Chapitre 7, Arrel II

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Arrel se réchauffait près du feu de la salle commune du château d'Ynox. Cela faisait plusieurs heures déjà qu'il aurait pu aller se coucher pourtant il se sentait bien près de la cheminée, plongé à travers toutes les questions existentielles qui tournaient dans sa tête. Seul le bruit de la porte ne l'en sortit momentanément.

— Toi aussi tu ne dors pas Arry ? s'étonna son frère en rentrant dans la salle.

— Tu sais que je ne suis pas un gros dormeur Zo, et puis, je ne sais pas, je me sens bien ici. Mais tu as sans doute raison je devrai retourner me coucher.

— Reste du coup, tu tombes bien, je n’ai pas envie de passer cette nuit seul.

— Qu’est-ce que tu as ? Tu n’as jamais vraiment eu de problème pour dormir pourtant ?

— Je ne sais pas trop. Je me pose pas mal de questions tu sais, le bien et le mal, la vie et la mort tout ça.

On n’est pas frère pour rien.

— Vas-y poses les moi, sais-t-on jamais, j'aurais peut-être des réponses.

Il réfléchissait. Il avait l'air assez anxieux, comparé à d'habitude où c'est plutôt l'imprévisibilité et la folie, dans le bon sens du terme, qui le caractérisé. Ce n'était pas le genre de personne à se poser ce genre de question, se contentant d’être beaucoup plus l'instant présent. Ce léger changement de comportement ne pouvait que ravir le cadet qui raffolait de ce genre de discussion qu'il pouvait avoir de temps à autre avec son père.

— Si une personne fait quelque chose de mal, je veux dire de vraiment terrible, est-ce que cela signifie-t-il que cette personne devienne mauvaise à ce moment-là ? La limite tu vois. Ou bien est-ce que pour produire certains actes, ne faut-il pas avoir déjà le cœur bien noirci. Ainsi ce ne serait qu’une question de temps avant que leurs vraies natures ne ressortent ?

Bonne question.

— Je dirais que cela dépend du pourquoi ces actes, bons ou mauvais, sont commis.

— Pourtant un acte, suivant le point de vue d'où l'on se place, pourrait à la fois aider certaines personnes et en révulser d'autres, où se place-t-on dans ce cas, quand la limite n’est pas totalement définie ?

Arrel commençait à se douter de quelque chose qui semblait le ronger.

— Qu'est-ce que tu ne me dis pas Zo ? Qu'est-ce que tu as fait qui te travailles tant ?

Il émettait une légère grimace, les yeux rivés sur les flammes.

— Je suis parti il y a quelques jours à Malavar sur demande du seigneur Ahn Ryder pour affaire tu te souviens ?

C'était vrai, Arrel lui-même avait vu la missive leur demandant audience. Zoran s'était proposé volontaire. Il s’en rappelait car son frère ne rentra au château plusieurs jours après que cela fut prévu, ou du moins escompté. Après un léger signe de la tête envers son frère lui signifiant qu'effectivement il s'en souvenait bien, celui-ci reprenait son histoire.

« Sur le retour, je me trouvais derrière un vagabond qui errait, une sacoche sur le dos, sur le sentier. Etant dos à lui et suffisamment loin il n'avait pas remarqué ma présence. Face à nous, une cariole transportant un homme et son fils se préparaient à nous croiser. J'avais un mauvais pressentiment alors je me suis rapidement rapproché et caché derrière un rocher pour observer le vagabond, prêt à défendre les innocents qui arrivaient au besoin. A raison, car la cariole était en train de s’arrêter au niveau du rôdeur.

— ­Pourquoi tu ne m’as pas raconté cette histoire plus tôt ?

— Tu comprendras un jour je l’espère…bref, je ne pouvais pas distinguer clairement ce que se disaient les deux hommes. Mais par les gestes qu'ils effectuaient il me semblait que le père lui demandait un renseignement sur la destination qu'il devait emprunter.

— Et c'est là que le vagabond l'attaqua c'est ça ? Et tu étais trop loin pour intervenir à temps ? tentait de deviner Arrel.

