Chapitre 11 - un drame prévisible

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Comment en étaient-ils arrivés là ? Leyn observa les personnes qui l’entouraient, atterré. Il ne comprenait pas. Plusieurs bêtas, presque une dizaine, avaient dû intervenir. La zone commune avait été mise en quarantaine tout comme les chambres huit, neuf et dix ainsi que toute une partie des salles qui les entouraient. Un couloir avait été fermé et pour monter d’un étage à l’autre, il était conseillé de passer par l’escalier le plus éloigné. Quant à Leyn, il était là, au milieu de ce qui ressemblait à un carnage, sans comprendre.

Le bêta réitéra sa question une nouvelle fois, le faisant sursauter. Il disait : « Voulez-vous le conserver ? » Voulait-il garder Merwan après tout ça ? Il ne comprenait pas comment ils en étaient arrivés là. Tout avait commencé avec un mensonge. C’était un fait grave mais en même temps ce n’était presque rien. Rien qui n’aurait pu les préparer à ça…

- Leyn, je suis désolé, mais vous devez me répondre. Nous devons le déplacer. Voulez-vous le garder ?
- Je… euh… Quoi ?

Le bêta soupira, cet oméga comme la majorité des autres dans le bâtiment était en état de choc, mais celui-ci devait prendre une décision importante et il devait la prendre maintenant.

- Est-ce que vous voulez encore de Merwan pour alpha ? Est-ce que je le ramène ici ?
- …non.

Le ton était faible et hésitant alors le bêta demanda une confirmation pour éviter de commettre un impair :

- Est-ce que je le renvoie à la répartition ?
- je… oui, oui, je ne veux plus le voir.
- D’accord, merci beaucoup. Reposez-vous maintenant.

Leyn acquiesça sans vraiment comprendre. Que s’était-il passé ? Merwan avait menti sur la douche, ça avait commencé comme ça, alors le lendemain, c’était hier, hier, Saarf l’avait à nouveau soumis à un nettoyage complet. Ça ne s’était pas bien passé… Merwan avait été puni. L’après-midi avait été compliqué et le soir, l’alpha avait été très étrange… A ce moment-là, Leyn s’était dit que son alpha devait réellement souffrir de la douche. L’injection dans le méat n’avait pas l’air agréable du tout. Peut-être était-ce pour ça qu’il avait menti ? Juste pour pouvoir échapper à un protocole désagréable. Cette pensée n’avait été que fugace, car c’était tellement égoïste de refuser la contraception qu’il ne parvenait pas vraiment à l’accepter. Et puis, il y avait eu le dossier.

Ce n’était pas un petit livret fin comme ils s’y attendaient, mais un dossier cartonné épais remplis de documents divers. Habituellement, il n’y avait que quelques feuilles à la manière d’un livret de famille où l’on retrouvait le nom des parents et leur numéro de carte d’identité. La liste des écoles y figurait avec de brèves mentions des résultats et enfin, la liste des omégas et si besoin il y avait un peu plus encore mais c’était rare. Quand Saarf avait fini par demander le dossier de son propre alpha, par curiosité, il avait été surpris de n’y trouver que trois feuilles. Barry était globalement sage, un alpha parmi tant d’autres qui était passé simplement inaperçu dans l’administration.

Le dossier de Merwan n’avait strictement rien à voir avec cela. C’était en le lisant que Leyn avait découvert le deuxième mensonge. L’alpha lui avait assuré qu’il était son second oméga, mais ce n’était pas vrai. Le choc avait eu lieu à plusieurs niveaux. Merwan mentait réellement, sur plusieurs choses et le doute n’était plus permis. Mais ce n’était pas tout… Si seulement ça avait été tout.

Son premier oméga avait été un certain Nian, durant deux jours seulement, il y a des mois de ça. D’après les papiers, il avait été renvoyé à cause de sa violence verbale et physique, des bêtas avaient dû intervenir dans leur chambre commune. Nian avait été blessé et d’après les rapports, il refusait d’avoir un nouvel alpha.

Ensuite, il y avait eu Jess dans un lieu très différent. C’était un oméga qui étudiait la botanique dans une immense serre. Merwan avait tenu là-bas à peine une journée et le rapport était clair : il avait été si violent qu’une crise de rut avait dû être déclenchée…

En le lisant, Leyn avait eu du mal à y croire. Après tout, Merwan obéissait, il s’attachait lui-même les poignets ensembles et il était capable de rester très sagement concentré sur une tâche. Un travail en serre aurait dû être idéal ! Les alphas n’étaient jamais envoyés par hasard devant un oméga, les sélections étaient toujours faites en amont.

