Chapitre 9, Tyrone I
Tyrone marchait prudemment à travers la jungle. Même s'il la connaissait par cœur, pour s'y être aventuré à de nombreuses reprises, il était assez sage désormais pour éviter un excès de confiance. Tout pouvait devenir un piège dans cet endroit, autant la faune que la flore, ainsi chaque mauvais pas pouvait être mortel. Alors qu'il se retrouvait enfin sur un sol plus stable après une longue marche où ses longues bottes de cuir ne cessaient de s'enfonçaient à chaque pas, il en profitait pour faire une halte. Il saisissait sa gourde d'eau partiellement entamée pour se réhydrater une nouvelle fois. Même habitué, la chaleur humide qui y régnait restait épuisante. Ce n'était qu'après une bonne heure d'expédition supplémentaire qu'il atteignait enfin son objectif. L'un des plus vieux arbres que le monde connaissait subsistait au cœur de cette jungle hostile. Au pied de celui-ci grandissait une fleur, qui ne poussait nulle part ailleurs. Elle était appelée la fleur fantôme du fait de sa rareté et sa couleur blanche presque transparente. Ce qui la rendait unique provenait de son odeur, qu'aucun bouquet ne saurait égaler. Tyrone savait pertinemment qu'il ne pouvait la trouver qu'à cette période de l'année. Délicatement il recueillait cette merveille de la nature pour la déposer à l'abri dans une petite poche en tissu. Il ne lui restait désormais qu'à regagner le chemin de sa demeure.
Tout au long de sa vie il avait traversé le continent du Malaki d'Est en Ouest, et du Nord au Sud, afin d'y découvrir tous les miracles de la nature dont ce continent disposait. Même après avoir tout visité, il restait encore émerveillé parce qu’il lui été donné de voir. Pour cela, il prenait le temps chaque fois d'en remercier la Sainte Nature, qui lui offrait de quoi se subsistait chaque jour, et son élu Thum Bator, mort il y a des centaines d'années mais dont les actes divins ont transformé le continent et les esprits à jamais.
La légende, que chaque habitant Malakite connaissait depuis son plus jeune âge, était un dérivé de celle de l'autre continent, l'Artome. Après que les Premiers Rois conquirent toutes les contrées peuplées, ils devaient se répartir l'Artome en quatre parts. Pourtant Thum Bator préféra leur laisser sa part afin de régner sur le Malaki. Totalement inhospitalier, ce continent, plus grand que son voisin de l'autre côté de l'océan, était recouvert de désert de sables, de roches, et de montagnes. Les seuls habitants qui y vivaient, étaient les rejetés ou bannis de l'autre monde. Les conditions de vie étaient si difficiles que la sédentarisation y était impossible, il fallait toujours marcher de lieu en lieu pour trouver péniblement de quoi survivre. Certes intrigués, Niir, Aric et Cal acceptèrent volontiers de leurs cédés cet immense territoire infertile, leur laissant alors plus de terres à se partager chacun.
Arrivé sur les lieux, Thum parcourra son nouveau royaume pour y connaître chaque recoin. Et partout où il s'aventurait, l'herbe poussait. Partout où il s'arrêtait, des forêts sortaient de la roche. Là où les montagnes bloquaient les nuages pouvant amener de la pluie, provoquant un désert gigantesque au centre du continent, il s'y rendît aussi. Quand il reprit la route, une série de tremblement de terre secoua les lieux et les montagnes s'affaissèrent une à une. Des insectes apparurent en premier près des nouvelles fleurs qui tapissaient les nouvelles vallées. Puis ce furent des oiseaux que l'on pouvait voir arpenter le ciel là où aucun n'était venus s'aventurer auparavant. Des poissons sillonnaient des rivières qui n'existaient pas quelques semaines auparavant. Thum avait créé la vie là où la mort régnait. Attirés par cette nouvelle oasis, ce sont ensuite des humains, seul au début, puis des familles entières, qui choisissaient de prendre leurs chances de l'autre côté de la mer.
