Chapitre 1, Le chevalier inconnu

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Le bleu et le vert se mélangeaient au-dessus de lui, laissant apparaître des reflets roses ou violets.
Il n'avait ouvert les yeux que depuis quelques secondes mais son regard était déjà subjugué par ce ballet dansant qu'orchestraient les aurores australes au-dessus de lui. Impossible à ce moment-là d'identifier clairement sa position ni même sa propre identité, un flou général le tournait inlassablement. Il s'attardait sur le vert, la couleur qui l'attirait le plus, comme si elle lui parlait. A travers cette dernière, un visage lui revenait, féminin, agrémenté d'yeux émeraude, et de cheveux bruns bouclés tombant jusqu'à la nuque faisant l'ovale d'un visage parfait. Celui le regardait presque, ce qui le pétrifiait. Ce visage, il ne l’oublierait jamais. Celui de sa femme.
Yuna...je ne t'oublierais jamais !

Toujours amnésique, l'homme commençait à se redresser. Il devait à tout prix la rejoindre, où qu'elle soit. A plusieurs reprises, il était obligé de cligner fortement des yeux avant que sa vision ne retrouve une certaine netteté. Comme s'il n'avait pas vu la lumière depuis jours.
Il ne pouvait dans un premier temps ne se mettre qu'en position assise, son corps semblant encore assez faible, comme groggy. Posté ainsi, il pouvait alors observer qu'il était dans une armure assez épaisse, digne d'un chevalier. En se redressant, son casque, posé sur sa poitrine, s'était renversé dans la neige sur le côté. S'il disposait d'une tenue complète de chevalier, aucune trace autour de lui d'une épée et d'un bouclier. Il ne voyait rien à des kilomètres de ce qu'il pouvait déjà contempler. Assis sur un sol gelé, au milieu d'un désert de glace ne disposant seulement de quelques dunes enneigées, balayées par un puissant vent, et de pics de glaces s'échappant du sol, brisant l'horizon.
Mais comment j'ai pu arriver ici ? Et y survivre dans ces conditions ? Yuna...je dois partir la retrouver, peut-être auras-t-elle des réponses.
Irrémédiablement, il ne pouvait que repenser à sa femme, et pendant qu'il se mettait debout, son esprit l'imaginait à nouveau marchant à ses côtés.
Elle représentait un souvenir qui était resté comme imprimé dans sa mémoire endommagée, le seul ayant pour l'instant résisté aux aléas qui avaient bien pu lui arriver. Fermant les yeux quelques secondes, il était capable d'aller encore plus loin, de se remémorer certains moments réellement passés en sa compagnie. Le premier qui lui revenait, les voyaient tout deux couchés dans leur lit, la tête de Yuna sur son torse, pendant qu'il lui caressait les cheveux. Un moment qui semblait éternel. Alors qu'elle relève la tête vers lui, son sourire éblouissait la pièce. Il ne pouvait pas s'empêcher de lui rendre la pareille. Les mots qui sortirent de sa bouche ne faisait qu'embellir encore un peu plus ce moment. Elle lui avait annoncé de sa douce voix que désormais ils ne seraient plus seulement deux à vivre leur amour mais bientôt trois. Une larme avait coulé le long de sa joue quand il posa sa main sur son ventre, quelle essuya rapidement avant de s'approcher pour l'embrasser.

