Chapitre 12, Arrel III

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Arrel s'asseyait sur la première chaise qu'il pouvait, lançant sur la grande table devant lui les messages qu'il venait de recevoir. Lui et son armée venait d'arriver à Maltan, la ville portuaire donnant le seul accès officiellement autorisé pour naviguer vers l'île Hangar. Grâce au traité de Joguja, signé depuis près de trente ans maintenant par le conseil des sept, Ewan Matalo et Jadus Sinitar, la ville de Maltan, autrefois entièrement intégré au royaume du Yama, était devenue indépendante, sous la supervision du directeur Jorel. Officieusement, elle était passé sous le joug dumien, en échange que ces derniers prennent à leur uniques charges l’entretien de cette île ainsi que celle d’Esp, comprenant les archives. Le seul droit dont pouvait encore jouir les princes Sinitar en ce lieu relevait d’un libre accès continue à la cité. Notamment pour l’acheminement de prisonniers. Il n’y avait en revanche absolument aucun pouvoir.

Zoran arrivait à son tour dans la tente. Il apercevait les lettres enroulées sur la table, descellées.

— Alors, quelles sont les nouvelles ?

— Mauvaises.

— Comme d'habitude, mais dis-en moi plus.

— Très mauvaises…Une émeute aurait éclatée à la prison. Elle est désormais en état d'alerte, aucune arrivée ou sortie de l'île n'est prévu avant au moins plusieurs mois. Et moi j'ai des centaines de personnes sur les bras et je ne sais pas quoi en faire.

Les libérer pour qu'ils rejoignent leurs familles à Karakol et aux alentours était un trop grand risque qu'il ne pouvait pas se permettre. Il venait de brûler sous leurs yeux leur seigneur, la possibilité qu’il se trouve un nouveau leader pour l'affronter à nouveau était réel. Ils pourraient même choisir de rejoindre les rangs de Paxtin ou Xander en guise de revanche. Une autre solution serait de retourner à Ynox, malheureusement il n'avait pas les ressources pour nourrir tout le monde sur le chemin du retour, ni pour les garder dans ses propres geôles pendant il ne savait encore combien d'années.

— Il faut contacter Jorel à la prison et espérer une exception, proposa son frère.

— J'y avais pensé aussi, mais je connais sa réputation. Il est assez inflexible et borné.

Arrel attrapait tout de même une plume et une feuille.

« Après tu as raison, au point où on l'en est, il faut essayer, nous n'avons pas le choix. Nous pouvons rester au moins deux jours en attendant la réponse. Après quoi j'ai peur de ce que nous allons être obligé de faire.

— Et l'autre lettre ?

— Les premières conséquences de l‘arrêt de l’approvisionnement du Todaï. Dans une lettre commune, plusieurs de nos bannerets nous demande de quelle manière nous allons bien pouvoir compenser ce nouveau manque. D’autres, ont peur de voir la guerre s’intensifiés encore plus désormais, craignant l’apparition de plus en plus de pillages. Je ne peux pas leur donner tort, à leur place je serais inquiet aussi.

— Les terres de Paxtin et Xander s’affameront bien avant les nôtres, c’est peut-être là, la clef de la victoire ! ricanait Zoran.

— Tu ne comprends rien ! s'énervait Arrel en tapant du poing sur la table. Ces villageois ce sont une partie de notre peuple aussi ! Quand ces deux-là auront perdu, si un jour cela arrive, il faudra que tout le monde nous soutienne sinon d'autres prendront la relève derrière eux encore et encore. Avant leurs assiettes pouvaient encore être remplis normalement, leurs blessés soignés, maintenant tout le monde sait que c’est le roi Arrel qui leur prive de tout ça. Ce morceau de papier montre que nous sommes en train de perdre la guerre là !

Son frère restait muet, conscient que sa plaisanterie n'arrivait peut-être pas au bon moment.

« C'est ta faute Zo en plus je te signale !

— Comment ça ma faute ?

— C'est toi qui es venu me voir pour me dire que Terrence et son armée approchait, que ce n'était pas pour récupérer les vivres puisqu'ils étaient censés l'avoir fait le mois précédent.

— Hé moi je n'ai fait que te transmettre le message des éclaireurs, ce n’est pas ma faute s'ils font n'importe quoi, va les voir au lieu de me faire chier. Je n’ai rien à voir dans tout ça.

