Chapitre 2, Mako I

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Je n'avais jamais remarqué à quel point les portes du palais étaient si grandes.

Tout au long de sa vie, Mako Matalo les avaient pourtant franchies un nombre incalculable de fois. Cette fois-ci, ce serait cependant très différent, car une fois franchies aujourd'hui sa vie changerait totalement. Ainsi les quelques secondes qui pouvait être gagnées en s'attardant sur ces choses d'ordinaires insignifiantes, était un moyen de ne pas penser aux crampes abdominales qui la rongeait depuis plusieurs heures déjà. Les premiers bruits de pas commençaient à se faire entendre depuis l'intérieur du palais, indiquant une ouverture imminente.

Oh non je ne suis pas prête. Pas prête du tout.

Elle pouvait facilement s'imaginait tourner les talons et courir loin de tout cela, malheureusement elle savait qu'elle ne pouvait pas y échapper. C'est à ce moment-là moment que les grandes portes dorées s'ouvraient devant elle, ouvert deux gardes. La seule option qui lui était disposée de faire était ce qu'on attendait d'elle désormais. Sourire dans un premier temps, puisque qu'elle s'apprêtait à vivre un moment que peu de personnes n’oseraient même rêver. Rassemblant le peu de courage qui lui restait elle commençait à avancer doucement, comme si de rien était, dépassant déjà les deux statues représentant des nagas qui ornaient l'entrée. Quelques pas supplémentaires et Mako se retrouvait dans ce fameux palais à la pierre bleu ciel si caractéristique de la région. A peine ayant foulée le tapis rouge menant jusqu'au trône, la princesse voyait déjà la foule silencieuse la regarder avancer. Les tribunes faisant le pourtour de la salle étaient également pleines. Toute la cour d'Iuyt, les seigneurs et bannerets du Todaï, ainsi qu'une partie du peuple ayant pu rentrer, y étaient conviés. Dans quelques minutes ils deviendront sa cour, ses seigneurs et son peuple.

Ewan Matalo, son père, venait de s'éteindre à l'aube de son cinquantième été, des suites de la goutte. Une maladie qui le rongeait depuis plusieurs années déjà, mais qui ne l'empêchait pas de tout faire pour essayer de préparer au mieux sa fille unique au rôle qu'elle allait devoir prendre, tout en lui apprenant à survivre après sa mort.

C'était un roi ayant toujours réussi à se faire respecter, ne subissant pratiquement aucune rébellion. Ainsi, il lui léguait des terres où la paix s'y imposait globalement partout, et les relations diplomatiques avec ses voisins du Nord, les royaumes du Dume et du Yama, restaient neutres. Ces derniers affrontant chacun leurs propres problèmes, ils ne représentaient aucun risque immédiat.

L’un des principaux problèmes de sécurité auquel la nouvelle reine serait probablement les groupes de brigands et autres bandits qui sillonnaient les routes malgré la présence de la garde. Contrairement à ce qu’essayait le régime dumien au Nord du continent, le mal des Hommes ne pouvait pas être réglé totalement, et ces malfrats en était la malheureuse preuve, Ewan si était de fait résigné. Ces derniers s'étaient récemment largement regroupés dans les terres lorgnant la frontière avec le Yama. Ce royaume étant en proie à une violente guerre civile depuis près de trois ans et l'assassinat mystérieux de leur roi. Dès le début des hostilités, le monarque Matalo avait décidé, et ce contre l'avis de son conseil, d'envoyait à bonne fréquence vivres et médicaments aux différents chefs se battant pour la couronne, s'assurant de faîtes les faveurs du vainqueur, quel qu’il soit. Ironiquement, sa maladie l'ayant emportée avant qu'il ne puisse le découvrir.

Le Todaï étant majoritairement un royaume maritime, grâce à ses kilomètres de côtes et son large archipel composé de plus d'une vingtaine d'île, c’était inévitable que ces eaux ne soit également infesté de pirates. Même s'ils étaient bien moins nombreux qu'autrefois, leurs présences entamaient les relations entre le continentaux et les insulaires. Suffisamment pour que la couronne y consacre une partie de leur armée à leur traque. Les principaux leaders ayant été arrêtés au fil des années, le nom qui revenait le plus souvent était celui d'un homme se faisant appeler 'l'orphelin'. Ses actes se constituaient principalement de vols, avec de rares cas de violences, mais tant qu'il demeurait en liberté, les insulaires craignaient pour leurs cargaisons.