— Etonnement non, il avait simplement repris sa marche en avant après avoir donné ses renseignements. Je ne soupçonnais pas la bonne personne. C'est le père qui descendit de la cariole pour s'en prendre à lui, alors j'ai décidé d'agir. En avançant j’ai remarqué que le petit garçon dormait assez profondément, blottit contre la paille. De son côté la malheureuse victime tentait de s'échapper et, me voyant enfin au bout de la route m'appelait à l'aide. Mais l’autre homme à la cariole avait réussi à lui dérober sa sacoche et s'apprêtait à repartir quand j'arrivais sur lui. 'Qu'est-ce ta toi, t'proches pas plus' qu'il me disait en sortant un couteau de sous sa tunique pour me faire obéir. Evidemment je continuais d'aller à sa rencontre, espérant qu'il choisisse la raison à la folie. Ce qu'il ne faisait pas en tentant de m'attaquer. Le combat avait à peine débuté que j’ai pu lui trancher la main avec mon épée. Les hurlements de l'homme tenant son moignon avaient fait fuir le vagabond, et réveillé le garçon qui se mit à son tour à crier d’effroi. Mes yeux s'étaient fixés sur l'enfant, qui ne comprenait pas ce qu’il se passait, laissant au manchot une chance de prendre à nouveau le couteau avec sa dernière main valide. Je n'ai pas pu faire autrement que de planter mon épée dans son torse pour l'arrêter définitivement. L'enfant avait amplifié ses cris et son père tomba dans sa propre mare de sang.

— Tu n'avais pas le choix Zo, tu as défendu un innocent et ta propre vie, tentait-il de le réconforter.

Pourquoi ne m'en avait-il pas parlé directement ? Pourquoi ruminer ce moment, certes malencontreux, mais qui nous est plus ou moins déjà arrivé maintes fois ?

— Celui qui me hante c’est le gamin Arry. Il n’a pas vu le vagabond, il n’a pas vu son père être cruel, seulement ma main tuant son père. Aucune explication ne l’aurait convaincu, je l'avais rendu orphelin et c'était la seule chose qui comptait. J'étais celui qui venait de détruire sa vie, celui qu'il allait haïr jusqu'à la fin de sa vie. Le pire était qu’à ce même moment, j'étais l’unique personne qui pouvait lui venir en aide. Il était seul, perdu au milieu de nulle part. Alors je l'ai pris avec moi et je l'ai ramené au village le plus proche.

Discrètement, Zoran sécha une larme qui avait fait son apparition. Un geste qu’Arrel avait remarqué, sans le notifier.

Je ne l’ai jamais vu dans cet état, je ne savais même pas qu’il pouvait se laisser submerger de cette manière. Qu’est-ce qui t’arrives Zo, quelque chose a comme changé.

« J'ai peur Arry. Peur de recroiser le regard du garçon, rempli de tristesse et de colère, je l'ai blessé mais je n'avais pas le choix. J'espère que d'une certaine manière, il comprendra un jour.

— Ne t'en fais pas, il y a de toute façon peu de chance que tu recroises ce regard.

— Il reviendra malheureusement, disait son frère en se levant de son siège, cessant enfin de fixer les flammes pour le regarder dans les yeux. Il reviendra, je le sais, parce que c’est moi qui l’ai fait, c’est moi qui l'ai tué, et jamais cela ne changera dans son cœur. Bonne nuit Arry.

Sur cette dernière phrase il regagna ses quartiers. Arrel, légèrement décontenancé non pas par l'acte en lui-même, qui était de la légitime défense, mais bien par l'état dans lequel cela l'avait mis, se disait qu'il était temps d'aller se coucher aussi.

Il traversait à faible allure les longs corridors du château d’Ynox, ne croisant qu'une autre personne, habillée d’une longue tunique noire à capuche qui la dissimulée, certainement prise aussi d'insomnie. D'un geste de la tête il le saluait. L'inconnu lui rendu le geste rapidement d'une main gantée, continuant son chemin à grande enjambées. C'était comme si une ombre était passée rapidement à côté de lui, suffisamment pour qu’il n'eut pas le temps de voir de qui il s'agissait, seul quelques reflets rouges au niveau d'un visage, venait taquiner sa curiosité. Sans ses pensées monopolisées par son frère et la fatigue qui le gagnait, il l'aurait arrêté immédiatement pour vérifier son identité, mais cette nuit-là Arrel avait eu besoin de plusieurs secondes supplémentaires pour s’exécuter. Et quand il s’était enfin retourné pour l’appeler, la personne était déjà à l'autre bout du corridor, bifurquant sur la droite pour y disparaître.

