Jour 4 (partie 1)
Henri avait quitté le journal plus tôt ce lundi là. Il avait rendez-vous le soir même avec Francis, un collègue auquel il avait demandé une participation à un projet qui lui tenait à cœur : il souhaitait écrire un livre sur sa profession. Une sorte de faux recueil qui contiendrait des histoires et témoignages inventés ou romancés de ce qu’est réellement le métier de journaliste, ce qu’il est devenu au fil des années et comment il finira probablement par s’éteindre, ou du moins se changer en une chose autre, prendre une forme hybride entre le divertissement et l’information de surface. Une aberration pour Henri.
Il s’était interrogé sur ce qu’il pouvait bien apporter chez son collègue. Il avait rendez-vous chez Francis à 20h30. Il était 18h. Il avait du temps devant lui. C’était parfait. Il aurait le temps de se changer, enfiler un vêtement plus confortable, prendre une bouteille chez le caviste à quelques rues de chez lui – il avait décidé d’apporter du vin. Après tout, c’était le patrimoine français ! – pour se rendre tranquillement sur les lieux en métro. Un plan simple. Henri aimait que les choses soient organisées. Carrées. Sa vie entière était construite de manière à ne laisser aucune place à l’improvisation.
Alors en apercevant Sarah qui l’attendait en bas de son immeuble, un sentiment de légère panique s’était emparé de lui. Qu’est-ce qu’elle pouvait bien faire là ? En marchant à sa rencontre, Henri s’était imaginé différents scénarios, et aucun ne lui plaisait. Ils avaient un peu flirté durant leur collaboration sur la dépénalisation du cannabis, mais rien de probant. C’était surtout elle qui lui avait fait du rentre dedans. Il n’était à l’époque pas intéressé, et rien n’avait changé depuis. Ils s’étaient embrassés et leurs mains s’étaient glissées à quelques endroits indiscrets, mais les choses s’étaient rapidement arrêtées. C’était lui qui avait mis le frein. Il avait prétexté que cela aurait une incidence négative sur leurs relations de travail. La réalité, c’était qu’elle ne lui plaisait absolument pas. Il avait également songé aux tensions qui existaient entre elle et Francis, et s’était imaginé qu’elle venait peut être le trouver pour lui casser du sucre sur le dos. C’était quelque chose de commun dans le métier. Enfin, il s’était naïvement imaginé qu’elle était simplement de passage, ou bien qu’elle attendait une amie qui, par un curieux hasard, habitait le même immeuble.
Ils s’étaient salués, et avant qu’Henri n’ait pu dire quoi que ce soit, elle avait prononcé ces quelques mots :
« Je sais ce que tu as fait. Fais moi monter ou je balance tout ».
Le sang d’Henri s’était glacé. Il ignorait totalement ce qu’elle pouvait bien savoir ou combien elle en savait, mais il était certain qu’il était dans une position extrêmement compliquée.
- Dis donc un peu de tension là c’est pas mal !
- Et du coup tu t’es dit que ce serait le bon moment pour parler ?
- Bah non mais je voulais dire que c’était prenant quoi.
- Tu fais pareil au cinéma ? Tu te mets à hurler qu’il y a du suspens ? Tu te lèves pour dire à tout le monde que t’es content de ce que tu regardes ?
- Ah ça non mais…
- Mais rien ! Purée laisse moi écrire tranquille là, au lieu de venir mettre ta grosse tête par-dessus mon épaule ! Je sais même plus ce que je voulais écrire avec tes conneries !
- Bah t’en étais à dire que son sang s’était glacé tout ça. T’es pas très concentré quand même hein.
- Continue à me casser les pieds tu vas prendre ma concentration de doigts dans la tronche tu vas voir !
- Ok pardon je dis plus rien. Quand même je suis pris dedans là.
- Super. Maintenant tu la ferme. Donc…le sang d’Henri…blablabla…position extrêmement compliquée.
Henri n’était pas quelqu’un de très secret. Il avait tendance à parler librement de tout, et avec tout le monde, si bien qu’il était sincèrement apprécié de tous. Il trainait cependant derrière lui un mensonge sur lequel sa vie professionnelle entière – et donc sa vie sociale – était bâtie : il n’avait jamais reçu aucun des diplômes présents sur son CV, comme il n’avait jamais eu l’expérience qu’il y avait indiquée. Tout était faux. Absolument tout. Pas une ligne n’était vraie. Il s’était inventé une vie. En vérité, il n’avait même jamais passé son bac. Mais il avait un charisme naturel qui lui avait permis de se faire une place dans un milieu pourtant fermé. Au talent. Et il en était fier. Mais tout semblait désormais lui filer entre les doigts, tandis que Sarah le fixait, un léger rictus dessiné au bord des lèvres.
- Qu’est ce que tu veux dire ? avait demandé Henri, feignant avec difficulté la surprise.
- Tu sais très bien de quoi je parle. Fais-moi monter.
Il s’était exécuté. Il n’avait pas vraiment le choix. Il devait gagner du temps, réfléchir à un moyen de se sortir de la situation. Lui qui était pourtant habitué au mensonge, il se maudissait. Rien ne lui venait à l’esprit. En un instant, il s’était trouvé assis dans son canapé, Sarah se tenant face à lui avec ce regard dépourvu d’intelligence qui la caractérisait, souligné par des sourcils froncés qui indiquaient qu’elle savait et qu’elle était en colère.
- Bon allez je m’arrête là pour aujourd’hui. Pas besoin que t’écrives. On va se concentrer sur Henri un petit peu. Et oubli ton histoire de personnages qui écrivent un journal. On garde seulement Francis. Henri on va l’écrire autrement.
- Comme tu veux. On est libre de toute manière. Ça peut toujours changer.
- Ouais t’as raison. Si demain on décide que toute la ville est en flamme ou que le pays a été envahi par la Suisse on peut. C’est ce qui est plutôt cool avec l’écriture. On fait ce qu’on veut.
- Pas trop quand même hein ! Faut que ça reste cohérent.
- Ouais t’as raison. Ni flamme ni invasion t’inquiète c’est pas prévu.
- Parce que t’as prévu des trucs toi ?
- Bah pas spécialement quoi, je sais juste que je veux pas de brasier ou d’invasion. De la Suisse ou d’un autre pays d’ailleurs.
- Ok ça me rassure. Parce que moi j’ai rien prévu hein.
- On va s’en sortir. Regarde on a passé les 1000 mots déjà.
(1116 mots)
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