Cette même larme avait commencé à couler seulement au fait de revivre ce souvenir, mais cette fois-ci c'était le froid qui l'avait séché. Quelque chose de mauvais était arrivé. Il me sentait, le savait, sans savoir ce qu'il en était réellement. Un pressentiment.
Sa marche commencée, casque a la main, le chevalier avait compris qu'il se trouvait dans les Terres gelés du Sud, seul endroit au monde disposant d'un tel paysage blanc si vaste. Ainsi sa seule idée était de rejoindre la côte dans un premier temps. D'un rapide tour d'horizon à la recherche d'indices quant à la direction à prendre, il ne voyait que des montagnes froides à perte de vue. Seule exception, une partie qui semblait moins en relief, moins naturel que le reste. Ce serait sa première étape. S'il était arrivé en plein milieu de ce désert hostile, c'est qu'il pouvait en repartir. Se le dire l'aidait légèrement à positiver.
Ce n'était qu'au bout de plusieurs minutes de marche qu'il se rendait compte qu'il n'avait pas spécialement froid, malgré le gel continu qui l'entourait et le manque de fourrure contre sa peau. La fatigue et la faim ne semblait pas le gêner non plus. Quelque chose d'anormal s'était passé, et il en faisait partit intégrante.
Encore un mystère que je vais devoir élucider, mais chaque chose en son temps.
Cette résistance inattendue en ces conditions extrêmes était pourtant une aubaine car il n'aurait certainement jamais pu aller plus loin. Se décidant à laisser derrière lui ce dont il n'avait pas finalement pas d'utilité à traîner, comme son casque, un détail dessus retenu son attention.
Tellement plongé dans ses pensées à essayer de se rappeler qui il était tout le long de sa marche, il ne s'était pas rendu compte que partie de la réponse était dans sa main depuis le début. Le casque en lui-même était ordinaire, son ornement en revanche le rendait particulier. Une naga, créature mi-femme et mi-serpent, dotée de quatre bras tous armés de cimeterres, le décorait de chaque côté. C'était un être mythique, monstre de contes mais surtout le symbole du royaume du Todaï. Ainsi ce pourrait être sa terre natale. Il ferma les yeux pour se concentrer sur cette pensée.

Il se tenait debout devant un palais gigantesque à la pierre bleue et aux motifs dorés. C'étaient les grandes portes du domaine de la famille royale todayi. De chaque côté de l'entrée, il pouvait y voir deux grandes statues de nagas se faisant faces, en posture de combat. Il n'était pas seul, trois autres soldats vêtus de la même armure, tête nues, se tenaient à ses côtés quand la porte s'ouvrit, découvrant une pièce tout aussi gigantesque que l'extérieur le laissait présager. La foule était présente tout le long d'un corridor laissant seulement un mince chemin pour les quatre hommes. Des tribunes toutes aussi garnies parsemaient les contours de la pièce. Marchant ensemble, sans un mot ni jamais s'arrêter, ils arrivaient devant trois petites marches les séparent d'un grand homme vêtu d'une longue cape bleu et or, et coiffé d'une petite couronne dorée également. Devant le roi, tous plièrent le genou.
Quatre échansons en retrait s'avancèrent portant chacun un coussin ciel où reposait un casque. Les garçons remettaient aux soldats leurs nouveaux heaumes. Lui et ses compagnons le portaient désormais, toujours à genoux, quand le roi calma la foule d'une main levée, avant de prendre la parole.

— Vous vous êtes agenouillés aujourd'hui en tant que simples soldats de notre armée. Mais vous allez désormais vous relever en tant que chevalier du Todaï. Moi, Aric Matalo, roi du Todaï et prince de l'eau, je vous donne désormais comme mission de m'aider à rendre ce royaume plus fort et plus prospère. De me protéger de mes ennemis et si besoin est, de vous sacrifier pour que ma mission puisse perdurer. Votre vie est mienne et le royaume et votre. Nul ne contera votre nom à votre mort et nul ne se souviendra de vous à travers les âges. Pourtant vous en serez les véritables héros.

Aric s'approchait de chacun en leur demandant de se relever tout en les nommant. Quand le roi s'avança enfin devant lui, il se sentait si fier. C'était le moment qu'il avait attendu toute sa vie.

— Relevez-vous, Ser Krone Kaius.

Krone...oui c'est bien ça. Je m'appelle Krone.
Ses souvenirs commençaient enfin à lui permettre d'y voir plus clair. Sur son identité dans un premier temps. Pourtant cela ne l'avançait pas dans sa quête de retrouver le moindre signe d'une civilisation. Néanmoins le fait de commencer à enfin rassembler les pièces du puzzle ne pouvait que lui rendre service.
A force de penser et de fournir des efforts pour tenter de raviver d'autres souvenirs il avait failli s'éloigner de sa piste. Au loin légèrement vers l’Ouest, se trouvait l'élément qui devait le guider. Plus il se rapprochait, plus les détails commençait à apparaître. La masse inerte qui brouillait l'horizon se trouvait être un énorme animal mort qui gisait au milieu de la glace. La bête devait faire dans les cinq mètres de long et de vue dépassait largement la tonne.
A quelques pas du cadavre, il devinait un animal marin. Du fait de sa corne torsadée au bout de son museau, il reconnaissait un narval. Autant c'était une bonne nouvelle car cela lui signifiait qu'il se dirigeait bien dans la bonne direction, à savoir les côtes. Autant c'était une mauvaise nouvelle car il devait désormais se mettre sur ses gardes.
Même si le rivage n'est pas loin, impossible qu'il se soit échoué de lui-même seul aussi loin. La corne étant toujours là, ce ne sont pas des hommes l'ont amené ici non plus. Quel animal peut-il transporter une telle proie sur une telle distance ?