Alors que l'option de lui courir après lui avait traversait l'esprit, il l'abandonna rapidement, ne désirant que son lit désormais. Il atteignit au bout de quelques minutes la porte de sa chambre, quand il eut l'intuition d'aller vérifier quelque chose. Ni sur le chemin, ni devant sa porte ne se trouvaient les gardes habituels. Il n'était qu'à quelques virages des quartiers du roi Jadus Sinitar, son père. Un détour était donc entrepris, pour y découvrir que la porte n’était pas non plus gardée, en plus d’être entrouverte. Chose qui n'arrivait jamais, son père étant très strict sur la protection de sa vie privée. Il entrait discrètement dans les quartiers de son père, où les bougies étaient encore allumées, habité par un silence royal.

Mon père ronfle fort, s'il était là à dormir je devrais pouvoir l'entendre d'ici. Je n'aime pas ça.

Atteignant la chambre principale du roi, Arrel se précipita au bord du lit. Son père y gisait, face contre les couvertures, du sang coulant des draps sur le sol. Il retournait le corps, visualisant une large entaille au niveau de la gorge. Quelqu'un venait de l'assassiner, et très récemment. Tentant de faire pression au niveau de la plaie, il ne pouvait pas croire ce qui arrivait.

L'ombre dans le couloir ! Celui que j'ai croisé tout à l'heure ! Putain c'était lui !

— A l’aide ! Gardes ! Aidez-moi je vous en supplie ! hurlait-il toujours plus fort.

Au fond de lui, le jeune prince était conscient qu’il était trop tard désormais pour le sauver, et qu’aucuns gardes ne pouvaient certainement l’entendre de cette pièce. Mais il était perdu, aucune autre idée ne lui venait en tête. Alors il hurla, dans le vide, une bonne partie de la nuit.

Arrel était essoufflé. Des gouttes de sueurs perlées sur son visage, pendant qu’il retrouvait son souffle. Il avait plongé une énième fois dans un cauchemar, dans ses souvenirs d'un passé toujours plus traumatisant. Cela faisait trois années déjà qu'il revivait le meurtre de son père. Les fantômes qui le hantaient chaque nuit se succédaient, chacun apportant un tourment différent. Quand ce n’était pas son père, le jeune soldat qu’il avait tué par inadvertance prenait sa place. Désormais Terrence faisait également parti de ces nouveaux amis nocturnes, son ami exécuté quelques jours plus tôt pour trahison. Il pensait qu'à force il n'y ferait plus attention et qu'il s'en accommoderait, pourtant chaque nouveau cycle de sommeil venait lui donner tort. Alors Arrel accepta son sort, comprenant qu’ils l’accompagneraient tous jusqu’à sa mort. Un mort ne pouvant pas supporter autant de souffrance morale, il ne se faisait pas non plus d’illusion à ce propos, il ne ferait pas de vieux os.

En compagnie de son armée et de son frère, ils avaient marché depuis le lendemain de la bataille sans pratiquement s’arrêter, regagnant rapidement Ynox, pour se ravitailler, sceller de nouveaux chevaux et y laisser leurs blessés se soigner. Les premières nouvelles n’étaient pas bonnes, provenant d‘Iuyt. La nouvelle reine Mako Matalo avait décidé de rompre l’accord de son père, et de ne plus approvisionner les terres du Yama. La victoire comme son frère aimait l’appeler contre les karakoliens se transformait de plus en plus rapidement en une défaite douloureuse. Un acte comme celui-ci ne pouvait que légitimer encore plus les seigneurs Paxtin et Xander, et convaincre un peuple déjà affamé de se rallier à lui serait désormais encore plus compliqué désormais.