La dernière question conflictuelle qui pourrait venir sur la table de Mako, était inévitablement la situation des sikaris. Une faction composée quasi-exclusivement de chasseurs de primes ayant décidés de construire leur propre cité et d'y prospérer, qu’ils ont appelés simplement Sikari. Situé à l'extrême Est du royaume, elle jouissait d'une totale autonomie, vivant selon leurs propres règles et code d'honneur. Malgré tout ce que cette position délicate pouvait engendrer, le feu roi les avait toujours protégés. D'abord contre la population locale, hostile à voir des tueurs sanguinaires à leurs portes, puis face au conseil d'Iuyt, qui craignait qu'ils ne gagnent trop en importance tout en exploitant leurs terres gratuitement.

Ewan, à la mort de son père avait hérité d'un contexte économique et politique bien plus compliqué, qu'il avait mis des années à remettre en l'état. Son mariage avec Ombeline Longby, la fille du Seigneur de Lumbadel avait en partie aidé. Chacune de ses décisions avait été pour restaurer son royaume au mieux. De fait, Mako savait bien que tous les conseils qu'il avait pu lui donner de son vivant seraient bon. Le manque d’expériences étant sa principale crainte.

Celui qui l'avait le plus marqué n'était ni économique, ni politique ni même militaire. Mais bien plus subtil, et délicat à appliquer. C'était pendant un repas où il n'était que tous les deux qu'il lui procura.

— Tu sais Mako, commençait-il prostré sur la chaise qu'il ne pouvait déjà plus quitter seul, je te connais, je sais que tu voudras toujours agir comme le dicte ton cœur, ou par amour. Tu le tiens de ta mère. C'est malheureux à dire, mais une fois que cette couronne sera sur ta tête, tu ne pourras plus jamais faire confiance en quiconque, jamais totalement du moins.

— Je ne comprends pas, c'est ma vie qui va changer pas la leur. J'en connais la plupart, si je reste la même personne, pourquoi ne le ferait-il pas aussi ?

Ce conseil allait à l'encontre de ce qu'elle avait toujours crue. Imaginer devoir faire l'exact opposé du jour au lendemain la perturbait sensiblement. D’autant que c’était dans sa nature de vouloir faire confiance aux autres.

— Toi tu ne vas pas changer par choix, mais par devoir. Ce devoir va te donner du pouvoir. Et c'est ce pouvoir qui va changer les personnes autour de toi. L'envie, l'avidité, sont autant de sentiments qui vont naître en eux malgré leur amour ou leurs obligations envers toi.

Il attrapait une pomme à proximité et commençait à la couper, une excuse pour pouvoir reprendre sa respiration et se reposer quelques secondes. Elle le savait mais préférait l'ignorer pour ne pas le blesser.

« Les autres personnes, celles qui n'en voudront pas à ton pouvoir te déchireront sans même le vouloir. Par exemple, si tu donnes quelque chose à une personne, comme cette simple pomme par exemple. Que tu lui donnes parce que tu le peux ou que tu le veux, peux importes. Eh bien tu peux être sûr que d'autres viendront te réclamer l'identique. Par jalousie. Certains n'en auront jamais mangé auparavant mais en voudront désormais, d'autres n'en aiment pas le goût, mais ils en voudront à ce moment-là. Tu comprends ? A nouveau Ewan profitait d'avaler un morceau de son fruit pour faire une pause. Ta vie va devenir comme une sorte de balance où chacun voudra déposer une pierre sur l'un des côtés, et ce sera à toi de rééquilibrer le tout à chaque instant si tu vois que tu commences à pencher de trop. Voir même à dire stop si tu ressens que cette balance est trop chargée. Et tu devras dire non de temps en temps, pas forcément parce que tu ne veux pas quelque chose, mais parce que par ce mot, dans ta bouche royale, tu remettras les frontières en place.

— Mais toi, tu as bien confiance en certaines personnes ? Ta cour, et tes conseillers ?

— Il est plus aisé de faire attention aux personnes qui t'attaque par devant que ceux qui agissent dans l'ombre, je ne dis pas qu'ils conspirent contre moi, loin de là, mais je ne pourrais jamais en être sûr. La ligne est trop mince entre le pouvoir dont ils disposent et le nôtre. Ils n'ont qu'un pas à faire, ils sont déjà sur place, rien ne les empêche de tendre les bras pour essayer de nous le prendre. C'est pour ça que je te dis qu'il faudra toujours faire respecter les limites dont tu jugeras nécessaires pour qu'ils se rappellent où se situent la leurs.