Zoran, à son tour très énervé, sortit de la tente sur cette dernière phrase.

Il n'y a tout de même aucun doute, quelqu'un a fait en sorte que cette bataille ait bien eu lieu, en toute connaissance de cause. Mais pourquoi ? Et qui ? Serait-ce possible que ce soit encore un coup de celui qui a tué mon père ? Si c’est le cas, c’est une personne qui déteste vraiment notre famille.

Arrel avait besoin de s'aérer la tête aussi. Il n'aimait pas se disputait avec son frère de la sorte. C'était surtout toute la frustration et la colère qu'il engrangeait qui ressortait. Comme il était là, c'était retombé sur lui.

Il marchait à travers le camp sans but précis, réfléchissant à la fois à des solutions à ses divers problèmes, ainsi qu'à ce qu'il pouvait dire à Zoran pour calmer la situation. Ses pas l’amenèrent jusqu’à la tente médicale, où il s‘arrêta, repensant à la personne qui y séjournait désormais.

Cette femme, cette Sikari. Il y a quelque chose qui cloche avec elle aussi, je le sens.

En entrant, il faisait sortir le soldat qui y était posté. Elle dormait toujours. Soignée et lavée, il pouvait désormais la voir plus clairement. Ses cheveux possédaient pratiquement la même couleur que la sienne, tirant simplement un peu plus sur le rouge. Des tâches de rousseurs parsemaient subtilement son visage. Sa première impression quand il l’avait sorti des décombres, recouverte de poussière était la bonne, c’était une femme très attirante. Physiquement du moins, car une présence obscure semblait l’entourait. Il se forçait, pourtant il n'arrivait pas à savoir d'où il pouvait bien la connaître.

N’étant ni pressé ni spécialement occupé, puisque toutes ses prochaines actions dépendaient de la réponse de Jorel, il se laissait aller à attendre que cette inconnue se réveille, assis en face d’elle. Le prince n’avait aucune intention de s’adonner à une sieste, mais il repensait tout de même à ses rêves. A force il les connaissait par cœur, notamment du fait qu’ils ne changeaient jamais. Ce qui était logique puisque la plupart reflétaient ses propres souvenirs. Pourtant ces derniers temps il avait remarqué des modifications, comme si quelque chose avait réveillé en lui de nouveaux indices qu’il aurait oublié.

— Celui qui me hante c’est le gamin Arry. Il n’a pas vu le vagabond, il n’a pas vu son père être cruel, seulement ma main tuant son père. Aucune explication ne l’aurait convaincu, je l'avais rendu orphelin et c'était la seule chose qui comptait. J'étais celui qui venait de détruire sa vie, celle qu'il allait haïr jusqu'à la fin de sa vie. Le pire était qu’à ce même moment, j'étais l’unique personne qui pouvait lui venir en aide. Il était seul, perdu au milieu de nulle part. Alors je l'ai pris avec moi et je l'ai ramené au village le plus proche.

Discrètement, Zoran sécha une larme qui avait fait son apparition. Un geste qu’Arrel avait remarqué, sans le notifier.

Je ne l’ai jamais vu dans cet état, je ne savais même pas qu’il pouvait se laisser submerger de cette manière. Qu’est-ce qui t’arrives Zo, quelque chose a comme changé.

« J'ai peur Arry. Peur de recroiser le regard du garçon, rempli de tristesse et de colère, je l'ai blessé mais je n'avais pas le choix. J'espère que d'une certaine manière, il comprendra un jour.

— Ne t'en fais pas, il y a de toute façon peu de chance que tu recroises ce regard.

— Il reviendra malheureusement, disait son frère en se levait de son siège, cessant enfin de fixer les flammes pour le regarder dans les yeux. Il reviendra, je le sais, parce que c’est moi qui l’ai fait, c’est moi qui l'ai tué, et jamais cela ne changera dans son cœur. Bonne nuit Arry.

Sur cette dernière phrase il regagna ses quartiers. Arrel, légèrement décontenancé non pas par l'acte en lui-même, qui était de la légitime défense, mais bien par l'état dans lequel cela l'avait mis, se disait qu'il était temps d'aller se coucher aussi.