Thum ne s'était pas arrêté là, son imagination et le pouvoir de son arme sans limite ne cessait de transformer les paysages. Il voulait que son royaume soit unique. Ainsi chaque endroit Malakite refermait un miracle de la nature. Un village où le cycle de l'eau était inversé laissant chaque curieux être stupéfié de voir la pluie monter vers le ciel au lieu de tomber. Bien plus loin, des arbres devenus si grands que les nuages en cachaient le sommet, et si large que les humains y avaient creusés leurs abris, les branches et lianes qui se chevauchées faisant des ponts naturels à ce village perchés dans les cimes.
C'était la guerre qui l'avait obligé à stopper ses créations, contre les élémentaires, la dite Guerre Eternelle. Après bien des batailles, lui et les autres Premiers Rois réussirent à vaincre les monstres qui les attaquaient, perdant leurs épées et leurs pouvoirs au passage. Regagnant son royaume en conquérant, on racontait que sa seule motivation n'était pourtant que d'avoir un fils afin de lui léguer tout ce qu'il avait construit. Il eût pour cela un très grand nombre de femmes, mais aucune n'était capable de lui donner ce dont il avait besoin. Ironiquement celui qui pouvait fertiliser chaque parcelle de terre du monde, n'était pas capable d'avoir de descendance. A sa mort les habitants continuaient de le vénérer comme un Dieu, comme l'élu que la nature avait choisis parmi les Hommes.
Tous les villages Malakites construisirent une statue en son hommage. Ainsi même décédé, il régnait encore à travers les âges sur tout son royaume. Tous furent en paix, chacun de leurs côtés. Peu à peu ils furent même oubliés par l'Artome, qui se reconstruisait péniblement à la suite de la guerre. Quelques artomiens s'exilèrent tentant de trouver refuge auprès de ces villages miraculeux. Ce nombre augmentant beaucoup trop au fur et à mesure de l'arrivée des migrants, c’était l'écosystème que leur avait légué Thum qui se voyait menacé. Le Malaki décida alors d'arrêter tout contact avec l'autre rive. Devant l'obstination des artomiens, ils étaient obligés de se montrer ferme et violent, tuant toute personne étrangère à leurs Terres, dans le seul but de se protéger, eux et leur monde. Les années passèrent puis les siècles et l'Artome cessa ses contacts avec cette partie du monde, préférant les appeler comme des sauvages. Le nom de leur terre n'était même plus employé, sauf dans certaines archives, Les Ouestriens était désormais le qualificatif couramment utilisé pour parler de ces habitants, comme pour amenuiser leurs existences.
C'était ainsi que même après presque un millénaire, Thum Bator guidait encore son peuple.
Tyrone avait regagné Chamdi, appelée aussi la cité qui ne dort jamais, au cœur du Malaki. Etant l’une des neuf cités miraculeuses de Thum, les champignons originaires de cette partie de la région avaient poussés de manière inhabituelle. Certains du fait de leurs tailles dépassaient certains arbres, alors que les plus petits d'entre eux s'illuminaient la nuit. Certains allant du rose tirant sur le bleu, d'autre étant rouge vif. Le village restait ainsi naturellement éclairé jour et nuit. Comme un rituel de passage, il s'inclina en passant devant la statue faîtes de pierre du grand Thum Bator. Il cherchait par ailleurs dans le regard de cette œuvre une expression, en vain. Il avait toujours été dit que l'ancien roi à force d'user de ses pouvoirs sur la nature aurait lui-même fusionné avec la terre lors de sa mort, et qu'il était devenu l'une de ces statues. Tyrone serait tellement honoré si la statue de son village pouvait être le cercueil naturel éternel de son Dieu.
Marchant à côté des champignons encore phosphorescent il atteignait l'une des maisons situées à côté de celle de Warren, le chef de la cité, et Grand Chef du Malaki. A peine passa-t-il le pallier qu'il se déchaussa, laissa tomber ses sacs dans un coin et se dirigeait vers une femme assise sur un lit dos à lui. Au bruit de ses pas, elle se retournait. Dès le premier regard il recevait un large sourire à qu'il s'empressait de lui rendre.
— Bonjour mon ange, lui disait-il une fois proche.