« Evidemment j'ai confiance en Liam, Lazor et Imrir et je les respecte comme ils me respectent, mais je garderais toujours un œil sur eux, car je connais les Hommes. Comme je te conseille de le faire à ton tour. N’oublie pas, la seule personne qui ne te trahira jamais, c'est toi même.

Plus Mako récupérait d'informations ou de conseils sur sa vie future, plus les visions qu'elle en avait s'assombrissaient. Elle qui s'attendait à être aider en toutes circonstances, craignait de découvrir ce jeu de méfiance qui l'attendait.

Ais-je vraiment envie de vivre de cette manière, une vie où chaque faux pas pourrait être exploités ou retournés contre moi. Je ne suis pas encore reine, pourtant je sens déjà la pression m'étouffer. Ne meurs jamais je t'en supplie !

Quand ses idées devenaient négatives où bien que la dialogue commençait à la gêner elle cherchait immédiatement à dévier la conversation, notamment vers les personnes qui lui étaient chères. C'était ainsi qu'elle pouvait rester toujours positive et souriante. Il y avait trois personnes qui lui venait en tête ; il y avait d’abord Liv sa meilleure amie, mais elle n'avait pas de raison immédiate d'en parler. Puis Kyzen, son amant caché. Son père n'étant évidemment pas dans la confidence, il n'y avait aucune chance qu'elle commence à en discuter avec lui maintenant, d'autant qu'il désapprouverait naturellement, vu ce qu'il avait fait au père de Kyzen. C'était tout naturellement qu'elle choisissait alors Ombeline, sa mère.

— Et maman ? Jamais elle ne me trahira elle ? Ou toi d'ailleurs. Je sais que je pourrais toujours lui faire confiance quoi qu'il advienne.

Ewan n'avait pas l'air de s'attendre à une telle question, qui semblait pourtant naturelle pour la jeune princesse. Il eut un petit rictus au coin de la lèvre gauche qu'il dissimula rapidement, en mâchouillant un nouveau quartier de pomme.

— Bien sûr que tu peux avoir confiance en ta mère, répondait-il finalement. Nous le pouvons tous les deux. Mais n'oublies pas ce que je t'ai dit tout à l'heure, c'est toi qui seras reine, ne donnes jamais plus de pouvoir à quelqu'un qu'il ne le devrait en avoir, sinon ce sera le début de la fin de ton règne.

Je ne peux faire confiance en personne...

Les mots de son père raisonnaient encore dans sa tête alors qu'elle se rapprochait toujours plus du trône, encerclée par des myriades de visages silencieux. Elle les scrutait tous du coin de l'œil, sans ralentir le pas, toujours souriante au possible. Tous l’aimeraient et la vénéreraient, mais tous la détesteraient aussi. C'était ce qu'elle avait retenue de ses leçons.

C'était ce paradoxe qui lui faisait se sentir qu'elle n'était pas prête pour endosser tant de responsabilités. Beaucoup d'entre eux lui étaient totalement inconnus. Elle reconnaissait néanmoins quelques familles nobles dont elle avait côtoyé les enfants lors de sa jeunesse au palais ou lors des apprentissages. Au milieu de cette foule elle distinguait tout de même certains des gens de la cour comme Imrir, un vieil homme chauve facilement identifiable à sa longue barbe blanche. Il serait d'ici quelques minutes son connétable et l'un de ses principaux conseillers.

Il a toujours été fidèle à chacun des rois qu'il a servis, pourtant d'après mon père je ne peux pas lui faire confiance. Les gens changent-ils vraiment du tout au tout ?

Plus loin c'est Lazor qui la regardait, un autre membre permanent du conseil. La famille Asda se tenait près de lui, ce qui lui déclencha enfin un véritable sourire. Liv, la sœur qu'elle n'avait jamais eue, se tenait entre ses parents.

Quand sa timidité tendait à reprendre le dessus, Mako levait les yeux au niveau du plafond du palais, qui était composé dans son entièreté d’une fresque géante en vitrail. L’histoire d’Iuyt et du Todaï y était dessinées. D’Aric Matalo, celui qui avait construit cet endroit près d’un millénaire auparavant, représenté en armure tenant une large épée brillante au ciel. Puis tous ses descendants après lui, jusqu’à son père Ewan, le dernier ajouté, dessiné au balcon du palais, acclamé par la foule. Dès la fin de la cérémonie, des ouvriers se hâteront pour la représenter à son tour, et poursuivre la fresque. Elle remarquait d’ailleurs qu’il y avait encore largement assez de place pour encore quelques générations.