Lui-même avait déjà possédé une corne de narval, un cadeau de son père quand il était très jeune. Rowan Caius était un explorateur, et il s'était autoproclamé même comme le meilleur navigateur du monde. Les gens venaient des quatre coins du monde pour acheter des services, que ce soit pour les affaires, la chasse, ou les loisirs. Il naviguait dans les océans comme les gens normaux marchaient dans la forêt, aucun coin ne lui était inconnu ou inaccessible. Il gagnait ainsi assez d'or à sa famille, leur permettant de subsister confortablement dans leur maison, située sur l'une des îles au Sud du continent. Le prix à payer de cette vie confortable pour le jeune Krone était l'absence quasi permanente de son père.
Ainsi qu'une certaine crainte. Enfant, Krone avait pris pour habitude, dès que son père était reparti avec un client de l'attendre chaque soir à la lucarne de sa chambre jusqu'à ce qu'il aperçoive enfin les voiles de son bateau. Et à chaque fois elles réapparaissaient enfin à l'horizon. Rowan ne revenait jamais les mains vides, ayant toujours un souvenir venant garnir la collection de son fils. C'était comme cela que Krone eût entre les mains une corne de narval, via une expédition dans les Terre gelées du Sud. Quelques jours après, une nouvelle missive venait lui arracher son père une énième fois. Quatre clients à transporter, loin de lui.

— S'il ne revenait pas cette fois ? demandait-t-il inlassablement à sa mère, Shana, pendant qu'il regardait à sa lucarne.

— Ne t'inquiètes pas, tu sais qu'il reviendra comme il le fait à chaque fois, le réconfortait-elle en le prenant dans ses bras.

— Mais si une tempête le surprend ?

— Alors il bravera comme il l'a toujours fait.

— J'aimerais être comme toi et ne jamais avoir à m'inquiéter maman.
C'était alors qu'elle le serrait légèrement plus fort.

— Tu te trompes, je suis morte d'inquiétude moi-aussi chaque fois qu'il monte sur son bateau, c'est juste que je ne veux pas le montrer mon ange. Plus tard, il voudra que tu l'accompagnes pour te montrer ce qu'il a déjà vu dans ses voyages. A ce moment-là, c'est moi qui serais à ta place à contempler l'océan par cette lucarne en espérant vous revoir.

Cette éventualité, Rowan en avait déjà fait par à son fils, lui promettant de lui montrer des paysages aussi magnifiques les uns que les autres. Un endroit en particulier, qu'il aurait découvert par hasard, était l'un des premiers qu'il voulait lui montrer dès qu'il en aurait l'âge. Un monde différent de tout ce qui était imaginable, qui d'après ses dires, défiait les lois de la nature.
Cette fois-ci, l'horizon restait calme et la mer ne faisait rejaillir aucun bateau à travers ses vagues. Un jour d'attente et d'angoisse en devînt deux, puis se transformait rapidement en une semaine. Au bout de quelques mois, Rowan fût officiellement déclaré mort, perdu en mer avec son équipage. Malgré tout, le jeune Krone attendait toujours devant sa lucarne un signe d'espoir.
Quelque semaines après l'affreuse annonce, le nouveau Roi du Todaï, Aric Matalo, était venu en personne sur son île avec son escorte. Il ne l'avait jamais vu auparavant, un grand homme, pupilles bleues, coiffé court et rasé de près. Son visage carré et impassible dénotait un grand charisme, comme une grande autorité. Accrochée à sa taille, sa fameuse grande épée de glace qui lui avait permis de conquérir son royaume, dont il n'avait entendu que des histoires à ce sujet.

— Je suis désolé mon enfant, je dois t'apprendre désormais le décès de Shana, ta mère, lui expliqua-t-il. Je connaissais ton père, j'ai comme une dette envers lui que je ne pourrais jamais payer. Mais je peux veiller sur toi, te faire devenir un chevalier si tu en as les compétences. Rassemble tes affaires et viens avec moi.