Elle lui répondit d'un geste de la main, fermé contre son cœur, puis qu'elle ouvrait en le désignant. Kira et Tyrone était ensemble depuis bon nombre d'années désormais, pourtant il n'avait jamais eu l'occasion d'entendre le son de la voix de sa bien-aimée, qui avait perdu l'usage de la parole juste avant leur première rencontre. Pourtant il ne cessait de l'imaginer dans ses rêves, cette voix qui devait certainement être aussi douce que le reste de son corps.
Dans le lit, emmitouflé sous des couvertures, un enfant dormait ; Matar. Agé d'une dizaine d'années, il ressemblait physiquement beaucoup à son père. La même peau caramel, les cheveux noirs légèrement frisés. Il semblait déjà aussi fort qu'il ne l'était au même âge, Même son côté têtu et curieux lui avait été transmis. Sa mère lui avait néanmoins rajouté la douceur qui la caractérisait, d'abord dans le regard, contrairement à lui qui en avait un beaucoup plus dur. Mais surtout dans le comportement, beaucoup plus calme, par rapport à Tyrone encore qui ne savait que trop rarement rester en place où en dehors des conflits. Même s'il était vrai qu'avec le temps, il s'était arrangé de ce côté-là.
— Je t'aime aussi Kira, lui glissait-il au détour d'un baiser.
Il fouillait dans son sac, sortant le bouquet si durement obtenu. Un nouveau sourire enjoliva le visage de sa femme. Elle s'empressa d'attacher les fleurs blanches dans ses cheveux, et déposa la dernière sur le torse de leurs fils, qui dormait toujours profondément. Ce n'était que le bruit d’un poing martelant sur sa porte qui venait briser le silence majestueux qui régnait dans la chambre.
Je n'ai même pas le temps d'arriver et de me reposer que l'on vient déjà me faire chier.
Il se dirigeait vers la porte, agacé du dérangement, puis l'ouvrait rapidement.
— Il y en a un Tyrone, il faut se préparer.
C'était Milos, son meilleur ami et frère d'arme.
Vraiment ? Il y en a vraiment qui vont tenter leur chance après toutes ces années ? Fais chier.
— Quand ?
— Ce soir. On a eu l'annonce il y a quelques jours mais tu étais absent. C'est Naëlon Karagan, il est même déjà là depuis hier. Je pense que tu vois qui c’est ?
— Laisse-moi me préparer, j'arrive, répondait-il aussitôt en acquiesçant.
D'un mouvement de tête Milos s'en alla. A peine eût-il le temps de se retourner qu'il faisait face à Kira. Autant elle avait perdu la capacité de s'exprimer oralement, autant elle entendait encore parfaitement et son regard parlait pour sa langue. A sa tête il comprit qu'elle avait deviné la raison de la visite de Milos. Il n'y avait qu'une seule raison qui lui imposait de se préparer comme cela si rapidement. Avec Milos, ils étaient les deux gardes d'honneurs du Grand chef Malaki. La tradition voulait que pendant une période bien défini dans l'année, un guerrier pouvait revendiquer ce titre. Pour cela il devait combattre à mort en duel singulier les deux gardes d'honneurs un à un, puis, s'il en sortait vainqueur, le chef lui-même. Mais Warren avait toujours vu ses gardes triompher des rares prétendants qui s'avançaient devant eux. Ainsi il n'avait pour le moment jamais eu combattre pour garder sa place depuis plus d'une vingtaine d'années de cela.
— Je sais que tu n'aimes pas, mais je n'ai pas le choix, c'est mon devoir, tentait-il de la rassurer.
De plusieurs gestes, elle lui faisait comprendre qu'elle en avait marre d’avoir peur pour lui, qu'il avait un enfant maintenant, qu'il devait comprendre qu'à l'âge qu'il avait il devait se ranger et laisser la place à de plus jeunes guerriers que lui.
Il était vrai qu'il n'avait plus la vivacité d'antan, ni les réflexes. Il jouait ses combats sur l'expérience. Il avait toujours néanmoins veillé à garder la meilleure condition physique possible. Ses expéditions dans la nature lui étaient ainsi bénéfiques de même que ses nombreux entraînements avec Milos.