Le dossier indiquait qu’il avait été envoyé chez Nian à cause de ses grandes compétences physiques qui pourraient servir à l’oméga qui travaillait dans la construction de maison. Puis ça avait été à la serre, pour qu’il puisse passer des journées entières à effectuer des tâches physiques avec un oméga qui en avait déjà vu d’autres. Nian en avait refusé trois précédents après des expériences courtes. Certains pour manque de délicatesse envers les plantes, d’autres pour manque d’obéissance. Il était courant que les alphas ne soient pas seulement vu comme des compagnons mais aussi comme des outils, une force brute de main d’œuvre. Mais cela n’expliquait pas la crise de rut… un rapport médical était joint au dossier. Nian avait eu un poignet fracturé. Merwan l’avait littéralement brisé !

Mais tout ça, ça ne ressemblait pas à l’alpha qu’il connaissait, alors il avait continué à lire sans se douter que peu de temps après, une situation similaire allait se produire.

Il y avait eu le troisième oméga de Merwan : Leopold. Le séjour avait été plus long, presque une semaine. D’après les rapports, Merwan avait été sous ceinture de chasteté et il n’avait pas eu l’autorisation de pratiquer le moindre coït en dehors de la première tentative de son oméga. Leopold avait ajouté une note manuscrite au dossier, une rareté car les omégas détestaient se plaindre des autres :

« J’ai la sensation que cet alpha est incapable de maîtriser sa sexualité. Pour la sécurité de tout le monde, une admission en zone commune me semble plus pertinente que d’essayer de le lier à un seul et unique oméga qui ne saura le satisfaire. »

Leopold avait été choisi parce qu’il était très sûr de lui et également relativement âgé… Son premier alpha était décédé quelques mois plus tôt dans un tragique accident. C’était pour ça qu’on lui avait confié Merwan… avec une absence de réussite manifeste.

Tout ça avait été difficile à lire, difficile à admettre également. Leyn avait senti ses jambes faiblir lorsqu’il avait lu ces mots et ça avait encore empiré en lisant le reste du rapport. Si on lui avait proposé Merwan, c’était parce qu’il avait accès à une zone commune où il pourrait obtenir un grand nombre de coït. Le voilà, son alpha érudit… Une bête assoiffée de sexe, violente et ingérable. Mais tout ça, ce n’était pas réellement Merwan quand même ? Il n’avait pas réussi à y croire.

Saarf avait plus l’habitude que lui et les mots crus ne le surprenaient pas, mais les chiffres l’avaient choqué lui aussi. Ils espéraient que le rapport leur permettrait de diminuer le nombre de rapport sexuel en zone commune. Chaque semaine, Merwan pourrait passer un minimum de temps à s’adonner à cette activité. Saarf pensait de pouvoir réduire la quantité de moitié, peut-être un peu plus. De trois à cinq coïts quotidiens en moyenne, ils avaient espoir de pouvoir le restreindre à une quinzaine de jouissance sur la totalité de la semaine. Seulement, le rapport n’allait absolument pas dans ce sens. Il conseillait un total de treize jouissances journalières. Treize. Saarf avait lu ceci avec attention, cherchant les plus petites notes tout en faisant « non » de la tête, incrédule.

Même en passant une journée entière dans les zones communes, il n’y avait pas assez d’omégas en chaleur dans le bâtiment pour parvenir à assurer ce minimum et quel genre de vie cela serait ? Merwan devrait y rester pratiquement nuit et jour. Ils avaient besoin de temps pour réfléchir, pour voir ce qu’il fallait mettre en place et en attendant, Merwan serait ramené aux chambres et puisque cela semblait mieux se passer ainsi. Oui, c’était leur plan et quelques heures plus tard, le cauchemar avait débuté. Que s’était-il passé ? Auraient-ils pu le prévoir ? Ils avaient lu son dossier, alors ils n’auraient peut-être pas dû être surpris.

