Chapitre 16 – établir des règles
La petite chambre de Leyn n’avait pas changé et le doux futon était encore dans un coin, prêt à être déroulé. Il y avait également le piton, prêt à recevoir sa laisse, mais Merwan ne put s’empêcher de sourire à cette vue. C’était tellement plus grand et plus confortable que ce qu’il avait vécu ces derniers jours et cela faisait plusieurs heures qu’on ne lui avait imposé aucun contact sexuel. Il adorait ça. Ce sentiment étrangement doux qu’il allait peut-être réussir à rester avec Leyn finalement, qu’il y avait peut-être un autre avenir pour lui que simplement servir de jouet sexuel.
Durant le trajet, il était resté contre Leyn. Alors que Saarf avait rejoint une autre voiture qui déplacerait Fye et son alpha. Néanmoins, ils n’avaient pas échangé beaucoup de mots. Merwan était épuisé.
- Vous… Tu. Nous devrions nous tutoyer, d’accord ?
- Oui.
- Bien. Il serait peut-être bien que tu te reposes un moment. Après nous discuterons…
Merwan acquiesça sagement et alors qu’il s’avançait vers le futon, Leyn lui indiqua qu’ils feraient désormais lit commun. L’alpha se figea un moment et ferma les yeux. Il avait parfaitement écouté les débats et il savait qu’il devrait coucher avec Leyn… énormément, pendant des heures entières jusqu’au niveau de son évaluation mais il avait espoir d’avoir un peu de temps. Néanmoins, la mort dans l’âme, il rejoignit le lit de l’oméga. Il retira ses chaussures et ses chaussettes pour plus de confort et se coucha sans s’inquiéter de l’avenir de la chemise qu’on lui avait fait enfiler. Le coussin sentait Leyn et c’était étrangement réconfortant. Pendant un moment, il se perdit dans son odeur et lorsqu’il se réveilla, il fut surpris d’être là. Ce n’était pas un rêve. Sido ou un autre n’allait pas arriver pour venir le trainer dans une pièce où il subirait viol sur viol durant des heures. Il était vraiment là. Passer cette constatation, une autre le surprit, Leyn ne lui avait certes pas retiré la laisse qui avait été fixée à son collier à la sortie du tribunal, mais il ne l’avait pas attachée au piton. Il était donc libre de ses mouvements. Mieux encore : il ne l’avait pas rejoint dans le lit pour utiliser son corps comme un objet…
- Tu as bien dormi ?
- Oui.
- Parfait. Est-ce que tu as faim ? Des amis sont passés nous apporter des plateaux repas…
Merwan acquiesça, il ne savait ni quoi dire, ni quoi faire et ce fut ainsi qu’il se retrouva à manger une portion tout à fait honorable avec un petit appétit en compagnie de Leyn. L’oméga n’avait pas l’air particulièrement inquiet, mais il y avait un certain nombre de choses dont ils devaient discuter. Merwan eut la sensation qu’il devait vraiment le dire alors il finit par prendre son courage à deux mains pour s’excuser.
- Je suis désolé d’avoir attaqué ces omégas…
- Est-ce que tu sais pourquoi tu l’as fait ?
Merwan baissa les yeux. Il avait le sentiment que dans ces situations, il paniquait simplement mais un alpha, ça ne panique pas, aurait répondu Atkins. Alors il était peut-être simplement fou ou trop dominant pour accepter de se soumettre ainsi ou … Qu’importe, il n’arrivait pas à se maîtriser.
- Pas vraiment non…
- Ah. Donc je peux t’attacher au lit sans danger ?
L’alpha frémit et eut un mouvement de recul si net et vif qu’il fit de la peine à Leyn.
- Merwan… Je ne le ferais pas. Ce n’était qu’un exemple. Je crois que tu crains certaines pratiques et que tu y réagis très mal. Peut-être que je me trompe, mais on va essayer d’éviter ce genre de choses. D’accord ?
- … oui.