La seule chose qui pouvait lui faire défaut était qu'il n'avait pas réellement combattu depuis des années maintenant. Un combat sanglant qui avait failli lui coûter la vie. Son adversaire, équipé d'un marteau avait réussi à trouver une faille dans sa défense pour lui assener un violent coup dans le plastron, lui brisant plusieurs côtes. Dans le même temps Tyrone avait réussi d'une fente horizontale à trancher la gorge de son adversaire. Si bien que son adversaire s'écroulant au sol n’avait pu le finir et s'était vidé de son sang à côté de lui. Le tout sous les yeux horrifiés de Kira. Milos lui avait effectué son dernier combat l'année suivante. Une victoire bien plus nette, sans blessure. Puis personne ne s'était représenté, le risque étant bien trop élevé de combattre coup sur coup plusieurs guerriers accomplis.
Jouant le jeu de l'alternance, c'était ainsi au tour de Tyrone de débuter ce soir. Kira, signant avec ses mains plus rapidement que d’habitude, lui suppliait d'envoyer Milos au combat à sa place.
— Ça ne marche pas comme ça mon ange je suis désolé.
Ses paroles agrémentées d’excuses ne pouvaient empêcher les premières larmes de son épouse de couler, contrainte par la peur de le perdre.
« Je te promets que ce sera le dernier, j'irais parler à Warren afin qu'il me trouve un remplaçant pour les prochaines fois.
Il sentait que ce n'était pas suffisant, pourtant il ne pouvait pas faire de meilleure offre. Il la prenait dans ses bras, la berçant légèrement. Au-dessus de son épaule, Matar avait désormais les yeux ouverts, silencieusement tournées vers lui.
Mon dernier combat remonte à si longtemps. Elle a raison, mes priorités ne sont plus les mêmes désormais.
« Tout ira bien mon ange, tout ira bien.
Une nouvelle promesse, en direction à la fois de sa femme et de son fils. Mais également à lui-même.
La dernière fois, et la seule, qu'il avait vu Naëlon, son futur adversaire, ce dernier ne devait pas avoir plus de six ou sept ans. Un petit garçon remplit de tristesse et de colère, simple victime collatérale d'une autre histoire célèbre du Malaki, qui elle était bien plus sombre.
L'ancien Grand Chef du Malaki, Djaro, aimait les conquêtes, les pillages, et les trésors que cela lui rapportait. Ne pouvant s'attaquer à son propre peuple, globalement unis depuis le règne de Thum, sa cible de prédilection était l'autre continent, l'Artome. Plus précisément la partie du Nord dumienne, qui s'était révélé au fil des années le plus rentable. Le Sud étant difficile à surprendre et le centre trop pauvre en ressources. De prime abord, cette partie semblait bien trop compliquée à attaquer avec ces grandes falaises, ses eaux changeantes et ses tempêtes incessantes, mais rapidement ils transformèrent ces contraintes en atouts. Ils devenaient ainsi très difficilement repérables, leurs permettant de s'avancer de très près avant que l'alerte ne soit donnée. Les renforts mettaient beaucoup de temps à arriver des autres cités voisines en raison des montagnes qui parsemaient leurs territoires. De faîtes en changeant simplement l'endroit de leurs attaques à chaque fois, ils leurs étaient impossible de deviner à l'avance où concentrer leurs défenses, tout comme ils leurs étaient impossible de protéger toutes les cités près des côtes à la fois. Seuls quelques nouveaux outils ont dû être inventés, comme des piolets spécifiques, et des bottes à pointes, idéals pour gravir les falaises rapidement. De puissantes arbalètes géantes furent remodelées pour permettre à des harpons de pouvoir briser la roche afin de s’y accrocher. Cette manœuvre permettant ainsi aux bateaux de pouvoir s’amarrer en l’absence de plage, et de ne pas risquer de dériver. Un système de poulies avait également été mis au point pour faire descendre plus rapidement leurs trésors dans leurs flottes.