Il ne s'était pas encore remis de la mort de son père, que celle de sa mère venait maintenant s'ajouter à sa tristesse. Il se laissa tomber sur les genoux, échappant au passage quelques larmes. D'un signe, le roi indiquait à ses gardes de prendre ce dont Krone pourrait avoir besoin. Lui ne pouvait plus ni rien dire ni bouger, perdu et seul. Officiellement, Shana n'avait pas supporté la perte de son mari et dans un élan de mélancolie, s'était jetée dans l'écume des vagues pour le rejoindre à jamais.

Krone examinait le cétacé échoué en y faisant le tour. Une des nageoires latérales avait été entièrement arrachée. C'était un véritable carnage, de larges entailles recouvraient le flanc de la bête, son ventre avait même déjà constitué un festin, laissant s'étaler une partie des boyaux sur le sol. Une traînée de sang partiellement recouvert par la neige indiquée la direction d'où il a eu été pêché, lui donnant par la même occasion la nouvelle voie à suivre.
Avant de reprendre sa route, il enleva ses gantelets un à un et commença à palper la partie ventrale, là où se situait la plus grosse blessure. Ce qu'il redoutait se confirmait, l'intérieur était encore légèrement tiède. Au vu de la température extérieure cela signifiait que la mise à mort était assez récente. Jetant un coup d'œil autour de lui, il s'attardait sur chaque détail possible. Rien ne bougeait aux alentours ou bien ne se rapprochait.
Quoi que ce soit, ce n'est pas loin.
Alors qu'il s'apprêtait à remettre ses gantelets, son regard resta figé sur ses mains. Outre le sang qui les avait tachés, il pouvait y deviner de graves cicatrices de brûlure, ravageant entièrement ses paumes, s'étalant jusqu'aux avant-bras. Un bref flash apparu dans son esprit, le projetant à terre. Le chevalier y avait vu des flammes, mais d’une manière obscure, c'était comme s'il se battait contre, avec son épée.
A peine relever, un deuxième flash le secoua à nouveau. Cette fois-ci ces même flammes avait pris comme une apparence humaine. Un corps totalement incandescent, qui s’avançait vers lui. Haletant, il continuait de tourner autour de lui, comme si la menace dans sa tête pouvait être réel. Pourtant seul le vent le frappait par à-coups.
Qu'est-ce qu'il m'arrive ? Où m'est arrivé ? Et qu'est-ce que c'était que cette chose ?
Il était encore à genoux, en appui sur ses mains, se longs cheveux noirs volant au rythme des rafales. Vint le troisième. Ce monstre flamboyant, qui le poursuivait, possédait un visage. Krone l'avait vu de très près, suffisamment pour voir que celui-ci possédait deux yeux, entièrement noirs et vides.

