XIV. Tunis ou La Venise du Sud
Quand le Cardinal reprit pied en Tunisie, il retrouvait un Diocèse bien différent de celui qu’il avait quitté. Les exportations de sable s’étaient accélérées, modifiant radicalement le paysage. Le désert aux dunes blanches parsemé d’oasis verdoyantes avait fait place à un sombre plateau rocheux uniforme, lisse et nu comme un crâne, à perte de vue.
La totalité de l’arrière-pays, située à présent sous le niveau de la mer, n’était préservée de la submersion complète que par un mince ruban de dunes côtières protectrices. Le délire exportateur n’avait pas encore atteint les plages, mais déjà Tunis était victime d’un lent mais inexorable affaissement de terrain, et les rues étaient inondées en permanence. On prit peu à peu l’habitude d’y circuler en barques à godille, d’après un modèle étranger copié par des charpentiers. C’était celui du plénipotentiaire vénitien, venu signer en grande pompe la Convention des Sables, qui concédait à Venise le monopole de l’achat de sable.
Les pizzerias foisonnaient dans la Casbah, envoûtée par le chant lancinant des gondoliers arabes.
Le Cardinal Finzi décida d’entourer le littoral d’un réseau de digues pour éviter au pays l’inondation totale, et l’on ratissa le sol sur toute l’étendue du Diocèse. Pas un seul grain de sable n’échappa au vaste coup de râteau du Cardinal, mais il fallut se rendre à l’évidence : une grave pénurie de sable sévissait en Tunisie.
Le nouveau maître du pays est l’homme des décisions rapides : l’Archevêque de Tunis envahit l’Algérie pour s’annexer le Sahara.
La Diplomatie dans le Boudoir
La riposte de Paris à l’invasion de l’Algérie par Finzi ne se fit pas attendre. La IVe Flotte française, commandée par l’Amiral Athanase de Clermont-Roulis à bord du REDOUTABLE, croisait bientôt devant Tunis, à portée de canon.
La tension internationale était à son comble en Méditerranée. Rome, Istanbul et Paris rivalisaient d’ardeur diplomatique pour faire basculer la Tunisie dans leur zone d’influence. Une foule d’ambassadeurs se bousculait sur les canaux encombrés de la Nouvelle Venise.
Une gondole arabe arborant le drapeau blanc des parlementaires accosta le Vaisseau-amiral. Le Commandant de l’escadre, se rappelant in extremis que la galanterie était un produit d’exportation typiquement français, fit le meilleur accueil à la Duchesse de Pietranera. La nièce du Cardinal Finzi tenant dans ses mains délicates le sort incertain de la Tunisie tout entière, et le centre de gravité de la politique mondiale* se déplaça, l’espace de quelques nuits, dans le petit boudoir mauve du REDOUTABLE.
* Nous sommes en 1905
Annotations
Versions