Son problème le plus urgent était pourtant tout autre. L’obligeant à repartir immédiatement en direction du Nord, de Karakol, car il ne pouvait pas décemment abandonner tout un peuple, désormais privé de leur seigneur. Ce qu'il restait des vivres obtenus après la bataille qui n'ont pas étaient consommés leurs seront donnés également, en gage de réparations, comme si cela pouvait lui rendre un peu de crédits. En revanche il n'avait pas assez d'hommes pour à la fois constituer son armée à Ynox et jouer les geôliers pour les centaines de prisonniers karakoliens qui avaient déposés les armes. Evidemment il ne pouvait ni ne voulait tous les massacrer. Ainsi après l'étape au château, ils se dirigeront encore plus vers le Nord, au port de Maltan, ville côtière devenu indépendante sur la frontière avec le Dume. Ici, il connaissait un passeur, Horace, qui avait sa propre garde et suffisamment d'hommes pour leur faire traverser la mer en direction de l'île Hangar où ils deviendraient prisonniers jusqu'à la fin de la guerre. Une fois sur l'île prison ces soldats-là ne seraient plus un souci pour lui. Au moins à court terme.

L'aube était en train de se lever, Arrel commençait alors à préparer ses affaires pour lever le camp. Avant d’appeler le sonneur pour réveiller le reste de son armée. Plus vite le voyage sera fini mieux ce sera. Il n'était pas l'abri que les seigneurs Paxtin et Xander tentent de les prendre à revers les sachant amenuisés par la récente bataille. Personne ne les blâmerait d’ailleurs de les attaquer aussi lâchement que lui-même l’avait fait, quand bien même l’on s’était joué de lui pour cela.

Une fois le camp levé, ils reprirent la route. Les deux frères commandant à l'avant à cheval.

— Tu te souviens de notre discussion juste avant que je ne découvre père dans son lit ? demanda Arrel.

— Je ne sais plus trop ça fait longtemps, on parlait de quoi ?

— Tu me demandais si nos actes nous définissaient en tant que personne, bonne ou mauvaise.

— Ah, ça. Oui, enfin non. Je me souviens vaguement mais fallait pas y prêter attention, je ne savais pas ce que je disais ce soir-là tu sais.

— Pourtant c'était bien la seule fois où tu semblais me parler vraiment, sans faire le con je veux dire. Où tu semblais enfin t'ouvrir. Avec l'histoire de l'homme que tu as tué devant son garçon.

— L'homme que j'ai tué devant son garçon ?

Bizarre, même si ça fait longtemps, je suis bien placé pour savoir que les traumatismes restent en mémoire.

« Ah c'est bon oui je vois de quoi tu parles. Ça m'est passé comme tu peux le voir, je te le dis, il ne fallait pas t'inquiéter pour ça Arry, je ne savais pas ce que je disais ce soir-là, disait-il à nouveau sur le ton de la plaisanterie. Mais pourquoi tu te rappelles ça maintenant ?

— Mes cauchemars, encore et toujours, tu sais que je rêve de ce qui est arrivé à notre père presque chaque nuit, et je ne sais pas pourquoi mais cette conversation qu'on a eu juste avant le drame je la revis également à chaque fois. Tu avais raison à l'époque Zo. Aujourd'hui c'est moi qui me demande si tout ça en vaux vraiment la peine. Chaque jour on essaye de rendre à chacun ce qui lui appartient, de rendre un tant soit peu de justice dans tout cette merde. Pourtant à chaque fois qu'il y a la possibilité de faire enfin un pas en avant dans ce sens, on est obligé de détruire quelque chose ou de causer encore plus de peine qu'on amène de joie, comme avec Terrence. Ça me fout les boules, je ne sais pas comment on peut s'en sortir, comment tout cela va finir.

— C'est la guerre, tu te prends vraiment trop la tête, tu cherches une logique au milieu du chaos, il faut simplement accepter qu’il n’y en ait pas, qu’il n’y en aura jamais. Personne ne réfléchis autant à tout ça. C'est toi qui te rends malheureux tout seul. Tout ce qu'on est obligé de faire maintenant ne comptera plus si on gagne. Et si on perd, et bah on ne sera plus là pour que cela nous tourmente.

J’aimerais pouvoir être autant détaché comme toi. Mais j’ai bien peur que même si l’on vient à remporter cette guerre, le mal soit déjà fait. Pour moi en tout cas.