Il traversait à faible allure les longs corridors du château d’Ynox, ne croisant qu'une autre personne, habillée d’une longue tunique noire à capuche qui la dissimulée, certainement prise aussi d'insomnie. D'un geste de la tête il le saluait. L'inconnu lui rendu le geste rapidement d'une main gantée, continuant son chemin à grande enjambées. C'était comme si une ombre était passée rapidement à côté de lui, suffisamment pour qu’il n'eut pas le temps de voir de qui il s'agissait, seul quelques reflets rouges au niveau d'un visage, venait taquiner sa curiosité. Sans ses pensées monopolisées par son frère et la fatigue qui le gagnait, il l'aurait arrêté immédiatement pour vérifier son identité, mais cette nuit-là Arrel avait eu besoin de plusieurs secondes supplémentaires pour s’exécuter. Et quand il s’était enfin retourné pour l’appeler, la personne était déjà à l'autre bout du corridor, bifurquant sur la droite pour y disparaître.

Courant pour le rattraper, le prince retrouva sa trace quelques virages plus loin.

— Hé ! Qui êtes-vous ? Que faîtes-vous là ?

L’ombre stoppa net sa course, avant de se retourner. Il pouvait deviner que cette personne le fixait, mais la pénombre et sa capuche l’empêchait de distinguer clairement son visage. Alors il s’approchait de plus en plus. Immobile jusque-là, l’ombre bascula d’un seul coup sur la droite, l’obligeant à accélérer à nouveau le pas. L’inconnu se trouvait à nouveau au fond du couloir, l’attendant en le fixant. A chaque fois qu’il s’approchait d’un peu trop près, la personne disparaissait. Arrel continuait sans relâche sa traque.

« Arrêtez-vous !

Cette-fois-ci l’ombre le laissa s’approchait de plus près. De ses yeux fatigués qu’il plissait au maximum pour essayer de découvrir l’identité de son tourmenteur, il n’y découvrit qu’un visage féminin. Pas assez près toutefois pour y déterminer plus de détails.

« Je veux juste savoir qui vous êtes.

A sa grande surprise, elle ne fuyait plus, toujours silencieuse. Alors qu’il pouvait enfin s’approchait sans crainte, il remarquait de petites taches rouges sur le sol. Sa tunique était elle-aussi maculée de sang.

« Si vous êtes blessée je peux vous aider.

Elle ne répondait pas. Tout en avançant lentement, il cherchait d’où pouvait venir la blessure qu’elle traînait derrière elle, il découvrit au niveau de sa ceinture un étui à poignard. D’un style très particulier, en forme de serpent.

Je reconnais cette forme, c’est un poignard sikari !

« Vous n’êtes pas blessé ! Vous avez tué quelqu’un ! Qui ? Répondez !

Il était assez près désormais pour distinguer clairement son visage. Au milieu de ses cheveux rouge, deux yeux verts le fixaient. Ses lèvres, tremblants légèrement semblaient vouloir répondre, même si toujours aucun son ne réussissait à en sortir. Subitement tout prenait sens dans son esprit.

« C’est pour le roi que vous êtes venue, pour mon père. Sinon pourquoi prendre le risque de venir ici ? Dîtes-moi que j’ai tort, suppliait-il alors que sa voix gagnait de plus en plus en intensité. Répondez !

Devant l’impassibilité de l’assassin qui lui faisait face, Arrel se ruait dessus, avant d’être sèchement mis à terre par la femme, ce qui l’assomma quelques temps. Une fois sa tête relevée, elle n’était plus là, comme disparue dans l’obscurité du château.

« A l’aide ! Gardes ! Aidez-moi je vous en supplie ! hurlait-il toujours plus fort.

Au fond de lui, le jeune prince était conscient qu’il était trop tard désormais pour sauver son père, et qu’aucuns gardes ne pouvaient certainement l’entendre. Mais il était perdu, et aucune autre idée ne lui venait en tête. Alors il hurla, dans le vide, une bonne partie de la nuit.

Je le savais. Mes cauchemars avaient bien une raison d’être. J'avais la réponse depuis tout ce temps mais je refusais de le voir. Ce soir-là c'était elle, je me souviens maintenant.

