2
Cela faisait maintenant deux ans qu’ils se revoyaient. Ils s’étaient perdus de vue après le bac, chacun partant faire son BTS ailleurs. Pourtant…
Autant reprendre depuis le début, le tout début !
Patrice se revoyait débarquant au lycée agricole ; quinze ans et naïf de tout. Beaucoup se connaissaient et s’étaient mis ensemble aux tables. Ils faisaient partie des solitaires, se retrouvant assis autour de la même table, sans raison. Vaureilles, la grande gueule qui s’était déjà fait remarquer, commença :
— Moi, c’est Vaureilles ! Et toi ? En désignant son voisin.
Chacun se présenta, avec son nom, parfois le bled d’où il venait. J’avais eu mon tour, avec « Mozel, de Lalblanc ». Le dernier ne fit que se nommer :
— Jacques.
De toute évidence, il était un fils de bourge, pas un cul-terreux comme nous ! Ils devaient être cinq ou six, sur notre promotion d’une petite soixantaine de gusses, avec le teint moins cuit, des mains moins épaisses, comme tous les citadins. Ses cheveux de rouquin et ses taches de rousseur suffisaient à montrer qu’il n’était pas à sa place parmi nous. Vaureilles embraya :
— Ton truc, là, c’est pas un machin de pédé ?
Il désignait un pin's avec des bandes de couleurs.
— Peut-être !
Vaureilles n’avait pas renchéri, même si on avait tous ressenti son envie de dire quelques vérités sur ces comportements. Il était peut-être encore un peu intimidé ?
Patrice n’avait pas fait attention en m’installant au dortoir, mais Jaques occupait le lit à côté du sien. Les deux classes étaient mélangées dans cet immense hall, découpé en petits box de quatre. Les années suivantes, chaque élève aurait sa chambre, mais les travaux de rénovation n’avaient pas encore aménagé leur couchage. Jacques était dans l’autre classe et, en le reconnaissant, il lui fit un grand sourire, plutôt sympathique. Il vint vers lui, la main tendue :
— Jaques Maurin !
— Patrice Mozel !
— Apparemment, les lits ont été triés par ordre alphabétique !
Sans rien ajouter, il commença à se déshabiller sans façon. Patrice hésitait, n’ayant aucune habitude des collectivités et retenu par une certaine pudeur. À le regarder, le petit bourge ne paraissait pas très costaud, avec ses membres fins, même s’il bougeait avec une certaine agilité. Quand il tomba son jeans, son mini slip fit ouvrir la bouche du fils de paysan : comment pouvait-on porter un tel sous-vêtement, comme ceux des filles ? Plus exactement, comme il imaginait ceux des filles, car il n’en avait encore vu aucun !
Jacques se préparait à aller se laver les dents.
— Tu me matais ?
Patrice sentit la peau de son visage chauffer.
— Non, non, excuse-moi ! J’étais dans la lune… Ça m’arrive !
— Dommage !
Ces petites phrases, comme celle du midi, étaient exaspérantes, car impossibles à comprendre. Patrice se dépêcha de se changer, de se brosser les dents et de s’enfiler sous les draps.
— Bonne nuit, Patrice !
— Bonne nuit, Jacques.
Le ton, un peu trop amical, laissa une gêne. Ce garçon n’était ni déplaisant ni repoussant, si ce n’était le petit arc-en-ciel agrafé à son pull. Patrice connaissait la signification de ces six bandes. Jacques était-il un homosexuel ? Et si oui, pourquoi avait-il besoin de l’afficher ? Apparemment, ce garçon ignorait tout du monde paysan, plutôt traditionnel et hostile aux déviants. Patrice allait devoir vivre avec cet énergumène à ses côtés pendant une année entière ! « Pourvu que ce ne soit pas contagieux ! » s’amusa-t-il pour se rassurer.
Annotations
Versions