En se retournant pour contempler son armée bien alignée qui le suivait à travers les sentiers rocailleux, il se sentait bien seul. Certains des soldats riaient aux éclats ensemble, d'autres bavardaient simplement, et d'autres encore chantonnaient dans leur coin. Une bataille venait de se terminer, des frères ou des amis venaient de mourir, un homme avait était brûlé vif sous leurs yeux il y a peine quelques jours, pourtant leurs comportements ne le laissaient absolument pas paraître. Comme si tout cela était devenu leur quotidien, un jour comme un autre.

J'ai l'impression que je suis le seul à avoir un problème. C'est comme ça que ça marche désormais, un jour on combat les atrocités, le lendemain on vit comme si de rien était, et le surlendemain on en reprend plein la gueule. Mais on garde le sourire. Moi je ne peux pas, je ne peux pas accepter que ce soit la nouvelle norme.

« Moi la seule chose qui me tourmente, reprenait Zoran à nouveau tout sourire, c'est si Emely va me faire la gueule ou pas quand je la reverrais, parce que comme je ne suis pas passé la voir pendant l'escale au château...

Il finissait sa phrase avec des signes mimant qu'elle le tuerait. Il était obligé de décrocher un rire devant la nouvelle connerie de son frère. Encore et toujours la seule même personne qui était capable de lui faire desserrer la mâchoire.

Ah Zo, heureusement que tu es là, je ne sais pas comment je ferais sinon.

Il était temps pour l'armée de faire une halte pour la nuit. Chose à laquelle il fallait se prendre des heures à l'avance pour avoir le temps de positionner les cages en toute sécurité à la lumière du soleil.

Aucun droit à l'erreur n'était permis si l'on voulait éviter une émeute. A peine avaient-ils eût le temps de finir qu'un des éclaireurs envoyés en repérage était déjà de retour, signifiant quelque chose d'anormal.

— A trois lieues d'ici à peine, direction Nord-Ouest, j'ai vue de la fumée s'échapper de l'horizon. Une auberge à était entièrement consommée par les flammes. Il y a peu de temps. Au vu des traces que j'ai pu suivre ceux qui ont fait ça se dirigeaient vers l'Ouest, en direction d'Isfaro.

Ce n'était pas le premier incendie qui se déclarait dans la région. Cela avait débuté il y avait un peu moins d'un mois, une auberge là encore, avec aucun survivant. Un accident pouvait en être la cause ou bien des bandits qui profitaient de la guerre pour sévir, mais personne ne pouvait le savoir. Une semaine avait passé avant qu'un autre feu ne surgisse dans l'une des rares forêt du royaume. Tout proche de la frontière avec le Dume, des sapins au pieds des massifs voisins. Les flammes n'ayant pas atteints leur terre, les dumiens ne cherchèrent pas vraiment à enquêter davantage. Depuis quelques jours les rapports s'amplifiaient, mais encore une fois aucun témoin pour pouvoir expliquer ce phénomène. Arrel suspectait des combats entre Karakolien et Isfaroïte. Une supposition qui tombait désormais à l'eau : l’une des deux armées se trouvaient sous son contrôle actuellement, et les incendies apparemment continuaient de sévir.

Cela imposait un détour mais c'était une chance de découvrir enfin d'où venait ces feux. D'ailleurs, c'était une partie de son royaume qui était visée, en tant que roi c'était son devoir d'inspecter et rendre justice. Ainsi, accompagné de Zoran, de l'éclaireur et de quelques autres soldats ils partirent vers l'Ouest, laissant le reste de ses troupes préparer le camp comme convenue à la base.

Il fallait se faire discret désormais, car plus ils avanceraient plus ils se rapprochaient du château d'Isfaro et des terres du seigneur Paxtin. Rapidement après avoir passé la dîtes auberge désormais en ruines à la croisée des chemins, une nouvelle source de fumée leur donnait enfin la direction à suivre. Un ancien moulin visiblement à l'abandon depuis des années avait cette fois était pris pour cible.

Il n'y a absolument aucune logique dans tout ça. Qui voudraient s’en prendre à un lieu inhabité depuis des années ? Ce qui est encore plus bizarre c’est que même la pierre semble s'être consumée. Depuis quand le feu peut brûler de la roche ?

Ils s’approchèrent néanmoins assez prudemment des décombrent. Seul une partie du moulin avait pris feu, pratiquement entièrement consumée. De l’autre côté, les débris jonchant le sol indiqué qu’il s’étaient effondrés sur lui-même.