Je me demande à quoi ressemblera la mienne.

Alors qu'elle arrivait près des marches précédant le trône un autre visage connu lui la contemplait. Sa mère avait toujours été présente dans les bons comme les mauvais moments de sa vie, cette journée n'échapperait à la règle.

Maintenant que Mako était une femme, il pouvait arriver de les confondre. Elles disposaient des mêmes traits du visage, arboraient la même blondeur de cheveux et leurs pupilles possédaient la même couleur azur. Grâce simplement à cette vue, elle pouvait enfin faire abstraction du reste des invités, se sentant enfin en sécurité.

Ombeline avait également essayé d'inculquer à Mako ce qu'elle pouvait avant que ce jour n'arrive, pourtant ses conseils étaient différents de ce pouvait lui avoir donné son père. Mako étant destinée à devenir la première femme régnant sur le Todaï, c'était donc tout naturel d'avoir besoin d'un point de vue féminin sur la question du pouvoir. La reine mère avait coutume d'être très discrète tant aux yeux du peuple que de la cour. Ewan avait toujours préféré gérer le royaume seul, pour préserver sa famille tant qu'il le pouvait. En revanche elle se tenait toujours bien informée de ce qu'il pouvait se passer autour de son mari ou du royaume, lui laissant alors tout son loisir pour s'exprimer dans l'intimité. C'était un travail de l'ombre qu'elle exerçait, mais qui n'en était pas moins important.

— Ce n'est pas roi que tu seras Mako, mais Reine, et c'est une différence qu'il ne faudra jamais négliger, c'est très important." lui déclarait sa mère lors d'une journée où elle essayait plusieurs robes ensemble.

— Tu penses que les gens ne m'écouterons pas parce que je suis une femme ? répondait-elle.

Ombeline cherchait ses mots pendant qu'elle passait en revue la penderie.

— Disons qu'en tant que femme tu seras défiée plus facilement. Surtout par les hommes, car ils te penseront fragile et manipulable. Bien sûr des femmes règnent aujourd’hui sur certains châteaux ou cités, comme ma sœur par exemple, mais aucune ne là encore fait sur un royaume entier, certainement que ça ne plaira pas à tout le monde."

— Ils n'auront pas le choix, je serais légitime ! s’énerva-t-elle.

— Il ne suffira pas d'être légitime, tu devras te battre pour le prouver, bien plus que ton père n’a dû le faire, ou son père avant lui. Le seul conseil que je peux te donner c'est de faire attention à ces hommes. D'autant plus que tu es seule... lui lança-t-elle.

Mako détourna le regard furtivement, avant de relever la tête avant que sa mère ne s’aperçoive de son malaise.

C'est vrai que ça va être encore plus compliqué entre Kyzen et moi, déjà que ça l'était quand personne ne nous surveillait de trop près, alors quand je serais reine...

— Pour l'instant je n'ai pas besoin d'un homme près de moi.

Cela faisait sourire sa mère.

— Là n'est pas la question. La chance que tu as, si cela en est une, c'est que ton père et moi avons réussis jusque-là à te préserver de ces mariages arrangés, qui même si avec Ewan nous avons appris à nous aimer, nous ne nous sommes pas choisis. Mais toi tu devrais pouvoir choisir ton propre mari. Mais ne te fais pas d’illusions, tu ne manqueras pas de prétendants et je crains bien que tôt ou tard l’amour passera encore une fois au second plan, tel est notre fardeau. Que tu le veuilles ou non, tu seras courtisée jusqu'à ce que tu sois mariée, mais c'est bien ta position qui les intéressera le plus. J’aime croire que tu as héritée de mon intelligence et de ma lucidité, ainsi je pense que tu sauras quoi faire le moment venu.

— Je comprends, mais…

Je ne sais pas quoi dire, je voudrais bien lui dire que je n’ai pas besoin d’attendre l’amour ou de m’en passer, que je l’ai déjà trouvée…impossible.

Ombeline avait arrêté de trifouiller dans les robes afin de s’asseoir près de sa fille.

— Saches juste que tu ne peux pas leurs faire confiance, n'importe quel homme pourrait te trahir à n'importe quel moment. Fais attention à l'amour, ne le laisse pas te contrôler où tu pourrais perdre tout ce que tu as. L'amour est certes la plus belle chose à vivre, mais c'est aussi la plus instable qui soit. Un rien pourrait transformer l'océan de bonheur dans lequel tu nages, pour finalement t'y noyer.