Une légende existait à travers les âges qu'une île, quelque part dans le vaste océan renfermerait la source de toute vie sur la planète et donnerait le pouvoir à quiconque la trouverait de prendre le contrôle du monde. Très peu d'informations ou d'indices existaient mais nombreux sont ceux qui ont essayés de la trouver, et les rares personnes à revenir vivantes de leurs expéditions revenaient bredouilles.
Des années plus tard un groupe de quatre hommes décidèrent eux-aussi de partir à l'aventure à la recherche de cette fameuse île. Aric Matalo était l'un deux, avec ses compagnons Niir Sinitar, Thum Bator et Cal Verri. S'ils étaient des guerriers accomplis avant leurs départs, personne n'escomptait les revoir à leurs tours. Les semaines passèrent sans qu'aucune nouvelle de leur éventuel retour n'apparaissait.
Rapidement, logiquement, le monde les pensaient alors décédés comme leurs prédécesseurs dans l'indifférence générale, jusqu'à l'apparition de leur voile, des mois plus tard, leur quête réussie. Jamais ils n'avaient expliqué où elle se situait, ni ce qu'ils y avaient vus où fait. La seule preuve, celles qu'ils exhibaient fièrement étaient leurs nouvelles armes qu'ils y avaient ramenés. Chacun possédait une épée pouvant contrôler l'un des éléments naturels. Aric avait la plus large, la lame comme entièrement faites de glace, si brillante que l'on pouvait facilement y contempler son reflet. Niir avait la plus impressionnante, capable de s'enflammer dès sa sortie du fourreau. Celle de Cal contrôlait la foudre. Enfin, Thum avait hérité de la plus longue. Sa poignée et sa garde étaient parsemaient de multiples pierres précieuses, la lame faites de diamant.
Devant leurs nouveaux pouvoirs, aucunes cités ou château ne pouvaient résister à leurs attaques. Ensemble, ils avaient redessiné les frontières du monde avant de se le partager entre eux, chacun régnant sur son royaume et dictant ses propres lois, avec comme seuls règles communes de ne pas s'attaquer les uns les autres. Ils devinrent presque divins aux yeux de leurs peuples, qui n'avaient d'autres choix que de se plier devant leurs puissances. Au bout d’un certain temps, ils furent considérés comme légitime, et devinrent ainsi les Premiers Rois.
Après avoir été la pupille d'Aric Matalo à la suite du décès de son père, puis chevalier, il continua de gravir les échelons grâce à son bon maniement de l'épée, et était rentré dans sa garde personnelle.
Bien qu'il n'y eût aucune réelle guerre contestant leurs pouvoirs, des rébellions ci et là avaient tout de même éclatées. Par des pirates dans les mers ou des bandits sur les terres. Krone avait combattu au nom d'Aric pour garantir la sécurité du royaume, et les rares fois où ses capacités d'épéistes ne suffisait pas, cela lui permettait de le voir en action.
L'île de Jade, par exemple comprise dans l'archipel appartenant au Todaï avait été attaquée puis retenue en otage par une de ces factions rebelles. Elle était si proche du continent que l'on pouvait l'apercevoir à l'horizon si le ciel le permettait.
Ainsi impossible de préparer une offensive navale sans être directement repéré. Même si la capitale, Iuyt, disposait de la force du nombre, il était impossible d'échapper à un bain de sang mêlant les civils captifs et les combattants. Le rois Aric avait alors attendu une nuit sans lune pour préparer son attaque.
Il faisait si noir que Krone arrivait à peine à distinguer son roi à seulement quelque pas de lui. Ce dernier était positionné face à la mer, le reste de son armée derrière. Il sortit son épée de glace, se positionna à genoux et la planta dans l'écume qui s'avançait à ses pieds. Alors que la majorité des hommes pensaient qu'il devait être en train de prier Dieu pour l'aider dans son combat, Krone savait qu'il n'en était rien.
Un Dieu ne prie pas.
Quelque secondes plus tard le bruit des vagues fût recouvert par de petits craquements, plus ou moins lointain. Tous attendaient encore plusieurs minutes supplémentaires.

— Maintenant ! déclarait Aric toujours à genoux.

Le roi venait de lancer l'assaut, Krone s'avançait donc avec ses frères d'armes et commencèrent à marcher littéralement sur l'eau. Un chemin de glace s'était dessiné au creux de la houle menant jusqu'à l'île de Jade. Pas à pas, l'armée avançait, impossible à percevoir par les gardes d'en face pendant une nuit si sombre et contrairement aux bateaux, totalement silencieux et ne risquant pas de s'échouer contre les falaises par manque de luminosité. Il avait fallu trois bonnes heures de marche pour gravir des kilomètres séparant le continent de l'île, car le moindre faux-pas pouvait les envoyer à la mer. Cela étant tout de même éprouvant pour tout soldat, Aric avait anticipé la manœuvre en ayant fait dormir toute son armée prenant part à cette attaque la journée précédente. Ainsi ils disposaient de toute leur énergie le moment venu. Rien n'était laissé au hasard.
Les cors ne retentirent à travers l'île que bien trop tard, Krone et les autres soldats avaient déjà pénétrés l'enceinte de la ville principale. En sous nombre et totalement surpris au milieu de la nuit, la bataille ne fût pas longue et les rebelles les plus malins se rendaient assez rapidement. Aucune victime civile n'était à déplorer et seulement peu de soldats de la couronne y avaient laissés la vie. Que ce soit grâce à ses stratégies ou bien grâce à la magie de son épée, le roi trouvait toujours un moyen de préserver ses hommes en plus de remporter la bataille.
En revanche lorsque la guerre n'était pas face à d'autres humains, la situation devenait rapidement bien plus compliquée. Petit à petit un nouvel ennemi s'était réveillé, menaçant non seulement le royaume du Todaï mais toutes les autres terres habitées du monde. Des rapports sur des villages qui prirent soudainement feu arrivaient de plus en plus souvent, ne laissant jamais de survivants. Des carnages sur les routes et sentiers étaient à déplorer, là encore personne ne pouvait raconter son histoire. Dans les hautes montagnes dumiennes, ou bien sur l'autre continent le Malaki dirigé par Thum Bator, les mêmes rapports arrivaient.
Aric avait augmenté le nombres des patrouilles, et une évacuation des villages vers des cités plus fortifiées était en cours. Krone avait la charge de l'une d'entre elle. Avec ses hommes, ils devaient escorter les habitants d'Omra, petit village situé au centre des terres à la frontière avec le Yama, la région volcanique et aride plus au Nord. Il y avait un peu plus de deux cents personnes à rapatrier vers Iuyt. Étant largement composée de jeunes enfants, de femmes et de personnes âgées, l'escorte n'avançait guère vite. Ainsi Krone, préférant rester à l'arrière du groupe, pouvait déjà observer la fumée s'échapper d'Omra.
Ils arrivent. Qui ou quoi que ce soit.

