Chapitre 14 - l'horrible quotidien
La nourriture était présentée dans une petite boite ronde, laquée. Elle était très mignonne, sans doute à l’image de l’oméga qui avait pris la peine de la remplir avec soin. Merwan l’observait, mais il n’avait pas le moindre appétit. Les petits pains fourrés étaient surement délicieux, mais dans sa bouche, tout était fade. Il se sentait terriblement mal. Cela faisait deux semaines à présent qu’il avait été ramené à Orianto, dans la zone commune qu’il avait habité durant un certain temps déjà. Atkins avait dit qu’il serait à nouveau renvoyé chez un nouvel oméga d’ici quelques mois. En attendant, il devait apprendre à être sage.
Parfois les omégas disaient ce genre de choses, des choses impossibles à faire pour un alpha comme lui. Être sage dans la bouche d’Atkins, ça voulait dire ne plus exister, obéir simplement et ne plus réfléchir, ne plus montrer la moindre individualité. C’était plus qu’il n’était capable d’offrir. Il sursauta quand soudain une voix retentit :
- Merwan, c’est l’heure.
- Je n’ai pas mangé. répondit-il d’une voix lasse.
- Et bien tu aurais dû. Attache tes poignets.
Merwan observa le petit plat. Son ventre était creux et il lui faisait mal mais l’idée même de manger lui était désagréable. Ça arrivait parfois, lorsqu’on lui demandait d’avaler encore et encore. Atkins l’avait fait. Il disait que c’était une manière de vérifier que son évaluation était fiable, en réalité, il cherchait juste à l’augmenter encore un peu. C’était ridicule, son corps et son esprit allaient finir par se briser totalement à ce rythme-là.
- D’après le règlement… j’ai le droit à une pause repas d’une heure entière.
- D’après le règlement, tu dois m’obéir. Obéis. Maintenant Merwan.
L’alpha se tourna vers la porte de la petite cellule qu’il était censé appelé « sa chambre ». La porte était faite de barres d’aciers épais, infranchissable et de l’autre côté, un bêta, Sido, attendait avec une certaine impatience. Il allait le ramener dans l’une des zones accessibles aux omégas. Merwan déglutit et montra le plat encore remplit comme pour prouver sa bonne foi.
- Merwan… Je n’ai pas le temps pour ça. Si tu ne m’obéis pas, je devrais le dire.
Dans la voix de Sido, il y avait une certaine lassitude et une légère menace. Il le ferait. Il le ferait réellement. Il le dénoncerait à Atkins et il serait puni, encore. Il n’y avait pas beaucoup de journées où il réussissait à échapper aux punitions. Merwan s’épuisait. Alors, sagement, il déposa la boite dans l’espace prévu même si elle était pleine et il attacha ses poignets dans son dos puis il s’approcha de la porte.
Sido était venu seul et c’était un bêta plutôt fluet, alors il glissa à travers la porte un mécanisme que Merwan détestait, mais sagement il l’enfila. Il s’agissait d’un collier étrangleur relié à une tige de métal. Ainsi, Sido pourrait le guider et l’empêcher de se jeter sur lui très facilement. Ce n’était réservé qu’aux alphas les plus dangereux, mais il avait l’habitude de le manier alors en un rien de temps, il le conduisit aux salles derrière les chambres les plus classiques. De temps à autre, il l’encourageait tranquillement d’un :
- C’est bien Merwan, continue par là.
Et étrangement, ça faisait du bien à l’alpha. Il aimait ces petites marques d’attentions, ces petits encouragements pour des choses qu’il pouvait faire sans trop de difficultés. Malgré tout, il se raidit et commença à résister à l’approche de la petite zone dans laquelle il serait enfermé. Cette pièce était étroite et elle sentait le sexe. Merwan la détestait.
- Allez mon grand, c’est pas difficile, tu sais le faire. Installe-toi, tenta de l’encourager Sido.