Ces paroles étaient à la fois imprégnées de passion et d'amertume.

— Ne t’inquiète pas maman je ferais attention, mentait-elle afin de la rassurer, mais surtout pour en finir avec cette conversation qui la gênait de plus en plus.

Désolée mais là je ne peux pas être d'accord, c'est notre amour qui fait que Kyzen et moi sommes plus fort que tout. Je dois juste trouver le moyen pour que l'on puisse être ensemble aux yeux de tous. Je lui confierais ma vie comme il pourrait me confier la sienne.

Après une traversée qui lui avait semblait avoir durer une éternité elle était enfin arrivée devant le trône et se retourna vers la salle qui la regardait toujours très solennellement. La peur la gagnait de plus en plus, mais il fallait qu'elle le cache au maximum. Elle était d'ailleurs plutôt fière de la façon dont elle le gérait.

— Inutile d'avoir peur princesse. C'est bientôt fini, murmurait l'homme de foi à son oreille.

C'est si visible que ça finalement...

Le grand évêque Castan était arrivé à ses côtés qu'elle ne l'avait même pas entendu s'approcher. Outre sa voix fluette et sa longue robe rose elle le reconnaissait cependant assez facilement d’abord par sa taille car c'était l'un des seuls hommes qu'elle connaissait qui était plus petit qu'elle, mais également par son crâne presque entièrement dégarni. D'un signe il fît venir un garde portant sur un coussin la couronne qui allait être sienne. Castan l'attrapait délicatement par chaque bord pendant que Mako s'installait dans le trône. Il s'avançait pour la lui déposer sur la tête. Elle continuait de scruter les visages qui lui faisaient face très rapidement. Dans un dernier espoir elle cherchait Kyzen, qui se serait peut-être glissé discrètement parmi la foule pour la surprendre, en vain.

C'est normal, cela aurait été un trop grand risque pour tous les deux. Beaucoup aurait pu le reconnaître. Pourtant j'aurais tant aimée qu'il soit là aujourd'hui.

La couronne s'assemblait parfaitement avec sa chevelure tressée pour l’occasion et l'évêque recula pour le public puisse à son tour l’admirer. Après quelques secondes il prît la parole.

— Peuple du Todaï, j'ai l'honneur de vous présenter votre nouvelle reine et princesse de l’eau ; Mako Matalo, première du nom, fille d’Ewan Matalo. Puisse-t-elle vivre longtemps et que son règne soit bon. Longue vie à la reine.

La salle s'emplissait alors d'un brouhaha d'applaudissement.

De son côté, elle restait impassible. Faisant face à son destin, face aux personnes qui l'admirait aujourd'hui, et qui la détesteront demain au premier écart.

Après la cérémonie la nouvelle reine ne rêver que de son lit pour aller se reposer mais Castan lui rappelait qu'il fallait qu'elle l'accompagne pour la vraie cérémonie d'intronisation. Celle qui était vraiment importante. Ce à quoi elle venait d'assister n'était qu'une simple présentation à ses futurs sujets. Epuisée, elle accepta néanmoins de le suivre à contrecœurs. L’absence de public la soulageait toutefois un peu. Ils sortirent par l’arrière du palais pour se retrouver dans le château plus au nord d'Iuyt. En raison de l'âge avancée de l'évêque, le rythme de la marche n'était pas très soutenu mais contrairement à ce qu’elle pensait au début, ce n’étais pas pour la déplaire. Elle connaissait parfaitement les lieux pour y avoir habitée toute sa vie et après de longues minutes à arpenter les couloirs ils se retrouvèrent à un cul de sac.

— Il y a un problème Monsieur Castan ?

Ne me dîtes pas qu'il s'est perdu quand même ?

— Ayez confiance princesse. Je suis la seule personne à connaître l’existence du lieu où nous allons je vous rappelle, il est logique qu’il soit bien caché !

Depuis toute petite elle avait pris cette manie de l'appeler Monsieur Castan, ce qui était resté en grandissant. De même, il l'a surnommée 'princesse' en tout temps, et sa nouvelle nomination ne semblait pas pour autant lui faire changer ses habitudes. Il s'approchait de l'un des murs de l'impasse puis se mît à le pousser difficilement le faisant reculer, laissant place à un passage dérobé. Il récupéra une torche sur un des autres murs et pénétrait à l'intérieur. Mako était figée un moment par l'étonnement avant de le suivre. Après avoir remît le passage en place il n'y avait que la torche pour y voir dans l'obscurité.