De la haine emplissait son visage. Beaucoup d'idées lui traversèrent l'esprit. Il avait même le pouvoir d'en finir maintenant, elle était totalement à sa merci. Mais il avait des questions, trop peut-être. Pourtant attendre des réponses qui pourraient ne jamais arrivées signifierait lui donner du temps et une chance d'en réchapper. Chose qu’il ne voulait en aucun cas voir arriver.

Alors qu'il regardait une nouvelle fois son visage, qu'il ne trouvait désormais plus spécialement attirant, il y voyait deux yeux en amandes vert qui le regardaient. Elle n'avait pas l'air d'oser parler, et il ne s'était pas rendu compte de son réveil. Elle essayait de bouger, de vouloir se redresser un peu, mais elle semblait encore très faible et groggy de son accident.

— Qui êtes-vous ? finit-il par demander, sans vouloir la brusquer trop vite.

— Anya. Où suis-je ?

Il sentait déjà les mensonges provenant de sa bouche.

— Je répète ma question, insistait Arrel avant de lui montrer la pièce sikari qu’il avait trouvé près de son corps. Je sais ce que vous êtes, je voudrais votre vrai nom.

Elle jeta un œil discret vers la pièce avant de baisser légèrement les yeux en tordant sa mâchoire.

— Je m'appelle Izzi Sikari, je n'ai pas de deuxième nom, nous n'en avons pas chez nous. Nous nous appelons tous Sikari. Moi aussi je vous répète ma question, où suis-je ?

— Vous êtes à Maltan, dans le camp du Roi Arrel Sinitar. Mon camp. Nous y faisons une halte afin d'y déposer des prisonniers, du moins je l'espère, pour l'île Hangar.

— Alors je suis votre prisonnière ?

— Vous êtes une personne blessée que nous avons récupéré dans les décombres d'un moulin, sur notre chemin.

Les portes en toiles de la tente s’ouvraient laissant Zoran apparaître.

— J'ai entendu quelqu’un parler, tu aurais pu me prévenir qu'elle était réveillée, lançait-il à son frère tout en dévisageant la mercenaire.

— Elle vient juste d'ouvrir les yeux, tu n'as rien raté.

— Et je viens juste d'avoir la confirmation que je n'étais pas une prisonnière, n'est-ce pas Roi Arrel ?

Elle a du cran, elle est maligne. Mais je trouverais comment te faire avouer ce que je sais déjà, la vérité.

Etant une sikari, elle ne pouvait être arrêtée en tant que telle. Il n'avait aucune raison de la retenir prisonnière, à part sa conviction qu'elle était impliquée dans le meurtre de son père, ce qui n'était pas suffisant. D'autant que normalement, il était impossible qu’un contrat visant à tuer un Roi ait été accepté, cela étant contraire aux règles en vigueur de son clan. Il était pour le moment coincé.

— Nous voulons savoir si vous savez quelque chose au sujet des incendies qui se déclarent dans la région, étant donné que le moulin où l'on vous a retrouvée était encore fumant à notre arrivé, demandait alors Zoran après s'être assis sur un des lits vacants à proximité. Rien de plus.

Après avoir tenu le regard de son frère pendant qu’il avait posé sa question c’était à Arrel qu’elle répondait.

— Je suppose que c'est votre frère n'est-ce pas ? Vu qu'apparemment vous êtes avare en présentation.

Je n’aime pas sa façon de faire ou de parler. Elle va essayait de se jouer de nous.

Il inclinait la tête en guise de réponse, l’incitant tout de même à répondre à Zoran.

« J'ai une cible, enfin j'avais je suppose maintenant, son nom c'est Kavanagh. Mon client était un fermier du coin dont ses terres ont entièrement brûlé. D’après ses dires il se serait fait également voler, frapper et laisser pour mort par un groupe de brigands dont il en serait le leader. Je les ais pistés jusqu’à une auberge non loin de là où vous m’avez trouvé. Au total ils sont quatre, enfin deux maintenant. Malheureusement j'ai dû prendre la fuite, n’ayant pu me refugier que dans ce moulin. L'endroit était parfait pour que je puisse reprendre l’avantage sur eux. D'une faille dans la pierre je pouvais les apercevoir, lui et sa cinglée de femme. Ils se rapprochaient du moulin, alors je me positionnais à les accueillir. Je voyais l'ombre de leurs pas sur le sol derrière la porte mais bizarrement ils n'entraient pas. J'entendais la femme lui ordonner de me brûler, de me montrer à quel point ils étaient devenus si puissant. Ne comprenant pas comment il pouvait entreprendre une telle chose je suis remontée là où je pouvais les observer. Kavanagh à sortit son épée, dont la lame était entièrement enflammée.