— Putain on les a ratés de peu, s'exprimait Zoran avec rage en balançant la première pierre à sa portée au loin.

— Venez par ici il y a quelqu'un sous les gravats ! alertait un des gardes inspectant la zone non touchée par les flammes.

Tous se précipitèrent pour le dégager de là. S'il est encore vivant, peut-être aurait-il des réponses à leurs questions. Une fois sortis des décombres il découvrit avec surprise que c'était une femme. Elle respirait encore, mais avait perdue connaissance. Il était rare que des personnes seules puissent s'aventurer dans ces coins reculés, mais ça l'était encore plus pour une femme. Pendant qu'avec des morceaux de planches du moulin encore en état ses soldats fabriquaient une civière de fortune, Arrel l'examinait. Il sentait au-dessus de son épaule que son frère en faisait de même. Elle n'était pas du coin cela se voyait à ses vêtements, avec un pourpoint en cuir de bonne qualité, munit d'une cape en soie véritable. Outre le faîte qu'elle soit habillée comme un homme, la valeur de ce qu'elle portait dépassé très largement ce que les habitants des villages environnants pouvaient posséder. Elle était assez jeune, les cheveux rouges, et disposait même d’un assez joli visage une fois celui-ci lavé de la poussière qui le recouvrait. Pourtant un détail important retenait son attention. Au niveau d'une des déchirures de sa cape, provoquées par l'éboulement, elle portait un étui à poignard.

Il était très particulier, dessiné en forme d'un serpent qui s'enroulait de la pointe jusqu'à la poignée, la tête du poignard terminant le crâne du reptile. Seul une catégorie de personne dans le monde possédait ce genre d’arme : les sikaris. Il inspectait la femme à la recherche d'une confirmation de ce qu'il pensait, les sikaris possédant toujours une pièce d'or sur eux, avec leurs propres visages frappés dessus. De sorte que personne ne pourrait prendre leurs places ou leurs identités. Ses poches étaient vides, rien d'épinglés sur ses vêtements non plus. Il se mit alors à chercher près de l'endroit où ils l'avaient déterrées, et ne mettait pas longtemps pour trouver cette fameuse pièce, qui brillait dans la terre. Le visage correspondait. Ainsi c'était bien une des leurs.

Les sikaris étaient une communauté d'assassins redoutables, ne vivant qu'entre eux dans leurs citées éponyme à l'extrême Est du Todaï. Ils possédaient leurs propres codes et leurs lois, et malgré cela, le royaume du défunt roi Ewan Matalo avait toujours fermé les yeux sur leurs pratiques, malgré ses efforts pour le maintien de la paix dans son royaume, ce qui ne corrélait pas toujours avec leurs activités.

La présence d'un assassin au cœur de son territoire laissait de nouvelles questions en suspens. Sa cible dans un premier temps, mais également la façon dont elle s’était retrouvée dans cette situation. La seule chose dont il était sûr était qu'il ne pouvait pas être la personne recherchée, ni son frère d'ailleurs. Grâce à leur code, qui interdisait d'interférer entre autres dans la politique, tout royaumes confondus, leurs têtes ne pouvaient ainsi être mis à prix. Avec la propagation de la paix qu'avait instauré Ewan dans son royaume, les restrictions toujours plus dures dans le Dume et la pauvreté dans le Yama, ils avaient de moins en moins de demandes. Leurs prix chutèrent, permettant à une plus large quantité de personne de pouvoir profiter de leurs services. Ce qui pouvait expliquer partiellement sa présence.

Une fois remit sur pied, elle devra répondre à ses questions. Néanmoins ce serait à leur campement, il était hors de question de rester plus longtemps si éloigné de son armée, et de faite si proche des lignes ennemies. Zoran faisait grise mine sur son cheval. Lui aussi devait pressentir que quelque chose semblait anormal. Encore.

— On aurait dû la laisser Arry, ou même la tuer, elle va nous attirer des ennuis je le sens, lança-t-il après une bonne partie de la marche en silence.

— On ne sait même pas encore ce qu'elle fait exactement ici. Elle pourra peut-être nous renseigner sur ces incendies qui se propagent depuis des semaines à travers le royaume.