C’était sans grand effet, Merwan luttait à chaque fois et c’était bien pour ça qu’il prenait cette barre, parce qu’ainsi il pouvait le forcer à se placer au centre. Ensuite il fallait lui attacher les chevilles et lui enfiler le harnais de corps, ce n’était pas évident, mais ce n’était pas si difficile que ça.
En quelques minutes à peine, l’alpha se retrouva nu, suspendu dans le vide, à genoux, incapable de fuir. Sido avait pris la liberté de choisir lui-même le bâillon qui l’empêcherait de mordre les omégas qui viendraient se présenter à lui. Une morsure serait catastrophique, alors il mettait en place des choses particulièrement sécurisées. Cependant, il avait noté que les commissures des lèvres de Merwan étaient blessées. Il portait des mors durant de trop longues périodes et il luttait contre activement. Il avait donc choisi une muselière cage, épaisse et imposante. Elle ne l’empêcherait ni de déglutir, ni de respirer. Elle n’abimerait pas sa peau par contre, elle l’humilierait sans doute. En le voyant ainsi, certains omégas joueurs l’appelleraient « pet » ou peut-être « chiot ». Le seul véritable problème était sans doute que Merwan pourrait répondre. Les omégas qui venaient dans ce genre d’endroits s'y attendaient souvent, mais ce ne serait pas souhaitable pour autant.
- C’est bien, c’est bien… Tu te souviens ? Tu dois être sage si tu ne veux pas être puni.
- Oui…
- Je te laisse alors. A ce soir, Merwan.
Sido partit et Merwan resta là, suspendu dans le vide. Les cordes rentraient légèrement dans son corps, le blessant. A force, elles laissaient des bleus dans sa chaire, mais il ne se plaindrait pas. Le bêta avait parfaitement raison, il allait devoir se retenir pour éviter les sanctions d’Atkins. Il avait été réévalué à douze jouissances journalières. Une torture. Mais Atkins n’attendait qu’un faux pas pour l’augmenter… et s’il voulait réussir à les réduire, il faudrait qu’il tienne plus d’une semaine chez le prochain oméga. Ce serait sans doute le dernier avant qu’il ne soit envoyé dans une zone commune définitive. S’il parvenait à y être envoyé avec une évaluation de neuf… ce serait… Ce serait horrible, mais sans doute « moins pire ». Il n’avait pas vraiment de meilleur espoir.
Le bandeau épais sur ses yeux l’empêcha de voir la personne qui entrait, mais il put l’entendre. Aussitôt, un voile de sueur le couvrit. Il était angoissé. Terriblement angoissé. Il n’avait pas envie de ce contact. Ses bourses étaient douloureuses à cause de toutes les éjaculations répétées. Son sexe lui faisait mal, ainsi qu’une partie de son ventre. Lorsque les doigts frais de l’oméga se posèrent sur lui, il retint sa respiration pour ne pas se mettre à hurler. Il pouvait toujours se débattre, mais cette attache était ainsi faite que quoi qu'il fasse, il participerait activement au coït.
Chacune de ces pièces comportaient une petite caméra de surveillance et des bêtas observaient, à l’affut, derrière les écrans. Il ne fallait pas que les omégas soient mis en danger pendant leurs têtes à têtes sexuels. La majorité d’entre eux étaient en chaleur ce qui facilitait grandement les choses pour les alphas mais malgré tout, la surveillance se devait d’être constante. Sur un calepin, l’un d’entre eux notait les jouissances, les nouages et autres détails techniques. Ils tenaient des statistiques assez avancées sur les alphas pour leurs trouver les meilleurs partenaires, disait-on.
Merwan n’était pas le seul à avoir un nombre minimal de coït journalier, même s’il faisait partie des rares à avoir des évaluations aussi élevées. Lorsqu’il n’était pas attaché dans l’une de ses pièces, à enchainer les saillies, il était emmené en salle de préparation. Celle où il allait le plus souvent était minuscule, comme bien d’autres pièces. On ne laissait pas les alphas en contact, alors chaque structure était prévue pour un seul et unique individu. Là, il passait les quelques heures de temps libre qu’il lui restait à soulever des poids, prenant, sans le vouloir, de la masse musculaire. Les zones communes entretenaient les alphas de manière à ce qu’ils dévoilent leur plein potentiel physique. C’étaient des athlètes.