Je m’en doutais qu’elle finirait par mentir, mais pas que ce serait si grossier.

Devant la mine qu’avaient pris les deux frères elle augmenta le débit de sa voix.

« Je sais que cela semble dingue mais c'est vraiment ce que j'ai vue. Après ça il l'avait planté dans le sol. Je ne comprenais pas ce qu'il faisait. Puis tout à coup le moulin a commencé à trembler. Je me suis retenue contre les mûrs mais je n’ai pas pu garder mon équilibre. Je sentais de la fumée qui semblait provenir de l'endroit même où je me trouvais. C'était insensé. Après ça la partie supérieur s'est effondrée et j'ai perdu connaissance. Vous avez vu l’état du moulin. De toute manière, je n’ai aucune raison de vous convaincre ou pas, je dois retourner à Sikari pour faire mon rapport.

Son récit avait l'air complétement impossible, pourtant pendant qu'elle le racontait elle n'avait plus la même assurance qu'elle disposait juste avant, laissant supposer, pas forcément que soit la vérité, mais du moins qu'elle croyait en ses mots. Néanmoins son récit ne l'intéressait pas, ce qui comptait c'était si elle avait tué son père.

— Comment un fermier, dépouillé, laissé pour mort et dont ses biens avait été brûlés, a-t-il bien pu se payer une sikari ? commença-t-il doucement pour trouver une faille.

— Il avait enterré ses économies plus loin, au cas où ce genre de mésaventure arriverait. C'était peu en effet, mais je me disais que je compléterais ce manque par les richesses dont lui avez soutiré Kavanagh une fois que je l'aurais attrapé.

Il laissa quelques secondes de silence.

Est-ce que je demande ? C'est maintenant ou jamais.

— Vous avez déjà eu d'autres contrats par le passé, ici dans le Yama ?

— Je viens de vous parler d'un gars qui peut réduire en cendre tout ce qui se trouve sur son chemin avec son épée, dans vos terres et vous me demandez ça ? Qu'est ce ne pas chez vous ?

Elle revient sur la défensive. Sur une simple question dont elle ne veut pas donner la réponse.

— Et moi ce qui m'intéresse c'est de savoir si vous avez déjà tué quelqu'un, il y a quelques années dans le Yama, ce n'est pas compliqué.

Il ne la lâchait pas des yeux, de son côté elle tenait également très bien le regard, pourtant il sentait qu'elle était de plus en plus mal à l'aise.

Elle va avouer, c'est bien elle.

— Elle a raison Arry, elle n'a rien à nous apprendre de plus, c'est une tueuse, évidemment qu'elle a déjà probablement eue quelques contrats dans le Yama.

Putain Zo qu'est-ce que tu fous là ? Je la tenais !

Il le foudroyait du regard. Son frère venait de la sauver en lui montrant que les deux frères n'étaient pas sur la même longueur d'onde. Une ouverture qu’elle s’empressait d’emprunter.

— J'ai échoué dans ma mission, Kavanagh va probablement se faire discret maintenant. Je dois retourner à Sikari. Comme je ne suis pas votre prisonnière, je vais vous laisser.

Arrel serrait les dents si fort qu'il en avait mal à la mâchoire. Désormais il ne pouvait que seulement gagner du temps.

— Il se fait tard, vous pourrez partir demain, je veux être sûr que vous soyez bien reposée.

— Merci mais je vais bien je vais plutôt...

Il la coupa en frappant du poing contre le lit où il était assis

— Vous pourrez partir demain j'ai dit, c'est un ordre, personne ne quitte mon camp une fois la nuit tombée ! Je ne voudrais pas avoir à répondre au Premier Sika s’il venait à apprendre que je ne vous ais pas offert l’hospitalité alors que vous êtes blessée, n’est-ce pas ?