— Tu sais très bien ce qu'elle faisait exactement, tu as trouvé son médaillon, c'est une tueuse. Nous ne pouvons pas prendre de risques supplémentaires, imagine qu'elle s'échappe et qu'elle libère les prisonniers pour semer la panique. Je le répète, il faut la tuer maintenant tant qu'on a l'avantage.

Zoran avait toujours été plus dur que son frère, mais cette fois-ci cela choquait Arrel. Il était prêt à tuer une femme, désarmée et blessée. Lui qui ne manquait jamais de courage, montrait une nouvelle facette qu'il ne connaissait pas, la lâcheté. Ce qui ne lui plaisait guère. Si Arrel n’avait pas un code éthique aussi élaborés que ces assassins, il ne se voyaient pas tuer une personne sans défense.

— Non les batailles sont déjà assez sanglantes comme ça. Ne voudrais-tu pas pour une fois que l'on sauve la vie des gens plutôt que de les prendre par peur. Si nous pouvions ne serait-ce qu'une fois briser ce cercle de souffrance qui tourne sans cesse, je suis sûr que nous verrons enfin la fin de cette guerre.

— Soit. Mais tu te berces d'illusions, j‘espère juste que nous n’aurons pas à payer un jour notre manque de fermeté mon frère.

Comment les gens peuvent-ils voir un manque de fermeté de notre part. Il y a peine quelques jours j'ai été forcé d'exécuter un ami pour montrer notre côté intraitable. Le peuple nous verrait-il encore trop doux même après ça ?

Les bannières orange de la famille Sinitar se faisait enfin remarquer à l'horizon. Le camp était prêt, les prisonniers enchaînés, chaque garde à son poste. Au moins il n'avait rien à redire sur cette partie-là. Arrel affecta deux gardes dans la tente médical où il avait laissé la mercenaire toujours inconsciente. Il avait voyagé toute la journée, n'avait rencontré aucun obstacle, de plus il n'avait pas spécialement pris de retard sur la route, malgré le détour au moulin. Il était toujours peu probable que Paxtin ou Xander ne les attaquent. Néanmoins il ne ferait pas ralentir l'allure pour autant les prochains jours. Dès le lendemain il était impératif d'arriver à destination voir s'il était possible, d'enclencher le chemin du retour.

Il était épuisé, avait mal aux fesses à cause de la selle et sentait une migraine commencer à s'installer à force de trop réfléchir. Même si le prince voulait dormir, il n'espérait plus que sa nuit soit douce, il avait depuis longtemps abandonné cette idée, la seule question était de savoir qui de son père, Terrence ou encore le jeune soldat inconnu, lui rendrait visite cette nuit. Mais s'il pouvait récupérer ne serait-ce qu'un peu de force cela lui suffisait pour le moment.

— Celui qui me hante c’est le gamin Arry. Il n’a pas vu le vagabond, il n’a pas vu son père être cruel, seulement ma main tuant son père. Aucune explication ne l’aurait convaincu, je l'avais rendu orphelin et c'était la seule chose qui comptait. J'étais celui qui venait de détruire sa vie, celle qu'il allait haïr jusqu'à la fin de sa vie. Le pire était qu’à ce même moment, j'étais l’unique personne qui pouvait lui venir en aide. Il était seul, perdu au milieu de nulle part. Alors je l'ai pris avec moi et je l'ai ramené au village le plus proche.

Discrètement, Zoran sécha une larme qui avait fait son apparition. Un geste qu’Arrel avait remarqué, sans le notifier.

Je ne l’ai jamais vu dans cet état, je ne savais même pas qu’il pouvait se laisser submerger de cette manière. Qu’est-ce qui t’arrives Zo, quelque chose a comme changé.

« J'ai peur Arry. Peur de recroiser le regard du garçon, rempli de tristesse et de colère, je l'ai blessé mais je n'avais pas le choix. J'espère que d'une certaine manière, il comprendra un jour.

— Ne t'en fais pas, il y a de toute façon peu de chance que tu recroises ce regard.

— Il reviendra malheureusement, disait son frère en se levait de son siège, cessant enfin de fixer les flammes pour le regarder dans les yeux. Il reviendra, je le sais, parce que c’est moi qui l’ai fait, c’est moi qui l'ai tué, et jamais cela ne changera dans son cœur. Bonne nuit Arry.