Je suis choquée, j'ai joué depuis toute petite dans ces couloirs pendant des jours et des jours et jamais je n'ai découvert cet endroit.

Ce passage menait à un escalier qui descendait en colimaçon. Elle descendait encore et encore si bien qu'elle n'osait même pas penser au chemin du retour et toutes ces marches. En bas se trouvait une unique porte que Castan ouvrait à l'aide d'une grosse clef qu'il cachait dans une poche intérieure de sa robe, qu’il avait accroché à l’aide d’une fine cordelette. De l’autre côté se trouvait une petite pièce pratiquement vide. Elle visitait du regard le temps que l'évêque allumait les bougies présentes. Un bureau séparant deux chaises, un tapis avec les armoiries du Todaï et une épée accrochée au mur du fond étaient tous ce qui en faisait la décoration. L'endroit était globalement propre, Castan devait y venir souvent pour entretenir l'endroit où y rester seul.

Elle ne connaissait que peu de chose de ce fameux ‘rituel du sang’, comme il était appelé. D'ailleurs personne ne savait exactement ce qu'il en était, à part son père qui avait était roi et donc qui l'avait vécu, et les membres de la foi qui avait l'autorisation de le réaliser comme l’évêque. Même sa mère ignorait tout de ces détails, c'était l'un des secrets les mieux gardés du royaume. Les seules informations dont elle disposait venait de Castan lui-même qui, outre sa fonction spirituelle, s'occupait aussi d'apprendre les bases de la société et de la vie aux enfants de haute lignée, comme lire, parler ou l’Histoire. En tant que princesse, Mako en faisait partie, ainsi que Liv et Kyzen à l’époque, enfants des familles les plus puissantes du royaume. Jusqu'à leurs seize ans ils avaient eu ainsi quelques heures de leçon par jour.

Pourtant ce n'était que lors de son dernier cours que Mako eût ces quelques informations. N'étant pas destinés à régner, ses amis n'avait pas besoin d'y assister. Ce jour-là elle avait appris que le sang qui coulait dans ses veines, celui des Matalo, était le seul qui pouvait être utilisé pour l'un des quatre rituels d’intronisation, celui ayant lieu au Todaï. Que sa vie était liée à la survie du monde tout entier. Aussi intriguant que cela pouvait paraître, elle n'avait pas eu plus amples informations, et Castan ne flanchait pas, lui expliquant qu’elle ne devrait savoir seulement le moment venu.

Il était évident pour elle qu'il en rajoutait, que cette cérémonie avait un côté beaucoup plus protocolaire que mystique. Elle le connaissait suffisamment pour savoir qu'il était très conservateur, voir un peu trop de temps en temps. Et ces déclarations ne venaient que le confirmait. Les quatre royaumes qui composent le monde sont ainsi censés exécuter ce rituel avec le sang des familles royales originelles ; les Bator, les Verri, les Sinitar et donc les Matalo. Eux qui avaient régnés sur le monde il y avait un peu moins d'un millénaire maintenant. Tout cela pour éviter que toute la planète ne sombre dans les ténèbres. En théorie.

Dans la pratique seul le Todaï aujourd'hui perpétuait la tradition. Le premier royaume à avoir arrêté cette cérémonie fût le Malaki gouverné par le roi Thum Bator, qui avait régné sur tout le continent Ouest, plus pauvre et sauvage que l'Artome. Il était dit qu’aucune femme n’avait jamais réussi à lui donner un enfant, laissant ainsi sa lignée s’éteindre à sa mort. Le Malaki s’était ensuite peu à peu enclavé du reste du monde. A ce jour, aucune communication n'était établie entre les deux continents. Personne ne sachant réellement ce qu'il pouvait se passer de l’autre côté de la mer. Jadis, ils pillèrent les côtes dumiennes de temps à autres avant de redevenir totalement silencieux après une sérieuse défaite de leurs pars. Même le nom Malaki avait peu à peu disparu des usages, les habitants étant appelés simplement ouestriens.