Pour éviter de trop en dire, il quitta immédiatement la tente, tout en incitant vivement son frère à le suivre. Une fois à l'air libre, il demanda aux gardes auparavant postés là d’y revenir, leur rappelant qu’elle ne pouvait sortir sous aucun prétexte. Il ne voulait prendre aucun risque.

— Qu'est-ce qu'il te prend en ce moment Arry ? C'était quoi ça encore ?

— C'était elle.

— Que veux-tu dire ?

— C'était elle, il y a trois ans Zo. C'était elle que j'ai croisé dans les couloirs ce soir-là, c'est elle qui a tué notre père !

— Mais qu'est-ce que tu racontes ? C'est impossible, et tu m'as toujours dit que tu n'avais pas vu le visage de la personne que tu avais croisée.

Il ne me croit pas.

— Je t’assure que c'est elle. Je m’en rappelle maintenant. Je l'ai vu dans mes rêves.

Non mon frère, ne me lance pas ce regard comme si je délirais. Je t'en supplie, pas toi.

— Arry…parlait-il d’une voix plus basse, avant de le prendre dans ses bras, ce qui le surprenait. Je sais que tu n'as jamais réussis à faire ton deuil, mais tu mélanges tout. Tu revis sa mort chaque nuit sans aucune avancée en trois ans, et il suffit qu'un jour on tombe sur un assassin dans la nature, et d'un coup tu rêves que c'était elle. Tu as simplement besoin d'un coupable pour aller mieux, mais ce n'est pas elle. C'est dur je le sais, mais tu dois tourner la page, il faut avancer.

Ses bras se retirèrent, laissant un Arrel les larmes aux yeux. Il était si près du but. Croire que son frère avait raison et qu'il avait seulement assimilé les éléments entre eux le perturbait grandement, car c’était probable. Pourtant le regard de cette femme affichait tellement la traîtrise, et même s'il ne l'avait vu clairement seulement dans ses rêves, ce ne pouvait pas un hasard non plus. Là où pourtant il était d’accord, c’était qu’il devait faire son deuil, et qu’il ne pouvait pas l’accuser sans réelles preuves. De son côté Zoran affichait également des yeux rougis.

Il le cache mieux que moi, mais je sais qu'il souffre énormément aussi.

— Il se fait tard mon frère, tu devrais aller te reposer. Demain nous la relâcherons comme tu as dit, avant d'avoir des problèmes avec les sikaris, nous en avons largement assez comme ça.

Zoran lui tapa légèrement sur l'épaule avant de tourner les talons vers ses quartiers.

— Hé Zo ! l'appela-t-il alors qu'il avait fait déjà quelques pas. Pour tout à l'heure. Quand je t’ai crié dessus...

— Je sais, ne t'inquiètes pas. Je ne t’en veux pas, tu es mon frère.

Ce moment lui avait fait beaucoup de bien. Il avait toujours eu ce besoin d'extérioriser ses pensées, de se faire comprendre même un petit peu. Zoran était la meilleure personne pour ça.

Au petit matin Arrel sortait de sa tente, cherchant à prendre les premières grandes respirations matinales. Une nouvelle journée très calme s’annonçait, où seul le bruit d’un faible vent était perceptible. L’appel d’un faucon sondant les environ en quêtes de proie représentait même l’unique signe de vie auditif de cette matinée. Un calme d’allure bénéfique dans cette période de guerre qui n’était cependant pas totalement du goût du jeune roi.

Impossible que tout le monde dorme encore ?! Je ne vois personne patrouiller. Mais où sont-ils tous passés ?

Au sol, un premier indice, représentant un bouclier à l’effigie de son armée, lui donnait une première indication. A quelques encablures de sa position se trouvait les cages de fortunes montées pour la nuit, permettant de garder sous contrôle les centaines de karakoliens capturés. La pensée sinistre de leurs évasions lui avait traversé l’esprit, ce qui représenterait une absolue catastrophe. Néanmoins cette même pensée fut rapidement balayée par une seconde, plus sécurisante, que le vacarme que cela aurait créé l’aurait obligatoirement réveillé.

Son étonnante positivité face à une situation inédite s’effaçait à son tour dès les premiers aperçus des geôles lointaines. Chaque porte étant ouvertes.

Ce n'est pas possible !