Djaro, avide de combat avait même participé certains de ces raids. Revenant les sacs toujours pleins, et toujours plus puissant et admiré de son peuple. Seul une minorité s'opposait à ces attaques à répétition contre l'Artome, craignant qu'une fois qu'il comblerait leur déficit militaire et tactique, les dumiens ne viennent se venger et détruire la paix qui durait sur leur continent. Tyrone en faisait partie, comme ses amis. Pourtant, beaucoup trop minoritaire, ils ne pouvaient pas agir tant que le Grand Chef ne faisait pas d'erreur. Ils attendirent donc silencieusement leur moment pour intervenir.
Un jour Djaro en voulait, comme à son habitude, toujours plus. En organisant leur prochain raid, il demanda à ses guerriers de ramener des otages, choses qui n'avaient jamais étaient faîtes auparavant, pour obtenir des informations supplémentaires sur leurs royaumes et ce qu'ils pourraient cacher. Pour une fois, son idée bien que respectée en tant que Grand Chef, faisait moins l'unanimité auprès de ses partisans. La peur d'une riposte de leur part pour récupérer les leurs étaient grandissantes, pas seulement dans le village de Tyrone. C'était alors le moment de pouvoir enfin faire entendre sa voix.
Néanmoins le raid était lancé, laissant Tyrone, Djaro et les autres habitants n'ayant pas pris part au raid dans l'attente. Le plus inquiétant n'était pourtant pas de ce qui pouvait arriver depuis l'autre rive. Mais de ce qui n'arrivait pas. Les dizaines de bateaux envoyés avaient beaucoup de retard. Même avec un vent et des eaux mauvaises, ils auraient dû déjà avoir rejoint le Malaki. Les jours passèrent pourtant aucune trace d'une voile à l'horizon. Les familles des guerriers naviguaient entre peur croissante pour leurs pères et maris, et colère envers Djaro. Ce n'était qu'encore une semaine plus tard que des débris de bois commençaient à s'échouer sur les plages du Nord-Est malakite, laissant craindre le pire. Le lendemain, une plus grande quantité du bois étaient poussées par les vagues aux mêmes endroits. Ces bouts de planche et mât avaient noircis comme si elles avaient été prises dans une fournaise. Plus au Sud, c'était un corps calciné qui était repéché dans la mer. Auquel il aura fallu beaucoup de temps pour lui redonner son identité. Un certain Amaraë Karagan, reconnu par son jeune fils d'une cité voisine, Naëlon Karagan.
Il n'y avait plus de doute possible. Tous les membres du raid étaient morts. L'Artome ne s'étaient pas laisser faire et avait certainement développé de nouvelles armes et défenses. Ils étaient désormais devenus un danger. C'était inévitable qu'un jour, ils viendraient pour récupérer ce qu'ils ont perdus tout au long de ces années. Tout cela pour simplement récolter un peu d'alcool quand il y en avait, des armes, de l'acier, de la nourriture. Tout ce que le Malaki possédaient pourtant déjà, et en nombres suffisant. La véritable raison de ces attaques perpétuelles ne pouvait pas être le butin en lui-même. C'était bien la soif de violence et de combat qui les animaient.
Comme Djaro avait décidé de changer les règles lors de cette attaque, c'était ses meilleurs et plus fidèles hommes qu'ils avait choisis pour mener la flotte. Une aubaine pour Tyrone qui, accompagné de Milos et Warren, avançaient jusqu'au fief de ce Grand Chef qui n’en avait plus que le nom, pour y demander audience afin d'avoir des explications et une espérée reddition. Aucune armée ne les accompagnait, puisque la paix régnait à l'intérieur du continent, et que la guerre n'était aucunement ce qu'ils souhaitaient. Dans une guerre beaucoup de personnes étaient tués, alors que Tyrone n’avait besoin de n’avoir qu’un seul décès sur la conscience. Dans le pire des cas.
Devant de tels erreurs, il n'aura pas d'autre choix que se soumettre et rendre ses pouvoirs. Cela fait déjà trop longtemps que cela dure. Sinon...