— Toi va à l'avant et fait accélérer le rythme, cria-t-il à un de ses soldats. Dans quelques kilomètres vous atteindrez la forêt, l'ennemi se rapproche, vous devez y être avant la nuit. Et ne jamais vous arrêtez !

Il se tourna vers d'autres de ses hommes qui attendaient leurs instructions.

« Vous deux avec moi en retrait, je veux savoir à quoi nous avons à faire.

D'Omra à la forêt le sentier était très rocailleux, ils pouvaient ainsi en si petit nombres se cacher aisément derrière de grands rochers pour attendre leurs invités.
Ce n'était qu'après un long moment que sa patience fût enfin récompensée. Rassuré par le faite que son armée avait certainement déjà bien avancée ne les voyant plus au loin, il pouvait se concentrer sur son futur combat. En direction du village qu'il venait de faire évacuer, de petites étincelles crépitaient sur la ligne d'horizon. Comme si un incendie se déplaçait littéralement vers eux. Plus celui-ci se rapprochait plus il était net que cet ennemi n'avait rien de naturel.
D'une silhouette humaine, flamboyante, la créature portait dans ces deux mains magmatiques deux longues épées. Les trois soldats qui s'étaient positionnés au milieu de la route, l'attendait prêt à combattre. Devant cette découverte, il était impossible de fuir et laisser s'aventurer plus loin. La silhouette crépitante ne ralentissait pas pour autant son allure. De petites traînées de flammes marquaient les empreintes de ses pas dans le sol. Quelques gouttes de lave semblaient même tomber ci et là après chacun de ses mouvements. Son visage restait pourtant la partie la plus effrayante, ne comportant que deux yeux, entièrement noirs, qui les fixaient tous les trois.
Krone pouvait facilement sentir la peur de ses deux compagnons à ses côtés grâce à leurs lames tremblantes qu'ils tenaient devant eux à deux mains, ainsi que par leurs respirations suffocantes. Lui-même n'avait jamais était autant effrayé de sa vie, mais il savait qu'y succomber signifierait immédiatement leurs défaites.

— Qu'est-ce que c'est que cette chose ! Il fait fuir Ser Krone ! bredouilla celui à sa gauche.

— Hyde c'est ça ? lui demanda-t-il sans quitter les flammes des yeux.

Il acquiesça rapidement de la tête.

« Il est trop tard pour reculer, et quand bien même, il nous faudrait bien l'affronter à un moment donné. Autant en finir maintenant, ensemble on peut y arriver.

— Mais comment ?

Bonne question.

— Nous trouverons.

L'élémentaire était enfin arrivé jusqu'à eux, Krone leva son épée pour parer la première attaque alors que Rodrig, le troisième homme, paraît la deuxième. L'ennemi, bien que seul, repousser ses deux adversaires assez facilement, les faisant même reculer. Sous son épaisse armure, Krone se sentait déjà transpirer. Non pas par fatigue, mais surtout à cause de la chaleur ambiante que le monstre dégageait. Tout en reculant ils dépassèrent Hyde, qui n'avait toujours pas bouger d'un pouce, Come pétrifié sur place.
Ce n’est pas vrai, on va tous crever s'il ne se bouge pas !

— Qu'est-ce que tu fais Hyde, aides-nous bordel !

