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Jacques se révéla un camarade agréable ; par la force des choses, ils vivaient très proches, puisque mangeant à la même table et partageant le même box. Son humour lui permettait de clouer le bec aux balourds qui tentaient de le ridiculiser à cause de son badge. Il lançait alors une phrase du style : « Quand tu veux, mon chéri ! », ou « Tu sais où je t’attends ! » qui laissait l’agresseur à la merci des allusions vaseuses de ses copains. Ils avaient donc sympathisé, d’autant que Jacques se révélait un excellent élève et ne rechignait pas à l’aider. Cette proximité l'exposait également à des railleries, que Jacques lui avait conseillé d’ignorer avec mépris, se réservant, lui, la défense verbale.
Leur petit jeu s’était poursuivi, Jacques ne manquant jamais de souligner quand Patrice le « mattait », ce que ce dernier niait maintenant en souriant. Car, oui, il regardait celui qu’il considérait comme son ami. Il ne pouvait avouer un certain plaisir à observer ce corps blanc et gracile, se réfugiant vers une pseudointerrogation : pourquoi Jacques n’avait-il aucun poil ? Pourtant, il avait tout d’un adolescent ayant achevé sa puberté…
Un soir, alors que Jacques devenait pesant en insistant, Patrice lâcha :
— Peut-être…
— Ça te plait donc de me regarder ? Tu sais que tu me fais un grand plaisir !
Sa voix avait une chaleur inhabituelle qui toucha Patrice. Depuis, il ne se cachait plus pour admirer son camarade, qui s’exhibait avec pudeur et discrétion au milieu de leurs camarades : ces moments n’appartenaient qu’à eux deux. Leur amitié se confondait dans la camaraderie générale, hormis de petits gestes prodigués avec naturel lors de moments intenses, bien sûr uniquement de la part de Jacques. Patrice avait fini par s’habituer, après quelques surprises, gommées par des excuses subtiles.
Un autre aspect troublait beaucoup Patrice : il aimait sentir l’odeur de Jacques auprès de lui, n'osant lui demander s’il se parfumait ou s’il avait un savon particulier. Même en sueur, ses effluves rassuraient.
La question qui turlupinait Patrice restait non dite. Pourtant, un jour où il se sentait en confiance, il osa :
— Pourquoi tu portes ça ?
— Par solidarité avec tous ceux qui sont harcelés ou agressés pour leur différence !
Il aurait pu continuer : « Et toi, tu es différent ? », mais il redoutait la réponse, quelle qu'elle soit. Jacques le regardait. Ses traits de visages étaient banaux, sauf quand il mettait tant de chaleur dans ses yeux.
— Pourquoi veux-tu savoir ?
— Je ne veux rien savoir ! Tu m’as répondu, c’est bien de défendre les différents…
— Mais…
— Y a pas de mais et le reste, je m’en fous !
C’était bien Jacques ! Franc et direct, puis soudain, notamment sur ces questions, il devenait flou, insaisissable, vous retournant les questions.
— Tu sais, tu comptes pour moi. Je sais que tu te poses la question. J’y répondrai avec plaisir, quand tu seras prêt !
À quoi devait-il se préparer ? La discussion en resta là. Peu de temps après, un fait-divers occupa les médias, le meurtre d’un homosexuel, attiré dans un piège et tabassé. Vaureilles et ses lourdauds de copains vinrent titiller Jacques, incluant Patrice dans leurs moqueries. Une répartie cinglante les renvoya dans leurs conneries.
— Tu te sens vraiment concerné ?
— Tu ne te rends pas compte ? Tu as les yeux bruns, des abrutis décident de se faire un mec aux yeux bruns et tu es roué de coups, à en mourir ?
— Ce n’est pas pareil…
— Ah, oui ! Pourquoi ?
— Je n’ai pas choisi la couleur de mes yeux…
— Je n’ai pas choisi mes attirances sexuelles…
Patrice avala sa salive. Et maintenant ?
— Désolé ! Je ne voulais pas te le dire aussi brusquement. Voilà ! Tu es le premier à savoir. Même mes parents ne sont pas au courant.
— Tu es sûr ?
— Oh oui, depuis toujours ! Je suis attiré par les garçons !
— Je t’attire ?
— Bien sûr ! J’aime ton visage un peu poupin, tes formes un peu rondes. Mais jamais je ne te le demanderai. Nous sommes amis, et cela, j’y tiens beaucoup !
Trop de questions dévalaient dans la tête de Patrice. Surtout celles qu’il venait d’aborder : est-ce que leur relation allait s’arrêter ?
— À part ton pin's, tu es normal !
— Mais je suis complètement et totalement normal ! T'es un vrai con ! Je t’adore !
Patrice se mordait la lèvre. Il ne pensait pas un mot de ce qu’il avait dit. Jacques était différent ! Son corps, sa grâce, ses manières douces, son intelligence, son short de gym très serré, son sourire, sa gentillesse, son odeur, sa rousseur : il était unique et particulier ! Dans tout ça, qu’est-ce qui le faisait être homosexuel ? Non ! La question était : est-ce qu’il pouvait aimer toutes ces caractéristiques, ou en rejeter certaines ?
— Alors ?
— Alors quoi ?
— Tu es où ? Je te sens parti…
— Je ne sais pas…
— Ne change rien. Tu sais que je suis gay. Et alors ? C’est une information, pas plus ! Comme mon groupe sanguin !
— C'est un peu dur… mais, si tu me promets… on continue comme avant ?
— Dommage que tu sois aussi con ! Mais, OK ! On en parle plus !
Patrice acquiesça, alors que trop de questions restaient en l’air, notamment : c’est quoi, être homosexuel ?
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