Tyrone n'avait pas vu Djaro en personne depuis des années, pourtant il ne lui était pas difficile de se souvenir de lui. C'était un homme très grand et sec. Très fort également, sa réputation effrayait également n’importe quel guerrier disposé d’un tant soit peu de bon sens. Il avait la peau bien plus foncée que lui, suggérant une origine des régions situés plus au sud du continent, là où le soleil semblait vous brûler la peau. Il aimait laisser apparaître sa forte musculature, déambulant le plus souvent torse nu. Les derniers échos qu'il avait entendus de lui rapportaient qu'il était devenu légèrement fou, qu'il se faisait appeler le Grand Djaro, descendant de Thum Bator. Pourtant rien ne laissait suggérer un tel lien de parenté entre l’homme et le Dieu de tous. Ceux ayant combattus avec lui dans l'Artome racontaient qu'il achevait ses ennemis à mains nues. C'était une véritable force de la nature.
A trois, ils l'avaient confronté, chez lui. L'histoire était connue de tous désormais. Milos et Tyrone vaincu, Warren avait réussi l'exploit de tuer les deux gardes un à un aux côtés du colosse avant de le terrasser à son tour. Tout cela sous l'œil de l'Ancien, un sage sans nom, consacrant sa vie à prier Thum Bator, et la Sainte Nature. Etant la personne la plus respecté du Malaki, bien plus que le Grand Chef lui-même, il propagea la nouvelle de la mort de Djaro et l'intronisation de Warren le Courageux. Pour le détrôner, il faudrait alors vaincre ses deux meilleurs gardes puis Warren lui-même en duel, comme il l'avait fait ce jour-là.
La véritable histoire cependant de la mort de Djaro, celle qui ne méritait pas d'être remémorée, laissait un goût amer dans la bouche de Tyrone à chaque fois qu'il y repensait. Pourtant impossible pour son esprit d'oublier cette journée. Celle qui avait changé l'histoire du Malaki. Il avait commis un acte honteux et impardonnable, pourtant dans l'unique but de faire ce qu'il pensait être juste. Encore aujourd'hui, il en payait le prix, celui de combattre pour maintenir l'ordre illégitime qu'il avait réussi à mettre en place. A chaque fois qu'il pensait enfin être passé à autre chose, une nouvelle provocation en duel venait pourtant lui rappeler ses actes passés.
Son honneur était également en jeu. Si Warren venait à devoir combattre, tout le monde se rendrait rapidement compte de la supercherie, car il ne tiendrait pas très longtemps face à un vrai combattant, et la paix s'envolerait en éclats. Il avait même une pensée pour sa femme et son enfant, qui le voient toujours comme le héros que les chansons racontaient. Ce n'était pas un héros pourtant, pour lui les héros sont des hommes bons, comme Thum dans le passé, alors qu’il était très loin d’en être un.
Ses armes étaient affûtées, son bouclier au besoin était poli, il avait enfilé son armure légère et ses gants. Son équipement était entièrement prêt. Une majeure partie de l'après-midi avait été nécessaire mais rien ne devait être laissé au hasard, un combat se gagne autant lors du duel que lors de sa préparation. Il choisirait quelle arme il prendrait suivant celle de son adversaire. Contre une lance il sortirait son bouclier ainsi qu'une épée longue. Si l'adversaire préférait deux épées, il prendrait alors son bouclier et sa plus large lame afin de pouvoir parer et contre-attaquer plus facilement, avec une dague plus petite à portée pour le coup fatal. Il savait tout manier, c'était important pour lui de connaître les forces et les faiblesses de chaque arme.
Naëlon...tu n'aurais jamais dû revenir. Je n'ai pas envie de tuer un enfant.
Evidemment il savait pourtant que ce n'était plus le petit garçon qui lui avait tiré une flèche dans l'épaule autrefois. Impossible néanmoins de se l'imaginer autrement.
Tyrone arrivait enfin à la Source, là où se situerait le combat. Au milieu de la forêt, l'Anaja, principal fleuve traversant le continent, se jetait du haut d'une haute falaise en une cascade gigantesque. Au pied s'y était formé un lac impressionnant. Depuis le sommet de la cascade, il ne pouvait y apercevoir qu’une sorte de fumée grise et épaisse que provoquait l'eau s'éclatant en contrebas. Une nouvelle statue de Thum Bator trônait sur un rocher au milieu de la cascade juste avant la chute, appréciant l’horizon. Ce lac, la Source, serait une référence à une île secrète et mystérieuse du même nom. L’endroit même où Thum Bator aurait reçu des mains de la Sainte Nature ses pouvoirs.