Il se précipita sur les lieux, tout en restant sur ses gardes. L’horreur le submergea quand il constata que tous les prisonniers étaient bien présents dans leurs cages, mais face contre terre. La boue qui parsemait cet endroit s’étaient mêlée de sang, donnant un rendu pourpre nauséeux. Après une rapide inspection des cadavres, tous présentaient la même similitude, une gorge tranchée nette.

Reculant de dégoût, ses pieds trébuchèrent sur un corps complétement englouti dans la mélasse. A son tour ses mains et son visage étaient ainsi imprégnés de ce massacre.

Hurlant à s’arracher les poumons, déambulant dans les allées du campement, il était à la recherche de la moindre personne pouvant lui expliquer ce qu’il avait bien pu se passer dans la nuit. Personne ne répondit. Il entra alors dans la première tente sur son chemin, celle de l'un de ses officiers, qui était vide. La tente voisine n'était pas plus habitée. La suivante l'était enfin mais, la gorge là-aussi sectionnée, son occupant ne l'aiderait pas davantage. C'était Alanir, un des premiers seigneurs à l'avoir suivi et reconnu comme roi.

Putain qu'est-ce qu'il s'est passé bordel. Qui a bien pu massacrer à la fois mes hommes et mes prisonniers ? Ça n’a aucun sens !

Il continuait d'arpenter allée après allée chaque endroit où un éventuel survivant aurait pu se réfugier, mais ne trouvait que de nouveaux cadavres supplémentaires. Tous ayant la gorge tranchée. Arrel n'avait néanmoins pas encore trouvé le corps de son frère.

Il est en vie je le sens. Je dois me dépêcher de le trouver !

La seule tente où il n’avait pas encore cherché, la tente médicale, apparaissait devant lui. Il entra, une dague à la main. Son frère était là, étendu sur le dos, reposant dans une large flaque rougeâtre.

Non ! J'arrive trop tard.

Il entendait cependant une brève respiration. Il vivait. Arrel se hâta de bloquer la plaie au niveau de son cou, troquant son arme par les bandes de tissus les plus proches.

— Qu’est-ce qu'il s'est passé Zo ? Ça va aller tu vas t'en sortir ne t'inquiètes pas je suis là maintenant.

— Pourquoi Arry ?

Chaque mot sortant de sa bouche entre deux respirations saccadées, n’étaient que souffrances.

« C'est toi qui m’as fait ça. C'est toi qui m’as tué Arry, pourquoi ?

— Non, non, je dormais, je viens juste d’arriver.

Alors qu'il commençait à fermer les yeux, le roi lui tapotait le visage pour le maintenir conscient. Si Zoran avait l'air d’essayer de se battre, ses yeux clignotèrent de moins en moins vite, se calquant au rythme de sa respiration, avant de chacun s’immobiliser.

« J'ai besoin de toi, ne me laisse pas je t'en supplie.

Il ne répondait pas, il ne pouvait plus. Ses larmes tombèrent jusque sur le visage de son frère. Après lui avoir fermé les yeux, il lui reposait délicatement sa tête contre le sol après l'avoir embrassée une dernière fois.

C'était à ce moment qu'il voyait ses mains, toujours recouverte de sang, comme son visage et la majeure partie de son armure. Sur le côté, sa dague se trouvait elle aussi tachetée, l’obligeant à se sentir coupable.

« C'est moi qui les aurais tous tués…murmurait-il. Est-ce possible ? Et j’aurai tout oublié ?

— Non c'est moi, lui répondait une voix féminine dans son dos.

Il se retournait vivement, attrapant son arme au sol et la pointant vers la mercenaire.

— Toi !

— Personne ne t'a fait confiance, personne ne te croyait quand tu me soupçonnais, pas même ton frère. Maintenant ils sont tous morts, par ta faute. Tu es un roi pitoyable, tu ne mérites pas de vivre non plus. Je voulais te laisser la vie sauve avec tes remords mais tu n'en vaux même pas la peine. Tu es pathétique.

Il avait tout perdu, il n'avait plus aucune raison de se battre désormais, sa propre vie n'était pas suffisante pour compenser la perte à la fois de son père, son frère, son armée, et de son peuple.

« Je vais te trancher la gorge, continuait-elle tout en avançant de plus en plus près. Comme j'ai tranchée celle de ton père !