- Le juge Keiko m’a remis une liste de recommandation de la part d’Atkins et d’autres gérants de zones communes. Je pense que ce serait bien que nous essayions d’en suivre autant que possible pour montrer notre bonne foi, cependant, j’aimerai que nous en discutions avant et que nous établissions des règles.
L’alpha haussa une épaule avant de demander fataliste au possible :
- Est-ce qu’elles changeront en fonction des jours ?
- Bien-entendu. Les règles sont des guides, des aides, mais en fonction du contexte il faut savoir s’adapter.
Merwan ferma les yeux, au fond, il savait que c’était ça, la conception de la justice par les omégas des règles comme des lignes de conduites qui pouvaient évoluer en fonction des situations. Les omégas étaient si doux et bienveillants que cela leur suffisait.
- Atkins et un certain nombre de personnes ont dit que tu aimais te référer aux règles, j’ai pensé que ça te ferait plaisir.
- Si elles changent… ça n’a pas de sens.
- Une règle rigide n’en a pas beaucoup plus. Tiens, par exemple, je pourrais te dire : tu ne dois pas mordre les gens. Je n’ai pas apprécié de te voir avec une muselière et je préfèrerai l’éviter. Néanmoins, peut-être qu’un jour nous nous lierons de cette manière et peut-être qu’un jour, mordre aura du sens. Je ne peux pas le prévoir.
Leyn eut la sensation que Merwan acquiesçait juste pour lui faire plaisir, pour ne pas le braquer. L’idée que l’alpha craigne d’être renvoyé encore une fois le bouleversa. Lorsqu’il l’avait chassé, lorsqu’il avait accepté que les bêtas l’emmènent, il était traumatisé par les évènements. Puis il s’était retrouvé dans cette pièce trop vide et lentement, il avait compris à quel point il s’était habitué à Merwan. C’était devenu son alpha.
Comme il n’avait pas de dérogation, les bêtas avaient recommencé à lui emmener des alphas potentiels. Il les avait refusés, l’un après l’autre alors que les bêtas lui rappelaient qu’il devait en accepter un. Mais s’il devait vivre au côté d’un alpha, il ne pouvait pas imaginer quelqu’un d’autres que Merwan, alors il s’était mis en quête de le retrouver. La justice oméga était si peu souvent mise à contribution que ça avait été relativement rapide mais durant chacune de ces journées, Merwan avait souffert.
- Mais je suppose que nous pouvons trouver un compromis en précisant des cas particuliers ou en les ajoutant si cela te semble nécessaire après coup.
Merwan redressa le visage, surprit de la proposition qu’il accepta rapidement. Il préférait savoir à quoi s’attendre exactement. C’était plus simple ainsi pour se maîtriser lorsque les choses désagréables ou pénibles arrivaient. Il observa son oméga qui prenait un calepin et notait d’une écriture fine et délicate : « Règles de vie » en haut de la page.
- Alors… Commençons par la base. Que dirais-tu de « on ne frappe personne » ?
- Oui…
- Parfait. Est-ce que tu vois des choses à ajouter à cette règle ou est-elle assez précise pour toi ?
- Je… n’arriverai pas à la suivre.
- D’accord. Est-ce que tu penses qu’il y a des situations légitimes pour frapper les autres ?
- Non.
- Alors laissons-la comme ça. A ton tour. Quelle règle voudrais-tu mettre pour ne pas risquer de frapper les autres ?
L’alpha se figea. Il avait cru que l’exercice se composerait de propositions de Leyn qu’il n’aurait pas le droit de refuser et de compromis qu’il devrait accepter. Mais visiblement, son oméga avait prévu tout autre chose.
- Quand quelqu’un dit stop tout s’arrête.
- Ok, donc tu demandes qu’il y ait du consentement c’est ça ?
- Oui…
- Très bien, malheureusement, si tu veux que cette règle soit absolue, il faut qu’on la complète. Atkins et le juge Keiko nous demandent d’avoir des relations assez rapidement. Pour que tu puisses revenir, j’ai dû accepter. On ne peut pas juste repousser les choses indéfiniment, tu comprends ?