Tyrone regardait le visage de la statue. Peut-être était-ce enfin le jour où il y verrait une expression. Il s'y arrêtait quelques minutes pour la contempler comme une prière. La statue de pierre n’avait pas bougé, aucune lueur n'apparaissait dans ses yeux. Pourtant il se sentait mieux d'avoir communié avec.
Son esprit entoure ce lieu, je le sens. Je dois faire honneur à Thum et à la Sainte Nature.
Une fois prêt il rejoignait la foule déjà présente en nombre. Rapidement il remarquait Kira et Matar qui le scrutait du regard. De plusieurs signes rapides de la main, il lui disait qu'il les aimait, que tout irait bien pour lui. Après lui avoir signée en retour son amour, elle lui montrait Warren, que c'était le moment de lui parler, avant que le combat ne commence.
Très bien je vais lui parler.
— Warren ! l'appela-t-il en allant vers lui.
Peu de personnes avaient la possibilité de lui parler aussi familièrement, évidemment Tyrone et Milos en faisait partis. Il était assis sur un siège apporté pour l'occasion, surplombant le reste des convives. Son regard fixant au loin, vers son nouvel ennemi. D'un rapide coup d'œil Tyrone apercevait un groupe d'homme en train de préparer un guerrier. Il devait s'agir de Naëlon, pourtant vu d'ici il lui était impossible de le reconnaître après toutes ces années.
— Il est devenu grand et fort Ty, je n'aime pas ça.
Warren l'avait toujours appelé par ce surnom, c'était d'ailleurs le seul à le faire.
— Même si c'était un estropié tu n'aimerais pas, tu as toujours été stressé par ces combats je te rappelle.
— Parce que nous n'avons pas le droit à l'erreur, enfin vous n'avez pas le droit. Je pensais que plus personne ne tenterait de nous défier, qu'ils avaient compris. Le monde vit bien, nous faisons ce qui est juste. Pourquoi tenter de briser tout cela ?
— Je pense que c'est une affaire personnelle. Il ne veut pas vraiment prendre ta place, simplement avoir une excuse pour m’affronter. D'ailleurs je voulais te prévenir que ce serait mon dernier combat, même si je gagne. Je me retire Warren.
— Quoi, tu n'es pas sérieux ? Je te l’interdis !
Il semblait hors de lui. Les deux hommes savaient très bien qu’aucun ne pouvait interdire quelque chose à l’autre, quand bien même leur différence de grade. Les liens qu’ils avaient acquis durant leurs vies dépassaient bien ces rangs.
— J'ai une famille maintenant je ne peux pas leur faire endurer ces putains de combats avec le risque qui va avec, et mon corps vieillit. Et il te restera encore Milos, il est plus jeune et robuste. Mais attends-toi à ce qu’un jour lui aussi ait besoin d’être remplacé. Accorde-moi ça, après ce qu'on a vécu ensemble.
La bouche du grand Chef se tordait dans tous les sens. Cette question n’avait jamais encore été abordée.
— D'accord, tu me gagnes celui-là. Ensuite je me mettrais à la recherche d'un remplaçant digne de toi. Mais tu restes disponible jusqu'à la fin de l’année, au cas où d'autres audacieux voudrait tenter leurs chances après lui, disait-il à contre-cœur.
Ce n'est pas une retraite immédiate mais c'est un début. J'espère que ça contentera Kira. Quelques mois et j'en aurais finis avec ça.
Avec un seul duel en plus de dix ans, celui qu'il s'apprêtait à effectuer, il y avait peu de chance qu'il ait besoin de réaffûter ses lames avant la fin de l'année. D'autant que ce serait au tour de Milos dans le pire des cas.