Ses yeux s'arrondirent à cette dernière phrase. Son poing se crispa d’un coup sur la poignée de la dague.

— Nooooon !

Il lui sauta dessus, la renversant au sol. Il planta sa lame dans le ventre de la meurtrière avant même qu'elle n’eût le temps de réagir, puis l'enfonça encore et encore. Il n'arrivait pas à s'arrêter. Elle ne respirait plus depuis quelques secondes déjà que de nouveaux coups déferlaient sans cesse.

Quand il eût fini, il lança l’arme sur un côté. Encore plus de sang le recouvrait désormais, son frère gisait toujours plus loin. Il se laissa tomber sur les genoux et ne pouvait qu'hurler sa douleur, aussi fort qu'il le pouvait, vers le ciel.

C’est elle. Cela n’a toujours été qu’elle.

Dans son lit, Arrel avait les yeux grands ouverts désormais. Qu'importe ce que lui avait dit Zoran la veille, lui il savait qu’elle était la vérité. Tuer Izzi était désormais nécessaire, même si c’était une ligne qu’il avait toujours espéré ne jamais franchir. La violence et le meurtre justifiés seulement par des raisons personnelles.

Cela serait différents des nombreuses victimes qui sont tombés face à lui sur les champs de batailles, où il ne faisait que se protéger dans le chaos ambiant. Différent également de la mise à mort de Terrence. Ce soir-là c’était le roi qui avait donné le coup de grâce, et non pas l’homme. Tuer Izzi ferait ainsi de lui ce qu’il avait toujours cherché à combattre, un assassin. Pourtant son existence même était à l‘origine de l’agonie de son royaume et de son incapacité à dormir. Vivre avec cette culpabilité serait certainement atroce mais la question était de savoir si cela serait pire ou pas que d’avoir eu l’occasion de régler les choses sans l’avoir fait.

Un remord, ou un regret, tel était son choix désormais. Arrel se levait, il était prêt.

Alors qu'il se dirigeait vers la tente médicale, il fût arrêté par son frère qui l'appelait au loin.

— J'ai quelque chose à faire Zoran je suis à toi juste après.

Deux sentiments le submergeaient à sa vue, d’abord le soulagement de le voir marcher et non pas étendu inerte sur le sol. Même s’il savait que c’était un rêve, ces images lui restaient encore en tête. Mais également de la frustration, puisqu’il aurait préféré ne pas le voir si tôt, surtout pas au moment il se préparer à commettre l’irréparable. Il n’était pas censé le voir dans cet état.

— Alanir vient de me faire part de deux nouvelles qui sont arrivées à l'aube.

— Lesquelles ?

— Jorel accepte de nous prendre tous les prisonniers sur son île. Etant en alerte il lui faut néanmoins quelques jours pour se préparer, ensuite Horace pourra commencer à charger les navettes pour les acheminer, bateau par bateau. Il demande en échange de ce service tout ce que l'on pourrait lui donner en acier, bois ou armes, afin de pouvoir réparer les dégâts causés lors de l'émeute au plus vite, et de mieux pouvoir armer ses gardes.

— Parfait, nous les laisseront alors à Horace, nous devons rentrer sur Ynox au plus tôt, cela fait déjà trop longtemps que nous sommes là. Dis aux officiers de commencer à lever le camp et de déplacer les prisonniers vers les geôles du port, nous partons dès que possible. Et pour la compensation, nous avons qu’à lui donner ce que nous avons récupéré sur les karakoliens, cela devrait suffire, et nous allégera pour le retour.

Arrel, après avoir expédié la conversation voulait reprendre son chemin, mais Zoran lui bloqua une nouvelle fois le chemin. Il se frottait les mais comme un enfant stressé.

— La deuxième nouvelle. C’est que Izzi est partie dans la nuit.

Je le savais, j’aurais dû le faire hier.

Il était hors de lui. Et sa fuite lui montrait bien qu'il avait vu juste sur son compte.

— Elle est blessée, elle n’a pas pu aller loin, comment est-ce possible ?

— Elle a assommée, je ne sais pas comment, les gardes qui protégeaient la tente. De toute façon nous devions la laisser partir à l’aube non ?

— Oui c'est vrai, mentait-il.

Alors ce seront les regrets finalement.

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