Le Dume, royaume montagneux originel de la famille Verri avait maintenu le rituel bien plus longtemps que les ouestriens mais c'était cette fois-ci le peuple qui avait été à l'origine de son abandon. Deux cents auparavant, une révolution avait démarré, provoquant le renversement de la famille royale, afin d’y installer à sa place un conseil, votant entre eux toutes les décisions même les plus minimes de leur territoire. Les sept plus grandes cités dumiennes avaient choisis un élu pour parler en leur nom. Ce conseil était actuellement toujours en vigueur, mais avait perdu tout son sens d’origine. Les personnes le formant élisant désormais entre eux qui peuvent les rejoindre et dirigent d'une main de fer la population, recherchant une vie parfaite ou la morale et la méthode de pensée était unique. Le rituel avait évidemment cessé en même temps que le règne des Verri, où les rescapés se sont réfugiés sur l'une des deux îles voisines, qui bien qu’indépendantes à l'époque, est désormais régit par le Dume et donc son conseil. Alan Verri, le dernier descendant, y vit en exil avec sa famille.

Enfin le royaume du Yama, qui malgré sa loyauté envers le rituel, dû l'arrêter à son tour. Ce royaume volcanique, à la terre pauvre, situé entre le Todaï au Sud et le Dume au Nord était l'endroit où régnait Niir Sinitar originellement. Une dizaine de siècle plus tard son descendant le roi Jadus Sinitar fût assassiné, dans son propre château laissant ses deux fils à peine adultes se diriger vers le trône. Mais les plus grands seigneurs du royaume profitèrent de l'occasion pour se rebeller déclarant vouloir insuffler une nouvelle dynamique au Yama. Le royaume étant ainsi plongé depuis trois années dans une guerre civile qui n'en voit pas la fin. Le Todaï devenant alors le dernier royaume à pouvoir encore réaliser le rituel du sang.

Castan sortit une petite coupelle puis un torchon d'un des tiroirs du bureau, et les installa à plat sur le dessus avant d’aller décrocher l'épée au fond de la pièce. Si de loin elle paraissait déjà très grande, ce n’était rien avant qu’il se rapproche avec et la dépose sur le meuble, toujours bien rangée dans son fourreau.

Je ne sais même pas si je serais capable de la porter.

— N'ayez crainte princesse, vous allez seulement mettre pas plus d’une goutte de votre sang sur la lame. Vous allez simplement placer votre paume sur la pointe de l'épée et en appuyant un peu cela devrait suffire à y percer légèrement la peau.

— C'est tout ?

Mako était surprise, elle s'attendait à un rituel bien plus 'sanglant' en premier lieu, mais surtout quelque chose qui justifierait tous ces secrets.

— Oui rien de plus. C'est l'épée d’Aric Matalo, qui a été conservé tout ce temps. A son époque il faisait face lors de la dîtes Guerre Eternel, à des créatures redoutables qui menaçaient le monde. Officiellement, lui et les autres rois ont déclaraient que cette guerre n’était pas terminée malgré la disparition des créatures, mais simplement endormie et qu'elle ne serait probablement jamais remportée si elle venait à reprendre. Pour éviter cela ils ont instauré ce rituel, où chaque nouveau roi, ou reine en l'occurrence, doit alors lier son sang avec l'épée qui lui correspond. Ces quatre épées, symbolisant chacune un élément, doivent toujours posséder le long de sa lame le sang de la lignée des originels. Cela étant, elles maintiendraient alors endormi l'Ether, le cinquième élément qui compose notre monde avec l'eau, le feu, la terre et l'air.

« C’est difficile à expliquer ce que c'est exactement, bafouillait-il à présent. Moi-même je m’y perds parfois. Avec le temps, beaucoup d’informations à ce sujet ont été soit endommagées soit oubliées. Pour ainsi dire c'est le vide qui nous entoure, à la fois tout et rien. Certaines archives mentionneraient que ce serait la porte ouvrant sur les ténèbres, où des créatures abominables pourraient arriver dans notre monde. C'est pour ça que le rituel est important, d'autant plus que nous sommes le dernier royaume à le pratiquer encore.

Après avoir posé l'épée sur le bureau, il prit une des chaises pour s'asseoir un peu avant de reprendre, les escaliers précédents semblant avoir eu raison de lui. Mako avait écouté son histoire, mais semblait assez perplexe quant à sa véracité.

— Mais vous y croyez à tout ça ? Je suis désolée Mr Castan, mais ce sont les histoires que l’on nous a appris quand nous étions enfants.