Il se retournait vers sa femme, inclinait sa tête pour lui signifiait la bonne nouvelle qui lui retournait son approbation d'un nouveau sourire. Puis son regard se dirigeait vers Naëlon. Finalement sa venue pouvait lui être bénéfique, en cas de victoire il lui enlèverait l'épée de damoclès qui pesait sur sa tête depuis tant d'années. Ce ne fût que le bruit sourd d'un grand tambour qui venait perturber ses pensées. L'Ancien était arrivé à son tour. Le fameux grand sage qu'il n'avait pas revu depuis le dernier duel. Personne ne connaissait son nom ou son âge, il se déplaçait toujours avec sa longue cape de laine grise, une capuche lui couvrant la majorité de son visage. Il s'aidait d'un long bâton pour se déplacer. Autant sous le règne de Djaro, c'était une personne sédentarisée comme la majorité de la population, autant depuis l'avènement de Warren le Courageux, le vieil homme se plaisait à une vie de nomade, marchant de cité en cité pour rependre la foi envers ceux qui ont créé leur monde : la Sainte Nature et son élu Thum Bator.
Tyrone respectait énormément cet homme, comme tout un chacun, mais le fait de ne jamais le voir était une bénédiction, eux qui ne se sont jamais reparlés depuis ce qu'il s'était passé réellement dans la tente de Djaro. Partager un secret si lourd avec une personne intouchable et étrangère lui rongeait l‘esprit à sa vue.
Ce dernier parlait d'une voix très lente et monotone, en raison de son âge avancé.
— Nous sommes réunis ici, à la demande du guerrier Naëlon Karagan, qui viens tenter l'épreuve des trois. S’il se montre aussi courageux, brave et droit que Warren l’a fait jadis, et que l’esprit de Thum Bator l’accompagne alors il deviendra le nouveau Grand Chef de Malaki.
C’était exactement ce genre de pics et d’ironie qui agaçait Tyrone. Non perceptible évidemment par le peuple où les autres gardes du village, mais prouvant qu’aucune confiance ne pourrait réellement lui être accordé.
Son adversaire s'avançait assez près pour qu'il puisse le voir distinctement. Le constat ne changeait néanmoins pas, il n'arrivait pas à le reconnaître. Certes il avait la même couleur de peau et de cheveux, mais c'était bel et bien un adulte maintenant qui remplaçait l’enfant qu’il avait connu.
« En face de lui, en tant que premier représentant du Grand Chef Warren, ce sera Tyrone Kaz.
A son nom il s'avançait pour arriver à peine à quelques mètres de Naëlon. Un dernier regard vers sa femme qui avait toujours du mal à masquer son inquiétude. Puis un autre à Warren, toujours très attentif.
— Je te l'avais promis Tyrone. Je t'avais promis que j'aurais ma vengeance un jour, lui assénait-il dès que leur regard se croisait enfin. Ce jour est enfin arrivé.
— Ce n'est pas moi qui aie tué ton père, et tu le sais.
— C'est vrai, mais c’est vous qui m’aviez volé ma vengeance, mon deuil. Ne pas vouloir contre-attaquer l'Artome après ce qu'ils nous ont fait, c'est comme s'il était mort pour rien, qu'il ne comptait pas pour vous. Je me suis entraîné tous les jours depuis notre dernière rencontre, j'ai attendu patiemment d'être prêt. Quand je prendrais la place de Warren, je monterais la plus grande armée du Malaki, et je ne ferais pas que contre-attaquer l'Artome, je le réduirais en cendre, comme ils l'ont fait avec mon père. Et enfin justice sera rendu. Seulement à ce moment-là, nous pourront dire que nous sommes en paix.
La colère qui s'exprimait à travers ses paroles lui rappelait effectivement le jeune garçon qu'il n'avait apparemment pas prit assez au sérieux autrefois. C'était bien lui, plus aucun doute.
Fais chier. Il est devenu complétement fou. Malheureusement ce n’est pas totalement personnel comme je le pensais. Son idée est une catastrophe. S'il gagne il ne va réussir qu'à détruire tout ce que l'on possède, tout ce que j'ai sacrifié. En fin de compte je n'aurais aucun regret à le tuer, c'est la bonne chose à faire.
— Choisis ton arme Naëlon, il est temps d'en finir.
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