret pour éviter de payer ces sentiments…

Avant même de vraiment le réaliser, il se retrouva dans cette salle où on l’avait emmené pour la présentation. C’était là qu’il s’était ridiculisé il y a quelques jours à peine. A ce moment-là, ses côtes et son poignet lui faisaient encore horriblement mal. Ça allait mieux depuis… Sans doute grâce au caisson, mais il chassa cette idée.

Sans dire le moindre mot, Leyn le conduisit jusqu’à l’un des crochets auquel il attacha sa laisse. Il lui avait offert assez de mou pour pouvoir s’asseoir sur le fauteuil le plus proche. Sans attendre, l’oméga prit un lot de feuille et une règle. Il traça un certain nombre de lignes et prit, sur une étagère, une boite de crayons de couleurs.

Merwan ne savait pas trop à quoi s’attendre. Avant, il se serait peut-être agité en réclamant qu’on lui donne un livre, mais le temps passant, il apprenait à se faire plus discret. Tous les instants de répits étaient bons à prendre et déjà, celui se terminait. Honteusement, il comprit que son oméga lui proposait de faire du coloriage comme le plus jeune des enfants ou le plus ignare des adultes. En baissant brièvement le regard, il saisit le matériel, la gorge plus nouée que jamais sous le coup de l’humiliation. Même si colorier était toujours mieux que ce qui l’aurait attendu ailleurs, c’était difficile à encaisser.

- Ah, euh, la règle ! Tout le jeu consiste à ne pas mettre côte à côte la même couleur. Ici, si on met du rouge alors, on n’en met pas là, là ou là. Quelque soit les couleurs que vous choisissez, le but est de trouver le nombre minimal de crayon à employer.

Un instant, Leyn observa la feuille de coloriage sur laquelle il avait tracé des lignes pratiquement au hasard. Ensuite, il prit conscience qu’il s’était énormément approché et que son alpha était juste là, au-dessus de son épaule. Sans aucun contrôle, il sursauta et s’éloigna avant d’hocher de la tête vers la feuille.

Merwan hésita un bref instant puis il tourna le dos à l’oméga dans une position qu’il détestait plus que tout. Il s’agissait de se pencher en avant, de se prosterner tout en levant aussi haut que possible les poignets. C’était une position humiliante et douloureuse qu’il dut tenir un grand nombre de seconde avant que Leyn ne comprenne et ne détache ses menottes l’une de l’autre, lui offrant une nouvelle liberté de mouvement. L’alpha se redressa très lentement, faisant attention à ne pas effrayer l’autre, puis il ouvrit la boite de crayons de couleurs. Il n’en avait pas manié depuis des années. Cela faisait si longtemps qu’il n’avait pas tenu un stylo qu’il eut du mal à se souvenir de comment faire.

Il observa silencieusement le crayon entre ses doigts et sans qu’il ne puisse les chasser, les souvenirs affluèrent. Il était tout petit et son père, papa Lin, prenait sa main entre ses doigts pour l’aider. Il était assis entre ses jambes et les mèches brunes de son père venaient parfois lui chatouiller la nuque.

Alors que très lentement, il posa la pointe du crayon sur la feuille, la voix chaude de son père lui revint à l’esprit. Il disait « pas trop fort Merwan, tu ne dois pas trouer la feuille ». Merwan frissonna, il avait bien grandi depuis ce temps bénit de l’enfance et les enjeux étaient devenus très différents. La gorge nouée, il demanda :

- Est-ce que… j’ai plusieurs essais ?

Sa voix était tellement horrible qu’il ne l’a reconnu pas. Son oméga acquiesça et ouvrit un livre, se détournant totalement de lui.

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