L’alpha était attaché à une chaîne, un bâillon épais venait l’empêcher de mordre et un bandeau, large, l’empêchait de voir. Il était nu bien-entendu. Son sexe était lubrifié et il avait déjà eu deux coïts lorsque le jeune Duis était arrivé. Il était stressé, c’était ses premières chaleurs et deux de ses amis l’avaient accompagné pour l’aider. Ils caressaient son corps bouillant. Ils lui murmuraient des encouragements. Ils lui disaient « tout va bien se passer » ou encore « il va te soulager ».

Duis s’était approché pour caresser le corps immense qui allait faire baisser sa fièvre, mais il était debout, dans une position peu évidente pour un jeune inexpérimenté. Alors, Caren son meilleur ami, avait décidé de déplacer l’alpha. Cela se faisait de manière peu courante, mais c’était possible. Les alphas de la zone commune étaient connus pour leurs douceurs et malheureusement pour leurs libidos, d’ailleurs celui-ci était déjà totalement dur, le sexe battant contre son bas-ventre dans une attitude quémandeuse. Caren avait détaché l’alpha et gentiment, doucement, avec des douces caresses pour le guider, il l’avait emmené jusqu’au lit, c’était là, lorsqu’il avait touché le matelas que l’alpha avait commencé à montrer des signes de rebellions. Ce n’était presque rien au début, puis lentement, il avait remué un peu plus contre ses liens. Pour que Duis soit plus à l’aise, ses amis avaient décidé de restreindre encore l’alpha, pour qu’il puisse simplement chevaucher sa hampe tendue et tout avait dérapé. En quelques secondes, il avait réussi à arracher la laisse, son mors et son bandeau, se retrouvant presque entièrement libre. Ils n’avaient pas eu le temps d’essayer de le calmer, qu’il s’était jeté sur eux et l’un de ses poings s’était abattu sur le plus frêle d’entre eux, Lidi.

Ils n’avaient pas eu le choix, Dius avait réagi par pur instinct, déclenchant une crise de rut alors que son ami blessé en faisait autant. Les phéromones avaient envahi la pièce avec force, faisant hurler l’alpha qui était tombé au sol. Puis ça avait été la débandade.

Au moment de ce drame, Leyn était en train de donner cours. Il avait entendu les cris, sentit les odeurs si puissantes qui se répandaient et les bêtas présents s’étaient précipités dehors, tout comme lui. Il n’avait pas voulu croire que ça puisse être Merwan, mais les odeurs l’avaient mené inexorablement jusqu’à lui. Il était là, répandu au milieu des liens qu’il avait déchiqueté, tremblant et fiévreux à la fois. Sous ses yeux, le blessé et ses amis, si choqués, avaient été évacué et un autre oméga avait déposé une couverture sur le grand corps de l’alpha. Puis l’un d’entre eux avait rappelé que la crise de rut était entretenue par la présence d’autres omégas et que pour la rendre moins violente, ils devaient s’éloigner. Leyn les avait suivis, choqué, dans un état second. Son alpha avait physiquement agressé un oméga. Il l’avait attaqué. Sans cet antique mécanisme physique, les dégâts auraient pu être bien plus important même si déjà, on parlait d’un bras brisé, d’une clavicule qui n’avait pas résistée et de nombreuses contusions. Lidi était si frêle et Merwan si puissant…

Tout en tremblant, avec une envie de vomir de plus en plus importante, Leyn se rendit compte de ce qu’il venait de faire. Il avait renvoyé Merwan. C’était la meilleure solution. C’était le dénouement logique, mais il ne s’en sentit pas mieux. Les images de la peau rougie, déjà noircissante, de l’autre oméga revenait sans arrêt à son esprit. Il avait passé des matinées entières avec Merwan sans jamais se douter qu’il ne puisse avoir ça en lui, cette violence si particulière.

Dans un état toujours second, blotti sur son lit, il avait fini par observer le piton où il attachait son alpha pour la nuit. Quelques temps avant, ça lui avait semblé impossible qu’un alpha se tienne là et à présent qu’il n’y était plus, le vide lui parut immense. C’était comme s’il avait perdu Merwan, son Merwan, le Merwan qui demandait à lire avec une voix affreuse et qui faisait attention à ne pas dépasser en faisant du coloriage. Le Merwan qui avait envie d’apprendre même s’il était un alpha. Et c’était un autre Merwan, violent et incontrôlable qui le lui avait volé sans qu’il n’y puisse rien.

C’était fini. Il avait été emmené loin et plus jamais, ils ne se reverraient.

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