Alors que le bouclier de Krone avait déjà encaissé de sérieux dommages, que Rodrig avait perdu le sien à la suite d'une mauvaise parade, ils n'avaient toujours pas pu blesser la créature en retour, ou même trouver une faille. Heureusement Hyde, de son côté semblait enfin se reprendre et, désormais dans le dos des flammes mouvantes, les chargea. D'un grand coup latéral, il asséna une attaque mortelle pour n'importe quel homme.
Mais ce n'était pas humain, et son épée se bloqua dans l'épaule de la créature magmatique. Hyde écarquilla les yeux comme jamais il n'avait dû le faire auparavant dans sa vie, pendant que l'élémentaire se retournait lentement sur lui. Comme collée dans son épaule, l'ennemi força pour en extraire la lame qui s'y était logée. Krone et Rodrig étaient eux-aussi comme figé, se demandant comment ils allaient bien pouvoir se sortir de cette situation. La riposte de la créature ne se faisait pas attendre, d'une fente ascendante qu'Hyde ne daignait même pas d'esquiver, résigné. La lame le toucha mortellement au torse puis au visage. Il tombait à terre, défiguré par la blessure et l'effroi.
Krone sentait ses muscles se contracter, et n'avait toujours aucune solution pour retourner la situation alors que la créature se plaçait à nouveau face à eux. En jetant un coup d'œil derrière lui, il remarquait qu'à force d'avoir reculés, ils s'étaient pièges tous deux contre une paroi rocheuse qu'ils n'auraient jamais le temps d'escalader. Les flammes s'étaient remisent en marche, Krone monta ce qui lui restait de bouclier devant lui, alors que Rodrig repositionnait fébrilement son arme en hauteur.
Il fait vite trouver une solution. Je sais je vais lui dire de...
Sans avoir le temps de finir sa pensée, tel un javelot, la créature les surprenait encore en projetant l'une de ses épées sur Rodrig, dépourvu de protection, l'atteignant directement au ventre. Dans un cri sourd, Krone regarda son frère d'un jour s'écrouler lentement en arrière, impuissant. Il était seul désormais, seul pour combattre les enfers.
Une fois au corps à corps les échanges de coups pleuvaient. Encore une fois, ses seules options n'étaient que défensives et il reculait inlassablement. Sentant son corps se rapprocher dangereusement de la paroi rocheuse, c'était le stress qui l'obligeait à commettre certaines erreurs de placement ou de parade. Fatalement acculé, un énième puissant coup sec le désarma. Seul lui restait une partie de son bouclier. Avec ce dernier rempart il bloquait désespérément les prochaines attaques qui lui été assénées. Et juste avant celle qui aurait pu lui coûter la vie, il réussissait à le frapper rapidement au niveau de la poignée adverse avec son bouclier. Enfin il avait réussi à au moins le surprendre à son tour.
Dans l'échange, il perdit sa dernière protection tandis que le monstre sa dernière lame.
Un espoir vain de reprendre son souffle quelques secondes fût dissipé dès lors que l'élémentaire se jetait sur lui, ses bras flamboyants en avant, comme pour venir l'étrangler. D'un réflexe, il avait donné ce qu'il lui restait devant lui pour le bloquer, ses propres mains. Paumes contre paumes, les premières sensations de brûlures furent immédiatement intenses, le forçant à hurler de douleur à travers son casque. Il se voyait déjà en train de mourir.
Je t'aime Yuna. Je suis désolé de t'abandonner.
La douleur le ramenait cependant très vite à lui l'empêchant de se concentrer sur autre chose que l'instant présent. En plus de ses mains qu'il sentait comme fondre malgré ses épais gantelets, il avait l'impression que tout le reste de son corps était en train de rôtir, comprimé sous son armure chauffante. Les rares fois où la douleur lui permettait d'ouvrir les yeux, il ne voyait que les deux yeux noirs vides de vie, qui le fixait à quelques centimètres de son visage. Il ne s'était écoulés que quelques secondes depuis qu'il avait mis ses mains en opposition. Des secondes qui paraissaient des heures d'une atroce agonie.
S'en suivi un nouveau cri de souffrance, bien plus aigu. Qui n'était pas le sien. L'élémentaire lâchait prise, reculant même de quelques pas. Les yeux noirs s'éteignirent petit à petit jusqu’à disparaître totalement. Krone observait qu'une lame s'était plantée par l'arrière directement là où devait se trouver le cœur de l'assaillant, si cela disposait bien d'un cœur. Rodrig avait apparemment réussi à se redresser une dernière fois, pour empaler la créature après avoir réussi à retirer celle de son ventre qui l'avait fait chuter plus tôt. Le feu et le magma qui régnaient sur le corps de l'élémentaire commençaient déjà à s'éteindre aussi. Puis une fois tombé à genoux la créature se transforma en un millier de particules de cendres, que le vent finissait de balayer jusqu'à ce qu'il n'en reste plus rien, si ce n'était un atroce souvenir.
Elles ont donc bien au moins un point faible. Mais comment ferons-nous quand une armée de ces choses s'abattra sur nous ?
Rodrig s'était allongé près de Krone, sa blessure ventrale sera fatale. Il avait perdu déjà bien trop de sang, et personne ne pourrait le soigner à temps. Il n'arrivait même plus à parler, se contentant simplement de le regarder. Le chevalier restera aux côtés de celui qui lui avait sauvé la vie jusqu'à la fin. Pendant qu'il tentait de retirer délicatement ses gantelets, il s'arrachait au passage des lamelles de chaires brûlées qui s'y étaient collés. Après de nouvelles longues minutes de souffrance le voilà alors mains nues, ne pouvant que contempler les dégâts irréversibles qu'il avait subi.