Il fallut un grand nombre d’heures et presque autant d’oméga pour que Merwan ait le droit d’être libéré… puis, sans pause, il fut conduit devant une machine de musculation. Ses bras tremblaient sous l’épuisement, mais il obéit. Il était presque soulagé d’être là, parce qu’ainsi, il n’était plus au contact d’un oméga. Son corps n’était plus le jouet d’un autre.
Ce fut sur un trajet comme un autre, épuisé, que Merwan osa faire sa demande. Il ne la fit pas à n’importe qui. Non, il attendit d’être emmené par un bêta doux qui tournait ses phrases un peu comme les omégas : sans donner d’ordres directs. Il s’appelait Saphrin et il était assez grand pour un bêta alors il se sentait plus en confiance que d’autres.
- Est-ce que je pourrais avoir un livre ?
Le bêta se figea, surprit par la demande peu commune.
- Un livre ?
- Oui…
- Pourquoi faire ?
Merwan se figea. Pourquoi faire ? Il voulait… Il voulait retrouver le moment de quiétude qu’il avait connu auprès de Leyn, c’étaient les rares fois où il s’était senti aussi bien. L’alpha avait parfaitement conscience que ça n’arriverait plus. Quelles étaient ses chances ? Il ne retrouverait pas ce genre de climat. Il ne serait pas renvoyé auprès d’un oméga comme celui-ci. En attaquant ces omégas dans la zone commune, il avait tout détruit. Dans un soupir, il répondit l’évidence :
- Pour lire…
- Tu sais lire toi ?
- Un peu oui…
- Ah…
Le bêta eut l’air troublé. Les alphas sachant lire étaient peu nombreux et c’étaient rarement des individus aussi costauds que Merwan. Peut-être mentait-il ? Après tout, ils étaient nombreux les alphas à arranger la vérité comme ils le pouvaient pour que les choses tournent en leur faveur. Mais que pourrait-il bien faire avec un livre si ce n’était le lire ?
- Alors tu crois que je pourrais ?
- Tu devrais demander à Atkins.
Saphrin l’observa se ratatiner légèrement sur lui-même au nom de l’oméga. C’était vrai qu’Atkins n’était pas toujours très doux avec les alphas et certains, comme Merwan, semblaient beaucoup en souffrir. Pinçant légèrement les lèvres, il finit par demander :
- Un livre sur quoi ?
- La justice.
- Pour que tu nous sortes les textes de loi en plus du règlement ? Non merci… Faut que t’arrête de faire ça Merwan. C’est pourtant simple : c’est pas toi qui décide. Allez, va dormir. T’as l’air claqué.
L’alpha était épuisé comme beaucoup d’autres, alors il obéit sagement même s’il avait l’air particulièrement triste. Dès qu’il le put, il alla se coucher dans l’angle le plus loin de la porte. Il n’avait pas eu le droit d’avoir accès à une couverture ou à un équipement de confort. Atkins disait qu’il n’était pas suffisamment soumis pour cela.
Depuis quelques temps, l’oméga semblait un peu agité et il était d’autant plus dur. Merwan en pâtissait comme tous les autres à travers la tension chez les bêtas. Ça arrivait de temps à autre. Tenir ce genre d’endroit n’était pas évident, peu d’omégas acceptaient ce type de poids. Cependant rien n’aurait pu le préparer à ce qu’au petit jour, un groupe de bêta inconnu vienne le chercher. En les voyant, Merwan recula contre le mur, le souffle court. Était-ce aujourd’hui ? Allaient-ils l’amener voir son nouvel oméga ?
Annotations
Versions