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La suite est tellement lamentable qu’elle ne mérite pas d’être racontée ! Il partit à l’autre bout de la France, pour suivre son brevet de technicien supérieur, encore dans un lycée perdu dans la campagne, sans moyen de transport. Ils étaient une trentaine et, malgré son pin’s et ses pantalons moulants, aucun n’accrocha, même se rapprocha. Il côtoya ses camarades d’études, sans jamais établir un lien. Sa seule distraction, solitaire, était de regarder les sites où ses semblables s’adonnaient à ces pratiques. Jérémy lui avait laissé un des exemplaires, avec lequel il se divertissait mollement. Un weekend, il avait tenté le tout pour le tout, ayant trouvé une adresse de boite gay à la ville. Dès son entrée, il sut qu’il n’était pas à sa place, qu’il n’appartenait pas à ce monde, avec cette musique trop forte qu’il détestait. Pourtant, il resta plusieurs heures, enivré par la liberté de ces hommes, par la beauté de certains, par leurs tenues qui montraient toute la beauté de la virilité, par la douceur féminine de certains. Tous étaient comme lui, tous n’aimaient que d’autres hommes, sans se cacher. Il se fit aborder, tenta une danse avec un joli garçon, mais refusa quand un cachet lui fut proposé. Un homme d’âge mûr, puissant, vint lui faire une proposition. Déçu par sa soirée, séduit par une virilité un peu trop forte, il accepta, avant de se défiler sous les injures à l’entrée de l’hôtel. Il ne savait pas comment faire ! Tout simplement.
Une autre fois, il avait découvert les lieux de rencontre. C’était au bout de cette belle place ancienne, dans un endroit un peu sombre sous les arbres. Des garçons déambulaient, tous plus séduisants les uns que les autres. Il se tint à l’écart, observant le manège des voitures qui passaient doucement avant qu’un petit minet ne monte dedans, ou ses rapprochements, avant qu’un couple s’éloigne. La deuxième fois, car il venait une fois par mois dans un de ces lieux, il fut abordé par un jeune homme très séduisant, à peine de son âge, touchant par la gêne qu’il montrait. Ils se mirent d’accord d’un simple regard et il s’éloigna, suivi du beau garçon. En avançant, il s’aperçut qu’il ne savait où aller et il devina que son jeune compagnon attendait tout de lui. Il s’arrêta, s’excusa, fut pris d’une envie d’embrasser et de consoler ce beau visage, avant de s’enfuir.
Il avait pris ses habitudes, attiré par ces endroits comme un paillon de nuit par la lumière, ne pouvant se résoudre à franchir définitivement le pas.
Un autre élément le retenait : après le bac, lors de la fête du village, Marianne s’était rapprochée de lui. Ils étaient allés à l’école primaire ensemble, au collège. Une amitié profonde les liait. Ce soir-là, elle l’emmena à l’écart, lui parlant longuement de tout et de rien. Il lui raconta des anecdotes de lycée, fit allusion à des amis, très chers. En se quittant, elle avait effleuré ses lèvres et il avait apprécié sa douceur. Le lendemain, comme ils avaient prévu, ils se revirent, pour une longue promenade. Loin des bruits, avec délicatesse, elle évoqua les rumeurs qui couraient sur son compte, avec son père qui ne manquait jamais de parler de son « pédé de fils ». Il écouta, surpris d’apprendre qu’il faisait l’objet de tels ragots, ou, plus simplement, que les autres s’intéressent à lui. Elle s’arrêta, pointa du doigt le badge :
— Tu m’expliques ?
Il y avait déjà cette autorité, ce besoin de savoir et de contrôler. Cela lui était indifférent, préférant toujours l’obéissance et la soumission, craignant les oppositions. Il lui expliqua son adhésion à la cause de défense des faibles, des différents. Elle reprit des questions déjà entendues :
— Et toi, tu es différent ?
Il avait maintenant l’habitude de l’esquive :
— Ça a de l’importance pour toi ?
— Je veux savoir exactement qui sera le père de mes enfants…
Patrice se tut. Marianne était mignonne, agréable, intelligente. Elle se lançait dans des études difficiles d’infirmière. Il l’aimait, sans jamais avoir envisagé de partager sa vie avec elle, puisqu’il ne se voyait aucun avenir sentimental. Cette demande le fit chavirer, incapable d’un choix aussi rapide. Il la respectait trop pour lui cacher la vérité. Il venait de comprendre qu’il tenait à elle et qu’un aveu l’écarterait à jamais.
— Ton silence est-il une réponse ?
— Pas du tout ! Je suis tellement ému par ce que tu viens de dire…
— Oui, je veux un bon père pour mes enfants, qui les éduque avec moi, dans la tendresse et la confiance, longtemps.
— Marianne, ce petit badge, c’est un ami qui me l’a donné, en m’expliquant sa signification et le besoin de lutter et de se défendre pour ces personnes-là. Il était gay…
— Et…
— Il a été mon plus grand ami. C’était en seconde, puis il est parti.
Cette fois, Marianne choisit le silence.
— Il était d’une douceur incroyable, tellement différent des autres lourdauds dans mon genre. Très gentil… et très séduisant !
— …
— Voilà, tu le sais ! Tu ne veux pas de détails, je suppose ? Cela a été une très belle aventure, je dois l’avouer. Je ne regrette rien. Maintenant, je me sens solidaire de ces gens.
— Je comprends. Je te remercie pour ta franchise. Tu sais, quand tu as changé ton look, je me suis posé des questions. Mais tu as eu raison ! Je sens que tu as brisé des tabous et des conneries, que tu es plus… libre, j’allais dire différent !, que les autres.
Le mariage eut lieu quand il s’installa, à la fin de son brevet. En disant « Oui ! », il disait « Non ! » à ce qu’il était. Il avait longuement réfléchi avant d’arrêter ce choix.
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