Ses mains ne lui faisaient plus mal désormais mais les stigmates étaient encore là, comme pour lui rappeler que chaque combat pouvait être le dernier. Il prenait appui sur le cadavre du narval afin de se relever, et reprendre le chemin qu'il s'était fixé grâce aux traînées de sang sur le sol. A peine eut-il le temps de commencer son chemin qu'un bruit le stoppa net. Une forte respiration derrière lui, d'origine probablement animal.
C'est pas vrai, je me suis laissé distraire par mes pensées. La bête qui a tué ce narval en a profité pour revenir et se faufiler derrière moi.
Il se retournait lentement pour ne faire aucun geste brusque, et faire face à ce qui se tenait dans son dos. Les aurores qui parcouraient le ciel lui permettaient de distinguer aisément l'animal posté à quelques mètres. C'était un ours polaire, mais un qui n'avait rien d'ordinaire. Rien qu'au niveau de la taille, où il dépassait assez largement le reste de ses congénères. Ce qui le frappait le plus restait pourtant sa fourrure, qui le faisait briller intensément. Chacun de ses poils étaient comme remplacés par de petits pics de cristal, qui reflétait toute la lumière comme de milliers de petits miroirs. Ainsi son pelage tournait entre le vert et le violet grâce au ciel. L'ours ne bronchait pas, n'ayant d'ailleurs même pas l'air agressif. Il s'avançait alors vers la bête.
Il ne me fera rien. Je ne sais pas pourquoi mais je le sens. Il y a quelque chose, comme une connexion que je ne saurais expliquer.
Il était de plus en plus captivé par la gueule de l'ours de cristal, qui au milieu de ses poils possédait deux yeux noirs et vide le fixant. Krone ne pouvait que faire le lien avec ceux dont élémentaire de feu qu'il avait combattu jadis. Une fois aux pieds de l'animal, il se retrouvait assez proche pour que son propre reflet ne commence à apparaître sur le pelage.
Impossible !
Portant ses mains à son visage, comme pour être sûr que c'était bien le sien, il le palpait avec une certaine peur. Depuis son réveil au milieu des Terres gelées du Sud, il n'avait pas encore pu voir son visage. Légèrement caché par ses longues mèches noires que le vent ne cessait de ballotter, deux yeux entièrement noirs et vide avaient pris place dans ses orbites.
A cette découverte, plusieurs flashs le secouaient à nouveaux le projetant une nouvelle fois à genoux, ses mains se tenant la tête comme empêcher qu'elle n'explose. De son côté, l'ours commençait à repartir sillonnait le paysage, promenant avec lui un autre morceau du cétacé qu'il venait d'arracher.
Les souvenirs s'enchaînaient les uns après les autres. D'autres images ne lui appartenant pas en faisaient également partis. Jusqu'à ce qu'enfin sa tête ne le laisse tranquille.
Yuna...Oh ma Yuna....Je me souviens maintenant. De tout.

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