Je basculai la tête en arrière, inspirant profondément, l’air froid autour de moi. Je savais qu’il neigeait, j’entendais les flocons doucement virevolter du ciel en une courbe souple pour se poser doucement sur les leurs déjà au sol. Je fermai les yeux, rajoutant une obscurité sur le voile de la cécité, une mèche de mes cheveux glissa de la coiffure complexe que ma mère m’avait fait hier pour se glisser entre les fourrures. Je tournais la tête, rouvrant les yeux au passage, pour offrir de l’attention à l’homme qui s’avançait vers moi :

« Danseuse du vent, Saïph, tu es déjà debout petite étoile ?

- Saïph… »

Je savourais la douceur de ce prénom sur mes lèvres, Danseuse du Vent… mon titre. Saïph mon nom, Khamsin, mon prénom de Danseuse du Vent. Certains rois avaient des numéros, chaque danseur avec un prénom et le prénom du danseur du vent. Khamsin… Souffle rappelant un vent apportant le sable des îles de sable et d’épice où j’étais née il y a peu. Jamais je n’avais vu ces dunes et ces sables… Je souris à l’homme à nouveau.

« Oui, j’aime entendre la neige tomber. »

Je devinais le sourire de l’homme sans même le voir. Je tendis la main et il me la prit, s’installant près de moi, sur le tapis devant la tente. Je me nichais dans ses bras pour rester au chaud. Il rajusta ma cape sur mes épaules.

« Tu es debout depuis longtemps ?

- Mmh… peut-être. Avant l’aube. Comment est-elle ?

- Belle, le soleil a dû mal à se faire voir, mais la lumière est belle, la neige semble se réveiller… »

J’essayais de m’imaginer le spectacle, mais rien. J’inclinai cependant la tête comme pour écouter quelque chose bien que le camp restait silencieux. L’homme ne broncha pas, je finis par me lever souplement et avancer dans la neige qui craqua doucement sous mes pas. Les fluides dansaient autour de moi, chuchotaient, autant que les fluides pouvaient parler. Disons que je pouvais sentir leur moindre inflexion, leur moindre changement. Je me retournais à nouveau vers l’homme :

« Nous sommes proches d’un village ?

- Je crois que oui, que disent les fluides ? Que nous devons y aller ? »

Je hochais simplement la tête en virevoltant sur moi-même, laissant les fluides me guider, mes pas s’arrêtèrent brusquement et je ployais lentement jusqu’à ce que mes mains touchent le sol pour me mettre à marcher dessus. Je me remis la tête à l’endroit.

« La terre souffre. Si je dois danser, la tenue sera verte !

- Comme tu le souhaites petite Khamsin. »

Je dansais pour tous, offrant le spectacle de mes pas guidaient par les fluides, bénédictions et aides à tous. C’était ma vie parmi les Nomades ! J’étais une danseuse du vent, c’était ma vie de danser pour le monde, mais surtout pour les fluides. Nous ne faisions pas attention aux conflits autour de nous, nous étions les Nomades ! Qui auraient pu vouloir nous faire du mal ? Nous avions toujours voyagé ainsi, naviguant entre les alliances et les tempêtes. Deux cents ans après les conflits entre la reine Saorsa et le roi du royaume des Vallées vertes, les enjeux n’étaient plus le même après tout. Les terres du Nord s’étaient presque complètement renfermées et c’était maintenant les terres de l’ouest et les îles où j’étais née qui avaient commencé à s’affronter. L’Est et le Sud étaient plus ou moins pris entre deux feux. Si bien que pour essayer de contenir tout cela, des magiciens avait fini par s’inspirer de nos techniques de danses avec les fluides pour essayer de trouver un moyen de mieux les contrôler. Si bien qu’une espèce d’académie ou d’école avait éclot il y a une centaine d’années. Enfin, tout cela je m’en moquais complètement. Je dansais parée de couleur que m’indiquaient les fluides. Bleu, vert, violet, rouge, marron… chaque couleur avait sa signification et je dansais pour elle. Enfin pour les fluides. Quoi que c’était peut-être pareil ? Je ne savais pas.

Grandir… Je grandissais ! D’enfant je passais à adolescente et d’adolescente à femme. Mes lèvres trouvèrent celle d’Azaly. Il aimait bien, pendant que mes doigts dessinaient son visage, se décrire comme un grand homme, aux muscles puissants, aimant cracher du feu, les fluides près de lui était toujours vivants, ondulants, comme des flammes, à la peau sombre. Il me faisait rire, était très doux et aimable. J’aurais adoré le voir jouer avec le feu, j’entendais les cris et les applaudissements quand il se produisait en public. J’aimais être dans ses bras et profiter de sa chaleur et de sa force. Il était un doux géant qui ne ferait pas de mal à une mouche. Lui était un cracheur de feu, ou danseur de feu comme il aimait le dire, d’autres chanteurs ou danseurs, ou même acrobate. Moi j’étais une reine parmi les danseuses. J’étais une danseuse du vent, nous n’étions que deux parmi les Nomades, moi et un autre dans l’une de nos nombreuses… familles ? Branches ? Clans ? Je ne savais jamais comment qualifier notre organisation. J’aurais tendance à dire « Groupe ». Groupe oui, c’était bien ! Chaque groupe était autonome et pourtant c’était toujours une fête quand nous nous voyons ! C’était rare mais si joyeux et si agréable ! Qu’importent les affrontements et tout cela ! Que le les vallées vertes et les sables s’affrontent au travers d’alliance ou en face… ce n’était pas important. Les neuf enfants de la Reine Saorsa avaient contribué à assurer bien des alliances. Sous son règne elle avait étendu l’influence du royaume des montagnes et des neiges très loin et en avait fait un royaume à surtout pas se mettre à dos d’une puissance aussi bien militaire que commercial. Sauf qu’en deux cents ans, beaucoup de chose avait changé. Au bout de plusieurs mois d’amour avec Azaly, mon ventre s’arrondit doucement, espoir d’une nouvelle vie, espoir d’une famille avec Azaly.

Espoir qu’on transperça.