Sur cette dernière phrase il regagna ses quartiers. Arrel, légèrement décontenancé non pas par l'acte en lui-même, qui était de la légitime défense, mais bien par l'état dans lequel cela l'avait mis, se disait qu'il était temps d'aller se coucher aussi.

Il traversait à faible allure les longs corridors du château d’Ynox, ne croisant qu'une autre personne, habillée d’une longue tunique noire à capuche qui la dissimulée, certainement prise aussi d'insomnie. D'un geste de la tête il le saluait. L'inconnu lui rendu le geste rapidement d'une main gantée, continuant son chemin à grande enjambées. C'était comme si une ombre était passée rapidement à côté de lui, suffisamment pour qu’il n'eut pas le temps de voir de qui il s'agissait, seul quelques reflets rouges au niveau d'un visage, venait taquiner sa curiosité. Sans ses pensées monopolisées par son frère et la fatigue qui le gagnait, il l'aurait arrêté immédiatement pour vérifier son identité, mais cette nuit-là Arrel avait eu besoin de plusieurs secondes supplémentaires pour s’exécuter. Et quand il s’était enfin retourné pour l’appeler, la personne était déjà à l'autre bout du corridor, bifurquant sur la droite pour y disparaître.

Courant pour le rattraper, le prince retrouva sa trace quelques virages plus loin.

— Hé ! Qui êtes-vous ? Que faîtes-vous là ?

L’ombre stoppa net sa course, avant de se retourner. Il pouvait deviner que cette personne le fixait, mais la pénombre et sa capuche l’empêchait de distinguer clairement son visage. Alors il s’approchait de plus en plus. Immobile jusque-là, l’ombre bascula d’un seul coup sur la droite, l’obligeant à accélérer à nouveau le pas. L’inconnu se trouvait à nouveau au fond du couloir, l’attendant en le fixant. A chaque fois qu’il s’approchait d’un peu trop près, la personne disparaissait. Arrel continuait sans relâche sa traque.

« Arrêtez-vous !

Cette-fois-ci l’ombre le laissa s’approchait de plus près. De ses yeux fatigués qu’il plissait au maximum pour essayer de découvrir l’identité de son tourmenteur, il n’y découvrit qu’un visage féminin, balayé par quelques mèches rousses sortant de sa capuche. Pas assez près toutefois pour y déterminer plus de détails, cette dernière replongea dans l’obscurité. Arrel reprenait sa course, en vain. Il avait perdu sa trace.

Qu’est-ce qu’une femme peut faire à déambuler en pleine nuits dans les couloirs du château ?

Alors que l'option d’alerter la garde qu’une vagabonde errait, il se rendait compte qu’il n’en avait justement croisé aucun malgré les nombreux couloirs empruntés. Il atteignait au bout de quelques minutes la porte de sa chambre, et là encore, aucun soldat n’étaient postés devant. Il n'était qu'à quelques virages des quartiers du roi Jadus Sinitar, son père. Un détour était donc entrepris, pour y découvrir le même résultat. Il entrait discrètement dans les quartiers de son père, où les bougies étaient encore allumées, habité par un silence royal.

Mon père ronfle fort, s'il était là à dormir je devrais pouvoir l'entendre d'ici. Je n'aime pas ça.

Atteignant la chambre principale du roi, Arrel se précipita au bord du lit. Son père y gisait, face contre les couvertures, du sang coulant des draps sur le sol. Il retournait le corps, visualisant une large entaille au niveau de la gorge. Quelqu'un venait de l'assassiner, et très récemment. Tentant de faire pression au niveau de la plaie, il ne pouvait pas croire ce qui arrivait.

La femme dans le couloir ! Putain c'était elle !

— A l’aide ! Gardes ! Aidez-moi je vous en supplie ! hurlait-il toujours plus fort.

Au fond de lui, le jeune prince était conscient qu’il était trop tard désormais pour le sauver, et qu’aucuns gardes ne pouvaient certainement l’entendre de cette pièce. Mais il était perdu, aucune autre idée ne lui venait en tête. Alors il hurla, dans le vide, une bonne partie de la nuit.

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