— Comme je l'ai dit jadis à votre père, nul n'est obligé de croire à ces histoires d'un autre temps. Mais imaginons que cela soit vrai, qu'il n’existe qu’une infime chance pour que tous ce que nous connaissions du monde soit faux. Que les légendes soient toutes vraies. C’est alors notre devoir de ne faire courir aucun risque aux autres habitant de ce monde. Une goutte de votre sang, qui ne vous coûtera rien, mais qui pourrait peut-être éviter une catastrophe.

Elle se souvenait du moment où elle avait entendu pour la première fois cette histoire, d’une guerre opposant d'un côté les humains et de l'autres des monstres de glace ou de roche, que mystérieusement les Hommes auraient gagnés un jour alors qu'ils étaient acculés, mourant dans leurs châteaux.

Je ne comprends pas pourquoi je dois vraiment le faire mais bon si mon père l’as fait… Et puis je ne vais pas commencer mon règne par refuser ce qui est aux yeux de la cour comme le passage obligé pour mériter la couronne. Je n'ai pas vraiment le choix. Heureusement comme il vient de le dire, cela ne me coûtera qu’une petite goutte de sang...

— Je vais le faire ne vous en faîtes pas Monsieur Castan.

Mako s'approchait alors de l'épée pour y saisir la poignée, avant de la relâcha immédiatement en lâchant un petit cri. Une sensation de froid très intense l'avait frappée dès que ses doigts s'étaient posés dessus. Des frissons l’avaient parcouru sur l'entièreté de son corps en un instant. L’évêque faisant les yeux ronds, incrédule.

— Pourquoi vous ne m'avez pas dit que ce serait si froid ?"

Il plissait les yeux, comme s’il découvrait en même temp qu’elle cette particularité.

— De quoi parlez-vous princesse ?

— Elle est gelée !

Quelque chose ne va pas. Il a l'air bien trop surpris, et cette épée n'est définitivement pas normale, j'ai eu l'impression d’avoir touchée un bloc de glace.

Le vieil homme se relevait de sa chaise en enlevant ses gants, avant de poser une main au niveau de la poignée, là où Mako avait essayée de la prendre. A ce moment-là, la tête de Castan se releva vers Mako, son air surpris avait complètement disparu pour être remplacé par ce qu'elle percevait comme de la peur. Chose qu’elle n’avait jamais vu sur son visage. Il sortait d'un seul coup la lame.

— Je ne comprends pas…comment est-ce possible, elle ne devrait pas être comme ça, elle ne devrait même pas exister !

De toute sa longueur l’épée semblait entièrement constituée de glace et brillait intensément comme si elle venait tout juste d'être forgé. En se penchant au-dessus Mako pouvait même y voir son propre reflet.

Quoi qu'il se passe, je ne peux pas nier qu'elle est magnifique.

— J’ai intronisé votre père et son père avant lui, reprit-il après avoir retrouvé un peu ses esprits. J'ai effectué le rituel avec eux et cette épée n'a toujours ressemblée qu'à une simple épée ordinaire. Ni brillante ni gelée. Le père Ragas qui m'a tout appris et qui intronisé en son temps bien d'autre Matalo ne m'a jamais fait part d'un tel scénario. Mes archives personnelles ne le mentionnent pas non plus. Quelque chose a changé.

— Vous pensez que c'est en rapport avec moi ? Que j'ai fait quelque chose qu'il ne fallait pas ? s'inquiéta-t-elle.

Il fît une nouvelle moue avant de répondre.

— Rien n’est à exclure pour le moment mais je ne pense pas, j'ai mon idée mais je vais avoir besoin d'aide pour en être sûr. L'île d'Esp contient tous les livres et manuscrits sur l'Histoire du monde et conservent une copie de toutes les archives qui pourraient encore exister. Je vais envoyer une missive au conseil des Sept de Joguja, dans le Dume. Ce sont eux qui contrôlent cette île, j'espère qu’ils pourront m'envoyer ce dont j'ai besoin assez rapidement.

« Vous, remontez maintenant, pour le moment nous n'avons plus rien à faire ici, je vous tiendrais au courant quand j’en saurais plus.

Alors que Castan commençait à ranger l’arme mystérieuse elle ne pouvait s'empêcher de se faire à nouveau du souci.

— Mais ? ... qu'est-ce que je dois dire du coup ? Et le rituel ? Suis-je reine quand même ?

— Bien sûr princesse que vous êtes reine. Officiellement nous dirons que le rituel s'est bien passé. Nul autre n’a besoin de savoir ce qu'il se passe ici tant que nous n’avons pas de réponses à donner. Commencez votre règne, et moi je m'occupe de notre petit problème.

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