- Oui…
- Du coup ! On pourrait peut-être mettre quelque chose comme… Le consentement est obligatoire et si besoin, on dit stop pour trouver un meilleur compromis ?
Merwan acquiesça sans vraiment comprendre ce que Leyn proposait. Quels genres de compromis cela allait-il leur ouvrir ? Est-ce qu’il allait pouvoir demander une autre position tout en étant forcé, encore et encore ? … Il ferma douloureusement les paupières.
- Dans les conseils que l’on m’a donné, il y a le fait que tu puisses te défouler assez. La salle de sport me semble une assez bonne idée. Est-ce que cela te plairait ?
- Non. Je…
On disait que les alphas étaient sûrs d’eux et à bien des égards, Merwan correspondait à ce descriptif. Il était capable de prendre la parole n’importe quand et il n’hésitait pas à dire des choses désagréables. Néanmoins, par moment, il semblait marcher sur des œufs comme si ce qu’il s’apprêtait à dire risquait de lui couter bien plus encore. Leyn avait du mal à comprendre ce comportement surtout que de son côté, il faisait énormément d’effort pour redébuter correctement cette relation. Il voulait repartir sur de bonnes bases.
- Merwan ? Explique-moi s’il-te-plait. Qu’est-ce que tu aimerais ?
L’alpha se détourna légèrement. Offrir ses rêves, ses véritables rêves, c’était également risquer de ne jamais y avoir accès. Pour la première fois de sa vie, il se trouvait peut-être en compagnie de la personne avec qui il resterait et en demandant trop tôt, trop vite, trop mal… il pourrait aussitôt perdre ses chances. Seulement en refusant de coopérer, il pourrait rendre son compagnon plus méfiant et ce serait là, l’erreur. Alors il tenta de se lancer, le cœur battant étrangement vite.
- Je ne veux pas faire de musculation. Pour me… défouler, je pourrais aller courir… dehors ?
- Dehors ?
- Oui… Sous surveillance… Ou… Je ne sais pas.
- Je suppose que nous pourrions aller… au parc ou en pleine nature. Je ne suis pas très bon à la course, mais je pourrais demander à certains bêtas de t’accompagner. D’accord. Je te propose que nous notions qu’en cas de besoin, tu as le devoir de demander à te défouler et que je devrais tout faire pour essayer de répondre à ce besoin.
Sur le papier il mentionna bien le mot « devoir » et nota « en priorité en extérieur » avant d’ajouter que si ce n’était pas possible dans l’immédiat, il faudrait trouver un compromis acceptable. C’était toujours le problème, que faudrait-il faire si Merwan se montrait abusif ? Si à la moindre contrariété il demandait à aller courir encore et encore ? On l’avait prévenu qu’il invoquait énormément les règles pour essayer d’obtenir toujours plus. Ce n’était pas l’image qu’il avait de son alpha, mais il devait y prendre garde sinon, cette tentative de règles ne pourrait que créer de la distance entre eux et amener une perte de confiance. C’était tout le contraire de ce qu’il désirait.
Merwan observait le papier, un peu médusé à l’idée qu’on le laisse réellement sortir.
- Parfait. Alors dis-moi, une autre idée ?
- Pas de contention pendant… les coïts.
- D’accord.
Leyn ajouta tranquillement la règle même si elle le faisait frémir de l’intérieur. Il avait beaucoup pris sur lui à ce sujet. Avant de renvoyer Merwan, il le gardait aussi souvent que possible attaché. Mais depuis son retour, il avait tout fait pour l’éviter… parce que lors de leur enquête, il avait vu les installations d’Atkins et il s’était même tenu à quelques mètres de l’alpha, dans une petite salle pleine d’écrans où il l’avait vu se débattre encore et encore contre les liens. Il avait compris sa panique en le voyant se révulser entre les chaînes. A présent, lorsqu’il voyait la laisse, il ne pensait plus qu’à ça : Merwan, ficelé et paniqué qui tentait de fuir les doigts fins d’un oméga… Il l’avait sorti de cet endroit, il l’avait récupéré et c’était quelque chose qu’il ne voulait plus jamais voir.
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